Notes de campagne
 
 

Matériel pour réfléchir, n° 2

Nous publions ci-dessous deux articles avec cos commentaires.

1. Le Courrier du 10 février 2005.  Cet article montre combien les contrôles sont non pas difficiles, mais de fait inefficaces.  Unia doit le reconnaître et, mieux, doit reconnaître que les Conventions collectives (CCT) sont des instruments peu fiables (c'est un euphémisme).  Or, c'est un pilier des mesures d'accompagnement (voir p. 34 et suivantes de la brochure).  Le comble c'est que Raphäel Fehlmann (Unia) dit que l'office de contrôle est "gravement inefficient".  A remarquer que la gauche neuchâteloise, dans un unanimisme impressionnant, sous la menace du pistolet à eau de l'UDC, s'est alignée sur les généraux de l'Unité nationale.  Pourtant il semble que cette gauche possède des historiens branchés sur la lutte de classe, sans parler des vielles traditions anarchistes.  Depuis longtemps, le "bas" - Neuchâtel-ville - a pris l'ascendant politique sur le "haut" (Chaux-de-Fonds, le Locle).  L'unité de la gauche, dogme cantonal, se mélange avec l'unité neuchâteloise, ce qui sert de toboggan vers l'unité nationale.

«Cela se passe derriEre le comptoir et en arriEre-chambre»

Isabelle Stucki

NEUCHÂTEL - Fragile, le secteur de l'hôtellerie et de la restauration pousse les patrons à d'énormes abus. Unia dénonce l'incompétence de la commission paritaire.

Une catastrophe! Tel est le constat que dresse le syndicat Unia pour le secteur de l'hôtellerie et de la restauration dans le canton de Neuchâtel, un secteur «pourri, pourri, pourri», glisse Lucas Dubuis, secrétaire syndical d'Unia à La Chaux-de-Fonds. En 2004, la lutte d'Unia a permis que 165000 francs d'arriérés soient récupérés en faveur de quarante-cinq employés. Hôtels, restaurants, bars, bistrots, cafés... L'année dernière, quarante de ces établissements, sur six cents dans le canton, se sont comportés «comme des moutons noirs», dénonce Laura Porpora Emma, secrétaire syndicale d'Unia à Neuchâtel. Si le salaire minimum n'est pas toujours respecté, les délais de paiement du salaire le sont rarement. Les horaires de travail, les congés, les jours de repos et le cahier des charges sont, quant à eux, perpétuellement bafoués. Même si la convention collective de travail a été signée. A noter que, malgré leurs abus, les patrons ne sont pas amendés.

«Deux tiers des personnes qui passent chez nous viennent du secteur hôtellerie et restauration. Comme les situations relèvent souvent de l'urgence, nous nous en occupons et passons notre temps entre la conciliation et le tribunal», indique Raphaël Fehlmann. Le secrétaire d'Unia pour la région de Neuchâtel ajoute: «Ce n'est pas notre boulot. Mais celui de la commission paritaire de surveillance, qui ne remplit pas son mandat.»

Commission incompétente

Raphaël Fehlmann note que l'organe exécutant de la commission de surveillance, c'est-à-dire l'office de contrôle, ne dispose que de deux inspecteurs pour toute la Suisse romande. «Cet office est gravement inefficient. Il est d'une inacceptable lenteur et ne nous donne aucun retour sur les informations que nous lui fournissons.» Selon le syndicaliste, la présence d'un inspecteur à Neuchâtel suffirait tout juste à ce que les droits des travailleurs et des travailleuses soient honorés.

Laura Porpora Emma constate que les patrons sérieux n'arrivent pas à faire respecter la branche par leurs collègues. «Cela marche mieux chez les patrons entrepreneurs: l'Etat ne leur donne pas de travail s'ils ne sont pas honnêtes avec leurs employés.» «Et quand nous les épinglons, les patrons ne sont pas pressés de réagir. Si bien que l'employé qui a besoin de son salaire atterrit souvent aux services sociaux.»

Pour Raphaël Fehlmann, ce secteur demeure une branche fragile. Il y a beaucoup de concurrence entre les établissements et «quand le patron abuse, il sait qu'en cas de licenciement il retrouve un employé le lendemain». Raison pour laquelle Unia ne sait que très peu de chose du taux de travail au noir dans le canton, pas plus que des conditions de travail des sans-papiers engagés et exploités: «La peur rend silencieux.»

Un livre rompra l’illusion

Outre la pression qui sera mise sur la commission paritaire, la section neuchâteloise d'Unia éditera prochainement un livre qui rompra avec «l'illusion de la poésie du bistrot». Chargé de cette publication, Lucas Dubuis explique: «Cela se passe de l'autre côté du comptoir et en arrière-chambre d'hôtels. Insultes, pressions, chantages... Tout y passe!»

Lucas Dubuis a déjà conduit une série d'entretiens. Il y a observé le «mépris de l'étranger précaire». Par exemple, ce patron qui avait engagé un Angolais. Payé 1800 francs par mois, l'homme travaillait soixante heures par semaine, six jours sur sept. L'employeur ne payait pas les charges sociales, alors que l'employé lui avait demandé que sa situation soit régularisée.

