Suisse
 
 


Construire le mur, puis le sauter

4e révision de la LACI: le malus d’une campagne et l’analyse précise des contre-réformes

Mouvement pour le socialisme (MPS) *

La campagne est morne en cette fin août. Particulièrement la campagne de votation ayant trait à la 4e révision de la Loi sur l’assurance-chômage (LACI). Pourtant, le 6 juillet 2010, le Comité référendaire contre le démantèlement de l’assurance-chômage déclarait: «Les signatures [140'514] ont été récoltées avec facilité par les comités de chômeurs, syndicats et Partis… Cela n’est pas étonnant vu le démantèlement de cette assurance qui a été formulée dans cette révision. Les gens ne comprennent pas pourquoi une assurance va être démantelée juste au moment où on en a le plus besoin. Cela permettra au peuple de décider si c’est le peuple ou non qui doit porter (sic) cette crise.»

Ce qui est certain, c’est que les salarié·e·s doivent, eux, «payer la crise». Et les «grandes organisations syndicales» qui auraient dû porter la campagne contre la 4e révision et la payer – car disposant de moyens matériels importants, issus, pour l’essentiel, des cotisations des salarié·e·s syndiqué·e·s et des aides patronales indirectes – ne l’ont pas fait.

Durant toute la période juillet-août, le silence a été assourdissant. En fait, il aurait été nécessaire, dès le 7 juillet 2010, d’organiser des réseaux actifs de propagande, d’explication, de présence sur les entreprises, les grandes surfaces et les places publiques.

Ces réseaux auraient pu être portés par les salarié·e·s – disposant ou non du droit de vote – et déboucher sur des actions plus amples dans chaque ville au cours de la dernière semaine du mois d’août. Mais toute la conception syndicale de ce référendum – en fait, comme à l’habitude – obéit à l’idéologie du «peuple va décider». Dès lors, au mieux, la campagne se configure comme un affrontement concurrentiel de publicitaires et autres conseillers en communication (spin doctors).

Un secrétaire syndical, disposant d’une culture historique, à la question d’une journaliste (Tribune de Genève et 24 Heures du 22 août 2010) qui affirmait que les syndicats utilisaient «le visuel de l’UDC», lui rétorque. En réalité l’UDC s’est approprié le «visuel du mouvement ouvrier des années 1920.» Il ajoute: aujourd’hui le mouvement syndical «récupère ce visuel» pour pousser les «personnes qui ne vont plus voter à voter.» On n’en croit pas ses yeux !

Le mouvement ouvrier des années 1920, en Suisse, quelles que soient ses faiblesses et ses spécificités, d’une part, mobilisait activement les travailleurs et travailleuses lors des campagnes de vote et, d’autre part, développait «un visuel» ayant une dimension d’affrontement de classes. Il y avait des exploiteurs et des exploités et non pas des «profiteurs» et des «abusés». Thème de la campagne syndicale qui s’articule autour du «bonus et du malus». Thème faisant référence aux «mauvais banquiers», aux profiteurs et non pas à un système qui porte en lui le chômage, son exploitation et l’exploitation de la force de travail. Une symbolique de passivité est concrétisée dans l’affiche représentant des individus stylisés écrasés par le pied d’un profiteur.

Cependant, un moment conjoncturellement favorable existait. Les principaux animateurs du référendum l’ont d’ailleurs souligné: la réceptivité par les salarié·e·s du référendum contre la 4e révision.

Il était essentiel de dynamiser cette réceptivité en ne succombant pas au diktat de deux agendas: celui des «vacances» (et de la vacance de politique syndicale de classe) et celui du cirque fédéral orchestré par la famille Knie composée de ses sept membres: le Conseil fédéral.

Dès le 9 juillet – trois jours après le dépôt du référendum –, le conseiller fédéral social-démocrate, Moritz Leuenberger, assumait son rôle de clown. Les médias allaient immédiatement centrer tout le débat politique sur: «qui va le remplacer ?»  Une représentante des consommatrices, Simonetta Sommaruga ? Jacqueline Fehr, «plus à gauche» – moins à droite – et connaissant aussi bien les dossiers, etc.

Le cirque Knie obéit à des règles de présence dans la cité. Dès lors, le 6 août 2010, le quasi défunt Hans-Rudolf Merz quitte le Conseil fédéral, à défaut de la terre. Le spectacle rebondit et le «débat» va porter à la fois: sur le remplacement du radical et du social-démocrate; sur le nombre de femmes au Conseil fédéral – avec une intervention pointue de Micheline Calmy-Rey à ce propos ; sur les modalités d’élection du Conseil fédéral.

Les médias et les journalistes ont à relater et à diffuser, enfin, jusqu’au 22 septembre, de la pseudo-politique, du story telling, de la rumeur. Knie et la fosse aux ours et ourses fédéraux occuperont le «bon peuple».

Pendant ce temps, le vote par correspondance aura fonctionné et, de fait, le résultat du référendum sera enveloppé au plus tard dès le 15 septembre.

Au-delà de ces péripéties, une question va dès lors s’imposer aux forces de gauche qui luttent contre les causes structurelles du chômage dans ce système: que faire en cas de victoire du NON, du point de vue de la défense des droits des salarié·e·s ? Que faire en cas de victoire du OUI, du même point de vue ?

Et ce «Que faire ?» dépend, en partie, de l’analyse qui a été faite des mesures propres à la 4e révision, de la «théorie du chômage» véhiculée par la droite et largement acceptée par la gauche et les directions syndicales, ainsi que des revendications avancées. C’est la raison pour laquelle, le Cahier La brèche numéro 4, assez volumineux, sortira quinze jours après l’annonce officielle du résultat. Son sixième chapitre sera consacré à une discussion et à un dialogue sur le «Que faire ?» Nous publions ici, le chapitre 3, consacré à l’analyse des mesures. Ce chapitre est précédé ici de quelques considérations sur la mécanique: Conseil fédéral, SECO et patronat.

Patronat, Conseillère fédérale et adjudant-chef ex-syndicaliste

Le slogan gouvernemental pour défendre – face au référendum – la 4e révision de la Loi sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI) est le suivant: «Une réforme nécessaire, équilibrée et pertinente». Il manque encore quelques qualificatifs à la sauce fédérale. Ils arriveront: équitable, juste, sobre, économique, bonne pour les salaires et l’économie, utile pour la «compétitivité de notre place économique».

Doris Leuthard – catholique et démocrate – est placée au premier plan pour cette campagne.

Pourtant, en quelques semaines, fin du printemps et début de l’été 2010, la ministre de l’Economie – plus exactement la représentante dévouée et sans complexes des firmes helvétiques et de celles basées en Suisse – a multiplié les déplacements à l’échelle mondiale. Une sorte de porte-parole pour l’agence de voyages Kuoni, en cette saison estivale.

Elle a rencontré Benoît XVI. La réputation de ce dernier n’est plus à faire. Son onction graisse l’éthique des affaires.

Elle a aussi donné son appui – très attendu – aux joueurs de l’équipe de Suisse de football en Afrique du Sud. Ce pays que l’UBS et les entreprises suisses ont systématiquement soutenu durant la longue période d’apartheid officiel et après que l’ONU eut décrété un embargo dès 1977 et qu’il fut renforcé en 1984. Le commerce de l’or, aux mains d’UBS, justifiait ce vague péché véniel. Il y a d’ailleurs prescription, selon une information en provenance du Vatican.

Doris Leuthard, tout sourire devant, a de même rencontré Angela Merkel. L’Allemagne et la Suisse sont fortement interconnectées au plan économique. La gestion des deux banques centrales, dans un contexte de remous monétaires, implique des relations quotidiennes entre Berne-Zurich et Francfort-sur-le-Main et la BCE (Banque centrale européenne).

Avec un tact resplendissant, Doris Leuthard a donné des leçons d’austérité budgétaire au président du Conseil de l’Europe, Herman Van Rompuy, lors d’une visite à Bruxelles. L’ânesse de ce coup de pied ne doit pas être difficile à repérer. Elle a officié à Frauenfeld (Thurgovie) lors de la Fête fédérale de lutte du 22 août 2010 en insistant sur les «valeurs nationales» que ces mâles prises à la culotte dévoilaient.

N’oublions pas qu’elle n’a pas manqué de rendre visite aux «dirigeants communistes chinois». Cette néo-congrégation de la Foi – sise à Beijing – n’ignore rien de l’inquisition moderne et modernisée, de quoi faciliter la communication avec les fidèles de Ratzinger-Benoît XVI. Ainsi, entourée de 27 chefs d’entreprises, Doris Leuthard s’est entretenue avec les autorités de Chogqing, de Shanghai et a échangé quelques contrats avec le président Hu Jintao ainsi que le président de l’assemblée populaire chinoise, Wu Bannguo. Doris Leuthard, dans son bilan de négociations conduites en Chine avec les «communistes» – fait le 12 août 2010 – a utilisé une formule à coup sûr longuement méditée: «Nos lignes rouges ont été respectées» !

