FORUM SOCIAL - La nécessité d'une Europe plus sociale est revenue hier à Londres comme un leitmotiv. 18 000 personnes ont participé à cette première journée du FSE.
Quelle Europe faut-il construire et surtout comment l'imposer? «Nous sommes tous d'accord, nous voulons une autre Europe», avance à la tribune Marie-Helena André, secrétaire générale de la Confédération des syndicats européens (CSE). Bruxelles serait obsédé par la lutte contre l'inflation, beaucoup moins par celle contre le chômage. Quant au Pacte de stabilité, il érige en dogme absolu la rigueur budgétaire, empêchant les Etats membres de mettre en oeuvre des politiques de relance créatrices d'emplois. La nécessité d'une Europe plus sociale est revenue comme un leitmotiv à la première journée du Forum social européen (FSE) hier à Londres. Encore fallait-il arriver jusqu'à l'Alexander Palace, bien au Nord de la métropole. Il faut en effet compter une heure et demi de voyage du Millenium Dome, transformé en gigantesque auberge de jeunesse, jusqu'au siège du FSE. Une fois sorti du métro, les deux étages des fameux bus londoniens n'étaient pas de trop. Les premiers conférenciers, attendant leur public, ont commencé avec un peu de retard.
Mais nombreux sont celles et ceux qui n'auront pas entendu les divergences des orateurs de la première conférence plénière. Le projet de Constitution européenne divise aussi au FSE. Mme André compte parmi les rares défenseurs du texte qui se soient déplacés à Londres. Elle salue «un pas positif» vers une Europe plus démocratique.
«Dans cette constitution, les droits au logement, au travail ou à l'éducation ne sont que des simples déclarations. Le droit de la concurrence est, lui, bien opérationnel», rétorque la Française Annick Coupé. Pour la vice-secrétaire du syndicat G10-Solidaires, la constitution, si elle est adoptée, «gravera dans le marbre la domination des marchés ainsi que la liberté d'action des capitaux et des multinationales». Pour l'amender, il faudra en effet l'accord de tous les Etats membres de l'Union.
Un peu plus loin dans la grande salle, le public se masse pour écouter l'alter-euro-sceptique Alex Callinicos. Le militant du Socialist Workers Party doute que l'Union européenne puisse servir de contrepoids à l'impérialisme des Etats-Unis. «Elle est étroitement associées à Washington pour ouvrir les marchés du Sud. Ne faire évoluer qu'une puissance du cartel capitaliste ne changera rien à l'affaire», lance-t-il. Avant d'appeler à lutter pour un monde socialiste.
Le nez plongé dans le programme, la foule se dirige vers le prochain séminaire ou atelier. De simples cloisons séparent les différents lieux, on entend l'orateur d'à côté. Il est tentant de zapper. «Ce matin, j'étais très en retard. Je n'ai pas pu me faire mon programme. Ça ira mieux demain», confie un militant d'Agir contre la guerre.
A côté, le président d'Attac-France, Jacques Nikonoff, fait la leçon, visiblement énervé que les membres des partis politiques anglais trustent le micro. «Le débat, qui nous occupe, sur l'avenir des forums sociaux n'a pas avancé. (...) Vous faites comme si le FSE avait décidé d'empêcher la prochaine tenue du G8 (en Ecosse, en juillet 2005, ndlr). Les Anglais doivent encore apprendre ce qu'est la culture démocratique des forums sociaux.»
Le débat touche à sa fin et le gros de l'assemblée a déjà passé son chemin. Raffaela Bolini, animatrice du Forum social italien, préfère se réjouir du nombre impressionnant de jeunes qui se sont déplacés. Une majorité des quelque 18 000 inscrits annoncés hier. «Peut être que nous nous épuisons à courir de manifestation en manifestation et de forum en forum. Nous devrions imaginer des campagnes permanentes qui impliquent les jeunes. Revenir à la base, en somme.»
«La plus grande menace pour l'Afrique n'est pas l'OMC, mais l'Union européenne.» Le Zimbabwéen Yash Tandon de l'association africaine Seatini, était hier le seul orateur du Sud à prendre la parole dans une plénière sur la place de la justice dans le commerce européen et mondial. Devant 600 personnes, dans un immense hangar de l'Alexandra Palace, sous la lumière crue d'une grande verrière, le militant a appelé l'assemblée à empêcher la signature des Accords de partenariat économiques (APE) que l'Union européenne (UE) veut passer avec septante-sept de ses ex-colonies. Ces accords ouvriraient les marchés du Sud aux importations européennes. «Nous sommes tous impliqués dans la pauvreté du Sud», concluait M. Tandon. Hier, les conférenciers ont clairement mis en cause la politique européenne et sa responsabilité dans l'appauvrissement des pays du Sud. Ils ont appelé au renforcement d'un fort mouvement critique européen. Pour Clare Joy, membre du réseau «Seattle to Brussels», le travail d'opposition doit aujourd'hui se faire plus largement «pour qu'une voix européenne, plus forte que l'adition de voix nationales, s'exprime».
Depuis 1999, Seattle to Brussels suit les rencontres de l'OMC ainsi que des représentants de l'Union européenne et épluche les ordres du jour des réunions. «Plus l'Union se sent critiquée, plus elle déguise ses ordres du jour et son discours. Les officiels européens disent que leurs réformes émergent de nos demandes. Ils affirment que le libre-échange va enrichir les personnes les plus pauvres. C'est du bluff!» commente Mme Joy.
De son côté, le secrétaire de la confédération italienne CGIL, Gugliemo Epifani, remarque que beaucoup de gens en Europe craignent la globalisation qu'ils appréhendent comme un processus mettant en danger leur niveau de vie. «L'UE ne donne pas l'image d'un continent qui essaie de résoudre ces problèmes au niveau global, mais plutôt d'un continent bloqué entre ce qu'il a été et ce qu'il veut devenir.» Il insiste sur la nécessité de réagir globalement à la politique néolibérale de l'UE.
Pour sa part, Barbara Stocking, présidente d'Oxfam Grande-Bretagne, appelle les militants européens à s'opposer à la paupérisation du monde telle que proposée par l'UE et l'OMC. Plus particulièrement, Mme Stocking dénonce la politique agricole commune et les réformes qu'elle propose. «L'agriculture est la base du développement des pays du Sud. 75% de la population mondiale vit de la production agricole. Or, les réformes européennes - et plus particulièrement la pression à l'ouverture des marchés sur les pays du Sud et le dumping sur certains produits - ne font qu'accroître cette pauvreté.
La militante s'est particulièrement emporté contre les subventions que le Nord verse à son agriculture. «Dans l'UE, par exemple, les coûts de production du sucre sont trois fois plus élevés que dans les pays du Sud. Mais les six plus grandes compagnies sucrières européennes touchent 20 milliards de subventions par an. L'UE exporte 5 millions de tonnes de sucre chaque année et fait baisser le prix du sucre de 20% sur le marché.»
L'OMC n'a pas non plus été épargnée hier par la critique. Un appel a été relancé pour une mobilisation en vue de la rencontre de l'organisation à Hong Kong en 2005.
Nous n'avons pas été capables de bloquer l'offensive néolibérale.» C'est sur ce constat d'échec de Pierre Khalfa qu'a débuté, hier, le séminaire sur le futur du mouvement. Rencontre avec l'influent syndicaliste d'Attac-France.
Le Courrier: Le mouvement alter est-il entré en crise?
Pierre Khalfa: Il est plutôt à un tournant. Les forums sociaux sont toujours ce moment d'apparition politique très fort pour le mouvement altermondialiste. L'idée première était d'offrir un espace de débats et de confrontation pour toutes les forces qui s'opposent aux politiques néolibérales. Cela a marché au delà de nos espérances. En revanche, nous peinons à utiliser ces rendez-vous pour construire des alternatives. Il y a plein de propositions qui sortent des forums, mais nous n'avons pas été capables de leur donner une visibilité politique. Peut-être aussi parce que l'ensemble du mouvement ne se les ait pas appropriées. Quelles sont nos propositions sur l'Europe? Personne ne les connaît. Pourtant elles existent. Il s'agit de remettre l'Europe, construite autour de la concurrence, sur ses pieds, c'est-à-dire sur les droits de ses citoyens. Ce slogan se décline de façon très concrète: nous voulons, par exemple, soustraire les services publics aux marchés pour qu'ils soient accessibles au plus grand nombre. Ces propositions doivent être discutées par toutes les composantes puis présentées et défendues par le mouvement. Ce processus ne se fera pas du jour au lendemain. »Les forums sociaux servent aussi de point d'appui à la construction de mobilisations sociales et citoyennes. Le FSE de Florence avait joué ce rôle à merveille en lançant la manifestation antiguerre mondiale du 15 février 2003. Depuis, nous n'avons rien fait. J'y vois un problème majeur. D'où l'importance de la question européenne. On ne peut pas négliger la politique de l'Union européenne, qui surdétermine la vie de centaines de millions de personnes. Il faut tourner nos forces vers ces questions là.
A la tribune, des militants ont soutenu la création d'une formation politique internationale qui porterait vos idées?
- Ne prenons pas ce raccourci. Puisque nous n'arrivons pas à mobiliser et à engranger des victoires, il faudrait se présenter à des élections? La traduction politique des idées altermondialistes est évidemment indispensable. Mais c'est illusoire de croire que le mouvement puisse se transformer en parti politique. Il éclaterait. Si le mouvement voulait avoir un débouché électoral qui ne soit pas groupusculaire, il faudrait d'abord qu'il s'appuie sur des mobilisations fortes et couronnées de succès.
