Gate Gourmet, provocateur de «grève spontanée»
Le fournisseur de plateaux-repas pour British Airways aurait délibérément poussé à bout ses 670 salariés pour pouvoir les licencier.
Agnès Catherine POIRIER, Liberation
Quand les employeurs utilisent les agences temporaires pour licencier et baisser les salaires. Un exemple, de la «libre circulation» du droit à surexploiter. Réd.
Le conflit social des plateaux-repas n'en finit plus d'agiter l'Angleterre. Trois jours après la grève de solidarité du personnel de British Airways qui a repoussé le départ de plus de 70 000 passagers (lire ci-dessous), les pratiques sociales de Gate Gourmet, la société américaine qui fournit les repas aux passagers de la compagnie aérienne britannique, a provoqué un nouveau tollé syndical hier. La publication par le quotidien britannique Daily Mirror d'une note confidentielle interne à l'entreprise laisse en effet penser que Gate Gourmet a volontairement cherché à provoquer un mouvement de grève afin de licencier ses 670 employés pour les remplacer par du personnel moins cher.
Mégaphone
Tout a commencé mercredi dernier quand quelques centaines d'employés de la plus importante société britannique de plateaux-repas pour l'aviation civile décident d'organiser un sit-in de protestation dans la cantine de la firme. Ces salariés, en grande majorité des femmes d'origine indienne de la région de Southall, près de l'aéroport d'Heathrow, protestent contre la dégradation de leurs conditions de travail. Au bout de deux heures, estimant que leur action est illégale, les cadres de la société annoncent au mégaphone que les grévistes sont licenciés sur-le-champ. Egalement virés, tous les employés absents, en arrêt maladie et en vacances. Le lendemain, un millier d'employés de British Airways arrête le travail par solidarité, risquant eux-mêmes de perdre leur emploi car l'Employment Act de 1990 interdit toute grève de solidarité avec d'autres travailleurs de firmes extérieures.
Aujourd'hui, il semblerait que cette affaire ait été préparée dès septembre 2004 par les cadres de la maison mère américaine, Texas Pacific Group. La note interne publiée par le Daily Mirror énumère en effet les différentes étapes d'une méthode de gestion de l'entreprise destinée à limiter les coûts salariaux : «Recruter et former [...] de nouveaux employés. L'annoncer aux représentants syndicaux, provoquer une grève spontanée, licencier les grévistes et les remplacer par les nouvelles recrues préalablement formées.» Le mémo estime à quinze semaines le temps nécessaire pour mettre en pratique une telle stratégie. Comme par hasard, Gate Gourmet a créé voici exactement trois mois une filiale, Versa Logistics, chargée de recruter des saisonniers d'Europe centrale à des salaires moins élevés que le personnel permanent. «Nous avons la certitude que la société a tout manigancé. Ils ont dû prendre leur décision d'agir quand ils ont perdu leur contrat avec Virgin Atlantic», dénonce Sarijit Singh Sandu, représentant du syndicat des employés des transports, le Transport and General Workers Union (TGWU).
Guerre psychologique
Le mémo émettait cependant une réserve prémonitoire : «la possibilité que le conflit s'étende au sein d'Heathrow». Mais les bénéfices d'une telle manoeuvre semblaient valoir le risque : «2,5 millions de livres de coûts de licenciements contre 6,5 millions de livres d'économies par an.» Une bonne affaire pour Gate Gourmet, par ailleurs dans une situation financière difficile et qui a déclaré l'an dernier plus de 26 millions de livres de pertes (38 millions d'euros). Détaillé, le mémo décrit une véritable guerre psychologique envers les employés. Il précise la façon de les provoquer à faire une grève sauvage, «leur dire que les temps ont changé, qu'ils ne vont plus être autorisés à partir tôt, qu'ils ne pourront plus fumer, boire ou manger dans les véhicules de livraison, que les heures supplémentaires ne seront plus rémunérées». Une fois les employés poussés à la faute, le même mémo insiste sur la façon de leur annoncer leur licenciement : «Licencier immédiatement sans représentation légale, confisquer passes, clés et papiers d'identité. Faire accompagner chaque employé en dehors des locaux par des vigiles.» Enfin, tandis que la société recrute discrètement des saisonniers, il est recommandé de nier publiquement tout changement de pratiques salariales : «Communiquer avec la presse et les syndicats et affirmer la volonté de résoudre tout conflit. Prétendre vouloir trouver une solution raisonnable.» Interrogé, un porte-parole de Gate Gourmet a reconnu hier l'existence d'une telle stratégie mais nie l'avoir mise en pratique la semaine dernière : «C'est en effet une des stratégies conçues l'an dernier par notre équipe de management [...], mais nous ne l'avons pas suivie.»
Malgré ces révélations, un porte-parole du TGWU ne se montre guère optimiste : «En Grande-Bretagne, ce genre de stratégie de management est légal. Il faudrait que nous ayons des preuves très solides pour pouvoir les poursuivre pour licenciement abusif. Ce qui nous semble le plus urgent est de faire en sorte que les employés licenciés retrouvent leur travail.» Des négociations étaient toujours en cours hier soir. (16 août 2005)
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