Alors direz-vous: quand Doris Leuthard peut-elle s’occuper de la 4e révision de la LACI et des chômeurs et chômeuses, elle qui n’hésite pas, de plus, à utiliser la diligence du Gothard pour se rendre le 1er août sur ce lieu baptisé d’historique ?

La réponse est simple: elle n’a qu’à répéter les brèves fiches que met au point et lui fournit l’ancien économiste en chef de l’Union syndicale suisse: Serge Gaillard. Il n’a pas changé de camp, détrompez-vous. Il avait la même position à l’USS, lors des révisions auxquelles il a participé comme «secrétaire syndical».

Un seul changement: les escaliers qu’il grimpe aujourd’hui dans le bâtiment du Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie), à Effingerstrasse 31, conduisent plus haut – en termes de salaires et de reconnaissance sociale officialisée, donc celle que les dominants allouent à un de leurs domestiques – que ceux de l’USS, dont le bâtiment est sis à Monbijoustrasse 61.

Serge Gaillard sait aussi que sa cheffe est flexible. N’a-t-elle pas répondu à un journaliste – impertinent – qui voulait savoir si elle avait connu, une fois, le chômage: «Il faut être flexible dans la vie. Par exemple, moi, j’ai été juriste et maintenant je suis Conseillère fédérale.»

Cela ne s’invente pas. Peut-être que Ratzinger lui avait glissé à l’oreille que l’élection d’un pape – cardinal auparavant – était aussi aléatoire que celle d’une conseillère fédérale

Une nouvelle contre-réforme: son contexte et ses subterfuges

Dans l’ensemble de l’Europe, depuis le mois d’avril 2010, un thème domine l’actualité socio-politique: la nécessité de l’austérité budgétaire et donc des coupes dans les «dépenses publiques», avant tout celles qualifiées de sociales.

Les retraité·e·s, les chômeuses et les chômeurs, les «handicapé·e·s», les jeunes en formation, les personnes devant recevoir des soins sont les cibles de cette «rigueur». L’objectif proclamé: réduire les déficits budgétaires. Que ces derniers soient fortement le produit de la défiscalisation du capital, des très hauts revenus, de la baisse des entrées fiscales liée à la récession de 2008-2009 – qui se prolonge en 2010, avec de légers soubresauts – et enfin de l’aide publique aux banques pour les renflouer et à d’autres secteurs ne semble pas devoir être discuté !

L’heure n’est pas seulement à l’attaque contre les «dépenses sociales», mais à l’introduction d’une règle visant à l’équilibre budgétaire. C’est-à-dire à un Traité de Maastricht au carré, de son nom officiel le Traité sur l’Union européenne (UE), entré en vigueur en novembre 1993. Il prévoyait de ne pas dépasser la barre des 3 % (par rapport au PIB) pour ce qui relevait du déficit annuel et de 60 % pour le ratio dette sur PIB.

Les autorités helvétiques ont été à l’avant-garde de cette politique d’extrême inflexibilité antisociale. Dès les années 1990, tant au plan fédéral que cantonal, le «frein à l’endettement» a été fortement médiatisé et présenté comme une vertu patriotique. Pour cela, la métaphore classique de l’équilibre nécessaire des «dépenses du ménage fédéral et cantonal» a été matraquée, en s’appuyant sur une tradition bien établie. Cela, comme si une entité étatique pouvait être assimilée – en termes de ressources et de type de dépenses – à un ménage et à ses revenus !

De plus, la défiscalisation (sous diverses formes) a conduit à ladite politique des caisses vides qui aboutit à justifier la rudesse antisociale au nom du «manque de ressources».

Ce frein à l’endettement a été durci en septembre 2008. C’est à cette date que le Conseil fédéral a présenté son message sur la révision de la loi sur les finances.

A chaque fois (récessions de 2001 et 2009), les «élites dirigeantes» – encadrées par les organisations économiques, c’est-à-dire des employeurs – visent à donner une légitimité à ces politiques. Elles le font en soumettant au «vote populaire» des propositions dont la présentation est fortement biaisée et divulguée sur un mode de fausse évidence. Ce qui traduit, de fait, un mépris pour les salarié·e·s, dont une partie significative ne dispose pas du droit de vote.

Ce mépris peut être mesuré à l’aune de la naturalisation des options économiques, sociales et politiques. Autrement dit, ces choix sont assimilés à des nécessités relevant de lois de la nature.

En outre, les élites dominantes, relayées par les médias, présentent chaque choix comme découlant d’une vérité et d’une raison supérieures. Ils ne peuvent être mis en question. Ou, autre version, ils ne peuvent l’être que par des personnes qui nient la réalité. Voilà un mode de gestion de «l’opinion publique» relevant d’un autoritarisme travesti. Cela ressort avec force des divers textes et prises de position publiques ayant trait à la 4e révision de la Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (LACI)[1].

Une approche similaire est d’ailleurs adoptée dans tous les segments des assurances dites sociales. Pour ce qui relève de l’assurance-chômage, l’article 90c de la LACI (entré en vigueur depuis le 1er juillet 2003) est révélateur à ce propos. Il a pour intitulé: «Risque conjoncturel». Il souligne que «si, à la fin de l’année, la dette du fonds de compensation atteint ou dépasse 2,5 % de la somme des salaires soumis à cotisation, le Conseil fédéral doit présenter, dans un délai d’un an, une révision de la loi introduisant une nouvelle réglementation du financement. Il augmente au préalable de 0,5 point de pourcentage au maximum le taux de cotisation fixé à l’art. 3, al.2 [qui est actuellement de 2 %] et le salaire soumis à cotisation jusqu’à deux fois et demie le montant maximum du gain assuré [à ce jour 126'000 francs]. La cotisation perçue sur la tranche de salaire située entre le montant maximum du gain assuré et deux fois et demie ce montant [soit 315’000 francs] ne peut dépasser 1 %.»

Le texte de cet article mérite commentaires.

1° Dans une conjoncture manifestement assombrie, le gouvernement utilise le repoussoir – pour le patronat – d’une augmentation des cotisations afin d’engager une contre-réforme d’ensemble ayant pour cible les prestations (allocations de chômage), au nom de «l’équilibre des comptes».

2° De fait, cet article n’a pas été introduit pour être appliqué. En effet, il impliquait une sorte d’automatisme d’augmentation des cotisations en cas de hausse du chômage. Cet automatisme pour le pouvoir n’a pas de raison d’être. Cet article sert d’épouvantail afin de botter en touche une augmentation de cotisation. Dans le contexte économique présent, l’argument de la «compétitivité de la place économique suisse» conduit à miser, avec encore plus de vigueur que normalement, sur une variable d’ajustement: celle des coûts salariaux unitaires (qui combinent, entre autres, les salaires, les cotisations sociales et la productivité du travail). Le refus d’une hausse des cotisations à l’assurance-chômage dépassant le minimum prévu (de 2 % à 2,2 %) est renforcé par la dégradation du taux de change franc suisse-euro, ou franc suisse-dollar, censé pénaliser les exportations de biens de production.

3° Enfin, toute la conception du financement de la LACI reposait, suite à la 3e révision (2003), sur une hypothèse basse – de fait ayant peu de rapport avec la dimension quantitative ainsi qu’avec la réalité sociale du chômage – de 100'000 chômeurs et chômeuses, en moyenne. Cela permit de faire pression à la baisse sur les prestations chômage qui, par ricochet, exerce ses effets régressifs sur les salaires, y compris durant la période de relance économique.

L’évolution des «chômeurs inscrits» (selon la Banque nationale suisse, rubrique Marché du travail) est la suivante: 2003: 145'687 ; 2004: 153'091 ; 2005: 148'537 ; 2006:131'532 ; 2007:109'189 ; 2008: 101'725 ; 2009: 146'089. Pour ce qui est des «demandeurs d’emploi» voici la tendance (même source): 2003:206'491 ; 2004: 220'508 ; 2005: 217'154 ; 2006: 197'414 ; 2007: 167'659 ; 2008: 154'438 ; 2009: 204'070.

Il est facile de constater que la limite des 100'000 relevait d’un total arbitraire politique. La moyenne des «chômeurs inscrits» sur la période 2003-2009 se situe à 133'690. Après ce simple constat chiffré, nul commentaire subsidiaire n’apparaît encore utile.

Quelles ressources supplémentaires sont prévues ?

La dégradation de la LACI est présentée sous la forme d’une révision «équilibrée». Autrement dit, le Message du Conseil fédéral laisse entendre que, d’un côté, est introduite une légère hausse des cotisations et, de l’autre, un durcissement des conditions d’obtention des allocations ainsi que diverses mesures réduisant les droits des chômeurs et chômeuses. Pour ce qui relève des ressources, elles peuvent être présentées en deux volets.