PROPOS RECUEILLIS PAR Spe
Europe nEolibErale, A nous deux!
SIMON PETITE, 18 octobre
Une image. Celle de la centaine d'anarchistes prenant possession du podium du Forum social européen (FSE) de Londres. Samedi soir, le parrain de l'événement, Ken Livingstone n'a pas pu s'adresser aux milliers d'altermondialistes réunis dans sa ville. En échange de généreux subsides, le maire de Londres avait pourtant obtenu nombre de strapontins pour lui et ses amis politiques. Sous les flashs et devant les caméras, le mouvement étale ses divergences, ses divisions, diront certains. Faut-il ne retenir que cette image de ce troisième FSE? Une édition morose, verrouillée par les soutiens politiques de «Ken le rouge», comme on l'a beaucoup entendu. Résultat: «seules» 20000 personnes se sont déplacées jusqu'à l'Alexandra Palace. On est loin des 50000 participants des précédentes éditions à Paris et à Florence.
Soyons honnêtes, il aurait été difficile d'organiser le FSE dans une ville plus chère que Londres. Quant à l'épisode de samedi soir, il a indéniablement du bon. Voilà un politicien ambitieux qui voulait tirer le forum social à lui. Le boomerang lui est revenu dans les gencives. Le mouvement altermondialiste a sa dynamique propre. Il n'appartient à personne. Il est irrécupérable. Avis aux amateurs.
Oui, le détour par Londres valait la peine. Comme un pied de nez au Royaume blairiste, havre du néolibéralisme et de l'alignement sur George W. Bush. Pour les innombrables jeunes qui ont suivi avec avidité les trois jours de débats. Pour l'obstiné mouvement anti-guerre britannique qui a encore rassemblé des dizaines de milliers de personnes hier dans les rues de Londres.
Des pacifistes anglais qui ont le mérite d'avoir associé à leur lutte l'importante communauté musulmane britannique (non sans arrière-pensées électoralistes). Une ouverture visible dans les travées du FSE londonien, où les musulmans et leurs associations étaient omniprésents. Une démarche salutaire depuis que George W. Bush est entré en «croisade» contre le terrorisme et que Silvio Berlusconi a conclu à la «supériorité de la civilisation occidentale».
Les écueils sont nombreux. Comme ce caricatural séminaire sur «le voile islamique et le droit de la femme de choisir». Tous les orateurs sans exception y dénonçant la loi française interdisant le voile à l'école. Les altermondialistes ne pourront pas non plus faire l'économie d'un débat sur la nature de la résistance irakienne.
Le mouvement penche indéniablement du côté de l'anti-guerre. Le FSE de Londres était censé y remédier. Les altermondialistes sont-ils capables de se battre sur plusieurs fronts? L'invasion de l'Irak n'a pas pu être empêchée. Mais la «délégitimation» de la guerre fait vaciller les trônes de Tony Blair et George W. Bush. Maigre consolation, diront les esprits chagrins.
D'autant que, pendant que les bombes pleuvaient sur l'Irak, l'Europe néolibérale continuait sa marche en avant. Le projet de Constitution qui fait de la liberté des marchés la pierre angulaire de l'Union européenne arrive à bout touchant. Le continent est confronté à une vague de délocalisations. Partout, la tendance est à l'allongement du temps travail et à la remise en question des droits des salariés. Les systèmes de retraite et de santé sont sous pression, les droits des chômeurs attaqués... Voilà l'autre immense défi du mouvement altermondialiste européen.
B. Neue Zürcher Zeitung (Suisse)
18. Oktober 2004
Europäisches Sozialforum im teuren London
Ein Turm von Babel von Protestbewegungen
Das dritte Europäische Sozialforum ist am Sonntag in London mit einem Communiqué und einem Marsch gegen den Krieg beendet worden. Die britische Hauptstadt und Finanzmetropole war nicht sehr inspirierend für die Globalisierungsgegner.
Mr. London, 17. Oktober
Die dritte Auflage des Europäischen Sozialforums, eines Ablegers des jährlich im brasilianischen Porto Alegre stattfindenden Weltforums, hat vom Freitag bis zum Sonntag in London ihre widersprüchlichen und interessanten bis marginalen Anliegen ausgebreitet. Eine breite Palette von Globalisierungsgegnern, Antiamerikanern, Umweltschützern, Alternativen, Marxisten und Anarchisten sorgte für etwas Farbe unter dem Regen. Anders als in Florenz 2002 und Paris 2003 blieb die politische Resonanz und die Teilnehmerzahl aber sehr beschränkt, trotz einer enthusiastischen Begrüssung durch den Mayor von London, Ken Livingstone, und seiner finanziellen Unterstützung in der Höhe von einer Million Franken für Gratistransport und Unterkunft auf dem Boden des umstrittenen Millennium Dome.
Kleinster gemeinsamer Nenner
Anarchisten stürmten, wie es sich für sie gehört, am Samstagabend das Podium, auf dem Livingstone eine zweite Rede halten sollte. Sie warfen dem unbotmässigen Labour-Politiker vor, zur «Kriegs-Partei» zu gehören. Die Opposition gegen den Krieg im Irak und die «Besetzungsmächte» war das vorherrschende Thema des Forums, das am Sonntag mit einem Marsch der Kriegsgegner zum Trafalgar Square abgeschlossen wurde. Eine Schlussversammlung der rund zweitausend Organisationen rief zu einem europäischen «Aktionstag» am 19. März 2005 mit einer Grossdemonstration in Brüssel gegen «Krieg, Rassismus und das neoliberale Europa» und damit gegen die neue EU-Verfassung auf. Zwischen deutschen Umweltschützern, der britischen marxistischen Socialist Worker Party, den traditionellen britischen Gewerkschaften, französischen libertären Bürgerrechtsbewegungen und italienischen oder spanischen Neolinken sowie Pragmatikern konkreter Anliegen fehlte oft die gemeinsame Sprache, was fünfhundert ehrenamtliche Übersetzer nur ungenügend korrigieren konnten. Etwa 20 000 Teilnehmer waren angereist, sechzig Prozent aus Grossbritannien selbst. In Florenz und Paris waren es noch doppelt so viel gewesen.
Kaum interessierte Londoner
Der hohe Eintrittspreis von 60 Franken, Organisationsmängel und die ungastlichen Lebenskosten der Finanzmetropole London dämpften die Begeisterung etwas. Dazu kam, dass London, seine Medien und seine Einwohner die natürliche Gabe haben, solche universellen Ereignisse wegen des ohnehin reichen Angebots an jeglicher Art von Exzentrik zu relativieren oder zu übersehen.
Immerhin konnte man erfahren, dass Aleida Guevara, die Tochter des «Che», sich gegen die kommerzielle Ausbeutung des Namens ihres Vaters (zum Beispiel auf T-Shirts) wandte. Dass der Filmregisseur Ken Loach in Canary Wharf, wo die Polizei eine Demonstration zugunsten des Putzpersonals verbot, sich darüber aufregte, dass ein Bankier im postmodernen Quartier in einer Stunde so viel verdienen könne wie seine Putzfrau in einem Jahr, interessierte die Medien aber viel weniger als die Frage, ob Prinz Harry bei seiner Matur im Zeichnen geschummelt habe.
C. The Guardian (GB)
Leader, Monday October 18, 2004
The caravan of the European Social Forum moves on and London can reflect on having hosted a successful if sometimes internally fractious three days of intense debates, discussions, protests and cultural events, culminating in yesterday's peace march. The event was remarkable on several levels: it attracted to a wet city on the very edge of Europe nearly 25,000 mainly young people from more than 70 countries; it addressed legitimate issues and causes that are below the radar of mainstream political parties; and it brought under one metaphorical roof unions, a myriad of passionate non-government organisations, social movements, artists, academics and fringe political parties from all over Europe. Saturday night's storming of the stage by several hundred people denouncing mayor of London Ken Livingstone for hijacking the event reflected genuine anger about the way the event had been organised, but was marginal to the impact of the project.
Notable by their absence from this often chaotic salon de refusés were all but a very few members of parliament and the entire British political elite. This lack of curiosity about what is energising young people at the European grassroots suggests that mainstream politicians are out of touch with both the spirit, content and the style of the inclusive non-party politics now emerging under the ESF umbrella. Any professional politician observing the audiences of 1,000 or more people raptly listening to debates on globalisation, the power of corporations, racism, food or the environment would do well to reflect on the narrowness of their own political agenda and the genuine transnationalism now clearly informing European youth.
It is too early to say whether the ESF can refresh mainstream British politics and influence the European left. It is only three years old, is politically immature and each meeting tends to reflect the prevailing politics and tensions of the host country. It is possible that the event will disappear from the calendar and be remembered only as a European trade fair for political ideas.
But it is equally possible that mayors of major European cities will now compete with each other to host the event as a kind of political Olympics. Clearly, the ESF's strength is its passion and diversity, which encourages participants to feel part of something greater than themselves. Out of the connections being made between radically different groups, it is possible to see in years to come the emergence of a genuine new politics of the European left.
D. Le Monde (France)
Les altermondialistes ont rendez-vous à Londres pour le Forum social europEen (14.10)
Plusieurs milliers de militants altermondialistes commençaient jeudi à s'installer à Londres, où doit être lancée dans la soirée la troisième édition du Forum social européen (FSE), qui devrait être largement dominée par l'hostilité des militants à l'"occupation" américaine en Irak.
