Bas les mains devant les ateliers des CFF à Bellinzone !
Matteo Poretti *
Lundi 5 décembre quelque 200 travailleurs des ateliers CFF de Bellinzone (Tessin) se sont réunis à 6h30 le matin pour discuter du futur de leurs emplois et de l’avenir des ateliers. Le samedi 10, une Comité unitaire, sous l’impulsion du MPS, a appelé à une manifestation de soutien. Cette manifestation a réuni plus de 400 personnes à Bellinzone. Un exemple à suivre face à la politique de démantèlement qui se développe dans les divers secteurs de l’ex-régie fédérale des CFF, comme à la Poste ou à swisscom. Réd.
Le Conseil d’Etat du Tessin, en la personne de la radicale Marina Masoni, a publié un bilan sur la présence des ex-régies fédérales dans ce canton. Le document permet de reconstruire le processus de destruction des postes de travail liés à ces ex-régies. La statistique porte sur la période s’étendant de 1991 à fin 2004. Les chiffres permettent de prendre conscience de la rapidité et de la brutalité d’une tendance qui, souvent, est simplement présentée – de manière biaisée – à l’échelle nationale.
Pour être précis, les CFF ont réduit – en termes de postes à plein-temps – les emplois au sud des Alpes de 40,21% au cours des années susmentionnées ; Swisscom de 45,07% ; la Poste de 7,63%. Ce dernier chiffre ne doit pas nous tromper: le «géant jaune» a simplement commencé plus tard sa vaste opération de restructuration. Le programme REMA va, au cours des années 2005 et 2006, exprimer toute sa force de compression du personnel et d’intensification-réorgansiation des tâches.
C'est une guerre qui est engagée contre les salarié·e·s de ces secteurs et contre les usagers qui, dorénavant, sont de simples clients (autrement dit qui seront traités, tendanciellement, selon le critère de leur pouvoir d’achat).
Le document auquel nous nous référons a été élaboré pour le débat qui s’est développé dans législatif cantonal (Grand conseil). Tous les «acteurs politiques», comme à l’habitude, ont joué leur rôle dans ce petit théâtre politique. Ce débat a été ouvert, suite à diverses interventions politiques – quelque 16, dont la première remonte à août 2001 – posant la question: face à cette politique des ex-régies fédérales quelles mesures concrètes sont envisagées pour maintenir le volume de l’emploi ? En fait tous les partis de gouvernement se disent «scandalisés» face à la restructuration brutale de la société CFF Cargos SA, restructuration qui touche particulièrement le Tessin (voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 28 novembre 2005). Tous réclament des mesures «sérieuses», ayant un impact !
Dans ce petit jeu, ils oublient tous – les partis bourgeois au premier rang – quelles sont les positions adoptées à l’échelle fédérale – au Conseil national et au Conseil des Etats – en faveur de la libéralisation-privatisation des ex-régies fédérales.
En outre, ces partis ont développé la même politique à l’échelle cantonale et communale. Par exemple, en diminuant les postes dans l’administration publique cantonale, en réduisant les salaires dans de nombreux secteurs (il suffit de penser à la situation des nettoyeurs et nettoyeuses), un privatisant des tâches qui revenaient auparavant à l’Etat. Tout cela a été effectué sous le titre: la «nécessaire redéfinition des tâches» que l’Etat doit assumer.
Donc, d’un côté, «on» exige le maintien des emplois liés aux entités fédérales, de l’autre, «on» réduit les emplois cantonaux. Est-ce une attitude relevant de la schizophrénie ? Absolument pas. Pour les forces bourgeoises, la défense des emplois n’a aucun intérêt. Il s’agit simplement d’instrumentaliser ces questions dans une perspective électorale, de canaliser de la sorte le mécontentement social qui s’affirme de plus en plus clairement.
Pour ce qui est de la social-démocratie, il en va seulement un petit peu différemment. Les représentants du PS (Parti socialiste) se veulent les hérauts des services publics, tout en faisant abstraction de la totale adhésion donnée par leur parti, dès 1997, à la division de l’ex-PTT (en Poste et en swisscom), à la «modernisation» des CFF, dont la situation actuelle dans divers segments (CFF Cargo SA, par exemple) est le résultat direct de ces choix inacceptables. Et on ne peut pas oublier un fait: la libéralisation des ex-régies fédérales est conduite par d’éminents représentants du Parti socialiste.
La nouvelle politique de réorganisation de CFF Cargo SA est défendue, complètement, par le Conseiller fédéral social-démocrate M. Leuenberger (de Zurich) et par l’ensemble (nous soulignons l’ensemble) du Conseil fédéral. Le sommet de cette comédie réside dans la multiplication d’interpellations, de postulats, etc. adressés à un gouvernement cantonal – celui du Tessin – dont l’orientation ne se différencie en rien de celle mise en œuvre par la direction de CFF Cargo SA !