Relèvement du taux de cotisation – global, réparti formellement 50 %-50 % entre salarié·e et employeur – de 2,0 % à 2,2 % et réintroduction d'une cotisation de 1 % pour la part de salaire comprise entre 126'000 et 315'000 francs (soit le montant maximum du gain assuré et deux fois et demie ce montant).

Cette réintroduction est présentée comme une mesure transitoire. Elle sera maintenue tant que le capital propre du fonds de compensation – c’est-à-dire la fortune – de l’assurance-chômage n’atteint pas 500 millions.

Le déficit cumulé en 2008 était de 3090 millions (3,09 milliards) et en 2009 de 4555 millions (4,55 milliards)[2]. Cette cotisation de 1 % (0,5 % pour les salarié·e·s et 0,5 % pour les employeurs) a été décidée lors du débat au Conseil national (le 9.12.2009). Elle découle de trois propositions similaires faites par: Caspard Baader (UDC de Bâle-Campagne), Pirmin Bischof (PDC de Soleure) ainsi que par le patron dit social Johann Niklaus Schneider-Ammann (PLR, Berne), président de Swissmen, l’association de l’industrie des machines, vice-président d’economiesuisse (association patronale) et gros actionnaire du groupe Swatch, donc membre de son conseil d’administration.

Cette proposition est promise à un certain avenir, d’autant plus qu’elle permet de ne pas accroître les cotisations de base et suscite quelques illusions, parmi des couches salariées «modestes», que les «hauts salaires» participent au «soutien financier de l’assurance-chômage».

Au total, les recettes supplémentaires escomptées par ces deux mesures devraient atteindre le seuil des 460 millions de francs par an.

Avant 2003, le taux de cotisation ordinaire était de 3 % et de 1 % pour les hauts salaires. La réduction de la cotisation ordinaire et la suppression de l’autre, effectuée en juillet 2003, reposaient, d’une part, sur une surestimation – ou auto-intoxication – de la relance économique après la récession de 2001 et, d’autre part, sur une logique de sous-financement qui renvoie à la politique institutionnelle des «caisses vides».

En outre, un relèvement des cotisations se heurterait de suite à une opposition du patronat – au nom de la «lutte contre la hausse des charges sociales» ou, autre formule, «la hausse du coût du travail qui péjore la compétitivité» – et donnerait des arguments biaisés à une partie de la droite politique et / ou des «représentantes des consommateurs». Ces dernières, favorables à – ou acceptant – la stagnation des salaires nominaux (quand ce n’est pas leur simple baisse nominale et donc bien réelle), ne manqueraient pas d’affirmer: une hausse des cotisations à charge des salarié·e·s impliquerait une accentuation de l’abaissement de leur salaire réel. Et le patronat criera que la «hausse des coûts salariaux» est insupportable, qu’elle va déboucher sur une perte de compétitivité qui conduira à une dégradation de l’emploi. Les médias relaieront avec entrain.

Cette argumentation, à elle seule, montre que l’on ne peut aborder sérieusement le thème des «cotisations» à l’assurance-chômage sans poser, au moins, la question de la répartition de la valeur ajoutée et divers mythes, bien entretenus, ayant trait aux conditions de la compétitivité du capitalisme suisse.

Adaptation de la participation de la Confédération et des cantons, afin de continuer à couvrir la moitié des frais du service public de l’emploi et des mesures dites de marché du travail. Recettes supplémentaires espérées: 26 millions de francs par an.

Pour rappel, les Office régionaux de placement (ORP) peuvent fonctionner en sous-traitant à des firmes privées de placement leurs tâches ! Ces dernières ne sont-elles pas spécialisées – du moins un certain nombre d’entre elles – dans l’approvisionnement de main-d’œuvre à des sous-traitants qui n’hésitent pas à «gérer au plus près les coûts de la main-d’œuvre», lorsqu’ils la livrent à d’autres sous-traitants, par exemple dans la construction (coffrage, ferraillage, second œuvre), dans la restauration, le nettoyage ou l’hôtellerie, etc.

Quelles réductions de prestations ?

L’ensemble des mesures de la 4e révision de la LACI vise un large éventail de prestations. Plus exactement de réduction de prestations. En ce sens, elle s’inscrit dans la politique au long cours – qui prit son envol dès le début des années 1980 – de régression dans ce qui est abusivement qualifié en Suisse d’assurances sociales.

Ces mesures ont pour cibles non seulement les personnes au chômage, mais aussi ceux et celles ayant un statut précarisé et qui craignent donc particulièrement de perdre leur emploi. A ceux-là s’ajoutent – sous la pression du chômage et de la nouvelle politique de «gestion de la main-d’œuvre» – celles et ceux qui doivent passer l’obstacle de l’obtention d’un premier emploi, que ce soit sous la forme de stages à répétition (souvent non payés ou très mal rétribués) ou qui doivent accepter un écart négatif entre leurs qualifications et l’emploi trouvé.

Enfin, pour «entrer sur le marché du travail», la contrainte à consentir une «offre salariale» d’embauche en dessous des seuils établis dans la période antérieure est grande. Il en résulte un tassement progressif du niveau des salaires d’embauche – certes avec des différences selon la dynamique des branches économiques – et une tendance à tirer vers le bas l’ensemble des salaires. Ce processus fonctionne déjà ne serait-ce qu’à partir d’un salaire d’entrée abaissé et des adaptations suivantes liées à la «carrière», ainsi qu’aux indexations au renchérissement qui ne se font plus automatiquement. On laisse ici de côté les effets des salaires au mérite, par définition individualisés. C’est à cette aune qu’il faut appréhender les diverses diminutions des prestations de chômage.

1° Une reconstitution des droits limée

Antérieurement, un emploi dans le cadre du système des emplois temporaires – emplois financés par les cantons et les communes (programme d’emplois temporaires pour les chômeurs et chômeuses en fin de droits et / ou pour assurer une dite qualification adaptée) – permettait de reconstituer des droits afin d’obtenir une nouvelle période d’indemnités. De tels emplois ne donneront désormais plus (en cas d’adoption de la 4e révision) droit à l'ouverture d’un nouveau droit aux indemnités chômage.

La brutalité de la contrainte sur les fins de droits – en tant que telle cette expression est révélatrice de l’esprit et de la lettre du système – sera d’autant plus forte. Ils se trouveront à la croisée des chemins: soit accepter un emploi à des conditions dégradées, soit passer sous les fourches Caudines de l’aide sociale. A ce propos, les prestations de l’aide sociale sont considérées comme une dette envers la puissance publique et – dans beaucoup de cantons ­ – donc remboursables, si la personne dispose à nouveau d’un revenu au-dessus de normes assez minimales.

• Pour ce qui est des salarié·e·s immigrés – hors UE et AELE – la dépendance de l’aide sociale (une fois les droits aux allocations échus) peut avoir des implications sur leur droit de résidence en Suisse. Actuellement, la loi (LEtr, art. 63) indique que l’étranger ou une personne dont il a la charge et qui dépendrait durablement et dans une large mesure de l’aide sociale peuvent voir leur autorisation d’établissement révoquée, à l’exception d’une présence en Suisse de plus de 15 ans.

Cette mesure est considérée par les autorités fédérales – il va sans dire aussi par l’UDC gouvernementale et les organisations voisines telles que l’ASIN (Action pour une Suisse indépendante et neutre) – comme trop clémente. Dès lors, l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi des étrangers criminels» au même titre que le contre-projet indirect élaboré par le Conseil fédéral vont aboutir à un durcissement de la règle soumettant le maintien du permis d’établissement aux conditions de réception de l’aide sociale. Autrement dit, quels que soient les résultats des votations populaires de novembre 2010, la limite de 15 ans sera supprimée.

En effet, le Conseil fédéral dans son Message sur l’initiative de l’UDC affirme: «Cette disposition [les 15 ans] a eu en effet pour conséquence que les étrangers dépendant de l’aide sociale ne fournissaient plus d’efforts personnels pour subvenir eux-mêmes à leurs besoins. Ils savent que leur présence en Suisse ne peut plus être mise en question.» (Feuille fédérale 2009, p. 4595)

La possibilité d’expulser des travailleurs immigré·e·s extracommunautaires devant recourir à l’aide sociale sera nettement accentuée. Le mécanisme de chantage et de menace mis ici en place est du même ordre – logique et fonctionnel – que les mesures mises en œuvre par la 4e révision de la LACI.

• Ces détours faits – souvent négligé par les critiques de la 4e révision de LACI –, revenons à la dimension «comptable» de la mesure proposée ayant trait au renouvellement des droits aux allocations par le biais des emplois temporaires. Il en résulte une «économie» – autrement dit une réduction des prestations et donc des droits conquis, droits fondés sur la reconnaissance de besoins sociaux, de la sécurité sociale exigés par les salarié·e·s – de 90 millions de francs par année.