"Nous attendons entre 6 000 à 8 000 inscriptions aujourd'hui" (jeudi), a déclaré un porte-parole du FSE, qui s'ouvre à Londres jeudi 14 octobre dans la soirée. Au total, sur les trois jours de débats qui commencent vendredi et se termineront dimanche midi, au moins 20 000 personnes sont attendues par les organisateurs.
Plusieurs centaines de militants, chargés de sacs à dos et sacs de couchage, emmitouflés dans des K-Way, ont commencé à faire la queue jeudi matin sous la pluie londonienne pour s'inscrire au Forum. Le bureau des inscriptions, installé dans Conway Hall, où doivent se tenir une partie des débats, était en pleine effervescence.
Plusieurs dizaines de bénévoles, arborant un T-shirt violet sur lequel on pouvait lire en anglais "Forum social européen, un autre monde est possible", s'affairaient, qui à inscrire les participants, qui à distribuer le programme des débats, qui à indiquer les lieux des places d'hébergement. Le tout dans un joyeux brouhaha.
Selon le porte-parole du FSE, quelque 5 000 personnes vont être logées dans le dôme du Millénaire, dans l'est de la capitale, sur les bords de la Tamise. Parmi les premiers inscrits figuraient beaucoup de jeunes, habitués des forums. Lucie, 29 ans, une Ecossaise engagée dans la protection de l'environnement, déjà présente lors de la première édition du FSE à Florence (Italie) en 2002 puis à Paris/Saint-Denis en 2003, a indiqué venir au FSE pour "renforcer son engagement" dans le mouvement.
Bethan Harries, une bénévole de 27 ans, a estimé que la question de la guerre en Irak devrait être un "débat majeur" de ce forum, "autant que l'année dernière à Paris". Le coup d'envoi de l'édition 2004 du FSE devait être donné à 20 heures (heure française) par le maire travailliste de Londres, Ken Livingstone.
Gerry Adams, président du Sinn Fein, Aleida Guevara, fille du guérillero cubano-argentin Ernesto Che Guevara, l'ancien président algérien Ahmed Ben Bella, ou encore Frances O'Grady, vice-secrétaire général du Trades Union Congress (TUC, qui chapeaute les 70 syndicats britanniques), doivent notamment y prendre la parole.
Au cours des 30 conférences plénières, des 150 séminaires et des 220 ateliers, six grands thèmes ont été retenus : "Guerre et paix, "Démocratie et droits fondamentaux", "Justice sociale et solidarité : contre la privatisation, pour les droits sociaux, les droits des travailleurs et les droits des femmes", "La mondialisation des multinationales et la justice mondiale", "Contre le racisme, la discrimination et l'extrême droite : pour l'égalité et la diversité", et "Crise environnementale et développement durable".
Dimanche matin, au terme des trois jours de débats, l'Assemblée des mouvements sociaux, seule habilitée à prendre des décisions, discutera de la suite à donner au mouvement et du lancement d'une mobilisation européenne au printemps 2005 pour promouvoir une Europe sociale.
Une manifestation contre la guerre en Irak, où 50 000 personnes sont attendues, et un concert clôtureront l'événement dimanche après-midi.
Le budget du FSE a été estimé à 1 million de livres (1,5 million d'euros), selon le site officiel (http://www.fse-esf.org), le Greater London Assembly (assemblée des communes composant l'agglomération de Londres) y contribuant à concurrence de 480 000 livres (720 000 euros).
L'Irak domine le rassemblement altermondialiste à Londres (15.10.04)
Les organisateurs britanniques, peu réceptifs aux thèmes européens, ont décidé de centrer le 3e Forum social européen sur la dénonciation du président Bush et de la guerre. Le débat sur le projet de Constitution est marginalisé.
L'aventure continue. Inauguré à Florence (Italie) en 2002, le Forum social européen (FSE) organise sa troisième édition à Londres du 15 au 17 octobre. Entre 20 000 et 30 000 participants sont attendus, soit deux fois moins environ que les années précédentes. Certains y liront la traduction des doutes qui traversent le mouvement altermondialiste, voire de son essoufflement. Les organisateurs préfèrent mettre en avant les difficultés matérielles rencontrées pour financer un tel événement dans une des villes les plus chères du monde.
Quoi qu'il en soit, pour nombre d'organisations du continent, faire le choix de traverser la Manche n'allait pas forcément de soi. Les craintes de voir le forum londonien être pris en main par les mouvements les plus radicaux, en tête desquels Globalize Resistance et le Socialist Workers Party (Parti socialiste des travaileurs, trotskiste), ont mis du temps à se dissiper. Les ONG britanniques elles-mêmes ont hésité à s'engager, tour à tour rebutées par les visées de l'extrême gauche puis par celles du maire de Londres, le travailliste Ken Livingston, surnommé "Ken le rouge", dont la largesse des subsides s'est négociée contre une présence très visible dans le Forum.
Ces interférences politiques n'expliquent pas à elle seule la frilosité des ONG. "Nos homologues britanniques sont entrés du bout des pieds dans le processus initié à Porto Alegre. Leur culture les porte davantage au lobbying de couloirs qu'à la construction de rapports de forces et à l'organisation de grandes manifestations. Et la puissance financière des plus grandes d'entre elles, telles Oxfam ou Amnesty, les pousse souvent à considérer qu'elles peuvent agir seule", explique Bernard Pinaud, délégué général du Collectif de recherche et d'information sur le développement (CRID).
Il aura fallu, au bout du compte, plusieurs mois pour que le comité officiel d'organisation offre un visage jugé présentable ou, en tout cas, conforme aux principes de la charte du Forum social mondial qui, depuis Porto Alegre en 2001, s'impose à tous ceux qui, localement, prétendent utiliser l'appellation.
A deux semaines de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, dans un pays engagé militairement aux côtés de George W. Bush dans la guerre en Irak et encore sous le choc de l'exécution de l'otage Ken Bigley, la dénonciation de la guerre et de "l'impérialisme américain" occuperont une place centrale dans les débats. Au risque de reléguer au second plan les questions européennes. C'est d'ailleurs de justesse qu'organisations françaises et italiennes ont réussi à imposer "une autre Europe pour un autre monde possible" comme mot d'ordre lors de la manifestation qui clôturera le FSE, dimanche après-midi. Les Britanniques avaient imaginé sonner le rappel du rassemblement sur un unique thème : "Non à Bush, non à la guerre."
Nombreux sont ceux, pourtant, qui jugent, à l'instar de Pierre Khalfa, d'Attac, "qu'il est nécessaire de tourner le mouvement vers les questions européennes". La critique court depuis Florence, mais espérer qu'il serait possible de rectifier le tir au royaume de Sa Gracieuse Majesté était certainement une gageure. A écouter les expériences des uns et des autres, cela ne fait aucun doute : militants altermondialistes et gouvernants nourrissent ici, pour la chose européenne, la même méfiance, quand ce n'est pas de l'indifférence.
"ESPACE TROP GRAND"
Dépêché outre-Manche par le Syndicat national unifié des impôts (SNUI), pour élargir les rangs des combattants en faveur de la "justice fiscale", Vincent Drezet n'a trouvé d'écho que chez les Latins. "Aucune organisation britannique n'a répondu à notre offre de débat", regrette-t-il.
Pour les pourfendeurs de la mondialisation libérale, la récente actualité européenne est pourtant propice : nomination d'une nouvelle Commission plus libérale, élargissement et vague de délocalisations, débats sur la remise en cause du temps de travail dans plusieurs pays, réformes des retraites et des systèmes de santé... Ces thèmes, portés par des syndicats venus en nombre, seront présents au FSE. Mais ni plus ni moins que les autres chevaux de bataille du mouvement. Et le projet de Constitution, qui agite pourtant toute l'Europe politique, sera logé à la même enseigne. "Le mouvement est très divisé, lui demander de se déterminer dans un sens ou dans un autre ne pourrait conduire qu'à un blocage", analyse Joel Decaillon, conscient que la position prise par la Confédération européenne des syndicats (CES), dont il est membre, en faveur du "oui" soulève de franches hostilités.
Chassés-croisés d'agendas, de priorités, pléthore de débats - une vingtaine de plénières, plus de 160 séminaires et un nombre incalculable d'ateliers -, cet édition du FSE promet d'être de la même veine que les précédentes. Pour la dernière fois ? "L'espace que nous avons construit est trop grand, il faut imaginer autre chose", reconnaît Eric Toussaint, du Comité d'annulation de la dette pour le tiers-monde (CADTM). "Il faut que nous prenions le temps de réfléchir, renchérit M. Khalfa. Si les Forums restent un moment de rencontre et de visibilité très fort, nous devons reconnaître que nous avons partiellement ou totalement échoué sur deux de nos objectifs : élaborer un socle de propositions et prendre appui sur ces rassemblements pour organiser de grandes mobilisations sociales." Rendez-vous est d'ores et déjà pris à Athènes, mais seulement en 2006.
Laurence Caramel
"Derniers jours de l'administration Bush"? (16.10)
"J'espère que nous sommes dans les derniers jours de l'administration Bush", a lancé, très applaudi, le maire travailliste de Londres, Ken Livingstone, en donnant le coup d'envoi du 3e Forum social européen (FSE), jeudi soir 14 octobre dans la capitale britannique. "Nous souhaitons la bienvenue au FSE dans cette ville", a déclaré M. Livingstone aux quelque 1 500 militants réunis pour cette soirée inaugurale à la cathédrale de Southwark, dans le centre de Londres. Il s'agit de "la plus grande conférence en Grande-Bretagne depuis plus de deux cents ans", a affirmé le maire. La Greater London Assembly, assemblée des communes composant l'agglomération de Londres, a contribué pour 720 000 euros au budget - officiellement estimé à 1,5 million d'euros - du Forum dans la capitale britannique.
