Un accord qui n'est pas à la hauteur de la grève
Cécile Pasche, Denise Chervet
Les salarié·e·s d'Allpack ont osé vaincre la peur que connaissent tant de collègues sur les lieux de travail. Leur premier pas fut de signer une pétition. Il y eut ensuite la décision de faire grève, la participation à celle-ci et la décision prise chaque jour de continuer. Leur courage a culminé après l'attaque policière du 1er décembre, quand elles / ils ont décidé à l'unanimité de continuer la grève. Dès le début, comedia a soutenu cette mobilisation en ouvrant son fond de lutte, en mettant à disposition une partie de son infrastructure et de son personnel.
La grève, une victoire des grévistes
Prendre la parole publiquement, répondre aux questions des journalistes, défendre leur point de vue face à la direction ou au gouvernement sont devenus les activités quotidiennes des grévistes. Avant la grève, tout cela leur paraissait impossible. Ces dix jours de lutte collective leur ont permis de faire des pas en avant. Parce qu'elles / ils étaient solidaires, chacun·e a gagné du courage, de la confiance et développé de nouvelles capacités.
Elles / ils ont réussi à construire un mouvement solidaire, malgré les défaillances et les difficultés de communication. Grâce à elles / eux, toutes les personnes venues soutenir ce mouvement ont fait une expérience riche d'enseignements utiles à d'autres luttes. Enfin, elles / ils ont montré à tou·te·s les salarié·e·s de Suisse la possibilité de se battre ensemble contre la dégradation des conditions de travail. Mieux que tous les discours, les grévistes d'Allpack ont prouvé que la grève est un instrument légitime pour défendre les intérêts de tou·te·s les salarié·e·s.
Médiation et acteurs en présence
Peu de grèves ont duré aussi longtemps que celle d'Allpack. En licenciant les grévistes, en faisant appel à la police pour casser la grève, l'employeur est responsable du durcissement du conflit. A cela s'est ajoutée l'attaque au spray au poivre commise par le chef de production sur l'un des grévistes. Face à la violence de l'employeur et de ses adjoints, il devenait de plus en plus difficile pour les grévistes d'envisager un retour dans cette entreprise.
Le gouvernement cantonal porte également une lourde part de responsabilité dans l'aggravation de ce conflit. En faisant intervenir la police, en accordant une autorisation pour le travail de nuit, en mettant en place un dispositif policier disproportionné lors de la manifestation de Liestal, il a clairement, et dès le début de la grève, pris fait et cause pour l'employeur. Suite aux critiques de la presse quant à l'intervention policière, face à la mobilisation importante lors de la manifestation de Liestal et à l'attention croissante de l'opinion publique, il devenait de plus en plus urgent pour le gouvernement de mettre fin à ce conflit. C'est dans cette logique que, le 3 décembre, le Conseil d'Etat proposait une médiation.
De façon précipitée, comediaa défendu cette logique et a proposé d'alléger les blocages durant les séances de médiation. Rappelons qu'à ce moment, toute la presse alémanique s'intéressait de près, et avec sympathie, à ce conflit. La manifestation de Liestal avait également renforcé la position des grévistes. Nul ne le niait, les divergences apparaissaient sur la façon d'utiliser ce capital de sympathie.
Une délégation syndicale a été nommée, en partie par les grévistes et en partie par le Bureau de comedia. La négociation, par l'intermédiaire des deux médiateurs, a duré de 20 h à 3h30 du matin. Le résultat était conforme aux objectifs du gouvernement qui voulait mettre fin le plus rapidement possible à ce conflit. L'accord stipulait que la grève devait être immédiatement arrêtée, un contrat collectif négocié et les licenciements maintenus, sans aucun dédommagement pour les grévistes libéré·e·s de l'obligation de travailler durant le délai de congé. Les grévistes devaient décider de l'approbation ou du rejet de l'accord entre 4h et 7h du matin. Les négociateurs syndicaux étaient majoritairement d'avis que cet accord devait être accepté.
Un premier bilan
Les salarié·e·s ont maîtrisé leur grève jusqu'au 2 décembre. Le soir des dernières négociations, au moment décisif, elles / ils se sont retrouvé·e·s dans une situation où ils / elles en étaient, de fait, dépossédé·e·s. Elles / ils savaient qu'un éventuel refus de l'accord ne permettrait pas de continuer la grève comme avant, car le soutien de leur syndicat n'était plus aussi ferme. Tout d'abord, il y avait des doutes quant aux forces à disposition pour poursuivre cette bataille, grévistes et syndicalistes étant épuisés. Il y avait aussi la réticence des grévistes à retourner dans l'entreprise et la peur d'une nouvelle intervention policière. Enfin, la satisfaction de certains face à la perspective de négocier un CCT. S'il était légitime de se poser des questions quant à ces éléments, qui étaient d'ailleurs diversement appréciés, on aurait dû examiner plus attentivement le résultat lui-même. Le contrat collectif de travail prévu dans l'accord devra être négocié dans des conditions très difficiles, les syndicalistes engagé·e·s ayant, en effet, presque tou·te·s été licencié·e·s.
Les grévistes licencié·e·s d'Allpack doivent payer un prix très élevé pour un combat syndical légitime. Pour elles / eux, un double combat commence: devant les tribunaux contre les licenciements abusifs, sur le marché du travail pour retrouver un emploi.
Pour comedia, il est nécessaire de tirer un bilan sans complaisance sur la mobilisation et le résultat de cette grève. Nous le devons aux grévistes d'Allpack qui nous ont fait confiance. Le temps est un facteur décisif dans une grève. C'est notre allié. Pour l'avoir oublié, nous avons signé un accord qui n'est pas à la hauteur du courage et de la détermination dont ont fait preuve les grévistes d'Allpack.
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