Par contre, les aides aux employeurs que sont les allocations d'initiation au travail et les allocations de formation permettent toujours l’ouverture de nouveaux droits. Ce n’est pas un hasard, puisqu’il s’agit ici d’une aide indirecte aux employeurs… financée, en dernière instance, par les salarié·e·s eux-mêmes.

2° La réduction de la période d’indemnisation

Afin de répondre aux exigences socio-économiques de la 4e révision, une prescription est cardinale: la réduction de la période d’indemnisation. Douze mois de cotisations ne donnent droit qu’à un maximum de 260 indemnités journalières, soit 12 mois ; cela contre 400 dans le régime actuel, soit 18 mois. Dix-huit mois de cotisations donnent toujours droit à 400 indemnités journalières (18 mois).

Pour les salarié·e·s ayant plus de 55 ans et pour les personnes ayant un taux d’invalidité jugé à 40 % au moins, 24 mois de cotisations ininterrompues sont exigés pour avoir droit à 520 indemnités journalières, c’est-à-dire 24 mois.

Actuellement, une durée de cotisation de 18 mois suffit pour avoir droit au même nombre d’indemnités. Pour les personnes libérées du paiement de cotisations[3] – il ne s’agit donc pas ici des indépendants – le nombre d’indemnités journalières passe de 260 à 90, autrement dit de 12 à 4 mois.

Estimation de «l’économie» comptable – plus exactement de l’atteinte à des droits reconnus dont aucun nouvel élément objectif ne permet de justifier la non-reconnaissance subite de leurs fondements – par année: 189 millions.

• Le vocabulaire ici n’est pas neutre. En effet, dans le texte de présentation de la 4e révision de la LACI produit par le Seco (Secrétariat d’Etat à l’économie), en date du 19 mars 2010, il est affirmé, sous l’intertitre «Les prestations de base sont inchangées [sic !]»: «Dans le cadre de la 4e révision partielle de l’assurance-chômage (LACI), le Conseil fédéral et le Parlement ont renoncé sciemment à couper dans les prestations de base [resic !]. C’est pourquoi la révision permet les mesures d’économie suivantes…». L’exécutif – le Seco en l’occurrence, qui jouit de la pédagogie apportée par Serge Gaillard, ex-économiste de l’USS – utilise le terme «économie» qui renvoie à la formule «faire des économies».

Cette expression a été instituée comme l’une des valeurs essentielles et essentialisées du «peuple suisse». Les propagandistes officialistes se gardent de souligner que cette «valeur» renvoie à ce que les économistes traditionnels nomment «l’épargne de précaution». Dit autrement: une épargne contrainte stimulée par une sécurité sociale plus que défaillante et un système d’assurance privée très étendu, dont les primes sont fixées sans référence au différentiel de revenus (voir, par exemple, l’assurance-maladie).

Une fois de plus, le pouvoir met à profit ce vocabulaire avec ses connotations – ce sermon – pour taire le contenu et le sens d’une contre-réforme et la camoufler sous le vocable «d’économie». L’atteinte aux besoins sociaux de base et aux droits acquis est ainsi passée par perte et profit. «L’économie» – celle des dominants – y gagne sur tous les tableaux.

• Une précision supplémentaire est nécessaire en ce qui concerne les personnes frappées d’invalidité. Actuellement une personne recevant une rente d’invalidité d’une assurance «sociale» (AI, assurance accidents, assurance militaire) bénéficie d’une durée supérieure d’indemnisation pour chômage. Cela ne sera plus le cas pour des personnes ayant un degré d’invalidité inférieur à 40 %.

Actuellement, l’assurance accidents prévoit qu’un taux d’invalidité supérieur à 10 % donne droit à une rente proportionnelle au taux d’invalidité reconnu, contrairement à l’AI où un taux d’invalidité reconnu de 40 % est la condition pour l’obtention d’une demi-rente.

Donc, les personnes accidentées – dont le degré d’invalidité est compris entre 10 % et 40 % – qui ont actuellement droit au prolongement de la période d’indemnisation se verront enlever ce droit. Cette mesure inique est prise au nom de «l’égalité de traitement» entre les personnes invalides relevant de l’AI et celles relevant de la LAA.

• En outre, il faudrait être niais pour ne pas saisir que cette mesure, qui paraît marginale, constitue une étape vers l’élévation du seuil du degré d’invalidité permettant de toucher une rente de l’assurance-accidents.

Une évaluation quantitative des personnes concernée par cette mesure rétrograde peut être faite. Le document de référence pour cela: «La statistique quinquennale LAA, 2003-2007». Sur cette base – voir le tableau du chapitre 2 donnant les taux d’invalidité par tranche d’âge pour les nouvelles rentes sur la période indiquée – il est possible, avec une certaine robustesse, d’affirmer que 13'000 personnes sont potentiellement touchées par cette involution.

3° Gain intermédiaire et montant des droits

Dans la situation présente, un chômeur ou une chômeuse peut retirer un gain d’une activité salariée ou indépendante durant la période où il est soumis au contrôle de l’ORP. Ce gain est qualifié de gain intermédiaire. Aussi longtemps que le chômeur dispose d’un gain intermédiaire, il a droit à la compensation partielle de la perte de gain au taux déterminant pour le calcul de ses indemnités.

Ainsi, pour un gain brut assuré de 4000 francs par mois avant la période de chômage, le chômeur qui obtient un gain intermédiaire de 1800 francs subit une perte de gain de 2200 francs. Il sera indemnisé à hauteur de 70 % ou 80 %. Dans ce dernier cas, le chômeur touchera de l’assurance-chômage une allocation de 1760 francs brut (80 % de 2200), à laquelle s’ajoutera le gain intermédiaire.

• Les ORP encouragent l’obtention de gain intermédiaire, au nom d’une «meilleure intégration au marché du travail», d’un «avantage financier» (pour le chômeur, mais aussi pour l’assurance-chômage). Le gain intermédiaire permet, de plus, de prolonger la durée d’indemnisation grâce à une «consommation moins rapide des indemnités de chômage» (ORP, site de la Confédération) et d’acquérir une «nouvelle période de cotisation qui peut se répercuter sur un nouveau délai cadre».

La 4e révision de la LACI propose que seul le gain intermédiaire détermine le montant des droits futurs. En reprenant l’exemple cité ci-dessus: le gain assuré sera égal au gain intermédiaire, soit 1800 francs. Le gouvernement escompte une «économie» de 79 millions de francs annuellement.

Cette mesure assure un renforcement de la mécanique liant, dans un processus de baisses en cascade: indemnités de chômage compressées, salaire souvent abaissé puisque placé sous le couperet du «travail convenable» – qui ne peut donc être refusé – en cas de sortie du chômage ; allocations de chômage comprimées lors d’une nouvelle période de chômage, ainsi de suite…

4° Un délai d’attente qui passe de 10 jours à six mois

Actuellement, une personne qui a soit plus de 25 ans, soit a des enfants à charge, soit a achevé sa formation professionnelle (reconnue par l’obtention d’un diplôme de fin d’études) et qui n’a pas cotisé antérieurement à l’assurance-chômage, a droit à des indemnités, après le délai d’attente habituel: 5 jours-indemnités «normaux», auxquels s’ajoutent déjà 5 autres jours-indemnités, donc 10 jours au total.

La 4e révision propose un délai d’attente de 120 jours-indemnités – soit six mois – pour ces personnes

Un tel délai d’attente (120 jours-indemnités) existe déjà pour les assuré·e·s qui n’ont pas obtenu une reconnaissance officielle de «succès» (soit un diplôme, sous une forme ou une autre) de formation, de reconversion ou de perfectionnement professionnel. Cela pour celles et ceux qui ont moins de 25 ans et n’ont pas d’enfants à charge.

De plus, les maturités non professionnelles (baccalauréat, maturité, maturité fédérale) sont considérées comme des formations non achevées et donc soumises au délai d’attente.

Ladite «économie» de 75 millions par an apparaît importante. Pour une raison: beaucoup de personnes sont concernées par cette régression sociale ciblée. Elles ne toucheront aucune indemnité, dans la mesure où la contrainte de trouver un emploi médiocre à des conditions quelconques – surtout pour les personnes issues de milieux dits modestes – sera grande. Etre mis en standby de tout revenu durant six mois n’est pas à la portée de la première bourse !

• Cette somme «économisée» est d’autant plus importante, si on a l’esprit que les indemnités touchées jusqu’à maintenant étaient relativement basses. En effet, il s’agit d’un montant forfaitaire, lié au niveau de «qualification».

Passons en revue ces allocations. Au sommet de la pyramide on trouve un gain assuré fictif de 153 francs. Sur cette base est calculé le montant du jour-indemnité: 80 % de 153 francs, soit 122,40 francs. Cette allocation concerne celles et ceux ayant poursuivi une formation professionnelle supérieure.

