Construire le mur, puis le sauter
4e révision de la LACI: le malus d’une campagne et l’analyse précise des contre-réformes
Mouvement pour le socialisme (MPS) *
La
campagne est morne en cette fin août. Particulièrement la campagne
de votation ayant trait à la 4e révision de la Loi sur
l’assurance-chômage (LACI). Pourtant, le 6 juillet 2010, le Comité
référendaire contre le démantèlement de l’assurance-chômage
déclarait: «Les signatures [140'514] ont été
récoltées avec facilité par les comités de chômeurs, syndicats
et Partis… Cela n’est pas étonnant vu le démantèlement de
cette assurance qui a été formulée dans cette révision. Les gens
ne comprennent pas pourquoi une assurance va être démantelée juste
au moment où on en a le plus besoin. Cela permettra au peuple de
décider si c’est le peuple ou non qui doit porter (sic) cette
crise.»
Ce qui
est certain, c’est que les salarié·e·s doivent, eux, «payer
la crise». Et les «grandes organisations syndicales»
qui auraient dû porter la campagne contre la 4e révision
et la payer – car disposant de moyens matériels importants, issus,
pour l’essentiel, des cotisations des salarié·e·s syndiqué·e·s
et des aides patronales indirectes – ne l’ont pas fait.
Durant
toute la période juillet-août, le silence a été assourdissant. En
fait, il aurait été nécessaire, dès le 7 juillet 2010,
d’organiser des réseaux actifs de propagande, d’explication, de
présence sur les entreprises, les grandes surfaces et les places
publiques.
Ces
réseaux auraient pu être portés par les salarié·e·s –
disposant ou non du droit de vote – et déboucher sur des actions
plus amples dans chaque ville au cours de la dernière semaine du
mois d’août. Mais toute la conception syndicale de ce référendum
– en fait, comme à l’habitude – obéit à l’idéologie du
«peuple va décider». Dès lors, au mieux, la campagne
se configure comme un affrontement concurrentiel de publicitaires et
autres conseillers en communication (spin doctors).
Un
secrétaire syndical, disposant d’une culture historique, à la
question d’une journaliste (Tribune de Genève et 24
Heures du 22 août 2010) qui affirmait que les syndicats
utilisaient «le visuel de l’UDC», lui
rétorque. En réalité l’UDC s’est approprié le «visuel
du mouvement ouvrier des années 1920.» Il ajoute:
aujourd’hui le mouvement syndical «récupère ce visuel» pour pousser les «personnes qui ne vont plus voter à
voter.» On n’en croit pas ses yeux !
Le
mouvement ouvrier des années 1920, en Suisse, quelles que soient ses
faiblesses et ses spécificités, d’une part, mobilisait activement
les travailleurs et travailleuses lors des campagnes de vote et,
d’autre part, développait «un visuel» ayant une
dimension d’affrontement de classes. Il y avait des exploiteurs et
des exploités et non pas des «profiteurs» et des
«abusés». Thème de la campagne syndicale qui
s’articule autour du «bonus et du malus». Thème
faisant référence aux «mauvais banquiers», aux
profiteurs et non pas à un système qui porte en lui le chômage,
son exploitation et l’exploitation de la force de travail. Une
symbolique de passivité est concrétisée dans l’affiche
représentant des individus stylisés écrasés par le pied d’un
profiteur.
Cependant,
un moment conjoncturellement favorable existait. Les principaux
animateurs du référendum l’ont d’ailleurs souligné: la
réceptivité par les salarié·e·s du référendum contre la 4e révision.
Il était
essentiel de dynamiser cette réceptivité en ne succombant pas au
diktat de deux agendas: celui des «vacances» (et
de la vacance de politique syndicale de classe) et celui du cirque
fédéral orchestré par la famille Knie composée de ses sept
membres: le Conseil fédéral.
Dès le 9
juillet – trois jours après le dépôt du référendum –, le
conseiller fédéral social-démocrate, Moritz Leuenberger, assumait
son rôle de clown. Les médias allaient immédiatement centrer tout
le débat politique sur: «qui va le remplacer ?»
Une représentante des consommatrices, Simonetta Sommaruga ?
Jacqueline Fehr, «plus à gauche» – moins à droite –
et connaissant aussi bien les dossiers, etc.
Le cirque
Knie obéit à des règles de présence dans la cité. Dès lors, le
6 août 2010, le quasi défunt Hans-Rudolf Merz quitte le Conseil
fédéral, à défaut de la terre. Le spectacle rebondit et le
«débat» va porter à la fois: sur le
remplacement du radical et du social-démocrate; sur le nombre de
femmes au Conseil fédéral – avec une intervention pointue de
Micheline Calmy-Rey à ce propos ; sur les modalités d’élection
du Conseil fédéral.
Les
médias et les journalistes ont à relater et à diffuser, enfin,
jusqu’au 22 septembre, de la pseudo-politique, du story telling, de
la rumeur. Knie et la fosse aux ours et ourses fédéraux occuperont
le «bon peuple».
Pendant ce temps, le vote
par correspondance aura fonctionné et, de fait, le résultat du
référendum sera enveloppé au plus tard dès le 15 septembre.
Au-delà
de ces péripéties, une question va dès lors s’imposer aux forces
de gauche qui luttent contre les causes structurelles du chômage
dans ce système: que faire en cas de victoire du NON, du point de
vue de la défense des droits des salarié·e·s ? Que faire en
cas de victoire du OUI, du même point de vue ?
Et ce
«Que faire ?» dépend, en partie, de l’analyse
qui a été faite des mesures propres à la 4e révision,
de la «théorie du chômage» véhiculée par la droite
et largement acceptée par la gauche et les directions syndicales,
ainsi que des revendications avancées. C’est la raison pour
laquelle, le Cahier La brèche numéro 4, assez volumineux,
sortira quinze jours après l’annonce officielle du résultat. Son
sixième chapitre sera consacré à une discussion et à un dialogue
sur le «Que faire ?» Nous publions ici, le
chapitre 3, consacré à l’analyse des mesures. Ce chapitre est
précédé ici de quelques considérations sur la mécanique:
Conseil fédéral, SECO et patronat.
Patronat,
Conseillère fédérale et adjudant-chef ex-syndicaliste
Le slogan
gouvernemental pour défendre – face au référendum – la 4e révision de la Loi sur l’assurance-chômage obligatoire et
l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI) est le suivant:
«Une réforme nécessaire, équilibrée et pertinente».
Il manque encore quelques qualificatifs à la sauce fédérale. Ils
arriveront: équitable, juste, sobre, économique, bonne pour
les salaires et l’économie, utile pour la «compétitivité
de notre place économique».
Doris
Leuthard – catholique et démocrate – est placée au premier plan
pour cette campagne.
Pourtant,
en quelques semaines, fin du printemps et début de l’été 2010,
la ministre de l’Economie – plus exactement la représentante
dévouée et sans complexes des firmes helvétiques et de celles
basées en Suisse – a multiplié les déplacements à l’échelle
mondiale. Une sorte de porte-parole pour l’agence de voyages Kuoni,
en cette saison estivale.
Elle a rencontré Benoît XVI. La réputation de ce dernier n’est
plus à faire. Son onction graisse l’éthique des affaires.
Elle a aussi donné son appui – très attendu – aux joueurs de
l’équipe de Suisse de football en Afrique du Sud. Ce pays que
l’UBS et les entreprises suisses ont systématiquement soutenu
durant la longue période d’apartheid officiel et après que l’ONU
eut décrété un embargo dès 1977 et qu’il fut renforcé en 1984.
Le commerce de l’or, aux mains d’UBS, justifiait ce vague
péché véniel. Il y a d’ailleurs prescription, selon une
information en provenance du Vatican.
Doris
Leuthard, tout sourire devant, a de même rencontré Angela Merkel.
L’Allemagne et la Suisse sont fortement interconnectées au plan
économique. La gestion des deux banques centrales, dans un contexte
de remous monétaires, implique des relations quotidiennes entre
Berne-Zurich et Francfort-sur-le-Main et la BCE (Banque centrale
européenne).
Avec un tact resplendissant, Doris Leuthard a donné des leçons
d’austérité budgétaire au président du Conseil de l’Europe,
Herman Van Rompuy, lors d’une visite à Bruxelles. L’ânesse de
ce coup de pied ne doit pas être difficile à repérer. Elle a
officié à Frauenfeld (Thurgovie) lors de la Fête fédérale de
lutte du 22 août 2010 en insistant sur les «valeurs
nationales» que ces mâles prises à la culotte dévoilaient.
N’oublions
pas qu’elle n’a pas manqué de rendre visite aux «dirigeants
communistes chinois». Cette néo-congrégation de la Foi –
sise à Beijing – n’ignore rien de l’inquisition moderne et
modernisée, de quoi faciliter la communication avec les fidèles de
Ratzinger-Benoît XVI. Ainsi, entourée de 27 chefs d’entreprises,
Doris Leuthard s’est entretenue avec les autorités de Chogqing, de
Shanghai et a échangé quelques contrats avec le président Hu
Jintao ainsi que le président de l’assemblée populaire chinoise,
Wu Bannguo. Doris Leuthard, dans son bilan de négociations conduites
en Chine avec les «communistes» – fait le 12 août
2010 – a utilisé une formule à coup sûr longuement méditée: «Nos lignes rouges ont été respectées» !
