Patrice Pédregno
Je m’appelle Patrice Pédregno. Je suis un «Nestlé Saint-Menet» *, un de ceux qui ont refusé que leur horizon soit tracé par le pouvoir de l’argent. Mon grand père paternel est venu d’Espagne chercher en France la paix et de quoi nourrir sa famille. Mon père et tous ses frères étaient mineurs de fond. Leurs camarades, d’origines espagnole, italienne, polonaise, française... Ce mélange cosmopolite a formé des hommes durs au travail, mais tous solidaires, soudés. Des hommes qui aimaient leur terre, leur pays, notre France.
J’ai eu la chance de naître en Provence, sous un ciel pratiquement toujours bleu. Mon enfance n’a pas été facile, le sort n’a pas épargné ma famille. Mais, à l’époque, la solidarité était très forte. Lorsque l’argent manquait, les commerçants sortaient une ardoise, certains l’oubliaient quelquefois. Évidemment, je ne parle pas de supermarchés, mais de commerces que l’on dit aujourd’hui de proximité. Ceux que la grande distribution broie jour après jour. Je n’ai pas oublié tout cela. Comment peut-on oublier ses racines ? Ma personnalité vient de là. Mon père n’a jamais essayé d’influencer mon opinion politique. Nous n’étions pas toujours d’accord, mais - je regrette de ne le lui avoir jamais dit -, dans l’isoloir, j’étais un fils de mineur. Je votais rouge. C’est la couleur de ceux qui se battent, qui ne baissent pas la tête. Je ne cherche pas à influencer mon fils. Inutile. Le Pen le fait gerber, Chirac le dégoûte et Sarko lui fait peur. Je crois que son grand père, décédé un mois avant sa naissance, lui a laissé quelques gènes de mineur de fond. Tant mieux. J’imagine que son vote sera rouge. Il y mettra la nuance qu’il voudra. L’important c’est qu’il ait compris ce qui se passe dans ce pays que des politiciens gris veulent nous confisquer pour l’offrir à des capitalistes aux appétits obscènes. Ma femme est comme moi: elle sait que nous devons des remerciements à des gens de la gauche de la gauche. J’espère que, malgré le jeu truqué des signatures, nous pourrons partager nos suffrages. Quoi qu’il en soit, je n’oublierai jamais de rendre hommage à ceux qui nous ont aidés, mes camarades et moi-même, dans notre lutte contre le géant Nestlé. La LCR nous a apporté un soutien sans faille. Par les visites d’Olivier Besancenot, bien sûr, mais aussi et surtout par la présence constante à nos côtés de ses militants de notre région. La lutte a duré 643 jours. De l’annonce de fermeture, le 12 mai 2004, à la signature de fin de conflit, le 24 janvier 2006, des femmes et des hommes ont levé la tête et ne l’ont jamais baissée. Ce sont mes camarades, ceux qui m’ont permis de raconter notre histoire, à travers un petit livre sans grandes prétentions, certes, mais rempli d’émotions. Ce livre, je l’ai intitulé Café amer. Amer pour nous, qui n’avons jamais voulu de cette lutte imposée. Amer aussi pour Nestlé qui a eu, malgré sa puissance financière et ses appuis gouvernementaux, beaucoup de mal à nous digérer. Pour ceux qui liront ce livre, la clé du mot amer est dans le prologue. C’est comme une boutade, un pied de nez au géant. Mais c’est surtout le constat du lien qui unit ceux qui ne veulent pas se laisser dissoudre. Bon, j’en dis trop. L’idée d’écrire cette histoire n’est pas de moi, les copains de mon équipe m’ont demandé de le faire. J’ai d’abord refusé. Puis, l’un d’eux, René, m’a dit: «Écrit ce que tu nous racontes si bien, tes souvenirs d’enfance.» Je l’ai fait. Alors René m’a demandé de parler de nos 27 années d’usine. C’est l’histoire du doigt dans l’engrenage... J’ai écrit sans penser à un livre. Je pensais à une lettre. Celle que j’ai adressée à Jean Ziegler, celle qui m’a ouvert en grand la porte de sa maison. J’ai longuement parlé avec ce «Monsieur» que j’admirais à travers ses livres pour son courage et son militantisme actif. Aussi, lorsqu’il m’a demandé de travailler à laisser une trace de cette lutte sociale, je n’ai pas pu refuser. J’ai demandé à mes camarades délégués syndicaux l’autorisation de le faire. Ils me l’ont donnée et m’ont confié tous les documents dont j’ai eu besoin. Une pile de papier de 80 centimètres de haut. Je me suis attelé à la tâche, en sachant que je n’avais pas le droit de décevoir ces gens qui me faisaient confiance. J’ai écrit à la suite de mes souvenirs, le début de l’histoire du combat. En même temps, j’écrivais au fur et à mesure l’histoire de la fin de ce même combat. Sensations