Pour celles et eux ayant terminé leur apprentissage, l’allocation se monte à 101,40 francs. Pour les autres personnes ayant plus de 20 ans: 81,60. Et si elles ont moins de 20 ans: 32 francs. En outre, ces montants – toujours actuellement – peuvent être réduits de moitié. Sous quelles conditions ? Celles qui entraînent déjà un délai d’attente de 120 jours.

Ces différences dans le montant des jours-indemnités recoupent, du moins en grande partie, des inégalités sociales propres au système capitaliste et reproduites par son fonctionnement. Les jeunes recevant 32 francs ne sont certainement pas issus, dans leur grande majorité, de familles ayant des revenus dépassant le salaire médian brut, c’est-à-dire 5833 francs par mois en 2009.

• Dans l’argumentation officielle est utilisée la formule: cette révision a pour but de «renforcer le principe d’assurance». Dans les pays où existe un véritable système de sécurité sociale, la diffusion actuelle de la notion de politique assurantielle a pour fonction de discréditer la sécurité sociale (solidaire par définition) et d’individualiser le rapport entre «risque» et «couverture du risque». Pour illustrer cette conception de contrat d’assurance: chacun est responsable de la «gestion de son capital santé» et doit donc payer des primes d’assurance en relation avec la qualité de cette gestion, au risque de ne pas avoir accès à certains soins.

En Suisse a été introduite dans l’assurance-chômage, avec de plus en plus de force à l’occasion de chaque révision, la relation entre droit à des allocations et obligation à des contre-prestations. Ce qui implique, de fait, la responsabilisation individuelle du fait de «tomber au chômage». La formule, à elle seule, en dit long sur la notion d’assurance invoquée par les autorités fédérales.

• Actuellement, diverses facettes de cette révision – en particulier pour les jeunes – aboutissent à mettre le «jeune» sans emploi à disposition totale de l’ORP, qui porte bien son nom: office de placement.

La généralisation du délai d’attente pour celles et ceux qui n’ont pas cotisé et la suppression pour les jeunes de la notion de «travail convenable» représente, en réalité, la première phase d’un apprentissage et d’un formatage pour une mise à disposition totale de la force de travail ainsi que de sa personne et de sa personnalité aux objectifs dictés par l’employeur: cela concerne aussi bien le look, la disponibilité flexible, la livraison de données personnelles, ayant trait à la santé, par exemple que ce soit en relation avec la nouvelle loi sur l’AI ou dans des addenda à des contrats de travail ayant trait à l’assurance-maladie.

L’employeur doit répondre aux impératifs de la concurrence, sous l’angle de la valorisation de son capital face à d’autres capitaux. La description des deux faces de la médaille (du côté du salarié et du côté de l’employeur) devrait conduire, logiquement, à poser la question de la légitimité, au plan de la dignité humaine, du fonctionnement du système capitaliste en tant que tel. Une réflexion bienvenue, du moins pour celles et ceux qui s’engagent effectivement à mettre en échec cette 4e révision et plus généralement se posent la question de l’existence nécessaire et dite naturelle du chômage, selon la théorie dominante.

En conclusion, le «renforcement du principe d’assurance» invoqué par les autorités est, au mieux, une fausse fenêtre ou, plus exactement, une tromperie.

Le verbe assurer renvoie étymologiquement à «se mettre en sûreté». Or, le chômage est le propre de ce système et de toute son histoire. Dès lors, une assurance effective contre le chômage ne peut être qu’une assurance sociale – plus exactement un élément d’une véritable sécurité sociale – doublée de mesures liées à la répartition de la valeur ajoutée, à la diminution du temps de travail, à la formation continue combinée avec un revenu assuré.

5° Allongement à deux semaines du délai d’attente «normal»…

Dans la situation présente le délai d’attente (ou de carence), c’est-à-dire le nombre de jours ouvrables, après chômage contrôlé, soit la période de non-paiement au début du chômage, est de 5 jours ; à l’exception des personnes ayant touché 3000 francs et moins, plus 1000 francs pour le premier enfant et 500 francs supplémentaires par autre enfant.

Avec la 4e révision de la LACI ce délai devrait passer à 10 jours pour les personnes ayant perdu leur emploi (licenciées), si elles n’ont pas d’enfants à charge (obligation d’entretien envers des enfants de moins de 25 ans) et un gain assuré annuel de plus de 60'000 francs. Dix jours ouvrables, cela signifie la moitié d’un mois (2 semaines).

Pour les salarié·e·s qui disposent d’un salaire annuel assuré de plus de 90'000 francs, ce délai passe à 15 jours ouvrables, soit trois semaines.

Le nouveau délai s’étendra à 20 jours pour celles et ceux dont le salaire assuré dépasse 125'000 francs par année.

La logique propre à cette mesure: contraindre une couche de salarié·e·s à épargner en vue d’un licenciement qui est présenté comme normal et naturel dans le «parcours professionnel flexible, diversifié et imprévisible», selon le vocabulaire des consultants en «ressources humaines». Cette épargne forcée devrait permettre d’éviter de passer par la case «aide sociale», remboursable.

• Or, combien de salarié·e·s – qui seront présentés comme irresponsables demain – se trouvent, en fin de mois, avec un CCP ou un compte en banque dans le rouge. Ne sont-ils pas soumis à deux injonctions paradoxales: d’un côté, dépenser pour assurer la «bonne tenue du marché intérieur», ce qui est censé permettre de lutter contre le chômage (la publicité et le petit crédit s’adressent à cette facette du travailleur-consommateur) ; de l’autre, épargner pour faire face à l’imprévu, aux «aléas de la vie». Sagesse par excellence de «l’acteur économique rationnel» qui sait anticiper les divers aléas possibles et s’y adapter.

• A cela s’ajoute une hiérarchisation des salarié·e·s qui renvoie à une construction idéologique à double détente. Tout d’abord, opposer une «couche» du salariat à une autre, en visant à faire disparaître dans le discours et la représentation la réalité même du salariat, comme substrat fondamental des rapports sociaux conflictuels (capital et travail) structurant la société capitaliste. Ensuite, laisser entendre que l’assurance-chômage doit perdre sa dimension universelle, et en partie solidaire, en la présentant comme voisine, aujourd’hui, de l’assistance sociale.

Le principe même du droit aux allocations de chômage est ainsi ébréché. Avec ce que cela implique: la création d’un éventail de chômeurs et chômeuses allant du «bon chômeur» au «mauvais chômeur», ce qui aboutit à assimiler l’«assurance-chômage» à une sorte d’aide sociale conditionnée.

• Le 9 décembre 2009, le conseiller national (PLR de Berne) Johann Niklaus Schneider-Ammann déclarait au Conseil national lors du débat sur la 4e révision: «L’échelonnement du délai d’attente se fonde, d’une part, sur l’idée que les chômeurs concernés seront plus fortement stimulés à chercher et à accepter du travail. On vise aussi à ce que les trois catégories salariales soient traitées de façon égale. C’est une tentative pour instaurer une certaine égalité. D’autre part, cela tend à soulager la Caisse [de chomâge]. La différenciation du délai d’attente nous semble socialement acceptable, d’autant plus qu’elle concerne des personnes sans devoir d’entretien. Je vous le demande: où voulez-vous économiser si ce n’est ici ? Avoir un meilleur contrôle des coûts ne signifie rien d’autre que de réduire le chômage dans le futur.»

Dans une tradition bien établie depuis quelque vingt ans, Schneider-Ammann utilise le terme «égalité» pour tenter de justifier l’introduction d’une différenciation entre chômeurs. Au nom de cette même égalité, son parti s’est aussi prononcé pour l’augmentation de l’âge – 65 ans, avec en ligne de mire: 67 ans – donnant droit à l’AVS pour les femmes.

Par contre, Schneider-Ammann ne se camoufle pas pour indiquer que cet article de la 4e révision de la LACI exercera une pression encore plus forte sur les chômeuses et les chômeurs afin qu’ils acceptent un emploi à des conditions non négociables.

La formule relative au contrôle des coûts du chômage et à la réduction du chômage renvoie explicitement à la contrainte plus forte exercée sur les chômeurs pour «se réintégrer au marché du travail» et à la baisse des «coûts salariaux» qui serait le remède pour accroître l’emploi. Thème que nous avons traité dans le premier chapitre de ce Cahier La Brèche.