Alors
direz-vous: quand Doris Leuthard peut-elle s’occuper de la 4e révision de la LACI et des chômeurs et chômeuses, elle qui
n’hésite pas, de plus, à utiliser la diligence du Gothard pour se
rendre le 1er août sur ce lieu baptisé d’historique ?
La
réponse est simple: elle n’a qu’à répéter les brèves
fiches que met au point et lui fournit l’ancien économiste en chef
de l’Union syndicale suisse: Serge Gaillard. Il n’a pas
changé de camp, détrompez-vous. Il avait la même position à
l’USS, lors des révisions auxquelles il a participé comme
«secrétaire syndical».
Un
seul changement: les escaliers qu’il grimpe aujourd’hui
dans le bâtiment du Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie), à
Effingerstrasse 31, conduisent plus haut – en termes de salaires et
de reconnaissance sociale officialisée, donc celle que les dominants
allouent à un de leurs domestiques – que ceux de l’USS, dont le
bâtiment est sis à Monbijoustrasse 61.
Serge
Gaillard sait aussi que sa cheffe est flexible. N’a-t-elle pas
répondu à un journaliste – impertinent – qui voulait savoir si
elle avait connu, une fois, le chômage: «Il faut
être flexible dans la vie. Par exemple, moi, j’ai été juriste et
maintenant je suis Conseillère fédérale.»
Cela ne s’invente
pas. Peut-être que Ratzinger lui avait glissé à l’oreille que
l’élection d’un pape – cardinal auparavant – était aussi
aléatoire que celle d’une conseillère fédérale
Une
nouvelle contre-réforme: son contexte et ses subterfuges
Dans
l’ensemble de l’Europe, depuis le mois d’avril 2010, un thème
domine l’actualité socio-politique: la nécessité de
l’austérité budgétaire et donc des coupes dans les «dépenses
publiques», avant tout celles qualifiées de sociales.
Les
retraité·e·s, les chômeuses et les chômeurs, les
«handicapé·e·s», les jeunes en formation, les
personnes devant recevoir des soins sont les cibles de cette
«rigueur». L’objectif proclamé: réduire les
déficits budgétaires. Que ces derniers soient fortement le produit
de la défiscalisation du capital, des très hauts revenus, de la
baisse des entrées fiscales liée à la récession de 2008-2009 –
qui se prolonge en 2010, avec de légers soubresauts – et enfin de
l’aide publique aux banques pour les renflouer et à d’autres
secteurs ne semble pas devoir être discuté !
L’heure
n’est pas seulement à l’attaque contre les «dépenses
sociales», mais à l’introduction d’une règle visant à
l’équilibre budgétaire. C’est-à-dire à un Traité de
Maastricht au carré, de son nom officiel le Traité sur l’Union
européenne (UE), entré en vigueur en novembre 1993. Il prévoyait
de ne pas dépasser la barre des 3 % (par rapport au PIB) pour
ce qui relevait du déficit annuel et de 60 % pour le ratio
dette sur PIB.
Les
autorités helvétiques ont été à l’avant-garde de cette
politique d’extrême inflexibilité antisociale. Dès les années
1990, tant au plan fédéral que cantonal, le «frein à
l’endettement» a été fortement médiatisé et présenté
comme une vertu patriotique. Pour cela, la métaphore classique de
l’équilibre nécessaire des «dépenses du ménage fédéral
et cantonal» a été matraquée, en s’appuyant sur une
tradition bien établie. Cela, comme si une entité étatique pouvait
être assimilée – en termes de ressources et de type de dépenses
– à un ménage et à ses revenus !
De
plus, la défiscalisation (sous diverses formes) a conduit à ladite
politique des caisses vides qui aboutit à justifier la rudesse
antisociale au nom du «manque de ressources».
Ce
frein à l’endettement a été durci en septembre 2008. C’est à
cette date que le Conseil fédéral a présenté son message sur la
révision de la loi sur les finances.
A
chaque fois (récessions de 2001 et 2009), les «élites
dirigeantes» – encadrées par les organisations économiques,
c’est-à-dire des employeurs – visent à donner une légitimité
à ces politiques. Elles le font en soumettant au «vote
populaire» des propositions dont la présentation est
fortement biaisée et divulguée sur un mode de fausse évidence. Ce
qui traduit, de fait, un mépris pour les salarié·e·s, dont une
partie significative ne dispose pas du droit de vote.
Ce
mépris peut être mesuré à l’aune de la naturalisation des
options économiques, sociales et politiques. Autrement dit, ces
choix sont assimilés à des nécessités relevant de lois de la
nature.
En
outre, les élites dominantes, relayées par les médias, présentent
chaque choix comme découlant d’une vérité et d’une raison
supérieures. Ils ne peuvent être mis en question. Ou, autre
version, ils ne peuvent l’être que par des personnes qui nient la
réalité. Voilà un mode de gestion de «l’opinion
publique» relevant d’un autoritarisme travesti. Cela ressort
avec force des divers textes et prises de position publiques ayant
trait à la 4e révision de la Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire
et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI)[].
Une
approche similaire est d’ailleurs adoptée dans tous les segments
des assurances dites sociales. Pour ce qui relève de
l’assurance-chômage, l’article 90c de la LACI (entré en vigueur
depuis le 1er juillet 2003) est révélateur à ce propos. Il a pour intitulé: «Risque
conjoncturel». Il
souligne que «si,
à la fin de l’année, la dette du fonds de compensation atteint ou
dépasse 2,5 % de la somme des salaires soumis à cotisation, le
Conseil fédéral doit présenter, dans un délai d’un an, une
révision de la loi introduisant une nouvelle réglementation du
financement. Il augmente au préalable de 0,5 point de pourcentage au
maximum le taux de cotisation fixé à l’art. 3, al.2 [qui
est actuellement de 2 %] et le salaire soumis à cotisation jusqu’à deux fois et demie le
montant maximum du gain assuré [à
ce jour 126'000 francs].
La cotisation perçue sur la tranche de salaire située entre le
montant maximum du gain assuré et deux fois et demie ce montant [soit 315’000
francs] ne peut
dépasser 1 %.»
Le
texte de cet article mérite commentaires.
1°
Dans une conjoncture manifestement assombrie, le gouvernement utilise
le repoussoir – pour le patronat – d’une augmentation des
cotisations afin d’engager une contre-réforme d’ensemble ayant
pour cible les prestations (allocations de chômage), au nom de
«l’équilibre des comptes».
2°
De fait, cet article n’a pas été introduit pour être appliqué.
En effet, il impliquait une sorte d’automatisme d’augmentation
des cotisations en cas de hausse du chômage. Cet automatisme pour le
pouvoir n’a pas de raison d’être. Cet article sert d’épouvantail
afin de botter en touche une augmentation de cotisation. Dans le
contexte économique présent, l’argument de la «compétitivité
de la place économique suisse» conduit à miser, avec encore
plus de vigueur que normalement, sur une variable d’ajustement:
celle des coûts salariaux unitaires (qui combinent, entre autres,
les salaires, les cotisations sociales et la productivité du
travail). Le refus d’une hausse des cotisations à
l’assurance-chômage dépassant le minimum prévu (de 2 % à
2,2 %) est renforcé par la dégradation du taux de change franc
suisse-euro, ou franc suisse-dollar, censé pénaliser les
exportations de biens de production.
3°
Enfin, toute la conception du financement de la LACI reposait, suite
à la 3e révision (2003), sur une hypothèse basse – de fait ayant
peu de rapport avec la dimension quantitative ainsi qu’avec la
réalité sociale du chômage – de 100'000 chômeurs et chômeuses,
en moyenne. Cela permit de faire pression à la baisse sur les
prestations chômage qui, par ricochet, exerce ses effets régressifs
sur les salaires, y compris durant la période de relance économique.
L’évolution
des «chômeurs inscrits» (selon la Banque nationale
suisse, rubrique Marché du travail) est la suivante: 2003:
145'687 ; 2004: 153'091 ; 2005: 148'537 ;
2006:131'532 ; 2007:109'189 ; 2008:
101'725 ; 2009: 146'089. Pour ce qui est des «demandeurs
d’emploi» voici la tendance (même source):
2003:206'491 ; 2004: 220'508 ; 2005:
217'154 ; 2006: 197'414 ; 2007: 167'659 ;
2008: 154'438 ; 2009: 204'070.
Il
est facile de constater que la limite des 100'000 relevait d’un
total arbitraire politique. La moyenne des «chômeurs
inscrits» sur la période 2003-2009 se situe à 133'690. Après
ce simple constat chiffré, nul commentaire subsidiaire n’apparaît
encore utile.
Quelles ressources
supplémentaires sont prévues ?
La dégradation de la LACI est
présentée sous la forme d’une révision «équilibrée».
Autrement dit, le Message du Conseil fédéral laisse entendre que,
d’un côté, est introduite une légère hausse des cotisations et,
de l’autre, un durcissement des conditions d’obtention des
allocations ainsi que diverses mesures réduisant les droits des
chômeurs et chômeuses. Pour ce qui relève des ressources, elles
peuvent être présentées en deux volets.