Ont aussi pris la parole l'Irlandais Gerry Adams, président du Sinn Fein, Aleida Guevara, la fille du "Che", et la militante indienne pour la protection de l'environnement Meena Menon, l'une des organisatrices du Forum social mondial de Bombay (Inde) en janvier. - (AFP.)
Des dizaines de milliers de personnes ont participE à la manifestation de cloture du 3e Forum social europEen (17.10.04)
Quelques dizaines de milliers de militants altermondialistes ont commencé a défiler dimanche à Londres à l'issue du 3e Forum social européen (FSE) pour dénoncer la guerre en Irak et réclamer une "Europe de justice sociale". La manifestation s'est achevée dans le calme.
Quelques dizaines de milliers de militants altermondialistes ont manifesté dimanche après-midi à Londres à l'issue du 3e Forum social européen (FSE) aux cris de "arrêtez la guerre" et "retirez les troupes d'Irak", mais aussi pour réclamer une "Europe de justice sociale". Entre 65 000 et 75 000 personnes ont participé au défilé, selon les organisateurs, tandis que la police a estimé leur nombre entre 15 000 et 20 000. Les organisateurs tablaient initialement sur 50 000 manifestants. La manifestation a pris fin vers 18 h 30 (heure française) avec la dispersion dans
le calme des dizaines de milliers de manifestants dont quelques centaines sont restés au coeur de Londres, à Trafalgar Square, pour un concert de clôture.
Les manifestants, venus pour la plupart de pays européens, portaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire "Arrêtez Bush" ou "Blair doit partir". D'autres réclamaient la "liberté pour les Palestiniens" et traitaient "Bush et Sharon (d')assassins".
Le tout dans une ambiance bon enfant accompagnée de musique rock. En tête de la manifestation, les organisateurs du FSE avaient déployé une banderole sur laquelle on pouvait lire "arrêtez la guerre, non au racisme et à la privatisation, pour une Europe de la paix et de la justice sociale".
Le défilé se rendait de Russell Square à Trafalgar Square (centre de Londres), où un concert était prévu. Sur la célèbre place londonienne, des orateurs se succédaient pour réclamer notamment le retrait des troupes britanniques d'Irak, alors même que Londres a annoncé dimanche étudier une demande de Washington de déployer des troupes dans le secteur américain en Irak.
Formant une délégation importante, des Italiens criaient "Berlusconi terrorista", tandis que plus loin, des Espagnols chantaient "Hasta siempre", la chanson des combattants fidèles à Ernesto "Ché" Guevarra.
Et des filles voilées d'associations musulmanes britanniques dénonçaient la politique israélienne dans les Territoires palestiniens et la construction par l'Etat hébreu d'un "mur" de séparation en Cisjordanie.
"Je suis contre la guerre et le capitalisme", a déclaré Chrokoo, 31 ans, étudiant sud-coréen à Londres. Venu avec des amis, il a ajouté : "je veux montrer notre volonté de lutter contre la guerre".
Pour Sarah, une Française de 20 ans, le FSE était "très bien. Il y avait énormément de choses, presque trop. C'est passionnant", a-t-elle affirmé. Avec son groupe, elle a déclaré elle aussi être venue "pour manifester contre la guerre en Irak et l'occupation en Palestine".
"Nous sommes là pour combattre l'économie néo-libérale", a pour sa part indiqué Bas, un Hollandais de vingt ans, membre du Parti socialiste des Pays-Bas. "Je suis content d'avoir assisté à ce FSE, a-t-il ajouté. Mais ce qui nous manque le plus, c'est le manque d'alternative à ce que nous dénonçons et de stratégie pour lutter" contre la mondialisation libérale.
La manifestation a reçu le soutien de Paul Bigley, le frère de Kenneth Bigley, l'otage britannique dont l'assassinat en Irak a été rendu public le 8 octobre. "Plus les gens élèvent leur voix, plus nous seront tous en sécurité", a déclaré Paul Bigley.
La police, dont la présence était visible sur tout le parcours, a indiqué que le défilé avait été calme et qu'il n'y avait pas eu d'arrestations. Une journaliste de l'AFP a néanmoins constaté que deux personnes au moins avaient été appréhendées par les forces de l'ordre.
Le 3e FSE à Londres, auquel ont participé quelque 19 000 personnes représentant plus de 65 nationalités, s'est achevé dimanche par un appel à une journée de mobilisation dans toute l'Europe le 19 mars 2005, à trois jours d'un sommet des dirigeants de l'UE à Bruxelles, les 22 et 23 mars. Le prochain FSE aura lieu à Athènes, probablement en 2006, et le Forum social mondial (FSM) à Porto-Alegre, en janvier 2005.
Manifestation antiguerre à Londres (18.10)
Quelque 20 000 manifestants selon la police, entre 65 000 et 75 000 personnes selon les organisateurs, ont défilé dans le calme, dimanche 17 octobre, contre la guerre en Irak, dans les rues de Londres, avant de participer à un rassemblement à Trafalgar Square.
La majorité des manifestants étaient des militants altermondialistes qui venaient de participer durant trois jours au 3e Forum social européen (FSE), qui se tenait dans la capitale britannique. Ils ont réclamé un retrait total et immédiat des troupes de la coalition d'Irak. "Notre message aux Américains est simple : ne votez pas pour Bush", soulignait une militante londonienne.
Avant d'écouter une dizaine d'orateurs, dont le vétéran de l'opposition de gauche au sein du Parti travailliste, Tony Benn, les manifestants avaient défilé en scandant des slogans hostiles au président américain et au premier ministre britannique, Tony Blair. - (Corresp.)
A Londres, les altermondialistes se cherchent un nouveau combat (18 octobre)
Cinq ans après Seattle, le mouvement s'essouffle faute de trouver une unité de ton. L'intervention en Irak a balayé l'agenda des contestataires. Aujourd'hui ceux-ci se divisent sur le choix des priorités : combat antiguerre, lutte contre le néolibéralisme, dette des pays pauvres.
Les altermondialistes et leurs adversaires peuvent d'ores et déjà cocher trois dates sur leurs agendas. Lors de la traditionnelle assemblée des mouvements sociaux réunie dimanche 17 octobre, jour de clôture du troisième Forum social européen, auquel ont participé quelque 20 000 personnes, trois manifestations ont été fixées pour les prochains mois. Le 19 février, le mouvement antiguerre a appelé à une grande manifestation mondiale contre "l'occupation de l'Irak" par les pays de la coalition américano-britannique.
Un mois plus tard, le 19 mars à Bruxelles, les militants européens se retrouveront pour dénoncer les orientations libérales de la nouvelle Commission Barroso et exiger que l'agenda de Lisbonne, dont il s'agira de faire l'examen à mi-parcours au sommet européen de printemps, ne sacrifie pas les composantes sociales et environnementales du projet. La Confédération européenne des syndicats a indiqué qu'elle participerait à cette initiative.
Enfin début juillet, les altermondialistes ont prévu de se retrouver à Edimbourg, où doit se dérouler le prochain G8 des chefs d'Etat sous présidence britannique.
Cet échéancier serré pour les mois à venir ne doit cependant pas masquer les interrogations qui agitent le mouvement, confronté au bout de cinq ans à un bilan maigrelet. Le sentiment de répétition, voire de lassitude, transparaît de plus en plus dans les commentaires des militants qui suivent depuis le début le processus des Forums sociaux. "Nous passons notre temps à organiser des Forums et nous n'avons plus le temps de penser à l'action", déplore une organisatrice du Forum social grec.
UN REGARD INQUIET
"Il y a un vrai risque que notre slogan, "un autre monde est possible", ne se transforme en une vaine incantation", reconnaît, de son côté, Paolo Giliardi, d'Attac-Suisse, pour qui "la satisfaction de constater que le mouvement vit encore au bout de cinq ans ne signifie pas pour autant qu'il est bien portant".
La Franco-Américaine Susan George, figure historique de la contestation, porte un regard beaucoup plus inquiet sur la situation. "C'est très simple, dit-elle. Si le mouvement, de façon unie, ne se fixe pas très rapidement un combat possible à remporter, il risque de disparaître. J'ai déjà vu des mouvements disparaître. Je sens de la lassitude et du découragement chez les militants. Il faut sortir de ces rituels où on hurle contre le capitalisme. Nous ne faisons peur à personne." Sur quel sujet la planète altermondialiste, diverse et multiforme par essence, pourrait-elle se fédérer et concentrer ses forces ? "Je ne sais pas, avoue la célèbre pamphlétaire. Peut-être la dette du tiers-monde. C'est certainement la cause la plus gagnable. Un énorme travail de sensibilisation a déjà été fait au moment de la campagne Jubilee 2000."
L'intervention américaine en Irak, en mars 2003, a balayé l'agenda des contestataires. Et aujourd'hui, ceux-ci se divisent sur le choix des priorités : le combat antiguerre, la lutte contre le néolibéralisme ou les deux en même temps ? "La guerre et la globalisation sont les deux faces d'une même pièce. La question de la guerre doit garder une place centrale pour nous", affirme Chris Nineham, de l'organisation radicale britannique Globalise Resistence. A l'inverse, le président d'Attac-France, Jacques Nikonoff, estime qu'"il ne faut pas rester sur le thème de la guerre, qui n'est qu'un prétexte utile aux gouvernements pour mener des politiques antisociales".
