Arabie Saoudite



Riyad: nouveau front contre l'Occident

Robert Fisk*

Osama Ben Laden possède une grande quantité d'amis en Arabie Saoudite. A la mosquée, parmi les jeunes désenchantés, parmi les forces de sécurité, y compris - et cela est une question que l'Oiccdent se refuse à aborder - dans la famille royale. Les ambassadeurs d'Arabie saoudite écartent de tels faits comme «manquant de tout fondement». Toutefois, l'attaque dévastatrice de samedi passé, le 8 novembre 2003, dans la capitale, Riyad, fait partie d'un soulèvement accentué contre les ennemis d'Osama Beb Laden actifs dans la maison royale des Saoud.

Que les attaquants soient ou non membres des forces de sécurité saoudites - le fait reste qu'ils portaient des uniformes de l'armée du pays - il est certain que le type de «guerre contre le terrorisme» mené par le gouvernement de Riyad provoque tous les jours des explosions, des tirs et des assassinats dans le royaume d'Arabie Saoudite. Les 11 morts étaient, selon les dires, tous des musulmans, tous des immigrés.

Les ennemis de la maison royale Saoud veulent rendre le royaume ingouvernable, au même titre que les ennemis des Etats-Unis en Irak veulent que l'occupation américaine se fragilise sans cesse. Les principales victimes des attaques avec des bombes, à Bagdad, sont des Irakiens, comme ce furent des Saoudiens qui ont été les principales victimes de l'attentat commis dans la nuit de samedi à Riyad.

Il est clair que, suite à des années de retard, les autorités saoudites passent une partie des informations recueillies par leurs services secrets aux Etats-Unis. Pour une fois, la mise en garde la plus récente - selon laquelle Al-Qaïda allait passer de l'étape «théorique» à celle «opérative» - fut précise. Mais la famille royale Saoud - celle qui a besoin de façon désespérée de l'aide américaine - a donné de très nombreuses raisons, au début de cette année, lors de l'invasion anglo-américaine de l'Irak, à ses ennemis arabes pour qu'ils l'attaquent.

Pourquoi si, en public, la famille royale a adopté une position opposée à l'utilisation des installations militaires de l'Arabie Saoudite par Washington, en privé elle accepta que 2700 vols de reconnaissance partent de la gigantesque base militaire Pirnce Sultan? Et, ce qui provoqua des dommages bien plus graves, elle donna l'autorisation, en secret, que 2000 avions de combat américains lancent, depuis cette base, 700 missions militaires quotidiennes.

Les Jordaniens pensent que l'attaque à la bombe contre leur ambassade à Bagdad [début août 2003] fut effectuée en représailles de l'opération militaire secrète que conduisit les Etats-Unis. Ils ont fait décoller 26 bombardiers F/A-18, depuis une base située en Jordanie, afin d'attaquer des installations des forces aériennes irakliennes qui aurait pu (à l'occasion de la guerre) lancer des missiles contre Israël.

Dès lors, le prince héritier Abdulah, le dirigeant effectif de l'Ararbie Saoudite, va sentir souffler des vents froids sur le désert saoudien cet hiver.

Par une coïncidence étrange, l'objectif principal de Osama Ben Laden, qui est de détruire la famille royale, est partagé par l'extrême-droite américaine. Lorsque Laurent Murawiec, ami de Richard Perle, qui était alors le conseiller pour la politique de défense de G.W Bush, a émis son jugement, en 2002, sur l'Arabie saoudite comme étant l'ennemie des Etats-Unis, l'origine du mal. Il parlait comme s'il avait été un porte-parole de Ben Laden [il fut un peu mis à l'ombre suite à cette déclaration, mais reste toujours très influent dans les cercles autour de Bush-réd.]

Murawiec1, un personnage assez mystérieux, qui travailla à la Rand Corporation et fut le directeur de l'Executive Intelligence Revue, dont le propriétaire est le criminel condamné Lyndon La Rouche junior [une figure de l'extrême-droite américaine] a présenté l'année passée au Pentagone un exposé appuyé sur des diapositifs sur lesquels on pouvait lire: «Sortir les Saoud de l'Arabie». Il y a affirmé que depuis l'année 1745, 58% des chefs du clan des Saoud ont connu des morts violentes, que les autres Ararabes considèrent les Saoudiens comme des «paresseux arrogants,malhonnêtes, corrompus»et qu'ils «sont actifs dans tous les maillons de la chaîne du terrorisme, depuis la planification, au financement, depuis la base pour le recrutement jusqu'au soldat, depuis l'idéologue jusqu'au propagandiste.»