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2. Le Temps du vendredi 11 février publie un article sur Peter Spühler, entrepreneur UDC.

Le Temps monte en sauce l'opposition de l'entrepreneur à l'UDC.  En réalité, comme dans toutes les formations néo-concervatrice cohabite avec des contradictions, au sein de la même formation politique néo-concervatrice, deux versions complémentaires d'une orientation politique.  L'une de type l'hyper-néolibérale au plan économique (hayekienne ou friedmannienne), l'autre hyper-concervatrice au plan des dites-valeurs (nationalisme, autoritarisme, anti-féminisme, anti-écologique, etc.).  On retrouve cela dans l'UMP française.  De Madelin au courant de la droite catholique.  On retrouve cela dans Forza Italia, entre Buttiglione, le propapiste dans la ligne Ratzinger, - qui s'est fait lourder de la commission européenne de José Manuel Barroso - à la ministre Moratti de l'éducation ultralibérale économiquement et idéologiquement ultraconcervatrice, en passant par Lucio Stanca du ministère de l'innovation et de la technologie, un archétype du néolibéralisme économique en lien avec l'industrie.

L'ignorance et la propagande se complètent.  Mais, les faits ont la tête dure: au plan économique – dit autrement au plan des intérêts du Capital face au Travail – libre circulation et affaiblissement des droits sociaux et syndicaux représentent la recette pour assurer un taux de marge (un taux de profit) plus élevé.  En autre, dans un secteur de niche, mondialisé, comme l'est celui de l'industrie du rail représenté par Spühler.  C'est ce que nous expliquons d'ailleurs en page 22 et suivante de la brochure (qui se trouve aussi sur ce site).  Tout autre commentaire est inutile.  Thierry Meyer du Temps est transparent comme l'est Spühler, qui lui a "son franc-parler".

Ceux et celles qui se laissent ligoter par la construction historique socio-idéologique de la xénophobie – au point de mettre entre parenthèse les contradictions entre Capital et Travail – facilitent l'utilisation par les xénophobes des frustrations populaires issues de l'exacerbation de l'atteinte aux conditions de travail (de tous les salarié-e-s en Suisse, de toutes les origines) et aux conditions de vie (AVS, assurances maladie, aide sociale, EMS, places d'apprentissage, etc.), avant la période du travail, pendant la période du travail et après la période du travail.  Le mal-être peut trouver de nombreux débouchés comme l'ont montré divers sociologues.  Ils vont de la macrobiotique à la xénophobie.  La formule peut paraître raide, mais Dejours, Ehrenberg ou le médecin du travail Davezies ou la spécialiste reconnue Thébaud-Mony en confirmeront la substance.  Vous trouverez leurs livres avec google, l'instrument du faux savoir, comme les faux arguments avancés avec plus ou moins d'honnêteté contre le référendum: "pour une libre circulation adossée à des droits sociaux et syndicaux".

SUISSE : Peter Spuhler, l'entrepreneur UDC qui s'oppose A son parti au nom du pragmatisme Economique

Thierry Meyer

PORTRAIT. Le conseiller national thurgovien est favorable à l'extension de la libre circulation des personnes aux pays de l'Est. Patron à succès dans l'industrie du rail, adepte du franc-parler, il séduit certains qui le voient déjà au Conseil fédéral

Bussnang est un tout petit village lové dans une douce aspérité de la campagne thurgovienne. A côté de la halte CFF, un chalet à la Hansel et Gretel se proclame, par une devise gravée dans le bois, gardien de la beauté du paysage et havre du bonheur de ses résidents. Une image d'Epinal.

Mais l'homme fort du village n'a rien du poète romantique. Peter Spuhler, 46 ans, marié et père de deux adolescents, est aussi massif que son usine qui domine Bussnang: l'ancien hockeyeur zurichois devenu conseiller national dans son canton d'adoption est l'un des entrepreneurs suisses les plus étonnants de la dernière décennie. Il a fait de Stadler, petit atelier ferroviaire qu'il a racheté voici quinze ans, un groupe à succès de 1100 employés et 440 millions de chiffre d'affaires, qui vend ses rames de trains légers jusque dans le New Jersey, et vise désormais une expansion en Europe de l'Est.

Entré en politique pour défendre ses intérêts de patron, le solide moustachu né à Séville (son père cuisinier a eu une carrière internationale) s'oppose aujourd'hui à son parti, l'UDC, au sujet de la libre circulation des personnes. Sans aucune arrière-pensée: le doute n'est pas le principal trait de caractère de Peter Spuhler.

Le salut est franc – quelle poigne! –, le discours aussi. «Fondamentalement, je suis totalement favorable à la libre circulation des personnes, parce que je crois qu'elle est d'une importance primordiale pour l'économie suisse, en particulier pour l'industrie d'exportation et pour les PME qui lui sont liées.» En revanche, Peter Spuhler était contre ce qu'il appelle le renforcement inutile des mesures d'accompagnement, un «problème» qu'il attribue à l'œuvre conjointe des syndicats, de Peter Hasler (sa tête de turc dans les associations patronales) et de Joseph Deiss, qu'il accuse de ne soutenir l'économie que par des mots.