DÉBATS STRATÉGIQUES
Cinq ans après Seattle, le FSE de Londres a donné le spectacle des tensions que continuent de susciter les débats stratégiques entre ceux qui ne désespèrent pas de voir un jour une révolution renverser le capitalisme et ceux pour qui le combat contre la mondialisation libérale se mène, de façon pragmatique, sur le terrain des idées, en essayant de peser sur les décisions des gouvernements et des institutions. La question de la démocratie au sein du mouvement semble également se poser avec de plus en plus d'acuité.
"On nous demande d'appliquer la constitution de Porto Alegre. Mais personne n'a voté pour cela. Nous devons prendre le contrôle sur notre mouvement", enrage un militant britannique. Manque de transparence, pouvoir exorbitant des organisations qui ont les moyens humains et financiers d'être présentes à toutes les réunions décisionnelles du mouvement... les critiques pleuvent.
Devant cet état des lieux plutôt morose, Jacques Nikonoff fait appel à un peu d'indulgence "Nous sommes dans un combat qui se situe à l'échelle de l'Histoire. Il faut être patient et ne pas être prétentieux en croyant que nous allons gagner des victoires en claquant des doigts."Ce dernier point au moins ne fait pas débat.
Laurence Caramel
E. L'Humanité (France)
Londres s'ouvre à l'autre Europe (15 octobre 2004)
Trois jours de débats et de rencontres pour penser une « autre Europe » et concevoir des combats communs. La troisième édition du Forum social européen (FSE) commence ce matin sur le vaste complexe d'Alexandra Palace, dans le nord de la capitale britannique. Les organisateurs espèrent pour les trois jours de la manifestation la venue de 30 000 personnes, soit environ deux fois moins que les deux précédentes éditions. Mais pour Alex Gordon, membre du comité d'organisation, « la venue de 30 000 personnes serait déjà un beau succès, qui nous permettrait de rester dans la dynamique des deux années écoulées ». En 2002, le FSE de Florence avait, dans la foulée du rassemblement mondial de Porto Alegre, jeté les bases du mouvement altermondialiste européen.
Dénonciation de l'impérialsme
Face à l'intervention imminente de Bush en Irak, c'est là aussi qu'était née l'idée de la manifestation internationale du 15 février 2003, où des millions de personnes à travers le continent ont dit non à la guerre. L'an dernier, à Saint-Denis et Paris, le forum s'était plutôt concentré sur le besoin d'une Europe sociale des peuples face aux politiques néolibérales et sur les rapports entre le mouvement social et les partis politiques. Ces questions seront encore présentes à Londres, dans la cinquantaine de plénières et les cent soixante séminaires prévus, où chaque participant devrait pouvoir croiser les thèmes qui l'intéressent. Plusieurs débats vont être consacrés à la Constitution européenne et à la défense des services publics, ainsi qu'à l'avenir de la gauche européenne et du mouvement social. Une large place sera faite aussi à la lutte contre le racisme, aux droits des migrants et des minorités, à la situation des femmes ou encore aux problèmes environnementaux.
Mais le programme fait surtout la part belle à un thème très mobilisateur de ce côté de la Manche: la fin de l'occupation de l'Irak et, de façon plus générale, la dénonciation de l'impérialisme armé américain. Des dizaines de plénières et de séminaires y sont consacrés. La volonté des organisateurs britanniques de privilégier systématiquement la question de la guerre a fait grincer des dents sur le continent: de nombreux acteurs du mouvement altermondialiste estiment que ce choix risque de reléguer à l'arrière-plan les enjeux politiques et sociaux auxquels l'Europe est confrontée, au terme d'une année 2004 marquée par l'élargissement de l'Union aux pays de l'Est, les élections européennes, l'adoption du traité constitutionnel et la mise en place d'une Commission européenne ultralibérale. L'appel à manifester dimanche pour la clôture du forum se contente de revendiquer une « Europe de justice sociale » sous ce slogan principal: « Arrêtons la guerre, refusons le racisme et les privatisations. » Un mot d'ordre qui vise directement le gouvernement Blair.
Quels combats pour le mouvement social ?
Car, pour ce FSE, c'est toute la gauche alternative anglaise, celle qui refuse la dérive libérale et centriste des travaillistes, qui s'est mobilisée. À commencer par les syndicats, qui constituent pourtant la base historique et financière du Labour mais qui s'en détachent peu à peu, comme l'a montré le dernier congrès du parti, fin septembre. La confédération unique du pays, les TUC, s'est associée au forum. Mais l'impulsion est surtout venue de certains syndicats de branche comme Unison (services publics), la TGWU (transports), le GMB (précaires) ou la NATFHE (professeurs), qui ont fourni leurs locaux pour l'organisation et largement contribué au financement du forum.
Les organisations non gouvernementales (ONG) ont, elles aussi, tenu un rôle important dans la préparation du FSE, un rôle à la mesure de leur influence sur le débat public au Royaume-Uni. Parmi elles, Oxfam, active dans l'humanitaire et le développement des pays du Sud, et le Tobin Tax Network, qui milite pour la taxation des flux de capitaux. Mais les associations les plus impliquées ont été celles qui gravitent autour de l'extrême gauche activiste anglaise, comme Stop the War (anti-guerre) et CND (Campagne pour le désarmement nucléaire). Ces réseaux ont pesé sur l'orientation anti-guerre du forum. À leurs côtés, les participants, notamment français, seront sans doute surpris de retrouver des organisations musulmanes, très influentes dans une société fonctionnant sur un mode communautariste. Les liens ont été noués durant les manifestations contre l'envoi de troupes en Irak, où l'on a assisté à une mobilisation sans précédent des organisations arabes ou pakistanaises. Conçue comme débouché politique, la coalition Respect, créée pour les élections européennes où elle a recueilli 1,8 % des voix, regroupe des partis d'extrême gauche, des dissidents du Labour, dont la figure historique George Galloway, et des dirigeants de la principale organisation musulmane du pays, la Muslim Association of Britain (MAB, association musulmane de Grande-Bretagne). L'objectif affiché - mobiliser la communauté musulmane et lui ouvrir une place dans l'offre politique - a aussi justifié, au sein de Respect, l'acceptation de certaines revendications des organisations musulmanes, comme le port du foulard, le hijab. Cette dimension sera présente au FSE, où un séminaire est organisé samedi sur le thème: « Hijab: le droit de la femme à choisir ». Parmi les intervenants figurent Anas Altikriti, dirigeant de la MAB et ancien candidat de Respect, ainsi que Tariq Ramadan (voir page l'article « Trop c'est trop »).
Les débats qui s'ouvrent aujourd'hui devraient néanmoins offrir un panorama beaucoup plus riche, et beaucoup plus ouvert, du mouvement altermondialiste européen. L'exemple des précédents forums sociaux a montré que ce sont avant tout les participants qui donnent la tonalité politique du rassemblement. Ces derniers jours, les premiers délégués réunis à Londres ont déjà ébauché plusieurs actions communes, sur la Constitution européenne notamment. Les trois jours à venir diront quelles directions et quels combats le mouvement social européen est prêt à engager.
Paul Falzon
Forums sociaux, pour quoi faire ? (15 octobre 2004)
Entre consensus programmatique et luttes tous azimuts, les têtes pensantes de l'altermondialisation débattent des moyens de rendre le mouvement efficace.
« À travers la célébration de la diversité et de la capacité d'agrégation, les forums sociaux ont réussi à libérer une énergie énorme, se félicite Boaventura de Sousa Santos, sociologue portugais comptant parmi les poils à gratter présents au sein du processus du Forum social mondial. Mais est-ce qu'ils font aujourd'hui bon usage de toute cette énergie ? Puisque la simple addition de mouvements et d'organisations n'a pas de valeur en soi, quel est vraiment l'objectif politique ? Peut-on bâtir des consensus forts sur la base de la célébration de la diversité ? Et si oui, que veut-on faire de ces consensus ? Ayant été à l'origine des phénomènes hautement politiques, les forums sociaux renforcent-ils aujourd'hui ce potentiel politique ou se transforment-ils peu à peu en un paravent derrière lequel abriter des formes plus ou moins dépolitisées d'action collective ? » Après quatre ans d'existence, le processus des forums sociaux se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins. Alors que le troisième Forum social européen commence aujourd'hui à Londres et qu'à tous les égards (participation, mobilisation et élaboration), il s'annonce plutôt en recul par rapport aux deux éditions précédentes à Florence et à Paris-Saint-Denis-Bobigny-Ivry, un débat secoue, depuis près d'un an, le cercle des têtes pensantes de l'altermondialisation et des organisateurs des forums sociaux tant à l'échelle mondiale qu'européenne. Crucial et parfois âpre, il vise à adapter l'essence même des forums sociaux en répondant à quelques questions vives: à quoi servent-ils ? Qu'est-ce qu'ils apportent ? Et comment éviter que, malgré des succès incontestables, les forums sociaux créés au départ pour effacer Davos (ce qu'ils ont à peu près réussi à faire) demeurent inefficaces pour contrer les politiques néolibérales discutées, ou non, dans les Alpes suisses ?
