Manifestation contre l'expulsion des débouté·e·s de l'asile. Lausanne, samedi 11 septembre 2004
Le travail... sans les droits des salarié·e·s
Parcourir les déclarations des représentants des forces politiques institutionnelles ou regarder certaines émissions télévisées (Blocher à infrarouge) sur le thème du renvoi de quelque 523 requérant-e-s débouté-e-s résidant encore dans le canton de Vaud suscitent trois réflexions
1°La mémoire courte est cultivée par les médias. Il y a quelque neuf mois, les organisations du patronat helvétique (economiesuisse, Avenir Suisse) et des patrons présentés comme novateurs et éclairés (tel André Kudelski) se prononçaient en faveur de la présence de Christoph Blocher au Conseil fédéral. Dans le même élan, ils apportaient leur soutien aux radicaux Hans-Rudolf Merz et Pascal Couchepin.
Le doute ne peut donc exister sur le sens véritable de la politique de Christoph Blocher en matière d'immigration, de lois sur les étrangers et d'asile: c'est celle du patronat et non pas celle d'un seul conseiller fédéral, plus réactionnaire que les autres. C'est aussi celle du Conseil fédéral qui la soutient avec une collégialité déterminée.
2°Un oubli ne peut que nous frapper dans de très nombreux commentaires: si les raisons d'immigrer en Suisse sont souvent différentes, le point d'arrivée des migrant-e-s est le même: le travail, sous diverses formes.
Dès lors, il est impossible de dissocier la politique gouvernementale et patronale face aux migrant-e-s de l'ensemble des mesures (loi sur le travail, loi sur le chômage, etc.) qui se développe depuis une dizaine d'années contre la majorité des salarié-e-s. On pourrait dire que précariser le statut des migrants va de pair avec précariser le statut des salarié-e-s.
3°Les benêts devraient réfléchir à deux fois lorsqu'ils critiquent le « manque de respect de la collégialité » de Blocher. Ils feraient mieux d'interroger la révérence des ministres dits socialistes face au mythe du « principe de la collégialité » qui devrait guider les pas des conseillers fédéraux.
Lorsqu'il en va du respect du plus élémentaire des droits de la personne humaine, répondre à des principes et à sa conscience devrait obliger les membres des exécutifs à prendre position publiquement et à dire ce qu'ils pensent. Certains appelleront cela « rompre la collégialité ». Nous dirions plus simplement: rester fidèle à ses convictions.
Dès lors le silence de la gauche dans l'exécutif vaudois et fédéral est un bon indice du manque de principes et de convictions, et du refus d'apporter un soutien actif à ceux et celles qui se battent contre des injustices patentes: qu'elles concernent l'asile ou les conditions juridiques et concrètes du travail.
Sans-papiers mais pas sans-emploi
Depuis le milieu des années 1990, depuis la montée du chômage, se sont développées de multiples formes de précarisation du travail: travail temporaire (non voulu), travail à temps partiel (imposé), travail sur appel, etc. De véritables entreprises de travail temporaire placent des demandeurs d'asile, des sans-papiers, des frontaliers auprès d'employeurs plus ou moins déguisés derrière un sous-traitant.
En effet, la pratique de la sous-traitance a explosé. L'attaque contre les services publics a fait que de nombreuses tâches (nettoyage, cantines, blanchisserie, etc.) sont « externalisées ». Elles sont sous-traitées au plus bas prix possible à une firme qui va presser ses salarié-e-s comme des citrons. Cette sous-traitance se retrouve dans le secteur de la construction, depuis la métallurgie du bâtiment jusqu'à la rénovation d'immeubles. Dans l'industrie, il en va de même, depuis l'agroalimentaire en passant par le secteur du recyclage. Des firmes « spécialisées » dans le nettoyage comme dans l'hôtellerie et la restauration réclament une main-d'oeuvre flexible à merci. Autrement dit, les quelque 300'000 sans-papiers ne sont pas sans emplois.
Personne n'ignore combien l'embauche d'un sans-papiers est avantageuse et commode pour un particulier ou une entreprise: la charge de travail peut être extrêmement fluctuante, l'horaire flexible, la maîtrise de la langue limitée, le salaire sensiblement inférieur à ceux dits « usuels ». En outre, les recours juridiques – même les plus élémentaires – sont déniés. Quant aux notions de congé payé, de congé maladie ou de congé maternité, elles sont inexistantes.
