Forum social européen
 
 

Un besoin de victoires

Venant de toute l'Europe, plus de 20 000 personnes ont pris part du 14 au 17 octobre derniers, à Londres, au 3e Forum social européen (FSE). Jeunes et moins jeunes ont participé aux plus de 150 séminaires et assemblées plénières d'un FSE placé sous le signe de la crise de croissance. C'est ainsi que la première journée, celle du vendredi, a pratiquement été consacrée en entier, à travers quatre séminaires, à la réflexion sur l'avenir du mouvement. Et alors que le samedi a été beaucoup plus centré sur des aspects spécifiques – les directives européennes en matière sociale, la Constitution européenne, la lutte contre la guerre –, l'assemblée des mouvements sociaux du dimanche a fixé un certain nombre d'échéances, dont une qui doit nous intéresser particulièrement: celle du 19 mars prochain.

Moins que les années passées

La participation à ce 3e forum s'est révélée numériquement moins importante que lors des deux premières éditions, à Florence – plus de 60 000 participant-e-s – et à Paris – un peu plus de 50 000.

Le choix de Londres pour la tenue du forum n'est pas secondaire dans l'explication de cette participation largement en dessous de celle des deux dernières années: c'est une ville qui implique des déplacements en avion et qui est horriblement chère – elle se classe même, d'après les études de l'UBS, au deuxième rang des villes les plus chères au monde. Il suffit de penser que le billet de train aller-retour sur la ligne privatisée de l'aéroport de Gatwick coûte 60 francs suisses! De même, la course simple en métro dans la zone 1 de Londres, c'est-à-dire quatre arrêts, coûte 2 livres, à savoir 5 francs! Et lorsqu'on pense que l'hébergement, pour lequel des arrangements avantageux avaient été possibles aussi bien à Florence qu'à Paris, représentait pour les militant-e-s accouru-e-s à Londres un effort financier d'importance proportionnel aux sommes à débourser pour les transports, on peut aisément comprendre qu'ils aient été moins nombreux et nombreuses à faire le déplacement. Cela est d'autant plus vrai que les places en hébergement gratuit, possible dans des salles de gymnastique à Florence ou à Paris, s'est avéré payant, les infrastructures anglaises ayant été privatisées.

Malgré cela, dans la continuité de Florence et de Paris, le FSE continue d'être un lieu privilégié de rencontres et de discussions, un espace qui fait échanger des générations différentes, des activistes issus de divers pays, d'expériences différentes pour confronter leur perception des réalités et leurs propositions pour l'avenir.

De même, les jeunes ont largement répondu présent. Ils ont assisté, souvent durant des heures et des heures, à des débats, stylo bille et carnet de notes à la main, ce qui témoigne d'un immense besoin, pour une génération qui s'éveille à la mobilisation, de saisir les réalités, de les comprendre pour pouvoir donner un sens au refus diffus de l'avenir que la mondialisation marchande nous et leur propose.

Gagner des batailles partielles

Ce serait cependant faire preuve de myopie que d'imputer cette baisse de participation aux seules conditions matérielles: indéniablement, le mouvement altermondialiste connaît un essoufflement. Alors qu'il avait fortement surestimé ses propres forces suite à sa victoire de Seattle, la guerre, les attaques violentes portées par les gouvernements aux droits sociaux et les mesures répressives – dernière en date, la fermeture de certains sites d'Indymedia, le pool d'information indépendante, par le FBI sur demande de la police – genevoise – se sont traduites par des difficultés, pour le mouvement, que peu attendaient.

Ces difficultés sont bien résumées dans les interventions de nombre de militants et militantes "historiques" par la formule "le mouvement a besoin de victoires". Ces interventions posent de fait la nécessité d'établir les ponts avec les salarié-e-s pour pouvoir organiser, non seulement en termes généraux et abstraits, mais concrètement sur les lieux de travail, l'opposition à la marchandisation du monde.

Il en va de même avec la poursuite de la guerre: alors que des secteurs du mouvement altermondialiste auraient tendance à se résigner à une guerre qui a eu lieu malgré nous et que certains courants politiques s'accommoderaient d'une occupation de l'Iraq par des troupes "non directement impliquées dans l'agression", le FSE a réaffirmé avec force son exigence de mettre un terme à l'occupation en se posant cependant la question des liens à établir entre le refus des politiques de guerre – et de dépenses militaires – et la lutte contre la réduction des dépenses sociales.

C'est à ce titre qu'il y a urgence de gagner des batailles, aussi partielles soient-elles, pour que le mouvement ne se cantonne pas à un rôle purement idéologique, extérieur à la vie réelle et aux préoccupations des gens en termes d'efficacité.

Mais en toute indépendance

C'est un délégué italien, syndicaliste de base, qui, lors d'un débat devant plus d'un millier de personnes, a posé l'une des questions centrales de ce FSE. La question était la suivante: "Comment se fait-il que, au bout de deux FSE, nous ayons réussi à organiser à chaque fois une mobilisation d'ampleur contre la guerre mais que nous n'ayons jamais réussi à sortir du forum avec une échéance commune sur la défense des services publics?".

C'est le même délégué qui a fourni une ébauche de réponse. La voici: "Ne serait-ce parce que nous avons trop de contacts avec la gauche gouvernementale ou qui s'apprête à l'être? Ne serait parce que nous ne voulons pas nous situer en opposition avec ceux que nous considérons comme partie du mouvement et qui pourraient, demain, pratiquer les mêmes politiques?".

La question ainsi posée a démontré dans le débat toute sa pertinence: de Olivier Besancenot au représentant du syndicat allemand VERDI et aux syndicalistes italiens et français, tout le monde a bien dû convenir que les liens avec la gauche gouvernementale – ou potentiellement telle – constituent un handicap majeur dans la capacité du mouvement altermondialiste de promouvoir des mobilisations centralisées sur les services publics.

Et c'est en ce sens que le FSE de Londres s'est inscrit dans une logique d'indépendance totale par rapport auxdits partis de gauche pour fixer des échéances de mobilisation indépendantes de l'agenda gouvernemental – ou de reconquête du gouvernement – de la gauche.

Deux échéances majeures

C'est ainsi que deux moments majeurs ont été retenus. Le premier sera celui du 19 mars. Il s'agira, ce jour-là, de monter toutes et tous à Bruxelles, à deux jours du sommet de l'Union européenne sur les privatisations et la politique extérieure commune, pour dire NON à la poursuite de la politique de privatisation et pour s'opposer à toute tentative de l'Union européenne de reprendre à son compte l'occupation de l'Irak.

Une deuxième échéance de mobilisation, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, sera la réunion du G8 début juillet à Edimbourg, en Ecosse.

Dans un cas comme dans l'autre, c'est dans un esprit de défense des intérêts des salarié-e-s que nous y prendrons part, indépendamment de toute allégeance aux forces gouvernementales, car c'est seulement de la sorte qu'on pourra satisfaire notre besoin de victoires.

Paolo Gilardi, membre du Comité national du Syndicat des services publics
(paru dans Services publics n° 17 2004, 29 ocotbre)