• Pour terminer, il faut souligner que cette disposition s’oppose à la Convention N° 168 concernant la promotion et la protection contre le chômage, adoptée par l’Organisation internationale du travail (OIT) le 21 juin 1988 et entrée en vigueur le 17 octobre 1991. La Confédération helvétique l’a ratifiée le 17 octobre 1990. Plus exactement, cette modification introduite par la 4e révision de la LACI contredit l’article 18 de ladite Convention. Cette dernière indique dans son paragraphe 1

«1. Si la législation d'un Membre prévoit que les indemnités ne commencent à être versées en cas de chômage complet qu'à l'expiration d'un délai d'attente, la durée de ce délai ne doit pas dépasser sept jours.» Il s’agit explicitement de jours et non pas de jours-indemnités.

Or, les modifications introduites par la 4e révision, en termes de calendrier, s’échelonnent de 14 jours à un mois. Dans la mesure où les autorités ont signé cette Convention, cette modification, formellement, ne pourrait entrer en vigueur que dès le 17 octobre 2012 (délai de dénonciation).

Pour mettre en perspective la signature de cette Convention par les autorités fédérales – en compagnie de l’Albanie, de la Roumanie, du Brésil, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède – il est utile de rappeler que le taux officiel de chômage en Suisse se situait à alors à un niveau très bas: 1988: 0,65 % (0,5 % Suisses et 1,4 % étrangers) ; 1989: 0,5 % (0,4 % et 1,1 %) ; 1990: 0,5 % (0,4 % et 1,2 %) ; 1991: 1,1 % (0,8 % ; 2,7 %) ; 1992: 2,5 % (2 %, 4,5 %) ; 1993: 4,5 % (3,5 %, 7,8) ; 1994: 4,7 % (3,7 %, 8,4 %). Le repérage du chômage «suisse» et «étranger» est aussi une des valeurs sûres de la statistique helvétique. Parions que si cette Convention avait été établie en 1994, la Confédération ne l’aurait jamais signée.

• «L’économie» estimée par la modification de l’art. 18, al. 1 est de 43 millions de francs. Il ressort de ce chiffre – pour autant que les critères d’estimation soient pertinents – que l’orientation incluse dans cet article est plus importante, dans le contexte actuel, que «l’économie» envisagée immédiatement.

6° Les moins de 25 ans, de non-adultes qui voient leur droit aux indemnités réduit de moitié

Dans la situation actuelle, les personnes de moins de 25 ans, sans enfants à charge, ayant une durée de cotisations de 18 mois au moins, ont droit à 400 indemnités journalières (18 mois). Autrement dit, elles sont traitées, à juste titre, comme tous les chômeurs et chômeuses.

Une fois de plus, la 4e révision cherche à créer une nouvelle catégorie disposant de droits réduits. Cela contribue à diviser les chômeurs, rendant plus difficile un potentiel mouvement revendicatif unifié et unificateur.

Au plan de la gestion politico-administrative de la domination du salariat on retrouve ici des méthodes de classification et de division qui sont utilisées couramment dans la politique de «gestion des migrants» ou encore dans celle appliquée aux assuré·e·s auprès des assurances maladie.

Cette nouvelle catégorie devrait être créée à partir de la modification suivante: le nombre maximum d’indemnités est réduit de moitié: soit 200 indemnités (9 mois). La réduction des prestations découlant de cette nouveauté permettrait, selon les calculs des autorités, une «économie» de 46 millions.

• Une facette de ce nouvel article est peu mise en relief. En effet, cette modification aboutit à considérer une personne de moins de 25 ans comme un non-adulte, donc pouvant être pris à charge, partiellement, par sa famille.

Cela traduit un processus plus général dans le contexte des politiques d’atteinte au salaire social: reporter sur la famille une partie des coûts sociaux, entre autres les divers effets du chômage et la prolongation des études dans l’espoir de trouver un meilleur emploi. L’inégalité de statut des familles va redoubler les contrecoups de la dimension de sanction sociale de cette mesure.

Les mêmes forces politiques favorables à ce «jeunisme» pour ce qui relève de l’assurance-chômage considèrent les jeunes adultes entre 18 et 25 ans comme soumis aux dispositions générales du Code pénal. Et elles veulent durcir ces conditions.

Certes, ces jeunes adultes peuvent faire l’objet de mesures présentées comme plus clémentes, tel le placement dans une maison d'éducation au travail avec possibilité de suivre une formation professionnelle ou de travailler en dehors de l'établissement. Toutefois, le placement dans un établissement pénitentiaire intervient lorsque le «jeune adulte enfreint la discipline de la maison d'éducation au travail».

Avec la réduction de moitié des indemnités, la «discipline à trouver un travail» – entendue comme l’art d’accepter des offres d’emploi avec un salaire abaissé et ne répondant pas nécessairement aux qualifications formelles et acquises – est accentuée.

Dans le sillage de cette modification de l’article 27, nouvel al. 5bis, la suppression de la notion de «travail convenable» pour les personnes âgées de moins de 30 ans éclaire crûment le sens du projet de la 4e révision de la LACI pour ce qui a trait à l’abaissement du seuil salarial «d’entrée sur le marché du travail».

7° «Le travail convenable» ne convient plus aux «jeunes de moins de 30 ans»

Le Conseil fédéral, le 25 novembre 1998, dans sa réponse à une motion déposée le 7 octobre de la même année par le conseiller national (PDC, Bâle-Campagne), Rudolf Imhof, clarifiait un point important concernant ce qu’il est convenu de nommer le travail convenable: «Le message du Conseil fédéral du 29 novembre 1993, à l’appui de la deuxième révision de la loi sur l’assurance-chômage (LACI), rappelait que «la notion de travail convenable constitue l’une des pierres angulaires de notre loi sur l’assurance-chômage. Jusqu’à présent, un travail n’était réputé convenable que s’il répondait à une série de critères. Désormais, la définition est inversée: tout travail est en principe réputé convenable ; les exceptions sont réglées de manière exhaustive», par l’art. 16, al.2 de la LACI.»

L’article 16, al.1 de la loi modifiée de 1996 affirme: «En règle générale, l’assuré doit accepter immédiatement tout travail en vue de diminuer le chômage

• Le «en vue de diminuer le chômage» fait référence à la notion propre à la théorie néo-classique du «chômage volontaire». Il en découle aussi que les recherches d’emploi doivent, dès le début, s’adapter à la notion de «travail convenable» qui, elle, peut se durcir selon les cantons et les ORP.

En outre, l’adverbe «immédiatement» – ajouté en 1996 – et l’inversion de la définition ont ouvert la porte à tous les changements possibles. Cette conception était explicite déjà dans le message de l’exécutif fédéral de 1993.

Ces changements sont effectués – comme aujourd’hui – selon «le renforcement du principe de l’assurance». Cette notion deviendra une norme, quelque dix ans plus tard, dans l’UE. On peut la résumer à nouveau ainsi: l’assuré «est obligé de limiter le risque et le cas échéant, les dommages». Les exigences du chômeur face à une proposition de «travail convenable» doivent donc être réduites dès le début de la période de chômage.

La 4e révision de la LACI prévoit la modification suivante de l’article 16, alinéa 2, lettre b. Dans «les exceptions exhaustives» auxquelles faisait allusion le Message cité du Conseil fédéral, la loi de 1996 affirmait: «N’est pas réputé convenable et par conséquent, est exclu de l’obligation d’être accepté tout travail qui […] b. ne tient pas raisonnablement [sic !] compte des aptitudes de l’assuré ou (sic !) de l’activité qu’il a précédemment exercée.»

La 4e révision à l’article 16, à l’alinéa 3 bis, introduit l’ajout suivant: «L’al. 2, lettre b, ne s’applique pas aux personnes de moins de 30 ans.»

Autrement dit, toute personne ayant moins de 30 ans est dans l’obligation d’accepter tout travail proposé par l’ORP indépendamment de sa qualification certifiée et / ou du type d’activité professionnelle antérieure.

Urs Schwaller (conseiller aux Etats, PDC, Fribourg, rapporteur de la commission) ne laissait planer aucun doute sur le sens de cet ajout: «Les capacités personnelles et l’activité antérieure ne jouent plus aucun rôle. Indépendamment de sa formation, jusqu’à trente ans, sous réserve des autres prescriptions de l’article 16, qui restent bien entendu en vigueur, pratiquement tout travail est convenable.»

• Au-delà du constat de ce candidat malheureux au Conseil fédéral, cet ajout à l’article 16 commande les remarques suivantes, avant de soumettre à une certaine réflexion critique la notion même de «travail convenable».

Tout d’abord, la notion de «travail convenable» telle qu’énoncée dans la LACI est des plus étriquée. Les formulations mêmes laissent le champ libre à une interprétation fort arbitraire de la part des ORP. Ces derniers peuvent, de plus, s’appuyer sur le principe d’obligation. Tout est fait pour reporter sur chaque chômeur et sur chaque chômeuse la responsabilité entière de sa situation et sa «non-réintégration dans le marché du travail».

Ensuite, pour les moins de 30 ans, la définition par les autorités du «travail convenable» ne fait plus sens. En positif, un «travail non convenable» doit convenir à cette couche de jeunes chômeurs et chômeuses !