Depuis quelque temps, l'Italo-Argentin Roberto Savio, président honoraire de l'agence de presse IPS, au premier plan lors des premiers forums sociaux à Porto Alegre, préconise de déconnecter les rassemblements populaires de l'élaboration politique d'une plate-forme programmatique de l'altermondialisation (lire son intervention dans le hors-série FSE de l'Humanité, novembre 2003). « Les paris de la mobilisation et de la participation sont gagnés, avançait-il en janvier dernier à Mumbai. En revanche, celui de la construction des alternatives est complètement en chantier. Nous devons bâtir une nouvelle structure capable de traduire les idées émises un peu partout dans les forums sociaux en politiques concrètes et alternatives au modèle néolibéral. » Dans une contribution « personnelle » publiée en début d'année, Bernard Cassen, président d'honneur d'ATTAC France, a jeté un pavé dans cette même mare: pour lui, au sein du processus des forums sociaux, ouvert, inclusif et peu contraignant jusqu'à présent, on devrait désormais « élaborer des socles de propositions issues des forums, facilement lisibles, susceptibles de rassembler les organisations participantes, mais aussi mobiliser largement au-delà d'elles ». « Au niveau mondial, poursuit-il, un tel socle aurait le statut d'une sorte de "consensus de Porto Alegre" à opposer au "consensus de Washington". Aux niveaux continental et national, des consensus complémentaires devraient aussi être élaborés, selon le principe de subsidiarité. » Pour Bernard Cassen, « il s'agit de faire émerger un nouveau paradigme, certes en rupture avec le néolibéralisme, mais laissant suffisamment de portes ouvertes à une pluralité de traductions politiques afin de respecter la diversité des composantes du mouvement et de préserver ses possibilités d'élargissement ».
Amicalement, mais fermement, Chico Whitaker, l'un des deux inventeurs, avec Oded Grajew, du forum de Porto Alegre, le renvoie dans les cordes. « Le respect de la diversité n'est pas une condition uniquement pour entrer et participer aux forums, mais aussi pour en sortir, sans qu'aucune homogénéisation appauvrissante ne puisse s'y produire, stipule-t-il dans une tribune récente. Le "consensus de Porto Alegre" serait médiatique pour la joie des journalistes qui diraient: "Ils ont finalement cédé, ils ont leur document final." Mais cela créerait des malentendus et des divisions entre les participants du forum. » Pour Paul Nicholson, animateur basque de l'internationale paysanne Via Campesina et, de ce fait, représentant d'une tranche importante de ceux que l'on appelle les « mouvements sociaux » dans le processus, « ce n'est pas vers l'élaboration des alternatives dans des rencontres académiques qui proposeraient une conclusion des forums par un nouveau paradigme, du type "consensus de Porto Alegre", que nous devons nous tourner. Nous devons préserver le caractère pluriel et ouvert des forums sociaux et commencer une réflexion commune sur les problèmes concrets que les luttes contre le néolibéralisme et contre la guerre rencontrent. » Loin d'être tranché (qui pourrait légitimement le trancher d'ailleurs ?), le débat se poursuit. Il rebondira au début de l'année prochaine avec le retour du Forum social mondial à Porto Alegre.
Thomas Lemahieu
Le FSE à la croisEe des chemins (18 octobre 2004)
À l'heure des pauses, c'est la pagaille dans les allées du Forum social européen (FSE). Les uns sortent de leur meeting, les autres d'une plénière ou encore d'un séminaire, tous s'engouffrent alors dans le couloir central, unique et relativement étroit, d'Alexandra Palace qui héberge la majeure partie des débats du FSE, et là, bien sûr, ça bouchonne: chacun veut gagner son point de chute et les directions sont souvent contradictoires. On ne bouge plus ! Alors que les années précédentes, à Florence et à Paris-Saint-Denis-Bobigny-Ivry, la circulation à l'intérieur du mouvement se déroulait sans heurts - que du bonheur, enfin presque -, et que les expressions de sa pluralité irréductible réalisaient une espèce de fleuve en crue, mais quand même tranquille, le comité britannique d'organisation du troisième FSE, largement dominé par l'organisation trotskiste SWP et la mairie de Londres, a cherché à imposer au mouvement altermondialiste européen sa manière à lui de rouler: keep on left, à gauche toute, au risque de finir dans le fossé. Inauguré officieusement, jeudi soir, depuis la chaire de la cathédrale, par Ken Livingstone, le maire de Londres qui a conservé toute la verve lui valant son surnom de « Red Ken », et cela malgré son appel au « oui » à la Constitution rendu public quelques jours plus tôt, le FSE aura parfois tourné à la grand-messe des incantations et au carnaval des imprécations. Dans ce contexte, 20 000 participants, dont de très nombreux Espagnols, Italiens, Français et Grecs, ont pris part aux débats. « Nous sommes dans les marges de la ville, regrette Ivo, un jeune Florentin. À Londres, je n'ai pas vu d'affiches annonçant le Forum. En fait, je le crains, les gens qui vivent ici ne savent pas trop que nous sommes là ni ce que nous sommes venus faire. »
Ça parle fort, mais parfois creux
« Chris, ne crie pas ! » Modérateur d'un séminaire, Alessandro Pelizzari (ATTAC Suisse) tente de modérer les ardeurs d'un Chris Nineham (Globalise Resistance et SWP) debout et accroché au micro, tout occupé à galvaniser, sans grand succès toutefois, l'auditoire. Mobilisés sur la question de la guerre en Irak - à juste titre, bien sûr mais, hélas, à l'exclusion des autres facettes de la mondialisation capitaliste et, en particulier, du rôle de l'Europe dans cette affaire -, les activistes anglais et leurs cousins continentaux de la même tendance politique ont, par moments, transformé le FSE en une simple tribune anti-guerre. Invité à s'exprimer dans le débat intitulé « En finir avec l'occupation en Irak », Subhi Al Mashadani, secrétaire général de la confédération syndicale irakienne, a été vivement contesté, dans une des rares salles pleines à craquer du forum, par une trentaine de militants d'un groupuscule gauchiste accompagné par des pro-Saddam, au motif que le Parti communiste irakien participe au gouvernement provisoire mis en place par les Américains. La bronca a duré trois quarts d'heure, au bout desquels la plénière a dû être purement et simplement annulée - une première dans toute l'histoire des forums. Plus folklorique, ce bonimenteur qui arpente la tribune pour une autre plénière comme s'il était à un concert de rap, et qui introduit un débat par ce hurlement répété: « Est-ce que vous êtes contre le raciiiiisme ? »
Des avancées malgré tout
« Moi, je vois cette agitation frénétique comme de la décoration, je n'y prête plus attention et je continue mon petit programme », glisse Marc Delepouve (ATTAC). Comme lui, la plupart des participants ont utilisé le forum pour ce qu'il est réellement: un espace de rencontres, d'échanges et de construction des alternatives. Ainsi les syndicats européens présents ont-ils pu décrypter ensemble la menaçante directive Bolkestein de libéralisation des services dans toute l'Europe ; les réseaux anti-OMC ont poursuivi leur travail de sensibilisation de l'opinion publique, à travers les villes hors AGCS ; les syndicalistes parisiens de Virgin ont manifesté côte à côte avec les travailleurs du commerce londonien ; les chômeurs et les « sans » ont tenu leurs assemblées respectives. Dans la plupart des débats consacrés à l'Europe sociale et démocratique, la constitution a été évoquée, et souvent dénoncée. « On peut continuer de travailler ensemble quoi qu'il se passe à l'extérieur et c'est le processus ouvert qui permet ça, se félicite Bernard Pinaud (CRID). Au cours de ce forum de Londres, on a, d'après les premiers échos que j'ai et ce que j'ai vu moi-même, avancé sur les institutions financières, sur l'Europe, sur l'économie sociale et sur le développement durable. »
Dimanche matin, dans un petit séminaire à l'ambiance feutrée, plusieurs dizaines de délégués discutaient sérieusement de la « mémoire » des forums sociaux: c'est ce qui doit permettre de partager cet espace avec ceux qui n'y viennent pas et d'éviter de répéter des évidences d'un forum à l'autre. Ni nostalgique ni technique, cette question pratique et politique, tout comme celle du réseau de traducteurs bénévoles Babels, devrait - le FSE de Londres en apporte la preuve - devenir une des priorités futures dans le mouvement altermondialiste. Une solution, la révolution ? Dans le processus des forums, pour commencer.
Thomas Lemahieu
Trois dEbats, trop de blabla (18 octobre 2004)
À l'heure où le processus des forums sociaux se trouve à un tournant de son histoire, la question de savoir comment il va évoluer est désormais posée.
C'est une excellente remarque qui vaudra à son auteur des applaudissements nourris. « Nous sommes dans un séminaire du FSE, nous parlons beaucoup de démocratie pour le monde entier, mais êtes-vous sûrs que ce mouvement est réellement démocratique, que, même dans la manière d'organiser ce séminaire, il y a de la démocratie et de la transparence ? Moi, je n'en suis pas certain, à vrai dire. » Excellente remarque, qu'on peut toutefois retourner à Tariq Ramadan - puisque c'est lui qui l'a faite au cours d'un des trois séminaires consacrés à « l'avenir du mouvement », à ses « stratégies et perspectives ». À l'heure où le processus des forums sociaux se trouve à un tournant de son histoire (lire l'Humanité du 15 octobre), ces trois débats cruciaux auront été largement tronqués, voire détournés de leur objet, par l'activisme des multiples groupuscules gauchistes, en particulier le Socialist Worker Party (SWP), par la présence d'orateurs dont on ne comprend pas pourquoi ils parlent du « mouvement des mouvements » dans la mesure où ils ne participent pas réellement à un des mouvements (de quel « mouvement », Tariq Ramadan, présenté dans le programme comme « islamologue », peut-il bien se prévaloir ? l'islam ?), par l'absence, en revanche, de représentants des syndicats, des associations et des ONG qui participent au processus et qui ont quand même leur mot à dire sur son futur, et par le boycott dans ces conditions de deux personnalités annoncées, et nettement plus légitimes que la plupart des autres: Chico Whitaker, l'un des inventeurs brésiliens du forum de Porto Alegre, et Vittorio Agnoletto, ex porte-parole du Genoa Social Forum et élu, depuis juin, au Parlement européen (GUE-GVN).