La radicale Marina Masoni, responsable du dossier au plan de l’exécutif cantonal, irait jusqu’à privatiser son ombre. Cela donne la mesure du sérieux et de l’utilité de la bataille qui se déroule dans les travées Grand conseil. Avec cohérence – et Marina Masoni est cohérente – l’exécutif continue à défendre à tous les niveaux le démantèlement des services publics. Dans le rapport cité ci-dessus, il est affirmé: «L’engagement du canton doit être ferme et décidé en faveur du service public, mais si une ex-régie fédérale démontre que le service public peut être garanti de manière plus efficace et plus efficiente, dès lors avec des coûts réduits, grâce, entre autres, aux nouvelles technologies, et avec un nombre plus limité d’employés et de services répartis sur le territoire, il devient très difficile de bloquer les restructurations en faisant appel aux services publics et à l’exigence de la solidarité interrégionale»
Les ateliers CFF de Bellinzone: nouvelles données sur la situation
Au cours de ces dernières semaines sont apparus de nouveaux chiffres qui offrent une appréciation plus exacte de la situation présente des ateliers CFF de Bellinzone et qui, avant tout, confirment les craintes des travailleurs et les scénarios que nous avons déjà mis en relief (voir sur ce site l’article en date du 28 novembre 2005). Aujourd’hui nous connaissons le poids «productif» des ateliers CFF. Ils s’occupent de l’entretien de 521 locomotives et de 12000 wagons qui appartiennent à CFF Cargo SA. Ils assurent aussi l’entretien de 96 locomotives dédiées aux transports de passagers. A cela s’ajoute: 1800 véhicules servant à l’entretien des infrastructures ; 2100 camions marchandises et des véhicules Hupac qui appartiennent à une société privée.
Dès lors, le volume de production est important ; ce qui est confirmé par le chiffre d’affaires de 2004 qui s’élève à 4,5 millions de francs. C’est une situation très positive qui a poussé la direction de CFF Cargo SA à fixer comme objectif le chiffre de 5,5 millions pour 2005 !
Cela fait réfléchir. Tout d’abord, les coupes dans l’emploi – telles qu’annoncées – ne peuvent trouver aucune «justification» dans le volume de travail effectué et dans les résultats comptables, y compris en termes de profits. Ensuite, les 400 nouvelles locomotives achetées, que la direction de CFF Cargo SA présente comme plus simple à entretenir, ne peuvent «justifier» les suppressions d’emplois qui sont envisagées – bien que pas encore annoncées officiellement – pour le printemps 2006.
Mais la situation des ateliers de Bellinzone a peu d’intérêt pour la direction de CFF Cargo SA. Le seul objectif ; augmenter les profits en réduisant les coûts. Et cela est possible en suivant deux voies. La première: en externalisant une part importante de la production en direction du privé qui exploite les travailleurs en leur versant des salaires de misère ; des travailleurs dont l’emploi flexibilisé dépend des flux liés aux besoins productifs de CFF Cargo SA. La seconde: en délocalisant une bonne partie de l’activité des ateliers de Bellinzone en Italie, où il est possible d’avoir recours à une force de travail payée misérablement, avec un différentiel de salaire de 50% (par rapport à Bellinzone).
Les résultats économiques mentionnés auparavant traduisent aussi une hausse de la productivité du travail et son intensification qui s’est accrue les dernières années. On peut le mesurer en examinant l’évolution du nombre de personnes employées dans les ateliers. En 1999, on en relevait 458 (postes à plein-temps) ; en 2005 le nombre s’est réduit à 378, soit une contraction de 17,5%. Autrement dit, les profits ont été obtenus en accroissant l’exploitation des salariés.
Si l’on examine la structure de l’emploi, les «faits» sont encore plus parlants: 283 postes sont liés directement à la production ; 98 sont des postes «administratifs», c’est-à-dire, pour l’essentiel, des employés techniciens et des ingénieurs. Les effectifs sont complétés par des travailleurs intérimaires au nombre de trente. Ils sont «loués» à Adecco ou Manpower. Cette catégorie ne cesse de croître. Au-delà du niveau des salaires, cette main-d’œuvre est surtout plus facile à «expulser».
Essayons de tracer quelques lignes de force pour le futur. Le plan central de CFF Cargo SA sera présenté au grand jour au printemps 2006. Soit, ce sera le début de la fermeture des ateliers, soit interviendra une réorganisation en profondeur de la production.
Les travailleurs ne manquent pas de faire savoir que le volume de travail est important et qu’en réalité il faudrait engager de nouveaux salariés. Dans des ateliers placés sous une telle tension, une réduction des postes rendrait leur fonctionnement intenable. Or, la restructuration à l’échelle nationale va porter sur 300 postes à temps plein. Une partie de ces coupes va concerner les ateliers de Bellinzone. Bien que pas comptabilisée dans la compression de 650 emplois de CFF Cargo, le secteur matériel roulant de CFF Cargo SA va perdre 28 postes à l’échelle fédérale, avec une part de 30% pour le Tessin.
Les ateliers de Bellinzone regroupent environ 40% du total du personnel voué au service du matériel roulant. Si la réduction du personnel dans ce secteur s’élève à 30% ou 40%, le nombre d’emploi touchés à Bellinzone atteindra les 60 ou 80. Si le nombre total de suppression d’emplois dans ce segment s’élève à 300 (sur un total de 935 à l’échelle nationale), alors le chiffre atteindra les 90 à 120. Etant donné la situation de sous-dotation en personnel, est-il possible que les ateliers de Bellinzone puissent produire comme actuellement ? Non.
Voilà la raison pour laquelle la bataille qui s’annonce n’a pas comme objectif le simple «refus» d’une nouvelle restructuration, mais elle doit prendre en charge la survie des ateliers de Bellinzone.
* Article publié dans le bimensuel du MPS-Tessin, Solidarietà
|