1° Relèvement du taux
de cotisation – global, réparti formellement 50 %-50 %
entre salarié·e et employeur – de 2,0 % à 2,2 % et
réintroduction d'une cotisation de 1 % pour la part de salaire
comprise entre 126'000 et 315'000 francs (soit le montant maximum du
gain assuré et deux fois et demie ce montant).
Cette réintroduction est
présentée comme une mesure transitoire. Elle sera maintenue tant
que le capital propre du fonds de compensation – c’est-à-dire la
fortune – de l’assurance-chômage n’atteint pas 500 millions.
Le déficit cumulé en 2008
était de 3090 millions (3,09 milliards) et en 2009 de 4555 millions
(4,55 milliards)[].
Cette cotisation de 1 % (0,5 % pour les salarié·e·s et
0,5 % pour les employeurs) a été décidée lors du débat au
Conseil national (le 9.12.2009). Elle découle de trois propositions
similaires faites par: Caspard Baader (UDC de Bâle-Campagne),
Pirmin Bischof (PDC de Soleure) ainsi que par le patron dit social
Johann Niklaus Schneider-Ammann (PLR, Berne), président de Swissmen,
l’association de l’industrie des machines, vice-président
d’economiesuisse (association patronale) et gros actionnaire du groupe Swatch, donc
membre de son conseil d’administration.
Cette proposition est promise à
un certain avenir, d’autant plus qu’elle permet de ne pas
accroître les cotisations de base et suscite quelques illusions,
parmi des couches salariées «modestes», que les
«hauts salaires» participent au «soutien
financier de l’assurance-chômage».
Au total, les recettes
supplémentaires escomptées par ces deux mesures devraient atteindre
le seuil des 460 millions de francs par an.
Avant 2003, le taux de
cotisation ordinaire était de 3 % et de 1 % pour les hauts
salaires. La réduction de la cotisation ordinaire et la suppression
de l’autre, effectuée en juillet 2003, reposaient, d’une part,
sur une surestimation – ou auto-intoxication – de la relance
économique après la récession de 2001 et, d’autre part, sur une
logique de sous-financement qui renvoie à la politique
institutionnelle des «caisses vides».
En outre, un relèvement des
cotisations se heurterait de suite à une opposition du patronat –
au nom de la «lutte contre la hausse des charges sociales»
ou, autre formule, «la hausse du coût du travail qui péjore
la compétitivité» – et donnerait des arguments biaisés à
une partie de la droite politique et / ou des
«représentantes des consommateurs». Ces dernières,
favorables à – ou acceptant – la stagnation des salaires
nominaux (quand ce n’est pas leur simple baisse nominale et donc
bien réelle), ne manqueraient pas d’affirmer: une hausse des
cotisations à charge des salarié·e·s impliquerait une
accentuation de l’abaissement de leur salaire réel. Et le patronat
criera que la «hausse des coûts salariaux» est
insupportable, qu’elle va déboucher sur une perte de compétitivité
qui conduira à une dégradation de l’emploi. Les médias
relaieront avec entrain.
Cette argumentation, à elle
seule, montre que l’on ne peut aborder sérieusement le thème des
«cotisations» à l’assurance-chômage sans poser, au
moins, la question de la répartition de la valeur ajoutée et divers
mythes, bien entretenus, ayant trait aux conditions de la
compétitivité du capitalisme suisse.
2° Adaptation de la
participation de la Confédération et des cantons, afin de continuer
à couvrir la moitié des frais du service public de l’emploi et
des mesures dites de marché du travail. Recettes supplémentaires
espérées: 26 millions de francs par an.
Pour rappel, les Office
régionaux de placement (ORP) peuvent fonctionner en sous-traitant à
des firmes privées de placement leurs tâches ! Ces dernières
ne sont-elles pas spécialisées – du moins un certain nombre
d’entre elles – dans l’approvisionnement de main-d’œuvre à
des sous-traitants qui n’hésitent pas à «gérer au plus
près les coûts de la main-d’œuvre», lorsqu’ils la
livrent à d’autres sous-traitants, par exemple dans la
construction (coffrage, ferraillage, second œuvre), dans la
restauration, le nettoyage ou l’hôtellerie, etc.
Quelles réductions de
prestations ?
L’ensemble des mesures de la
4e révision de la LACI vise un large éventail de
prestations. Plus exactement de réduction de prestations. En ce
sens, elle s’inscrit dans la politique au long cours – qui prit
son envol dès le début des années 1980 – de régression dans ce
qui est abusivement qualifié en Suisse d’assurances sociales.
Ces mesures ont pour cibles non
seulement les personnes au chômage, mais aussi ceux et celles ayant
un statut précarisé et qui craignent donc particulièrement de
perdre leur emploi. A ceux-là s’ajoutent – sous la pression du
chômage et de la nouvelle politique de «gestion de la
main-d’œuvre» – celles et ceux qui doivent passer
l’obstacle de l’obtention d’un premier emploi, que ce soit sous
la forme de stages à répétition (souvent non payés ou très mal
rétribués) ou qui doivent accepter un écart négatif entre leurs
qualifications et l’emploi trouvé.
Enfin, pour «entrer sur
le marché du travail», la contrainte à consentir une «offre
salariale» d’embauche en dessous des seuils établis dans la
période antérieure est grande. Il en résulte un tassement
progressif du niveau des salaires d’embauche – certes avec des
différences selon la dynamique des branches économiques – et une
tendance à tirer vers le bas l’ensemble des salaires. Ce processus
fonctionne déjà ne serait-ce qu’à partir d’un salaire d’entrée
abaissé et des adaptations suivantes liées à la «carrière»,
ainsi qu’aux indexations au renchérissement qui ne se font plus
automatiquement. On laisse ici de côté les effets des salaires au
mérite, par définition individualisés. C’est à cette aune qu’il
faut appréhender les diverses diminutions des prestations de
chômage.
1° Une reconstitution des
droits limée
Antérieurement, un emploi dans
le cadre du système des emplois temporaires – emplois financés
par les cantons et les communes (programme d’emplois temporaires
pour les chômeurs et chômeuses en fin de droits et / ou
pour assurer une dite qualification adaptée) – permettait de
reconstituer des droits afin d’obtenir une nouvelle période
d’indemnités. De tels emplois ne donneront désormais plus (en cas
d’adoption de la 4e révision) droit à l'ouverture d’un
nouveau droit aux indemnités chômage.
La brutalité de la contrainte
sur les fins de droits – en tant que telle cette expression est
révélatrice de l’esprit et de la lettre du système – sera
d’autant plus forte. Ils se trouveront à la croisée des chemins:
soit accepter un emploi à des conditions dégradées, soit passer
sous les fourches Caudines de l’aide sociale. A ce propos, les
prestations de l’aide sociale sont considérées comme une dette
envers la puissance publique et – dans beaucoup de cantons –
donc remboursables, si la personne dispose à nouveau d’un revenu
au-dessus de normes assez minimales.
• Pour ce qui est des
salarié·e·s immigrés – hors UE et AELE – la dépendance de
l’aide sociale (une fois les droits aux allocations échus) peut
avoir des implications sur leur droit de résidence en Suisse.
Actuellement, la loi (LEtr, art. 63) indique que l’étranger ou une
personne dont il a la charge et qui dépendrait durablement et dans
une large mesure de l’aide sociale peuvent voir leur autorisation
d’établissement révoquée, à l’exception d’une présence en
Suisse de plus de 15 ans.
Cette mesure est considérée
par les autorités fédérales – il va sans dire aussi par l’UDC
gouvernementale et les organisations voisines telles que l’ASIN
(Action pour une Suisse indépendante et neutre) – comme trop
clémente. Dès lors, l’initiative de l’UDC «Pour le
renvoi des étrangers criminels» au même titre que le
contre-projet indirect élaboré par le Conseil fédéral vont
aboutir à un durcissement de la règle soumettant le maintien du
permis d’établissement aux conditions de réception de l’aide
sociale. Autrement dit, quels que soient les résultats des votations
populaires de novembre 2010, la limite de 15 ans sera supprimée.
En effet, le Conseil fédéral
dans son Message sur l’initiative de l’UDC affirme: «Cette
disposition [les 15 ans] a eu en effet pour conséquence que
les étrangers dépendant de l’aide sociale ne fournissaient plus
d’efforts personnels pour subvenir eux-mêmes à leurs besoins. Ils
savent que leur présence en Suisse ne peut plus être mise en
question.» (Feuille fédérale 2009, p. 4595)
La possibilité d’expulser des
travailleurs immigré·e·s extracommunautaires devant recourir à
l’aide sociale sera nettement accentuée. Le mécanisme de chantage
et de menace mis ici en place est du même ordre – logique et
fonctionnel – que les mesures mises en œuvre par la 4e révision de la LACI.
• Ces détours faits –
souvent négligé par les critiques de la 4e révision de
LACI –, revenons à la dimension «comptable» de la
mesure proposée ayant trait au renouvellement des droits aux
allocations par le biais des emplois temporaires. Il en résulte une
«économie» – autrement dit une réduction des
prestations et donc des droits conquis, droits fondés sur la
reconnaissance de besoins sociaux, de la sécurité sociale exigés
par les salarié·e·s – de 90 millions de francs par année.