A la pesée des intérêts, explique-t-il, la nécessité d'ouverture l'a emporté: «Comme entrepreneur, cela ne m'amuse pas de devoir me débattre, à l'intérieur du marché suisse, avec des restrictions de plus en plus envahissantes. Malgré tout, au parlement, je me suis clairement positionné en faveur du oui, parce que l'accès à ces nouveaux marchés et le maintien de nos relations économiques avec l'Union européenne sont vitaux.» Et depuis la fin de la session d'hiver, Peter Spuhler n'a de cesse d'expliquer pourquoi son parti fait fausse route sur cet objet. En secouant la tête, il réfute les arguments xénophobes des stratèges de l'UDC. «Regardez, nous avons déjà la libre circulation avec les anciens Etats membres de l'UE, et très peu de gens sont venus en Suisse.»

Et les craintes syndicales de sous-enchères salariales? Dans un demi-sourire, l'entrepreneur thurgovien répond: «Je ne suis pas patron à prôner le dumping salarial. Mais nous devons prendre garde à ne pas couler dans le bronze des salaires minimaux qui ne correspondent pas au marché, et, au lieu d'exporter nos produits, finir par exporter nos emplois.»

Oui, donc, à la libre circulation des personnes. Mais non à Schengen. L'explication est simple: «Schengen n'est pas un dossier économique, et son importance est mineure.» Tant pis pour le tourisme suisse, qui peut toujours négocier un visa d'association à Schengen pour ses visiteurs venus de Chine et d'Inde, et pour le secret bancaire, même pas mentionné par ce membre récemment nommé du conseil d'administration de l'UBS. S'il a voté non, c'est par simple loyauté à son parti. En résumé, sur les sujets qui ne l'intéressent pas, il s'aligne.

Son hostilité de convenance sur Schengen ne l'empêche pas, un peu plus tard dans la conversation, de trouver «anormal que notre parti, qui a lancé avec raison le processus bilatéral, revienne aujourd'hui en arrière. Nous devons protéger notre économie face à la concurrence internationale.»

Peter Spuhler le répète, il est d'abord entrepreneur, et ensuite politicien. Toute son appréhension du monde découle de cette posture: assurances sociales, éducation, finances, relations internationales sont mesurées à cette aune. Ancien électeur du Parti radical zurichois, il s'en est détourné juste après l'affaire Kopp, et l'arrivée à la tête du Grand Vieux parti de Franz Steinegger, dont il abhorrait le centrisme étatiste: «Les radicaux ont diabolisé l'économie dans les années 90, et la Suisse a perdu beaucoup de sa compétitivité. Ça me fait mal rien que d'y penser.» Il a fini par répondre aux appels du pied de son camarade d'enfance Roland Eberle, conseiller d'Etat thurgovien, candidat malheureux à la succession d'Adolf Ogi en 2000. Il ne regrette rien: pour lui, l'UDC, avec son groupe parlementaire truffé d'entrepreneurs, reste le parti qui soutient le mieux l'économie. Et même s'il se sent beaucoup d'affinités avec les conseillers nationaux Gerold Bührer ou Johann Schneider-Ammann, il estime que les radicaux ne se sont pas rapprochés du patronat.

Dès lors, Peter Spuhler relativise l'importance des «fonctionnaires idéologues» de l'ultra droite, les Ulrich Schlüer, Christoph Mörgeli, Hans Fehr ou Luzi Stamm, avec lesquels il est souvent en désaccord. Dans le Blick, fâché de les entendre combattre la libre circulation, il les a même comparés à «des eunuques qui donneraient des cours en sexualité». Pas trop regardant, il s'accommode pourtant de leurs outrances «qui n'ont pas cours ici, en Thurgovie», assure-t-il, même s'il soutient à demi-mot la politique d'asile très dure prônée par son ami Eberle.

Sévère envers l'activisme des députés, il préfère se taire en plénum et agir en commission – il fait évidemment partie de celle qui s'occupe d'économie, et tente d'y promouvoir ses vues très libérales, avec le même mélange de loyauté et de dureté qui lui vaut le respect des syndicats. Du coup, sa détermination, une certaine bonhomie, sa relative indépendance (en une heure d'entretien, il n'aura pas mentionné une seule fois Christoph Blocher...), tout cela amène certains à murmurer que Peter Spuhler ferait un bon conseiller fédéral. Sentant venir la question, il la précède d'un petit rire: «Je ne sais pas si c'est un super job... La combinaison que je vis aujourd'hui, entre ma vie d'entrepreneur et de politicien, me donne une grande liberté et la possibilité d'agir sur les choses. Pour être un vrai politicien, il me manque du temps. Renoncer à mon entreprise pour devenir conseiller fédéral... Plutôt non. Mais... il ne faut jamais dire jamais.»

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Dans le prochain bulletin nous examinerons, les joyeux arguments et contradictions de l'Alliance de gauche et de Gauchebdo, en toute solidarité.

 
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