Persiste à Washington la suspicion que la famille royale des Saoud cherche à trouver un accord avec la hiérarchie ecclésiastique du pays (wahhabite) et avec ses ennemis de Al-Quaida. Le Pentagone et la CIA, par exemple, continue à dénoncer le fait que des membres du clergé wahhabite, qui aurait nommé dans une de ses vidéos par Ben Laden, continue à prêcher en toute liberté en Arabie Saoudite.

Les messages de Ben Laden continue, pleins de venin, contre la maison royale des Saoud. De fait, son objectif original, de fait le plus important, consiste à faire ce que Laurent Murawiec exige: «vider les Saoud d'Arabie». Et, quand l'aile de la famille royale, alliée de Washington, semble faire face à des dangers majeurs, il semble qu'elle soit abandonnée par ses anciens protecteurs.

Cela peut-il devenir vrai? Les Etats-Unis pourraient-ils s'asseoir et voir comment Al-Quaida s'empare des puits de pétrole du pays? Il existe quelques personnages dans la Maison royale des Saoud qui manifestent une crainte particulière en direction de la politique de Washington. Dans le passé, disent-ils, les Etats-Unis pouvaient résider tranquillement en Arabie Saoudite et s'emparer des champs pétrolifères de l'Irak, en traversant simplement la frontière. Aujourd'hui, que les Etats-Unis sont en Irak, ils pourraient, en cas d'une révolution, tourner en direction contraire. Ils s'empareraient des champs pétrolifères du nord de l'Arabie Saoudite, laissant Riyad et quelques autres villes aux mains d'un quelconque dictateur arabe qui se serait emparé du pouvoir. 10 novembre 2003.


1. Selon le quotidien français Le Mondedu 17 octobre 2003, Laurent Murawiec a été «invité à plancher devant le Defense Policy Board du Pentagone - un organisme consultatif où de brillants esprits s'emploient à éclairer la réflexion des responsables politiques», Laurent Murawiec, après un passage à la Rand Corporation (un think tank très officiel et influent), il fut engagé par le «très néoconservateur Hudson Institute, où son ami et mentor Richard Perle le fit entrer illico».

Il vient de publier La Guerre d'après. (Albin Michel). Il avait déjà publié auprès de l'éditrice Odile Jacob La guerre du XXIe siècle(2000). Selon La Monde, le dernier livre est un «impitoyable réquisitoire contre les Saoudiens, avec - in cauda venenum - une solution qui tient dans les six dernières pages: imposer au royaume un ultimatum totalement inacceptable, bousculer son armée d'opérette, démanteler le pays et distribuer son pétrole aux pays de la région qui en ont besoin, y compris Israël. "Tout le monde peut se servir, ou plutôt tout le monde peut être servi", explique-t-il en buvant son café.»

Laurent Murawie s'est intéressé à la géopolitique, «en ouvrant à Genève une entreprise de conseil (Geo-pol Services) qui offrait ses services aux banques. Autre étape dans son aventure.«sa collaboration avec Leon Poliakov pour le dernier volume de son histoire de l'antisémitisme: "J'ai rédigé le chapitre sur les Etats-Unis".»

Jan Krause ajoute dans son article du Monde: «Sa plume ne tremble pas un instant quand il décrit le «prince saoudien» comme une «espèce qui pullule comme le lapin en Autralie»; sa voix non plus quand il explique que les Palestiniens «sont traités par la gauche européenne comme des bébés phoques».Laurent Murawiec, continue Krause, «ne cache pas que sa solution pour le Proche et Moyen-Orient n'est rien d'autre que la «pax americana».

*Robert Fisk est un des meilleurs spécialistes du Proche et Moyen-Orient. Il vit au Liban. Il a couvert, au cours des derniers mois, la guerre contre l'Irak, puis l'occupation de l'Irak. Il écrit, entre autres, dans le quotidien britanniqueThe Indpendent.

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