«Les Boillat» tentent de se reconstruire un avenir
LUC-OLIVIER ÉRARD - Le Courrier
SWISSMETAL - Cent cinquante personnes se sont réunies à Reconvilier pour tenter de ranimer la flamme de la solidarité. Mais la production n'a toujours pas repris normalement.
«Nous aurions pu changer la Suisse.» A Reconvilier, tout juste une année après la grève chez Swissmetal, Pierre* en est convaincu: «La Boillat a manqué son rendez-vous avec l'histoire.» Les Femmes en colère, groupe d'employées et d'épouses des ouvriers de la fonderie, ont commémoré hier le premier anniversaire d'un mouvement social exceptionnel par son intensité, sa durée et le questionnement qu'il a initié dans tout le pays. Qu'en reste-t-il?
En apparence, un retour à la normale, car l'usine tourne. Mais pour Pierre, il ne s'agit que d'un sursis. Le CEO, Martin Hellweg, est annoncé partant pour le mois de juillet. «Il s'en ira avec ses millions, et on va plonger.» Pourquoi? Avant tout parce que des gros clients sont allés voir ailleurs. Et puis, avant, «Boillat, c'était la référence. Le petit truc en plus de Boillat, ce n'est pas un bouton sur la machine, c'est l'expérience. On ne peut pas remplacer un opérateur qui a vingt ans de métier par un intérimaire».
Qualité en baisse
C'est pourtant ce qui s'est passé. Aujourd'hui l'entreprise tourne en bonne partie avec du personnel nouveau. «Toutes les grandes gueules ont été renvoyées», explique Pierre. Il se dit de celles-là, et, lorsqu'il se rend chez un employeur, «on m'interroge 10 minutes sur mes compétences, et une demi-heure sur mes rapports avec mes collègues». Vaille que vaille, quatre licenciés sur cinq ont retrouvé du travail, aux dernières nouvelles. Mais dans l'usine, beaucoup de machines sont arrêtées. Plusieurs ouvriers font état de commandes refusées par de gros clients, à la suite de problèmes de qualité des alliages livrés.
Autre problème récurent aux dires de plusieurs ouvriers actuels: le fil provenant de la fonderie allemande du groupe semble de qualité insuffisante: «On voit des tonnes de fil finir à la benne. Si on était pointilleux, tout repartirait directement en fonderie.»
L'esprit de famille
Ce lien entre «l'esprit de famille» qui régnait à la Boillat et la qualité des produits est sans cesse évoqué par les fondeurs. Cette année, il a fallu faire sans. Après la reprise du travail, les divisions dans la communauté étaient profondes, le mal-être réel. Aujourd'hui, Pierre évoque les bons moments sans illusions: la lutte était dure, et elle a marqué les ouvriers et leurs familles d'autant qu'ils estiment avoir été tout près de «changer la Suisse». «Aujourd'hui, c'est le 25 janvier, et revivre cette date m'attriste. Je repense au jour où les enfants de l'école sont venus visiter la fonderie. Trente gamins de 8 ou 10ans qui rentrent dans la tréfilerie en criant 'La Boillat vivra': c'est bien la seule fois de ma vie où j'ai vu vingt fondeurs chialer, et je ne l'oublierai jamais.»
Seulement, «le jour où Swissmetal a racheté Ludenscheid (l'usine allemande du groupe, ndlr), ça été un coup de massue pour tout le monde. On a su que si on n'allait pas jusqu'au bout, on était cuit». Ensuite, le syndicat convainc les ouvriers qu'il faut cesser le combat. C'est le seul regret de Pierre: «Je suis sûr que malgré leurs menaces, si on avait décidé de continuer, les gens d'Unia seraient restés». Ce qui se serait passé, «on ne le saura jamais. Mais peut-être que l'économie fonctionnerait un peu autrement.» I
(www.lecourrier.ch, 26 janvier 2007)
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