bizarres. J’écrivais, mais je n’imaginais pas que mes mots seraient édités. Je pensais relier moi-même les pages de mon récit et les offrir à mes camarades. Et ceux à qui je les faisais lire m’ont donné le courage de chercher une maison d’édition. Après deux mois d’attente, je me suis tourné vers Danièle Ricaille et Jean Delval, responsables des Éditions du Cerisier - et artistes de théâtre -, qui ont accepté de publier le livre. Je leur dois des remerciements comme j’en dois aux gens de la LCR et à beaucoup d’autres. Des anonymes qui auraient pu faire semblant de ne pas nous voir et qui, par leur soutien, nous ont redonné de l’espoir quant au réveil des consciences et au refus du fatalisme que je sens monter du peuple. Je ne sais pas si Café amer aura du succès mais, pour moi, de toute façon, le principal est acquis. Dans la chocolaterie que nous avons sauvée, Net Cacao, mes camarades me remercient de l’avoir écrit. Jean Ziegler m’a fait un beau cadeau, une préface élogieuse pour tous ceux qui se battent. Ceux qui l’ont lu me disent l’avoir aimé. Olivier Besancenot l’a lu... Alors... Alors, faites comme eux, plongez dans vos souvenirs, dans cette histoire dont vous connaissez la partie marseillaise. Allez plus loin, vers ce que la presse nationale vous a caché. Tout y est, daté, les actions, les courriers les plus importants, la stratégie, les victoires judiciaires, la joie, les doutes, les pressions, les soutiens politiques et aussi l’indifférence de certains élus - devinez lesquels ? J’ai tenu à parler de mon enfance afin que vous puissiez me connaître un peu. Cela n’est pas facile de se livrer ainsi, mais j’espère que les dirigeants de Nestlé, qui liront sans aucun doute ce petit livre, comprendront enfin que derrière chacune de leurs cibles, il y a un être humain. J’espère que d’autres le feront aussi. Je tiens à vous remercier, toutes et tous, et je fais le souhait que cette nouvelle année soit meilleure que la précédente. Pour vous, vos familles, vos amis. Pour nous. Café amer, 643 jours pour l’emploi, de Patrice Pédregno, Éditions du cerisier (20, rue du Cerisier, 70 033 Quesmes Belgique, tel 00 32 65 31 34 44), 10,80 euros. Disponible à la Librairie La Brèche, commande et payement par internet
*****
Olivier Besancenot
Café amer, c’est une vraie histoire et une histoire vraie. Une vraie histoire parce que Patrice Pédregno (lire page 16) nous embarque dans son histoire, et son histoire nous parle tout de suite. Cette histoire, il nous la livre joliment, tendrement et violemment, avec légèreté et gravité. Patrice est un travailleur de l’usine de café et de chocolat de Nestlé à Marseille. C’est donc une vraie histoire pour un vrai personnage, méridional jusqu’à la moelle: il en joue à merveille, écrit comme il parle, pour faire partager ses joies, ses peines, ses révoltes et ses espoirs. C’est un personnage haut en couleur, avec le bleu de la Provence populaire de son enfance, parfumé des paysages de Pagnol, avec le rouge des traditions politiques du bassin minier d’Aubagne, et avec le noir du café et du chocolat de l’usine.
C’est le récit fidèle, mais pas fastidieux, d’un combat social victorieux pour la sauvegarde de l’emploi et contre la fermeture du site. Un combat long de 643 jours, jalonné de coups de colères, de coups de blues, de coups d’éclat, de manifestations, d’occupations, qui aura conduit les salariés de Nestlé – «Preslé France», dans le livre – de l’usine jusqu’au siège en région parisienne, sans oublier le consulat suisse. C’est l’histoire vraie d’un travailleur qui dit sa vérité sur son entreprise, sur le mépris de la direction, sur l’orgueil et la fierté de ceux et celles sans qui le savoir-faire professionnel ne serait rien.
Patrice, que l’on m’avait tout de suite présenté par son petit nom – Pépé – lors de ma venue dans l’usine occupée, nous invite au début de l’ouvrage à accompagner le parcours de «ceux qui n’ont jamais baissé la tête». Le lecteur les suivra bien au-delà d’un récit qui tient en haleine: il sympathisera avec leur lutte. Ce café amer doit encore être resté coincé en travers de la gorge de la plus grande multinationale de l’agroalimentaire puisque, à l’heure actuelle, les machines résonnent de nouveau sur le site de Saint-Menet. N’hésitez donc pas à vous réchauffer avec le café que vous offre Pépé. Il n’est pas si amer que cela.
* voir sur ce site toute une série d'articles.
(15 février 2007) |