Par contre, les aides aux
employeurs que sont les allocations d'initiation au travail et les
allocations de formation permettent toujours l’ouverture de
nouveaux droits. Ce n’est pas un hasard, puisqu’il s’agit ici
d’une aide indirecte aux employeurs… financée, en dernière
instance, par les salarié·e·s eux-mêmes.
2° La réduction de la
période d’indemnisation
Afin de répondre aux exigences
socio-économiques de la 4e révision, une prescription
est cardinale: la réduction de la période d’indemnisation.
Douze mois de cotisations ne donnent droit qu’à un maximum de 260
indemnités journalières, soit 12 mois ; cela contre 400 dans
le régime actuel, soit 18 mois. Dix-huit mois de cotisations donnent
toujours droit à 400 indemnités journalières (18 mois).
Pour les salarié·e·s ayant
plus de 55 ans et pour les personnes ayant un taux d’invalidité
jugé à 40 % au moins, 24 mois de cotisations ininterrompues
sont exigés pour avoir droit à 520 indemnités journalières,
c’est-à-dire 24 mois.
Actuellement, une durée de
cotisation de 18 mois suffit pour avoir droit au même nombre
d’indemnités. Pour les personnes libérées du paiement de
cotisations[] – il ne s’agit donc pas ici des indépendants – le nombre
d’indemnités journalières passe de 260 à 90, autrement dit de 12
à 4 mois.
Estimation de «l’économie»
comptable – plus exactement de l’atteinte à des droits reconnus
dont aucun nouvel élément objectif ne permet de justifier la
non-reconnaissance subite de leurs fondements – par année:
189 millions.
• Le vocabulaire ici n’est
pas neutre. En effet, dans le texte de présentation de la 4e révision de la LACI produit par le Seco (Secrétariat d’Etat à
l’économie), en date du 19 mars 2010, il est affirmé, sous
l’intertitre «Les
prestations de base sont inchangées [sic !]»: «Dans
le cadre de la 4e révision partielle de l’assurance-chômage (LACI), le Conseil
fédéral et le Parlement ont renoncé sciemment à couper dans les
prestations de base [resic !].
C’est pourquoi la révision permet les mesures d’économie
suivantes…». L’exécutif – le Seco en l’occurrence, qui jouit de la
pédagogie apportée par Serge Gaillard, ex-économiste de l’USS –
utilise le terme «économie» qui renvoie à la formule
«faire des économies».
Cette expression a été
instituée comme l’une des valeurs essentielles et essentialisées
du «peuple suisse». Les propagandistes officialistes se
gardent de souligner que cette «valeur» renvoie à ce
que les économistes traditionnels nomment «l’épargne de
précaution». Dit autrement: une épargne contrainte
stimulée par une sécurité sociale plus que défaillante et un
système d’assurance privée très étendu, dont les primes sont
fixées sans référence au différentiel de revenus (voir, par
exemple, l’assurance-maladie).
Une fois de plus, le pouvoir met
à profit ce vocabulaire avec ses connotations – ce sermon – pour
taire le contenu et le sens d’une contre-réforme et la camoufler
sous le vocable «d’économie». L’atteinte aux
besoins sociaux de base et aux droits acquis est ainsi passée par
perte et profit. «L’économie» – celle des
dominants – y gagne sur tous les tableaux.
• Une précision
supplémentaire est nécessaire en ce qui concerne les personnes
frappées d’invalidité. Actuellement une personne recevant une
rente d’invalidité d’une assurance «sociale» (AI,
assurance accidents, assurance militaire) bénéficie d’une durée
supérieure d’indemnisation pour chômage. Cela ne sera plus le cas
pour des personnes ayant un degré d’invalidité inférieur à
40 %.
Actuellement, l’assurance
accidents prévoit qu’un taux d’invalidité supérieur à 10 %
donne droit à une rente proportionnelle au taux d’invalidité
reconnu, contrairement à l’AI où un taux d’invalidité reconnu
de 40 % est la condition pour l’obtention d’une demi-rente.
Donc, les personnes accidentées
– dont le degré d’invalidité est compris entre 10 % et
40 % – qui ont actuellement droit au prolongement de la
période d’indemnisation se verront enlever ce droit. Cette mesure
inique est prise au nom de «l’égalité de traitement»
entre les personnes invalides relevant de l’AI et celles relevant
de la LAA.
• En outre, il faudrait être
niais pour ne pas saisir que cette mesure, qui paraît marginale,
constitue une étape vers l’élévation du seuil du degré
d’invalidité permettant de toucher une rente de
l’assurance-accidents.
Une évaluation quantitative des
personnes concernée par cette mesure rétrograde peut être faite.
Le document de référence pour cela: «La statistique
quinquennale LAA, 2003-2007». Sur cette base – voir le
tableau du chapitre 2 donnant les taux d’invalidité par tranche
d’âge pour les nouvelles rentes sur la période indiquée – il
est possible, avec une certaine robustesse, d’affirmer que 13'000
personnes sont potentiellement touchées par cette involution.
3° Gain intermédiaire et
montant des droits
Dans la situation présente, un
chômeur ou une chômeuse peut retirer un gain d’une activité
salariée ou indépendante durant la période où il est soumis au
contrôle de l’ORP. Ce gain est qualifié de gain intermédiaire.
Aussi longtemps que le chômeur dispose d’un gain intermédiaire,
il a droit à la compensation partielle de la perte de gain au taux
déterminant pour le calcul de ses indemnités.
Ainsi, pour un gain brut assuré
de 4000 francs par mois avant la période de chômage, le chômeur
qui obtient un gain intermédiaire de 1800 francs subit une perte de
gain de 2200 francs. Il sera indemnisé à hauteur de 70 % ou
80 %. Dans ce dernier cas, le chômeur touchera de
l’assurance-chômage une allocation de 1760 francs brut (80 %
de 2200), à laquelle s’ajoutera le gain intermédiaire.
• Les ORP encouragent
l’obtention de gain intermédiaire, au nom d’une «meilleure
intégration au marché du travail», d’un «avantage
financier» (pour le chômeur, mais aussi pour
l’assurance-chômage). Le gain intermédiaire permet, de plus, de
prolonger la durée d’indemnisation grâce à une «consommation
moins rapide des indemnités de chômage» (ORP, site de la
Confédération) et d’acquérir une «nouvelle période de
cotisation qui peut se répercuter sur un nouveau délai cadre».
La 4e révision de la
LACI propose que seul le gain intermédiaire détermine le montant
des droits futurs. En reprenant l’exemple cité ci-dessus: le
gain assuré sera égal au gain intermédiaire, soit 1800 francs. Le
gouvernement escompte une «économie» de 79 millions de
francs annuellement.
Cette mesure assure un
renforcement de la mécanique liant, dans un processus de baisses en
cascade: indemnités de chômage compressées, salaire souvent
abaissé puisque placé sous le couperet du «travail
convenable» – qui ne peut donc être refusé – en cas de
sortie du chômage ; allocations de chômage comprimées lors
d’une nouvelle période de chômage, ainsi de suite…
4° Un délai d’attente qui
passe de 10 jours à six mois
Actuellement, une personne qui a
soit plus de 25 ans, soit a des enfants à charge, soit a achevé sa
formation professionnelle (reconnue par l’obtention d’un diplôme
de fin d’études) et qui n’a pas cotisé antérieurement à
l’assurance-chômage, a droit à des indemnités, après le délai
d’attente habituel: 5 jours-indemnités «normaux»,
auxquels s’ajoutent déjà 5 autres jours-indemnités, donc 10
jours au total.
La 4e révision
propose un délai d’attente de 120 jours-indemnités – soit six
mois – pour ces personnes
Un tel délai d’attente (120
jours-indemnités) existe déjà pour les assuré·e·s qui n’ont
pas obtenu une reconnaissance officielle de «succès»
(soit un diplôme, sous une forme ou une autre) de formation, de
reconversion ou de perfectionnement professionnel. Cela pour celles
et ceux qui ont moins de 25 ans et n’ont pas d’enfants à charge.
De plus, les maturités non
professionnelles (baccalauréat, maturité, maturité fédérale)
sont considérées comme des formations non achevées et donc
soumises au délai d’attente.
Ladite «économie»
de 75 millions par an apparaît importante. Pour une raison:
beaucoup de personnes sont concernées par cette régression sociale
ciblée. Elles ne toucheront aucune indemnité, dans la mesure où la
contrainte de trouver un emploi médiocre à des conditions
quelconques – surtout pour les personnes issues de milieux dits
modestes – sera grande. Etre mis en standby de tout revenu
durant six mois n’est pas à la portée de la première bourse !
• Cette somme «économisée»
est d’autant plus importante, si on a l’esprit que les indemnités
touchées jusqu’à maintenant étaient relativement basses. En
effet, il s’agit d’un montant forfaitaire, lié au niveau de
«qualification».
Passons en revue ces
allocations. Au sommet de la pyramide on trouve un gain assuré
fictif de 153 francs. Sur cette base est calculé le montant du
jour-indemnité: 80 % de 153 francs, soit 122,40 francs.