Dans ce contexte, Jacques Nikonoff appelle à « faire la distinction entre un meeting et un séminaire du FSE ». « Beaucoup d'interventions sont hors sujet, fustige le président d'ATTAC France. On n'entend pas beaucoup de propositions. Nous devons maintenant passer des slogans incantatoires aux mesures opérationnelles, aux alternatives que nous entendons porter. On doit accepter le débat dans les forums sociaux et refuser, en revanche, que certains groupes imposent leurs priorités ou viennent vendre leurs marchandises. Ce n'est pas au FSE de déterminer ce que doit faire le mouvement syndical. Je comprends parfaitement que les jeunes massivement présents ressentent de l'impatience, mais nous ne devons pas y céder, on ne remportera pas de victoire en claquant des doigts. » Dans la même veine, Raffaela Bolini, de la très grosse association italienne ARCI, insiste: « Si nous pensons que nous pouvons arrêter en un jour le néolibéralisme et la guerre, nous allons au-devant de grandes désillusions. On doit admettre que la route est longue et ne pas chercher un raccourci qui pourrait bien se révéler être une impasse. Notre objectif est de briser l'idéologie de la mondialisation néolibérale et de la guerre, de pousser tous les citoyens à participer à nos luttes. Jusqu'ici, nous avons quand même été assez efficaces. Nous devons faire beaucoup plus et nous efforcer de devenir un mouvement encore plus populaire. »
T. L.
Le voile met le feu aux poudres (18 octobre 2004)
Organisé sous l'égide du réseau Prohidjab qui promeut le port du foulard islamique, un séminaire a été contesté par une partie des militants français.
Ce ne devait être qu'un séminaire, organisé plus librement qu'une plénière (sur laquelle la responsabilité politique des organisateurs du FSE est engagée), c'est-à-dire une rencontre permettant un échange approfondi entre des mouvements ayant la volonté de tisser des relations plus fortes. Mis en place, samedi matin, par un conglomérat d'associations britanniques (dont National Assembly against Racism, association musulmane de Grande-Bretagne, et l'Assemblée pour la protection du hidjab, le collectif français Une école pour toutes et tous et le collectif des musulmans de France) et chapeauté par le réseau international Prohidjab constitué à la mi-juillet avec le parrainage de Ken Livingstone, le maire de Londres, le séminaire intitulé « Foulard: le droit des femmes de choisir » a tourné à la critique de la loi française sur la laïcité et, dans certaines interventions à la tribune, à la promotion pure et simple du foulard islamique comme « instrument de libération de la femme ».
« Les attaques contre les musulmans ne sont plus la chasse gardée de la droite et aujourd'hui, on le voit en France, une partie de la gauche se range derrière l'hystérie islamophobe, dénonce Salma Yaqoob, animatrice de la coalition Stop the War et vice-présidente de Respect (un parti créé pour les élections, rassemblant l'extrême gauche anglaise et l'association musulmane de Grande-Bretagne). Dans ce contexte, les femmes musulmanes sont parfois coincées entre les hommes musulmans qui veulent réduire leur liberté et ceux qui prétendent les libérer en interdisant le port du voile. Nous devons refuser cette caricature selon laquelle nous serions toujours ou des victimes ou des intégristes. J'ai manifesté contre les gouvernements saoudien et iranien qui veulent imposer aux femmes de porter le hidjab, mais c'est pour la même raison, pour la liberté de choisir, que je manifeste contre l'exclusion du voile en France. » De son côté, Christine Delphy (Une école pour toutes et tous), s'exprimant « en tant que féministe », rappelle qu'à ses yeux « la laïcité n'avait pas besoin d'être renforcée en France ». « Dans cette loi interdisant tous les signes religieux à l'école, il y a un traitement d'exception pour les signes de l'islam, affirme-t-elle. Son esprit veut que, si les musulmans ne cessent pas d'être musulmans, il faut au moins qu'ils deviennent invisibles. Je regrette qu'une grande partie du mouvement féministe se soit laissé embarquer dans la mauvaise direction. C'est probablement parce qu'il s'agit d'un mouvement en grande majorité blanc. »
À l'issue des sept interventions à la tribune, les participants au débat, en particulier les Français défenseurs de la loi, qui fulminent depuis le début, se disputent le micro. « Ce débat est caricatural, s'étrangle Bernard Cassen, président d'honneur d'ATTAC. Nous nous battons contre l'idée que les religions puissent venir faire leur marché dans les écoles. En tant que militant antiraciste et anticolonialiste depuis des dizaines d'années, je me sens extrêmement outragé par ce qui a été dit ici. » Ulcérée elle aussi, Danièle Atlan (FSU) lance: « Je ne suis absolument pas islamophobe parce que je considère que le voile est une oppression. Je refuse cet amalgame scandaleux. Comment pouvez-vous traiter le mouvement féministe comme ça ? Depuis des dizaines d'années, nous nous sommes toujours battues contre toutes les formes d'oppression. Et puis, moi, je serai peut-être prête à débattre avec les femmes présentes à cette tribune quand elles auront exprimé leur position sur le droit à l'avortement, sur l'excision et sur l'homosexualité. »
T. L.
L'enjeu europEen des services publics
La contagion de la libEralisation menace leur santE. (18 octobre)
Quand elle pose son micro, Jadwiga Rogowska est saluée par un tonnerre d'applaudissements. La jeune secrétaire générale du syndicat des infirmières de Pologne vient d'expliquer comment dans son pays, qui vient d'entrer dans l'Union européenne, la santé est atteinte par la contagion de la libéralisation. « Nous avions un système de santé développé. L'accès aux soins, les hôpitaux, les médicaments étaient gratuits. Aujourd'hui, l'État réduit les crédits, appauvrit les hôpitaux pour favoriser le secteur privé. » Elle a évoqué la situation sociale difficile pour des infirmières, qui touchent l'équivalent de 250 euros, la dégradation du versement des retraites. Mais elle a parlé aussi de combativité, d'une grève de trois semaines, d'une occupation symbolique du ministère de la Santé.
La défense des services publics est une question centrale de la résistance à l'Europe libérale. Cette Europe, observe Daniel Van Daele, de la FGTB (Belgique), dont le projet de constitution ne fait plus mention des services publics mais de « services économiques d'intérêt général » soumis aux lois sacro-saintes de la concurrence. Dans une salle majoritairement occupée par des salariés britanniques, les témoignages s'enchaînent sur les désastres d'une politique libérale dont la Grande-Bretagne fut le laboratoire, rappelle Dan Prentis, le secrétaire général du syndicat des services publics UNISON. Mais aussi sur les luttes, notamment sur la grève poursuivie depuis le 24 août par les travailleurs sociaux de Liverpool.
Il ne s'agit pas seulement de défendre des services publics pour préserver un héritage de l'État social, il faut poser la question de leur amélioration, de leur développement. Chacun est d'accord, cet enjeu doit faire partie des propositions alternatives pour construire l'Europe sociale. Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, décrypte l'offensive idéologique des libéraux consistant à dénigrer des services publics, dont ils réduisent les moyens, et à présenter une image attrayante du marché. Il dénonce la soumission des salariés du secteur public à la concurrence selon des critères qui sont étrangers aux services publics. Enfin, souligne un militant de la CGT du nord de la France, des services publics de qualité favorisent la création d'emplois dans le secteur privé, à l'exemple de la région de Valenciennes, où le groupe Toyota a été séduit par un bon réseau fluvial, la liaison TGV et un service de santé et d'éducation de qualité.
J.-P. P
AssemblEe des femmes. Un « non » fEministe à la constitution (18 octobre)
« Le traité constitutionnel enferme l'Europe dans un modèle patriarcal pour de longues années. » À la tribune de l'assemblée des femmes, vendredi matin, la féministe suédoise Gudrun Schyman a dénoncé le contenu de la constitution européenne, « un texte fait par des hommes pour des hommes ». « Tout le secteur de l'État providence sera transféré soit au privé, soit aux familles, a-t-elle poursuivi. Les femmes vont être de nouveau reléguées à la maison pour remplir les tâches sociales, et ne pourront pas sdans la sphère publique. » D'autres militantes féministes ont dénoncé le traité: Lilian Halls-French, du réseau européen Femme et pouvoir, et la syndicaliste catalane Roser Palol ont proposé une « initiative féministe européenne pour le non à la constitution » dans la foulée de l'assemblée des femmes de Bobigny qui s'était déjà opposée au projet Giscard. Une pétition a été lancée dans le cadre de ce FSE. L'Assemblée a été aussi l'occasion de faire le point sur les droits des femmes. Sebelan Kilic, féministe néerlandaise, a relevé « l'émergence forte des violences basées sur la religion »: aux Pays-Bas, le gouvernement cherche, au nom des valeurs chrétiennes, à « réduire le droit à l'avortement ». Sans oublier le cas turc où les autorités ont renoncé de peu à criminaliser l'adultère. Une note d'espoir: l'adoption en Espagne d'une législation novatrice sur les violences conjugales. « Pourquoi pas se battre ensemble pour une directive européenne sur le modèle espagnol », a proposé Nelly Martin, de la Marche mondiale des femmes.