Une telle réalité n'a évidemment pas échappé au patronat et à ses représentant-e-s. Précariser à l'extrême, derrière le verre opaque de la sous-traitance et du « travail irrégulier », permet de présenter comme de plus en plus acceptables des situations « moins tragiques ». Lorsque pour un secteur de travailleurs et de travailleuses (réfugié-e-s, demandeurs d'asile, etc.) le travail sans temps préfixé devient une pratique « normale », il est bien plus aisé de présenter à un jeune ou à un chômeur « avec papiers » un contrat à durée déterminée comme un « plus » !
La bataille contre le renvoi des demandeurs d'asile déboutés doit donc trouver un chemin pour se lier à celle concernant les conditions de travail (droit du travail, santé au travail, mise en question de la précarisation, etc.) de la large majorité des salarié-e-s, suisses ou immigré-e-s de ce pays.
PrÉcariser le droit d'asile... et le droit du travail
Le discours officiel en Suisse, comme en Europe, met l'accent sur les « faux demandeurs d'asile » afin de justifier le nombre important de débouté-e-s du droit d'asile. En même temps, pour se donner un air humanitaire (comme les « guerres humanitaires »), les autorités dénoncent les réseaux maffieux qui organisent l'arrivée de migrant-e-s dans les pays « d'accueil ».
En réalité, la politique hyperrestrictive de l'asile alimente en permanence le stock structurel de sans-papiers. Autrement dit, de travailleuses et travailleurs mis hors droits et donc passibles de l'exploitation la plus rude ; comme le sont de même toutes celles et tous ceux fragilisé-e-s par le chômage, la fin des droits aux allocations, l'obligation d'accepter un travail « convenable » à l'âge de 50 ou 55 ans.
Les véritables industriels de la production de salarié-e-s sans-droits sont donc les responsables de la politique de migration et d'asile. Ce sont les mêmes qui dictent les « révisions » de la loi sur le travail, de la loi sur le chômage ou sur l'assurance invalidité.
Et ceux qui en profitent, en priorité, ne sont autres qu'un vaste réseau d'employeurs. Il n'est pas exagéré de dire que, parallèlement au trafic maffieux (réellement existant), existe un trafic officiel lié au nombre de personnes déboutées.
Depuis quelques années, on constate une précarisation juridique du contrat de travail, concernant l'ensemble des salarié-e-s – en Suisse et en Europe. Parallèlement se développe une précarisation du séjour et même du contrat de séjour d'un grand nombre de salarié-e-s en Suisse. Il y a un lien évident entre la mise en question du droit au travail et celle du droit au séjour.
Le travail temporaire est vanté sur les panneaux publicitaires en Suisse. Un message analogue est envoyé aux migrant-e-s: venez et travaillez à la demande, ne vous fixez pas et dans tous les cas, suivant la conjoncture, on pourra soit vous renvoyer (comme on licencie pour délocaliser), soit vous offrir un « plan de vol » pour un retour exprès au pays.
Dans la société capitaliste à l'orée du XXIe siècle, pour de nombreux secteurs, les employeurs et les gouvernements veulent bien pouvoir disposer du travail d'êtres humains sans avoir d'obligation envers des salarié-e-s. La politique des autorités face aux demandeurs d'asile débouté-e-s, exploité-e-s depuis des années en Suisse, est étrangement analogue à celle mise en oeuvre aujourd'hui sur les lieux de travail.
• Dans l'immédiat, l'opposition la plus large au renvoi des 523 débouté-e-s est prioritaire. Refuser, par de multiples initiatives, l'application de mesures de contrainte contre les débouté-e-s peut aboutir à un premier succès.
• La mobilisation d'ensemble, remarquable, qui a pris forme dans ce canton peut permettre de stimuler une réflexion plus générale. Le droit d'asile, le droit à la libre circulation des personnes ne peut être séparé du renforcement du droit du travail, du combat contre les licenciements et contre les conditions portant atteinte à la santé au travail, et cela pour tous ceux et toutes celles qui travaillent en Suisse. Aucun de ces aspects ne se situe hors du champ des droits de la personne humaine.
Mouvement pour le socialisme (MPS)
11 septembre 2004