Il serait erroné de croire que cette «exception» est marginale, d’une part au plan quantitatif et, d’autre part, en termes de précédent. Selon le Seco, en mars 2010, le nombre de chômeurs inscrits s’élevait à 160'032. Celles et ceux compris dans les tranches d’âge de 15 à 29 ans (soit moins de 30 ans) sont, ce même mois de mars 2010, au nombre de 50'227 (de 25 à 29 ans, ils sont au nombre de 23'475). Rapportés à l’ensemble des chômeurs et chômeuses, les moins de 30 ans constituent 31,4 % du total des chômeurs et chômeuses.

Il est dès lors aisé de comprendre l’effet de bras de levier à la baisse sur les salaires d’entrée ou initiaux qu’exerce cette «activation brutale» des personnes au chômage âgées de moins de 30 ans.

A coup sûr, dans la tradition des «réformes» répétitives actuelles, cette mesure sera appliquée, dans un futur proche, à une nouvelle «tranche d’âge» de chômeurs. Sans doute celles et ceux de plus de 55 ans. Et, après-demain, par «souci d’égalité de traitement», elle sera généralisée.

Enfin, il est utile de saisir le mécanisme pervers qui allie obligation d’accepter un emploi, même «non convenable», et le rapport tendu entre chômeurs et offres d’emploi. L’ORP qui peut imposer un travail «non convenable» ne le trouve pas facilement, dans certaines conjonctures. Dès lors, à l’occasion du sixième entretien à l’ORP, pour faire un exemple, lorsque cet emploi «non convenable» est proposé, l’idée selon laquelle un effort a été accompli par la personne responsable de l’ORP en charge du dossier ne peut être refusée et réfutée aisément. Ainsi, cette mécanique tend à «adoucir» la notion d’obligation, et, y compris, peut susciter, plus d’une fois, un sentiment de quasi-reconnaissance de la part du «jeune chômeur».

• La notion de «travail convenable» doit être replacée dans le cadre de la politique «d’activation des demandeurs d’emploi», une terminologie développée par l’OCDE et intégrée au Traité de Lisbonne de l’UE. Toutefois, elle est présente dans la législation helvétique concernant l’assurance-chômage depuis fort longtemps, comme cela est précisé ci-dessus.

«L’activation des demandeurs d’emploi» repose sur la mise en place d’un système permanent d’obligations s’appliquant, de plus, de manière ciblée, afin de mieux solidifier les différentes catégories de chômeurs et chômeuses.

La nature de ces obligations transforme le droit à des allocations de chômage en pseudo-droit. Cela aboutit à renforcer la position de ceux qui décident de l’octroi des allocations face à un demandeur d’emploi affaibli. Et les décisions du personnel des ORP s’appuient sur un appareil juridique contraignant qui en fait des «rouages» (souvent involontaires) de la machine. Cette machine, dans sa conception, est identique à celle mise en place dans les dernières révisions de l’AI ou de la LAA (voir à ce propos les Cahiers La Brèche N° 2 et 3).

Dans la publication Travail-Emploi (Bruxelles, 2004) – du Service de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale – la contribution ayant pour titre «Une autre approche des indicateurs de pauvreté. Recherche-Action-Formation» donne la définition suivante du «travail convenable»: «Un emploi convenable est un emploi qui permet de vivre dignement et de se projeter dans l’avenir.»

Pour les syndicats (USS et SYNA) – qui ont d’ailleurs négocié sous la houlette de l’économiste de l’époque de l’USS, Serge Gaillard, la notion propre à la LACI du travail convenable – une approche telle que définie ci-dessus devrait constituer le seuil de base d’une bataille contre l’actuelle 4e révision et, plus généralement, contre l’esprit et la lettre de l’actuelle LACI.

En effet, une telle définition permet, au moins, de lutter contre la transformation du «travail convenable» en un «travail non convenable». Avant tout pour les personnes les plus précarisées – chômeurs et chômeuses de «longue durée» – et usées par le travail, comme par la pauvreté.

Ces personnes face à des droits sociaux fortement conditionnés sont contraintes d’accepter des emplois (souvent précaires) qui sont fort éloignés d’un projet professionnel à construire et / ou qui sont difficilement conciliables avec leur vie familiale. Un «emploi convenable» – selon la définition de base mentionnée ci-dessus et pour laquelle les syndicats devraient se prononcer activement – se doit aussi d’impliquer un accompagnement sur la durée du chômeur et de la chômeuse.

Enfin, un emploi de qualité a aussi des conséquences sur l’accès à un logement. La stabilité de l’emploi et du revenu ne conditionne-t-elle pas l’acceptation, par une gérance, d’attribuer un logement ? Et le logement n’est-il pas, souvent, un facteur important des conditions d’éducation des enfants ?

On constate la dimension plurifactorielle de la modification et de la construction d’un projet professionnel, de la recherche d’un emploi, de l’insertion dans le marché du travail, de l’obtention d’un logement, de la vie familiale, de l’éducation des enfants, de la vie familiale.

La notion de «travail convenable» va donc bien au-delà de la seule dimension de contrôle de la recherche d’un emploi et de l’obligation d’en accepter un.

En fait, cette pierre angulaire de la LACI reflète un choix de société. Plus concrètement: la LACI est construite pour assurer les meilleures conditions au Capital afin de renforcer «l’abaissement des coûts du travail», c’est-à-dire accroître la plus-value absolue et relative.

Le «travail convenable» et, logiquement, l’instauration d’un travail non convenable renvoient à un transfert de la situation des demandeurs d’emploi à leur seule responsabilité, individualisée. Plus de responsabilité collective – qui est à la base d’un système effectif de sécurité sociale – et surtout plus de lien entre le rapport salarial en système capitaliste et le chômage.

Voici ce que cautionnent les appareils syndicaux en acceptant les fondements actuels de la LACI et en ne s’opposant qu’à divers points de la 4e révision, au nom du réalisme.

8° Réduire un accompagnement… déjà faible

Dans la loi actuelle, l’article 59 d porte comme titre: «Prestations destinées aux personnes qui ne remplissent pas les conditions relatives à la période de cotisation, ni n’en sont libérées ou dont l’aptitude au placement peut être rétablie». L’innovation «réformiste» du Conseil fédéral et du Parlement a abouti à supprimer le bout de phrase suivant: «ou dont l’aptitude au placement peut être rétablie».

Cette suppression d’une partie du titre renvoie, dans les faits, à une suppression d’appui individuel ou collectif (coaching, etc.) pour ceux et celles dont l’aptitude au placement peut être rétablie. Même si ces mesures étaient le plus souvent de la poudre aux yeux, le gommage de cette phrase révèle l’esprit de cette contre-réforme.

• En outre, dans la loi présente, il est prévu que les mesures indiquées dans le titre soient financées à hauteur de 80 % par l’assurance-chômage et 20 % par les cantons. La 4e révision introduit une modification de la clé de répartition du financement: chacune des parties doit s’engager à hauteur de 50 %. Le but proclamé: responsabiliser plus les cantons.

En réalité, cette nouvelle répartition s’inscrit dans une politique plus générale «d’assainissement des finances» faisant supporter plus de tâches aux cantons dont les revenus sont limités par la politique fiscale ; entre autres celle liée au fédéralisme fiscal qui implique une concurrence à la baisse de l’imposition entre cantons. Il en découlera que des cantons vont restreindre certaines mesures d’appui pour des raisons dites d’économie, car «leurs finances ne le leur permettent pas».

Pour l’instant ces mesures sont appliquées même lorsque la personne n’a plus droit aux indemnités chômage. Désormais, elles prendront fin au plus tard lorsque ces dernières seront levées. Les chômeurs en fin droits devront, dès lors, avoir recours à des organismes d’aide (en fait l’assistance sociale).

• Quant à la «collaboration inter-institutionnelle», mentionnée dans la loi et concernant ces personnes très fragilisées, il est peu probable qu’une mesure nécessitant une prise en charge successive par deux organismes différents soit aisée à mettre en œuvre. Par conséquent, les «responsables» y renonceront le plus souvent. Et, il est plus qu’improbable que ces personnes – sans un fort soutien d’une organisation sociale – puissent obtenir de l’assurance-chômage une aide quelconque. Le terrain du non-droit est ici encore élargi.

• La somme dite d’économie se monte à 6 millions de francs par année. On ne doit pas inférer de la «petitesse» de ce montant l’idée que ce changement est secondaire. En fait, il renforce la relation de subalternité, de soumission des chômeurs face aux institutions publiques et privées.