P.F.
La torpille Bolkestein contre le droit
Le texte de ce commissaire européen indigne les syndicats. (18 octobre)
« C'est un pavillon de complaisance offert aux sociétés. » La formule du représentant de la FGTB, centrale syndicale socialiste de Belgique, résume parfaitement l'objectif du projet de directive européenne, dite Bolkestein, du nom du commissaire qui en revendique la funeste paternité. Adopté par la Commission de Bruxelles le 13 janvier 2004, ce texte, qui mobilise déjà fortement contre lui le mouvement syndical belge, est encore insuffisamment connu dans la plupart des pays d'Europe. C'est pourtant une torpille extrêmement dangereuse lancée contre le droit du travail, à laquelle en France l'Humanité avait été le premier journal à accorder la publicité qu'elle mérite.
La directive vise à supprimer ce que Bolkestein appelle tous les « obstacles » à la circulation des services en Europe. Les obstacles, ce sont, a expliqué Raoul-Marc Jennar, que les syndicats belges ont choisi comme expert sur ce dossier, ce sont toutes les protections légales, les réglementations nationales, régionales ou locales. La directive vise à en finir avec ce que Bolkestein appelle « le pouvoir discrétionnaire des autorités locales », c'est-à-dire des instances élues. Le point le plus grave concerne la « règle du pays d'origine ». Cela signifie qu'une société pourra vendre ses services dans un pays sans être soumises à la législation qui y est en vigueur, mais à celle du pays où se trouve son siège social. Tous les contrôles publics, notamment de l'inspection du travail, deviendraient dans les faits impossibles. Une société issue d'un pays à bas salaires pourrait détacher des travailleurs dans un pays à plus haut niveau de vie en les rémunérant au moindre coût. « Ce serait la loi de la jungle », s'insurge un militant syndical. Dirigeante de la Fédération européenne des travailleurs des transports, Dorothea Zinke a souligné l'urgence à se mobiliser. La Commission voudrait faire adopter le texte par le Parlement européen dès le mois de décembre. Une première manifestation est prévue le 11 novembre devant le Parlement européen, une autre lors du Conseil européen de la fin novembre. « Nous voulons sauver l'Europe sociale, il faut aller vite. »
J.-P. P.
Constitution: un dEbat sans faux-fuyants ni divisions (18 octobre)
De nombreux participants ont appelé à rejeter un texte qui torpille définitivement toute idée d'Europe sociale.
Les discussions sur le projet de constitution européenne ont constitué le principal élément de nouveauté dans les débats du FSE. Un seul séminaire lui était officiellement consacré, mais ce thème s'est invité tout naturellement dans nombre de réunions.
Les libéraux ont un projet pour l'Europe, dira Bernard Cassen (ATTAC): « Faire du libéralisme la doctrine officielle de l'Union européenne. » Une perspective peu engageante qui interpelle le mouvement social dans toutes ses composantes. Celui-ci ne peut plus se payer le luxe de prendre son temps dans la mise au jour de projets alternatifs pour l'Europe. L'Italien Franco Russo, l'un des artisans du Forum pour une démocratie constitutionnelle en Europe, milite pour le droit des peuples de l'UE à la co-élaboration réelle d'une constitution. « Une politique, dit-il, dictée par le marché ne peut pas être sociale. » Or, « une Europe sous l'emprise des marchés », c'est littéralement ce que préconisent les auteurs du texte, souligne pour sa part Annick Coupé (G10 solidaires) et mentionne l'article 3 stipulant que l'Union offre à ses citoyens « un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée ». Quant à la charte des droits fondamentaux, devenue la partie II du projet, « elle ne crée pas de droits nouveaux et a peu de portée juridique ». Dans un séminaire consacré au projet de directive Bolkestein (voir ci dessous) de libéralisation totale des services, c'est Raoul-Marc Jennar (Oxfam) qui renverra au texte, l'article 4 « la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux ».
Sur le constat des ravages du libéralisme, l'accord est général, ainsi que la nature de l'offensive générale contre l'État social et les protections que les luttes du mouvement ouvrier ont imposées au cours du siècle précédent. Maria-Helena Andre (Confédération européenne des syndicats, CES) dénonce les chantages aux délocalisations, les attaques contre les retraites et la protection sociale. « La globalisation libérale veut la mort du système social européen. »
Mais doit-on pour autant rejeter le projet de constitution ? Pour la CES, « il faut appuyer tout pas en avant dans la démocratisation de l'Europe », et en réponse à un militant de la FSU qui regrettait que la direction de la CES ait « bouclé le débat avant que les salariés européens ne puissent y participer », Maria-Helena Andre fait valoir que « la convention a intégré des propositions de la CES dans la charte des droits fondamentaux ». La discussion entre syndicalistes a fait apparaître des différences d'approche. Quand la représentante de la CGIL italienne préconise l'acceptation du texte, « le "non" ne suffit pas », dit-elle, et l'utilisation du droit de pétition pour demander des amendements sur le refus de la guerre et la citoyenneté de résidence, dans une autre salle, un syndicaliste belge de la CSC observe que de nombreux syndicats sont pour le "non" alors que la CES opte pour le "oui". Un autre refuse l'idée qu'il faille à tout prix accepter un texte, uniquement parce qu'il est présenté comme le seul choix possible.
Pour Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unitaire européenne au Parlement européen, répondre "oui" signifierait approuver quinze ans de dérives libérales, depuis l'acte unique sur la libre circulation des capitaux et le traité de Maastricht qui a donné des pouvoirs exorbitants à la BCE. « Cette expérience dramatique a créé dans l'opinion une crise de confiance vis-à-vis de la construction européenne. Et c'est cela que l'on nous demande de pérenniser ? » interroge le député européen et lance. « Il y a des "oui" qui enfoncent les peuples et des "non" qui ouvrent des perspectives. »
Les débats qui traversent le mouvement social et syndical ne doivent assurément pas être « un facteur de division », comme le souhaite un syndicaliste britannique, reflétant une opinion partagée par tous, quand le besoin se fait sentir, comme jamais, d'une résistance européenne des syndicats à l'offensive libérale.
Jean-Paul Piérot
Londres dit « non » A George W. Bush. En clOture du FSE, des dizaines de milliers de personnes ont réclamE la fin de l'occupation de l'Irak. (18 octobre 2004)
Aux abords de Russell Square, les derniers manifestants s'affairent autour des stands installés par les associations et partis politiques. « Prenez votre pancarte ! Le défilé va bientôt partir », crie une militante de la Palestine Solidarity Campaign. Pour la manifestation de clôture du FSE, les organisations britanniques ont fait les choses à leur manière: pancartes fabriquées à la chaîne puis distribuées à qui veut. Tout le cortège en est truffé, impressionnante marée d'affiches.
À l'image de la tonalité générale du FSE (voir ci-dessous), la manifestation est centrée sur l'Irak. Les slogans antiguerre fusent de partout. On reprend le mot d'ordre du Vietnam, « US Go Home » ; on réclame la « Liberté immédiate pour les Irakiens » ; on hue « Bush le Tueur ». Tony Blair a droit aussi à quelques mots d'ordre acerbes: « Les troupes: à la maison ! Les menteurs: démission ! »
Dans ce cortège jeune et bigarré, de nombreux groupes de musique rythment la marche des dizaines de milliers de manifestants. Devant un bus rouge - à deux étages, of course - des artistes du « Forum créatif européen » improvisent, sur un morceau de rap, la plainte d'une petite fille irakienne: « Tout autour ce sont les bombes/Je cours sans pouvoir y échapper/Tout autour c'est la destruction et la mort. »
Un groupe d'altermondialistes polonais fait reprendre à la foule cette rengaine: « Les troupes polonaises, dehors ! Les troupes britanniques, dehors ! Les troupes américaines, dehors ! Les troupes espagnoles: c'est fait ! » Des jeunes Espagnols du Xarxa de mobilitzacio global, de Barcelone, ont affiché cette liste: Aznar, Bush, Blair. Le premier nom est barré d'un trait noir. « On a réussi à venir à bout de notre premier ministre guerrier, les Anglais peuvent en faire autant. En tout cas on va les y aider ! », sourit une manifestante.
Au milieu des slogans de soutien aux Irakiens et aux Palestiniens, un porte-voix de la CSC, le syndicat chrétien belge, tente de lancer un « Motivés, motivés, pour une Europe sociale ». Les deux cents militants présents, tout de vert habillés, reprennent petit à petit. D'autres centrales ont mobilisé leurs troupes, dont les Allemands d'IG Metall et des Marches du lundi, les Britanniques d'Unison, ou encore les Français de la FSU.
Au niveau des partis politiques, les militants du PCF défilent, aux côtés des Allemands du PDS et les Italiens de Refondation communiste, derrière la banderole du nouveau Parti de la gauche européenne. Le Green Party est également là, aux côtés des Verdi italiens. Tout le monde tente de suivre le cortège qui, après une longue heure d'attente, part d'un bon pas vers Trafalgar Square. Là, la manifestation se transforme en concert géant, avec en tête d'affiche, le groupe anglais Asian Dub Foundation.
Paul Falzon