Cette allocation concerne celles et ceux ayant poursuivi une
formation professionnelle supérieure.
Pour celles et eux ayant terminé
leur apprentissage, l’allocation se monte à 101,40 francs. Pour
les autres personnes ayant plus de 20 ans: 81,60. Et si elles
ont moins de 20 ans: 32 francs. En outre, ces montants –
toujours actuellement – peuvent être réduits de moitié. Sous
quelles conditions ? Celles qui entraînent déjà un délai
d’attente de 120 jours.
Ces différences dans le montant
des jours-indemnités recoupent, du moins en grande partie, des
inégalités sociales propres au système capitaliste et reproduites
par son fonctionnement. Les jeunes recevant 32 francs ne sont
certainement pas issus, dans leur grande majorité, de familles ayant
des revenus dépassant le salaire médian brut, c’est-à-dire 5833
francs par mois en 2009.
• Dans l’argumentation
officielle est utilisée la formule: cette révision a pour but
de «renforcer le principe d’assurance». Dans
les pays où existe un véritable système de sécurité sociale, la
diffusion actuelle de la notion de politique assurantielle a pour
fonction de discréditer la sécurité sociale (solidaire par
définition) et d’individualiser le rapport entre «risque»
et «couverture du risque». Pour illustrer cette
conception de contrat d’assurance: chacun est responsable de
la «gestion de son capital santé» et doit donc payer
des primes d’assurance en relation avec la qualité de cette
gestion, au risque de ne pas avoir accès à certains soins.
En Suisse a été introduite
dans l’assurance-chômage, avec de plus en plus de force à
l’occasion de chaque révision, la relation entre droit à des
allocations et obligation à des contre-prestations. Ce qui implique,
de fait, la responsabilisation individuelle du fait de «tomber
au chômage». La formule, à elle seule, en dit long sur la
notion d’assurance invoquée par les autorités fédérales.
• Actuellement, diverses
facettes de cette révision – en particulier pour les jeunes –
aboutissent à mettre le «jeune» sans emploi à
disposition totale de l’ORP, qui porte bien son nom: office
de placement.
La généralisation du délai
d’attente pour celles et ceux qui n’ont pas cotisé et la
suppression pour les jeunes de la notion de «travail
convenable» représente, en réalité, la première phase d’un
apprentissage et d’un formatage pour une mise à disposition totale
de la force de travail ainsi que de sa personne et de sa personnalité
aux objectifs dictés par l’employeur: cela concerne aussi
bien le look, la disponibilité flexible, la livraison de données
personnelles, ayant trait à la santé, par exemple que ce soit en
relation avec la nouvelle loi sur l’AI ou dans des addenda à des
contrats de travail ayant trait à l’assurance-maladie.
L’employeur doit répondre aux
impératifs de la concurrence, sous l’angle de la valorisation de
son capital face à d’autres capitaux. La description des deux
faces de la médaille (du côté du salarié et du côté de
l’employeur) devrait conduire, logiquement, à poser la question de
la légitimité, au plan de la dignité humaine, du fonctionnement du
système capitaliste en tant que tel. Une réflexion bienvenue, du
moins pour celles et ceux qui s’engagent effectivement à mettre en
échec cette 4e révision et plus généralement se posent
la question de l’existence nécessaire et dite naturelle du
chômage, selon la théorie dominante.
En conclusion, le «renforcement
du principe d’assurance» invoqué par les autorités est, au
mieux, une fausse fenêtre ou, plus exactement, une tromperie.
Le verbe assurer renvoie
étymologiquement à «se mettre en sûreté». Or, le chômage est le propre de ce système et de toute son
histoire. Dès lors, une assurance effective contre le chômage ne
peut être qu’une assurance sociale – plus exactement un élément
d’une véritable sécurité sociale – doublée de mesures liées
à la répartition de la valeur ajoutée, à la diminution du temps
de travail, à la formation continue combinée avec un revenu assuré.
5° Allongement à deux
semaines du délai d’attente «normal»…
Dans la situation présente le
délai d’attente (ou de carence), c’est-à-dire le nombre de
jours ouvrables, après chômage contrôlé, soit la période de
non-paiement au début du chômage, est de 5 jours ; à
l’exception des personnes ayant touché 3000 francs et moins, plus
1000 francs pour le premier enfant et 500 francs supplémentaires par
autre enfant.
Avec la 4e révision
de la LACI ce délai devrait passer à 10 jours pour les personnes
ayant perdu leur emploi (licenciées), si elles n’ont pas d’enfants
à charge (obligation d’entretien envers des enfants de moins de 25
ans) et un gain assuré annuel de plus de 60'000 francs. Dix jours
ouvrables, cela signifie la moitié d’un mois (2 semaines).
Pour les salarié·e·s qui
disposent d’un salaire annuel assuré de plus de 90'000 francs, ce
délai passe à 15 jours ouvrables, soit trois semaines.
Le nouveau délai s’étendra à
20 jours pour celles et ceux dont le salaire assuré dépasse 125'000
francs par année.
La logique propre à cette
mesure: contraindre une couche de salarié·e·s à épargner
en vue d’un licenciement qui est présenté comme normal et naturel
dans le «parcours professionnel flexible, diversifié et
imprévisible», selon le vocabulaire des consultants en
«ressources humaines». Cette épargne forcée devrait
permettre d’éviter de passer par la case «aide sociale»,
remboursable.
• Or, combien de salarié·e·s
– qui seront présentés comme irresponsables demain – se
trouvent, en fin de mois, avec un CCP ou un compte en banque dans le
rouge. Ne sont-ils pas soumis à deux injonctions paradoxales:
d’un côté, dépenser pour assurer la «bonne tenue du
marché intérieur», ce qui est censé permettre de lutter
contre le chômage (la publicité et le petit crédit s’adressent à
cette facette du travailleur-consommateur) ; de l’autre,
épargner pour faire face à l’imprévu, aux «aléas de la
vie». Sagesse par excellence de «l’acteur économique
rationnel» qui sait anticiper les divers aléas possibles et
s’y adapter.
• A cela s’ajoute une
hiérarchisation des salarié·e·s qui renvoie à une construction
idéologique à double détente. Tout d’abord, opposer une
«couche» du salariat à une autre, en visant à faire
disparaître dans le discours et la représentation la réalité même
du salariat, comme substrat fondamental des rapports sociaux
conflictuels (capital et travail) structurant la société
capitaliste. Ensuite, laisser entendre que l’assurance-chômage
doit perdre sa dimension universelle, et en partie solidaire, en la
présentant comme voisine, aujourd’hui, de l’assistance sociale.
Le principe même du droit aux
allocations de chômage est ainsi ébréché. Avec ce que cela
implique: la création d’un éventail de chômeurs et
chômeuses allant du «bon chômeur» au «mauvais
chômeur», ce qui aboutit à assimiler l’«assurance-chômage»
à une sorte d’aide sociale conditionnée.
• Le 9 décembre 2009, le
conseiller national (PLR de Berne) Johann Niklaus Schneider-Ammann
déclarait au Conseil national lors du débat sur la 4e révision: «L’échelonnement du délai d’attente
se fonde, d’une part, sur l’idée que les chômeurs concernés
seront plus fortement stimulés à chercher et à accepter du
travail. On vise aussi à ce que les trois catégories salariales
soient traitées de façon égale. C’est une tentative pour
instaurer une certaine égalité. D’autre part, cela tend à
soulager la Caisse [de chomâge]. La différenciation du délai
d’attente nous semble socialement acceptable, d’autant plus
qu’elle concerne des personnes sans devoir d’entretien. Je vous
le demande: où voulez-vous économiser si ce n’est ici ?
Avoir un meilleur contrôle des coûts ne signifie rien d’autre que
de réduire le chômage dans le futur.»
Dans une tradition bien établie
depuis quelque vingt ans, Schneider-Ammann utilise le terme
«égalité» pour tenter de justifier l’introduction
d’une différenciation entre chômeurs. Au nom de cette même
égalité, son parti s’est aussi prononcé pour l’augmentation de
l’âge – 65 ans, avec en ligne de mire: 67 ans – donnant
droit à l’AVS pour les femmes.
Par contre, Schneider-Ammann ne
se camoufle pas pour indiquer que cet article de la 4e révision de la LACI exercera une pression encore plus forte sur les
chômeuses et les chômeurs afin qu’ils acceptent un emploi à des
conditions non négociables.
La formule relative au contrôle
des coûts du chômage et à la réduction du chômage renvoie
explicitement à la contrainte plus forte exercée sur les chômeurs
pour «se réintégrer au marché du travail» et à la
baisse des «coûts salariaux» qui serait le remède
pour accroître l’emploi. Thème que nous avons traité dans le
premier chapitre de ce Cahier La Brèche.
• Pour terminer, il faut
souligner que cette disposition s’oppose à la Convention N° 168
concernant la promotion et la protection contre le chômage, adoptée
par l’Organisation internationale du travail (OIT) le 21 juin 1988
et entrée en vigueur le 17 octobre 1991. La Confédération
helvétique l’a ratifiée le 17 octobre 1990. Plus exactement,
cette modification introduite par la 4e révision de la
LACI contredit l’article 18
de ladite
Convention. Cette dernière indique dans son paragraphe 1
«1.