9° Les MMT… et «l’employabilité»

Selon la loi non révisée, les personnes au chômage ou menacées de chômage peuvent avoir recours à des «mesures de marché du travail» (MMT). Ce recours relève du pouvoir des ORP. Ainsi, l’administration du canton du Jura – un canton fortement touché par le chômage – ne manque pas de préciser: «Il appartient à l’ORP de décider si le choix de telle ou telle mesure est opportun et judicieux. En tant que demandeur d’emploi, vous pouvez néanmoins en tout temps prendre l’initiative de soumettre une demande à votre ORP en vue de bénéficier de ces mesures.»

• Les intitulés des mesures – «Stage de formation», «Stage professionnel», «Cours de perfectionnement», «Test d’aptitude», «Soutien à l’activité indépendante», etc. – ne laissent pas voir, de suite, que toute leur logique repose sur l’idée que le chômage est, avant tout, dérivé de l’incompatibilité du «demandeur d’emploi» avec le type «d’offres» du marché du travail. Le chômeur est donc chômeur, tout d’abord, par manque de qualifications adéquates. Une formule résume cette approche: «Les cours de perfectionnement visent à améliorer l’aptitude au placement des assurés sur le marché du travail.» Les MMT devraient, selon leur intitulé, intervenir pour «influer» sur le marché du travail: soit l’élargir quantitativement en créant des emplois (politique industrielle, développement des services publics en lien avec les besoins sociaux), soit en réduisant le temps de travail pour répondre à la hausse de la productivité, etc. Or, les MMT ne visent que «l’employabilité» du demandeur d’emploi et sont aux mains des ORP qui les proposent en lien avec la «pierre angulaire de la LACI»: «le travail convenable».

• La 4e révision (art. 59 cbis) prévoit de réduire le montant annuel maximal de l’assurance-chômage mis à disposition des cantons pour le financement de MMT. La conclusion coule de source: la pression sur les cantons pour réduire le nombre et la qualité des mesures proposées – quelle que soit leur efficacité pratique pour un noyau important de chômeurs et chômeuses ­ – sera encore plus grande. La dite économie est estimée à 60 millions de francs annuellement.

• Pour précision, le plafond est fixé par ordonnance du Département fédéral de l’économie, ce qui attribue un pouvoir normatif à l’exécutif. Ce pouvoir va se renforçant au cours des dernières décennies, dans tous les domaines, ce qui attribue à l’exécutif la possibilité de modifier, par glissements successifs, l’esprit même de la délégation de compétence. Celles et ceux, «à gauche», s’illusionnant sur le «pouvoir du parlement» n’ont qu’une seule excuse: leurs propres illusions narcissiques participent d’une illusion générale bien orchestrée par la coalition: exécutif-patronat-médias.

10. Plus de «privilèges» pour les cantons peu laborieux

Selon la loi en vigueur, le Conseil fédéral peut augmenter – au plus durant six mois – de 120 le nombre d’indemnités journalières (six mois) pour les chômeurs et chômeuses qui ont droit à la durée d’indemnité maximale. Cela vaut pour les cantons soumis à un fort taux de chômage.

L’article en vigueur depuis le 1er juillet 2003 définit ainsi la notion de «fort taux de chômage»: ce taux doit dépasser largement le taux de chômage national et atteindre 5 % au moins au cours des huit mois avant que s’ouvre la possibilité pour les autorités cantonales de demander la prolongation de 120 jours des indemnités.

Pour rappel, les cantons plus fortement atteints par le chômage et dépassant le seuil de 5 % en 2009 étaient les suivants: Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura. Le Tessin était gratifié d’un 4,9 %, le Valais de 4,1 % et Bâle-Ville de 3,8 %. En juillet 2010, si les chiffres diffèrent, les mêmes cantons sont candidats à cette liste.

• La suppression de cette possibilité d’allongement de la période permettant de toucher des indemnités réduit la faculté pour une fraction de chômeurs, dans certains secteurs, de pouvoir réintégrer le marché du travail, en cas de «reprise conjoncturelle».

En outre, cette restriction va accroître les files d’attente de l’assistance sociale de cantons déjà pénalisés, et donc des personnes concernées. Ce qui est confirmé par une étude commandée par le Conseil fédéral, qui estime le transfert des charges vers l’aide sociale à 98,5 millions de francs par an, soit 16% desdites économies prévues par la 4e révision. La Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales a commandé, en 2009, à la société d’étude Infras sise à Berne et Zurich une étude pour évaluer les surcoûts à charge des cantons et des communes en cas d’adoption de la 4e révision. Les chiffres étaient nettement plus élevés: la fourchette les situait entre 137 et 236 millions de francs, soit entre 22% et 37,9% des prétendues économies. L’étude surprise, sortie de derrière les fagots par le Seco, a clairement pour but politique de sous-estimer le transfert de charges vers l’assistance sociale. Et Serge Gaillard, une fois de plus, a pris la défense de la 4e révision en validant le chiffre de 98,5 millions et en déclarant, sans sourciller: «Ces 100 millions de francs constituent l’estimation plafond.» (ATS, 7 août 2010)

• L’estimation «d’économie» est de 30 millions. La robustesse de cette estimation statistique semble encore plus discutable que pour les autres prévisions.

11° Chômeurs «étrangers», encore plus contrôlés

La 4e révision va formaliser le contrôle conjoint des chômeurs et des étrangers. En effet, déjà dans la pratique, la fourniture de renseignements concernant le statut des chômeurs et chômeuses étrangers existait.

Toutefois, la protection des données demandait que ce transfert d’informations soit inscrit formellement dans la loi spécifique, donc dans la LACI. C’est ce qui est fait dans le projet de révision. On légalise une pratique.

Paradoxe: cette décision prise au nom des «principes régissant la protection des données» vide de sa substance une véritable protection des données, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres domaines.

La planification de la dette et du déficit

Le déficit actuel de l'assurance-chômage a été sciemment organisé en baissant les cotisations de 3 % à 2 %, dès 2003, suite à la 3e révision, sans prendre de mesures compensatoires. Cette révision faisait référence, pour maintenir un «équilibre des comptes de l'assurance-chômage», sur un taux de chômage de 2,5 %, soit 100'000 chômeurs et chômeuses indemnisé·e·s. Pourtant, lors des dix années qui avaient précédé 2003, le nombre de demandeurs d’emploi, selon la statistique du marché de l’emploi de la Banque nationale suisse (BNS), a varié entre 169'600, 206'700 (1996), 124'600 (2000), 109'400 (2001), 149'600 (2002) et 206'500 (2003). Quant aux chômeurs inscrits, selon la même source, ils ont oscillés entre 163'100 (1993), 188'300 (1997) pour atteindre un seuil bas, officiel, de 98'600 en 1999 et 71'900 en 2000 avant de remonter à 100'500 en 2002 et 145'600 en 2003. Toute analyse sérieuse de la dynamique et du trend du chômage, dès le début des années 1990, devait aboutir à caler le chiffre du chômage à un niveau moyen supérieur à celui balbutié par le Conseil fédéral, sur les ordres du SECO et du patronat. Une fois cette prévision statistique proclamée, la baisse du taux de cotisation impliquait de construire, de manière délibérée, une «dette de l’assurance chômage». Cela afin de pouvoir attaquer les droits des salarié·e·s, au nom du déficit et de la dette. La farce antisociale habituelle. Cela ressort clairement du graphique ci-dessous sur l’explosion de la dette. L’ascension de la dette intervient exactement suite à la baisse des cotisations: le passage de 3 % à 2 %.

* Ce texte fait partie d’une brochure sur: Capitalisme, chômage, contre-réformes et besoin d’un nouveau syndicalisme.

1. Voir: Conseil fédéral, Message relatif à la modification de la loi sur l’assurance-chômage, Berne, 3 septembre 2008 ; Département fédéral de l'économie, «Pourquoi révise-t-on la loi sur l’assurance-chômage?», Berne, mai 2010 ; Seco, Factsheet: «Les principales modifications. 4e révision partielle de la loi sur l'assurance-chômage», Berne, mars 2010 ; Doris Gorgé, Guide des droits et devoirs du chômeur. D'après la loi fédérale et la loi cantonale genevoise, Ed. Trialogue, Genève, disponible sur http://www.guidechomage.ch/page.asp?txt=presentation ; Loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité (Loi sur l’assurance-chômage, LACI), 25 juin 1982, état au 1er janvier 2010, sur http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/837.0.fr.pdf et Ordonnance, sur http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/837.02.fr.pdf, et Loi sur l’assurance-chômage (LACI), modification du 19 mars 2010 (délai référendaire 8 juillet 2010), sur http://www.admin.ch/ch/f/ff/2010/1913.pdf

2. Sécurité sociale, CHSS, 2/2010, OFAS, page 183.

3. Il s'agit des personnes libérées pour maladie, accident, maternité, formation scolaire, reconversion ou perfectionnement professionnel, retour en emploi après séparation, divorce ou invalidité du conjoint, suppression ou modification de la rente d’invalidité, détention.

(30 août 2010)