Si la législation d'un Membre prévoit que les indemnités ne
commencent à être versées en cas de chômage complet qu'à
l'expiration d'un délai d'attente, la durée de ce délai ne doit
pas dépasser sept jours.» Il
s’agit explicitement de jours et non pas de jours-indemnités.
Or, les
modifications introduites par la 4e révision, en termes de calendrier, s’échelonnent de 14 jours à
un mois. Dans la mesure où les autorités ont signé cette
Convention, cette modification, formellement, ne pourrait entrer en
vigueur que dès le 17 octobre 2012 (délai de dénonciation).
Pour mettre
en perspective la signature de cette Convention par les autorités
fédérales – en compagnie de l’Albanie, de la Roumanie, du
Brésil, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède – il est
utile de rappeler que le taux officiel de chômage en Suisse se
situait à alors à un niveau très bas: 1988: 0,65 %
(0,5 % Suisses et 1,4 % étrangers) ; 1989:
0,5 % (0,4 % et 1,1 %) ; 1990: 0,5 %
(0,4 % et 1,2 %) ; 1991: 1,1 % (0,8 % ;
2,7 %) ; 1992: 2,5 % (2 %, 4,5 %) ;
1993: 4,5 % (3,5 %, 7,8) ; 1994: 4,7 %
(3,7 %, 8,4 %). Le repérage du chômage «suisse»
et «étranger» est aussi une des valeurs sûres de la
statistique helvétique. Parions que si cette Convention avait
été établie en 1994, la Confédération ne l’aurait jamais
signée.
• «L’économie»
estimée par la modification de l’art. 18, al. 1 est de 43 millions
de francs. Il ressort de ce chiffre – pour autant que les critères
d’estimation soient pertinents – que l’orientation incluse dans
cet article est plus importante, dans le contexte actuel, que
«l’économie» envisagée immédiatement.
6° Les moins de 25 ans, de
non-adultes qui voient leur droit aux indemnités réduit de moitié
Dans la situation actuelle, les
personnes de moins de 25 ans, sans enfants à charge, ayant une durée
de cotisations de 18 mois au moins, ont droit à 400 indemnités
journalières (18 mois). Autrement dit, elles sont traitées, à
juste titre, comme tous les chômeurs et chômeuses.
Une fois de plus, la 4e révision cherche à créer une nouvelle catégorie disposant de
droits réduits. Cela contribue à diviser les chômeurs, rendant
plus difficile un potentiel mouvement revendicatif unifié et
unificateur.
Au plan de la gestion
politico-administrative de la domination du salariat on retrouve ici
des méthodes de classification et de division qui sont utilisées
couramment dans la politique de «gestion des migrants»
ou encore dans celle appliquée aux assuré·e·s auprès des
assurances maladie.
Cette nouvelle catégorie
devrait être créée à partir de la modification suivante: le
nombre maximum d’indemnités est réduit de moitié: soit 200
indemnités (9 mois). La réduction des prestations découlant de
cette nouveauté permettrait, selon les calculs des autorités, une
«économie» de 46 millions.
• Une facette de ce
nouvel article est peu mise en relief. En effet, cette modification
aboutit à considérer une personne de moins de 25 ans comme un
non-adulte, donc pouvant être pris à charge, partiellement, par sa
famille.
Cela traduit un processus plus
général dans le contexte des politiques d’atteinte au salaire
social: reporter sur la famille une partie des coûts sociaux,
entre autres les divers effets du chômage et la prolongation des
études dans l’espoir de trouver un meilleur emploi. L’inégalité
de statut des familles va redoubler les contrecoups de la dimension
de sanction sociale de cette mesure.
Les mêmes forces politiques
favorables à ce «jeunisme» pour ce qui relève de
l’assurance-chômage considèrent les jeunes adultes entre 18 et 25
ans comme soumis aux dispositions générales du
Code pénal. Et elles veulent durcir ces conditions.
Certes, ces
jeunes adultes peuvent faire l’objet de mesures présentées comme
plus clémentes, tel le placement dans une maison d'éducation au
travail avec possibilité de suivre une formation professionnelle ou
de travailler en dehors de l'établissement. Toutefois, le placement
dans un établissement pénitentiaire intervient lorsque le «jeune
adulte enfreint la discipline de la maison d'éducation au travail».
Avec la réduction de moitié
des indemnités, la «discipline à trouver un travail»
– entendue comme l’art d’accepter des offres d’emploi avec un
salaire abaissé et ne répondant pas nécessairement aux
qualifications formelles et acquises – est accentuée.
Dans le sillage de cette
modification de l’article 27, nouvel al. 5bis, la suppression de la
notion de «travail convenable» pour les personnes âgées
de moins de 30 ans éclaire crûment le sens du projet de la 4e révision de la LACI pour ce qui a trait à l’abaissement du seuil
salarial «d’entrée sur le marché du travail».
7°
«Le travail convenable» ne convient plus aux «jeunes
de moins de 30 ans»
Le
Conseil fédéral, le 25 novembre 1998, dans sa réponse à une
motion déposée le 7 octobre de la même année par le conseiller
national (PDC, Bâle-Campagne), Rudolf Imhof, clarifiait un point
important concernant ce qu’il est convenu de nommer le travail
convenable: «Le message du Conseil fédéral du 29
novembre 1993, à l’appui de la deuxième révision de la loi sur
l’assurance-chômage (LACI), rappelait que «la notion de
travail convenable constitue l’une des pierres angulaires de notre
loi sur l’assurance-chômage. Jusqu’à présent, un travail
n’était réputé convenable que s’il répondait à une série de
critères. Désormais, la définition est inversée: tout
travail est en principe réputé convenable ; les exceptions
sont réglées de manière exhaustive», par l’art. 16, al.2
de la LACI.»
L’article
16, al.1 de la loi modifiée de 1996 affirme: «En
règle générale, l’assuré doit accepter immédiatement tout
travail en vue de diminuer le chômage.»
• Le «en vue de diminuer le chômage» fait référence
à la notion propre à la théorie néo-classique du «chômage
volontaire». Il en découle aussi que les recherches d’emploi
doivent, dès le début, s’adapter à la notion de «travail
convenable» qui, elle, peut se durcir selon les cantons et les
ORP.
En
outre, l’adverbe «immédiatement» – ajouté
en 1996 – et l’inversion de la définition ont ouvert la porte à
tous les changements possibles. Cette conception était explicite
déjà dans le message de l’exécutif fédéral de 1993.
Ces
changements sont effectués – comme aujourd’hui – selon «le
renforcement du principe de l’assurance». Cette notion
deviendra une norme, quelque dix ans plus tard, dans l’UE. On peut
la résumer à nouveau ainsi: l’assuré «est obligé
de limiter le risque et le cas échéant, les dommages». Les exigences du chômeur face à une proposition de «travail
convenable» doivent donc être réduites dès le début de la
période de chômage.
La
4e révision de la LACI prévoit la modification suivante
de l’article 16, alinéa 2, lettre b. Dans «les
exceptions exhaustives» auxquelles faisait allusion le
Message cité du Conseil fédéral, la loi de 1996 affirmait: «N’est pas réputé convenable et par conséquent, est
exclu de l’obligation d’être accepté tout travail qui […] b. ne tient pas raisonnablement [sic !] compte des
aptitudes de l’assuré ou (sic !) de l’activité
qu’il a précédemment exercée.»
La
4e révision à l’article 16, à l’alinéa 3 bis,
introduit l’ajout suivant: «L’al. 2, lettre b, ne
s’applique pas aux personnes de moins de 30 ans.»
Autrement
dit, toute personne ayant moins de 30 ans est dans l’obligation
d’accepter tout travail proposé par l’ORP indépendamment de sa
qualification certifiée et / ou du type d’activité
professionnelle antérieure.
Urs
Schwaller (conseiller aux Etats, PDC, Fribourg, rapporteur de la
commission) ne laissait planer aucun doute sur le sens de cet ajout: «Les capacités personnelles et l’activité antérieure
ne jouent plus aucun rôle. Indépendamment de sa formation, jusqu’à
trente ans, sous réserve des autres prescriptions de l’article 16,
qui restent bien entendu en vigueur, pratiquement tout travail est
convenable.»
•
Au-delà du constat de ce
candidat malheureux au Conseil fédéral, cet ajout à l’article 16
commande les remarques suivantes, avant de soumettre à une certaine
réflexion critique la notion même de «travail convenable».
Tout
d’abord, la notion de «travail convenable» telle
qu’énoncée dans la LACI est des plus étriquée. Les formulations
mêmes laissent le champ libre à une interprétation fort arbitraire
de la part des ORP. Ces derniers peuvent, de plus, s’appuyer sur le
principe d’obligation. Tout est fait pour reporter sur chaque
chômeur et sur chaque chômeuse la responsabilité entière de sa
situation et sa «non-réintégration dans le marché du
travail».
Ensuite,
pour les moins de 30 ans, la définition par les autorités du
«travail convenable» ne fait plus sens. En positif, un
«travail non convenable» doit convenir à cette couche
de jeunes chômeurs et chômeuses !
Il
serait erroné de croire que cette «exception» est
marginale, d’une part au plan quantitatif et, d’autre part, en
termes de précédent. Selon le Seco, en mars 2010, le nombre de
chômeurs inscrits s’élevait à 160'032. Celles et ceux compris
dans les tranches d’âge de 15 à 29 ans (soit moins de 30 ans)
sont, ce même mois de mars 2010, au nombre de 50'227 (de 25 à 29
ans, ils sont au nombre de 23'475). Rapportés à l’ensemble des
chômeurs et chômeuses, les moins de 30 ans constituent 31,4 %
du total des chômeurs et chômeuses.
Il
est dès lors aisé de comprendre l’effet de bras de levier à la
baisse sur les salaires d’entrée ou initiaux qu’exerce cette
«activation brutale» des personnes au chômage âgées
de moins de 30 ans.
A
coup sûr, dans la tradition des «réformes»
répétitives actuelles, cette mesure sera appliquée, dans un futur
proche, à une nouvelle «tranche d’âge» de chômeurs.
Sans doute celles et ceux de plus de 55 ans. Et, après-demain, par
«souci d’égalité de traitement», elle sera
généralisée.
Enfin,
il est utile de saisir le mécanisme pervers qui allie obligation
d’accepter un emploi, même «non convenable», et le
rapport tendu entre chômeurs et offres d’emploi. L’ORP qui peut
imposer un travail «non convenable» ne le trouve pas
facilement, dans certaines conjonctures. Dès lors, à l’occasion
du sixième entretien à l’ORP, pour faire un exemple, lorsque cet
emploi «non convenable» est proposé, l’idée selon
laquelle un effort a été accompli par la personne responsable de
l’ORP en charge du dossier ne peut être refusée et réfutée
aisément. Ainsi, cette mécanique tend à «adoucir» la
notion d’obligation, et, y compris, peut susciter, plus d’une
fois, un sentiment de quasi-reconnaissance de la part du «jeune
chômeur».
• La
notion de «travail convenable» doit être replacée
dans le cadre de la politique «d’activation des demandeurs
d’emploi», une terminologie développée par l’OCDE et
intégrée au Traité de Lisbonne de l’UE. Toutefois, elle est
présente dans la législation helvétique concernant
l’assurance-chômage depuis fort longtemps, comme cela est précisé
ci-dessus.
«L’activation
des demandeurs d’emploi» repose sur la mise en place d’un
système permanent d’obligations s’appliquant, de plus, de
manière ciblée, afin de mieux solidifier les différentes
catégories de chômeurs et chômeuses.
La
nature de ces obligations transforme le droit à des allocations de
chômage en pseudo-droit. Cela aboutit à renforcer la position de
ceux qui décident de l’octroi des allocations face à un demandeur
d’emploi affaibli. Et les décisions du personnel des ORP
s’appuient sur un appareil juridique contraignant qui en fait des
«rouages» (souvent involontaires) de la machine. Cette
machine, dans sa conception, est identique à celle mise en place
dans les dernières révisions de l’AI ou de la LAA (voir à ce
propos les Cahiers La Brèche N° 2 et 3).
Dans
la publication Travail-Emploi (Bruxelles, 2004) – du Service
de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale – la
contribution ayant pour titre «Une autre approche des
indicateurs de pauvreté. Recherche-Action-Formation» donne la définition suivante du «travail convenable»: «Un emploi convenable est un emploi qui permet de vivre
dignement et de se projeter dans l’avenir.»
Pour
les syndicats (USS et SYNA) – qui ont d’ailleurs négocié sous
la houlette de l’économiste de l’époque de l’USS, Serge
Gaillard, la notion propre à la LACI du travail convenable – une
approche telle que définie ci-dessus devrait constituer le seuil de
base d’une bataille contre l’actuelle 4e révision et,
plus généralement, contre l’esprit et la lettre de l’actuelle
LACI.
En
effet, une telle définition permet, au moins, de lutter contre la
transformation du «travail convenable» en un «travail
non convenable». Avant tout pour les personnes les plus
précarisées – chômeurs et chômeuses de «longue durée»
– et usées par le travail, comme par la pauvreté.
Ces
personnes face à des droits sociaux fortement conditionnés sont
contraintes d’accepter des emplois (souvent précaires) qui sont
fort éloignés d’un projet professionnel à construire et / ou
qui sont difficilement conciliables avec leur vie familiale. Un
«emploi convenable» – selon la définition de base
mentionnée ci-dessus et pour laquelle les syndicats devraient se
prononcer activement – se doit aussi d’impliquer un
accompagnement sur la durée du chômeur et de la chômeuse.
Enfin,
un emploi de qualité a aussi des conséquences sur l’accès à un
logement. La stabilité de l’emploi et du revenu ne
conditionne-t-elle pas l’acceptation, par une gérance, d’attribuer
un logement ? Et le logement n’est-il pas, souvent, un facteur
important des conditions d’éducation des enfants ?
On
constate la dimension plurifactorielle de la modification et de la
construction d’un projet professionnel, de la recherche d’un
emploi, de l’insertion dans le marché du travail, de l’obtention
d’un logement, de la vie familiale, de l’éducation des enfants,
de la vie familiale.
La
notion de «travail convenable» va donc bien au-delà de
la seule dimension de contrôle de la recherche d’un emploi et de
l’obligation d’en accepter un.
En
fait, cette pierre angulaire de la LACI reflète un choix de société.
Plus concrètement: la LACI est construite pour assurer les
meilleures conditions au Capital afin de renforcer «l’abaissement
des coûts du travail», c’est-à-dire accroître la
plus-value absolue et relative.
Le
«travail convenable» et, logiquement, l’instauration
d’un travail non convenable renvoient à un transfert de la
situation des demandeurs d’emploi à leur seule responsabilité,
individualisée. Plus de responsabilité collective – qui est à la
base d’un système effectif de sécurité sociale – et surtout
plus de lien entre le rapport salarial en système capitaliste et le
chômage.
Voici
ce que cautionnent les appareils syndicaux en acceptant les
fondements actuels de la LACI et en ne s’opposant qu’à divers
points de la 4e révision, au nom du réalisme.
8°
Réduire un accompagnement… déjà faible
Dans
la loi actuelle, l’article 59 d porte comme titre:
«Prestations destinées aux personnes qui ne remplissent pas
les conditions relatives à la période de cotisation, ni n’en sont
libérées ou dont l’aptitude au placement peut être rétablie».
L’innovation «réformiste» du Conseil fédéral et du
Parlement a abouti à supprimer le bout de phrase suivant: «ou
dont l’aptitude au placement peut être rétablie».
Cette
suppression d’une partie du titre renvoie, dans les faits, à une
suppression d’appui individuel ou collectif (coaching, etc.) pour
ceux et celles dont l’aptitude au placement peut être rétablie.
Même si ces mesures étaient le plus souvent de la poudre aux yeux,
le gommage de cette phrase révèle l’esprit de cette
contre-réforme.
• En
outre, dans la loi présente, il est prévu que les mesures indiquées
dans le titre soient financées à hauteur de 80 % par
l’assurance-chômage et 20 % par les cantons. La 4e révision introduit une modification de la clé de répartition du
financement: chacune des parties doit s’engager à hauteur de
50 %. Le but proclamé: responsabiliser plus les cantons.
En
réalité, cette nouvelle répartition s’inscrit dans une politique
plus générale «d’assainissement des finances»
faisant supporter plus de tâches aux cantons dont les revenus sont
limités par la politique fiscale ; entre autres celle liée au
fédéralisme fiscal qui implique une concurrence à la baisse de
l’imposition entre cantons. Il en découlera que des cantons vont
restreindre certaines mesures d’appui pour des raisons dites
d’économie, car «leurs finances ne le leur permettent
pas».
Pour
l’instant ces mesures sont appliquées même lorsque la personne
n’a plus droit aux indemnités chômage. Désormais, elles
prendront fin au plus tard lorsque ces dernières seront levées. Les
chômeurs en fin droits devront, dès lors, avoir recours à des
organismes d’aide (en fait l’assistance sociale).
• Quant
à la «collaboration inter-institutionnelle»,
mentionnée dans la loi et concernant ces personnes très
fragilisées, il est peu probable qu’une mesure nécessitant une
prise en charge successive par deux organismes différents soit aisée
à mettre en œuvre. Par conséquent, les «responsables»
y renonceront le plus souvent. Et, il est plus qu’improbable que
ces personnes – sans un fort soutien d’une organisation sociale –
puissent obtenir de l’assurance-chômage une aide quelconque. Le
terrain du non-droit est ici encore élargi.
• La
somme dite d’économie se monte à 6 millions de francs par année.
On ne doit pas inférer de la «petitesse» de ce montant
l’idée que ce changement est secondaire. En fait, il renforce la
relation de subalternité, de soumission des chômeurs face aux
institutions publiques et privées.
9°
Les MMT… et «l’employabilité»
Selon
la loi non révisée, les personnes au chômage ou menacées de
chômage peuvent avoir recours à des «mesures de marché du
travail» (MMT). Ce recours relève du pouvoir des ORP. Ainsi,
l’administration du canton du Jura – un canton fortement touché
par le chômage – ne manque pas de préciser: «Il
appartient à l’ORP de décider si le choix de telle ou telle
mesure est opportun et judicieux. En tant que demandeur d’emploi,
vous pouvez néanmoins en tout temps prendre l’initiative de
soumettre une demande à votre ORP en vue de bénéficier de ces
mesures.»
•
Les intitulés des mesures –
«Stage de formation», «Stage professionnel»,
«Cours de perfectionnement», «Test d’aptitude»,
«Soutien à l’activité indépendante», etc. – ne
laissent pas voir, de suite, que toute leur logique repose sur l’idée
que le chômage est, avant tout, dérivé de l’incompatibilité du
«demandeur d’emploi» avec le type «d’offres»
du marché du travail. Le chômeur est donc chômeur, tout d’abord,
par manque de qualifications adéquates. Une formule résume cette
approche: «Les cours de perfectionnement visent à
améliorer l’aptitude au placement des assurés sur le marché du
travail.» Les MMT devraient, selon leur intitulé,
intervenir pour «influer» sur le marché du travail:
soit l’élargir quantitativement en créant des emplois (politique
industrielle, développement des services publics en lien avec les
besoins sociaux), soit en réduisant le temps de travail pour
répondre à la hausse de la productivité, etc. Or, les MMT ne
visent que «l’employabilité» du demandeur d’emploi
et sont aux mains des ORP qui les proposent en lien avec la «pierre
angulaire de la LACI»: «le travail convenable».
• La
4e révision (art. 59 cbis) prévoit de réduire le
montant annuel maximal de l’assurance-chômage mis à disposition
des cantons pour le financement de MMT. La conclusion coule de
source: la pression sur les cantons pour réduire le nombre et
la qualité des mesures proposées – quelle que soit leur
efficacité pratique pour un noyau important de chômeurs et
chômeuses – sera encore plus grande. La dite économie est
estimée à 60 millions de francs annuellement.
•
Pour précision, le plafond est
fixé par ordonnance du Département fédéral de l’économie, ce
qui attribue un pouvoir normatif à l’exécutif. Ce pouvoir va se
renforçant au cours des dernières décennies, dans tous les
domaines, ce qui attribue à l’exécutif la possibilité de
modifier, par glissements successifs, l’esprit même de la
délégation de compétence. Celles et ceux, «à gauche»,
s’illusionnant sur le «pouvoir du parlement» n’ont
qu’une seule excuse: leurs propres illusions narcissiques
participent d’une illusion générale bien orchestrée par la
coalition: exécutif-patronat-médias.
10. Plus de «privilèges»
pour les cantons peu laborieux
Selon la loi en vigueur, le
Conseil fédéral peut augmenter – au plus durant six mois – de
120 le nombre d’indemnités journalières (six mois) pour les
chômeurs et chômeuses qui ont droit à la durée d’indemnité
maximale. Cela vaut pour les cantons soumis à un fort taux de
chômage.
L’article en vigueur depuis le
1er juillet 2003 définit ainsi la notion de «fort taux
de chômage»: ce taux doit dépasser largement le taux
de chômage national et atteindre 5 % au moins au cours des huit
mois avant que s’ouvre la possibilité pour les autorités
cantonales de demander la prolongation de 120 jours des indemnités.
Pour rappel, les cantons plus
fortement atteints par le chômage et dépassant le seuil de 5 %
en 2009 étaient les suivants: Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura.
Le Tessin était gratifié d’un 4,9 %, le Valais de 4,1 %
et Bâle-Ville de 3,8 %. En juillet 2010, si les chiffres
diffèrent, les mêmes cantons sont candidats à cette liste.
• La suppression de cette
possibilité d’allongement de la période permettant de toucher des
indemnités réduit la faculté pour une fraction de chômeurs, dans
certains secteurs, de pouvoir réintégrer le marché du travail, en
cas de «reprise conjoncturelle».
En outre, cette restriction va
accroître les files d’attente de l’assistance sociale de cantons
déjà pénalisés, et donc des personnes concernées. Ce qui est
confirmé par une étude commandée par le Conseil fédéral, qui
estime le transfert des charges vers l’aide sociale à 98,5
millions de francs par an, soit 16% desdites économies prévues par
la 4e révision. La Conférence des directeurs cantonaux
des affaires sociales a commandé, en 2009, à la société d’étude
Infras sise à Berne et Zurich une étude pour évaluer les surcoûts
à charge des cantons et des communes en cas d’adoption de la 4e révision. Les chiffres étaient nettement plus élevés: la
fourchette les situait entre 137 et 236 millions de francs, soit
entre 22% et 37,9% des prétendues économies. L’étude surprise,
sortie de derrière les fagots par le Seco, a clairement pour but
politique de sous-estimer le transfert de charges vers l’assistance
sociale. Et Serge Gaillard, une fois de plus, a pris la défense de
la 4e révision en validant le chiffre de 98,5 millions et
en déclarant, sans sourciller: «Ces 100 millions de
francs constituent l’estimation plafond.» (ATS, 7 août
2010)
• L’estimation
«d’économie» est de 30 millions. La robustesse de
cette estimation statistique semble encore plus discutable que pour
les autres prévisions.
11°
Chômeurs «étrangers», encore plus contrôlés
La
4e révision va formaliser le contrôle conjoint des
chômeurs et des étrangers. En effet, déjà dans la pratique, la
fourniture de renseignements concernant le statut des chômeurs et
chômeuses étrangers existait.
Toutefois,
la protection des données demandait que ce transfert d’informations
soit inscrit formellement dans la loi spécifique, donc dans la LACI.
C’est ce qui est fait dans le projet de révision. On légalise une
pratique.
Paradoxe:
cette décision prise au nom des «principes régissant la
protection des données» vide de sa substance une
véritable protection des données, comme c’est le cas dans
beaucoup d’autres domaines.
La
planification de la dette et du déficit
|
Le déficit actuel de
l'assurance-chômage a été sciemment organisé en baissant les
cotisations de 3 % à 2 %, dès 2003, suite à la 3e révision, sans prendre de mesures compensatoires. Cette révision
faisait référence, pour maintenir un «équilibre des comptes
de l'assurance-chômage», sur un taux de chômage de 2,5 %,
soit 100'000 chômeurs et chômeuses indemnisé·e·s. Pourtant, lors
des dix années qui avaient précédé 2003, le nombre de demandeurs
d’emploi, selon la statistique du marché de l’emploi de la
Banque nationale suisse (BNS), a varié entre 169'600, 206'700
(1996), 124'600 (2000), 109'400 (2001), 149'600 (2002) et 206'500
(2003). Quant aux chômeurs inscrits, selon la même source, ils ont
oscillés entre 163'100 (1993), 188'300 (1997) pour atteindre un
seuil bas, officiel, de 98'600 en 1999 et 71'900 en 2000 avant de
remonter à 100'500 en 2002 et 145'600 en 2003. Toute analyse
sérieuse de la dynamique et du trend du chômage, dès le début des
années 1990, devait aboutir à caler le chiffre du chômage à un
niveau moyen supérieur à celui balbutié par le Conseil fédéral,
sur les ordres du SECO et du patronat. Une fois cette prévision
statistique proclamée, la baisse du taux de cotisation impliquait de
construire, de manière délibérée, une «dette de
l’assurance chômage». Cela afin de pouvoir attaquer les
droits des salarié·e·s, au nom du déficit et de la dette. La
farce antisociale habituelle. Cela ressort clairement du graphique
ci-dessous sur l’explosion de la dette. L’ascension de la dette
intervient exactement suite à la baisse des cotisations: le
passage de 3 % à 2 %. |
* Ce texte fait partie d’une
brochure sur: Capitalisme, chômage, contre-réformes et besoin
d’un nouveau syndicalisme.
.
Voir: Conseil fédéral, Message relatif à la modification de
la loi sur l’assurance-chômage, Berne, 3 septembre 2008 ;
Département fédéral de l'économie, «Pourquoi révise-t-on
la loi sur l’assurance-chômage?», Berne, mai 2010 ;
Seco, Factsheet: «Les principales modifications. 4e révision partielle de la loi sur l'assurance-chômage»,
Berne, mars 2010 ; Doris Gorgé, Guide des droits et devoirs
du chômeur. D'après la loi fédérale et la loi cantonale
genevoise, Ed. Trialogue, Genève, disponible sur http://www.guidechomage.ch/page.asp?txt=presentation ;
Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et
l’indemnité en cas d’insolvabilité (Loi sur
l’assurance-chômage, LACI), 25 juin 1982, état au 1er janvier
2010, sur http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/837.0.fr.pdf et Ordonnance, sur http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/837.02.fr.pdf,
et Loi sur l’assurance-chômage (LACI), modification du 19 mars
2010 (délai référendaire 8 juillet 2010), sur
http://www.admin.ch/ch/f/ff/2010/1913.pdf
.
Sécurité sociale, CHSS, 2/2010, OFAS, page 183.
.
Il s'agit des personnes libérées pour maladie, accident,
maternité, formation scolaire, reconversion ou perfectionnement
professionnel, retour en emploi après séparation, divorce ou
invalidité du conjoint, suppression ou modification de la rente
d’invalidité, détention.
(30 août 2010)
|