Le nouvel ordre mondial

Debora MacKenzie

En décembre 2001, l'hebdomadaire de réputation internationale «New Scientist» publiait l'article ci-dessous. C'est un sobre constat de la politique impériale de la classe dominante américaine pour qui les traités internationaux sont à respecter lorsqu'ils lui sont utiles et sont à ignorer ou à déchirer lorsqu'ils la déservent. Sur le fond, il n'y a là rien de bien nouveau, l'histoire des politiques impérialistes en fournit des preuves plus qu'abondantes. Réd.

Les Etats-Unis ont commencé l'année 2001 en déchirant des traités internationaux. Ils ont continué à le faire après le 11 septembre. Se débarrassent-ils de traités qui ne sont que des reliques de la guerre froide, ou bien leur approche unilatérale est-elle en train de faire du monde un endroit plus dangereux qu'avant ?

Quand George W.Bush  a prêté serment le 20 janvier 2001 comme nouveau président des Etats-Unis, il était bien clair qu'il allait modifier de manière importante leur politique étrangère. Son slogan était -la forteresse Amérique-. Dorénavant les traités internationaux n'allaient plus entraver la sécurité domestique des Etats-Unis.

Dès son entrée en fonction et malgré les fortes protestations de la Russie, Bush a accéléré les essais pour un système de défense antimissiles. Ce système viole le traité ABM de 1972 (antimissiles balistiques) qui limite de manière restrictive la défense antimissiles. Ce n'était qu'un début. La liste est longue des traités internationaux que les Etats-Unis ont bloqués, refusé de signer, émoussés ou dont ils cherchent à se dédire.

La cause de cette attitude, c'est leur réticence à être liés par des traités internationaux, et surtout à permettre que des inspections internationales vérifient qu'ils en appliquent eux aussi les dispositions. Les Etats-Unis ont torpillé la conclusion d'un protocole international destiné à mettre en application la Convention contre les armes biologiques signée en 1972 parce qu'il aurait impliqué précisément cette sorte de vérification.

Les commentateurs favorables à l'administration Bush comme la Heritage Foundation, un institut d'études conservateur de Washington DC, argumentent que les traités multilatéraux de limitation des armements sont des reliques de la guerre froide qui n'ont plus de raison d'être. Les mesures de vérification menaceraient la sécurité de l'Amérique sans pour autant empêcher les Etats voyous comme l'Iraq de tricher. Au lieu de restreindre les options à leur disposition en signant de tels traités, les Etats-Unis feraient mieux d'être libres de s'armer comme ils veulent et d'employer leur puissance à maintenir la paix.

L'administration Bush n'a jamais explicitement formulé cette doctrine. Mais ses actes suggèrent que c'est bel et bien la perspective qui l'anime. Et malgré les attaques choquantes du 11 septembre contre New York et Washington, elle ne semble pas avoir changé d'approche. Bien que Bush ne puisse plus ignorer le reste du monde, il ne se montre pas disposé à des concessions en matière de contrôle des armements.

Au contraire cela lui semble démodé. Le 11 septembre a accru les craintes que la principale menace pour les Etats-Unis, c'est dorénavant les terroristes et les Etats-voyous. Le traité ABM qui fut négocié dans le but de maintenir l'équilibre des forces durant la guerre froide, paraît aujourd'hui hors de propos ou pire que cela s'il empêche les Etats-Unis de se doter d'un système de défense antimissiles qui pourrait protéger les villes américaines contre un missile lancé par des fanatiques.

Nombreux sont les experts qui pensent que la défense antimissiles sera énormément coûteuse sans être très efficace. Mais c'est là le problème des Etats-Unis. Pour le reste du monde, ce qui est en jeu, c'est que Bush abandonne ces traités sans les remplacer par rien. Il a semblé faire quelques concessions en novembre 2001 quand il a rencontré le président russe Poutine et qu'ils ont annoncé des réductions massives du nombre de leurs missiles à têtes nucléaires. Mais alors que Poutine demandait une procédure de vérification, Bush, lui, s'est montré jusqu'à présent assez tiède à ce sujet. En fait, Poutine et Bush ont balayé ce faisant un accord négocié entre Eltsine et Clinton qui aurait impliqué une réduction de même ampleur mais s'accompagnait de mesures de vérification.

La guerre froide est peut-être finie, mais les Etats-Unis et la Russie maintiennent leurs forces nucléaires en alerte toujours encore. Pas plus tard qu'en 1995, le lancement d'une fusée scientifique depuis la Norvège a déclenché en Russie une alerte totale. Dans un tel climat, des réductions du nombre de missiles qui ne s'accompagnent pas de vérifications mutuelles peuvent être déstabilisantes: moins vous possédez de missiles, plus c'est important de les lancer avant qu'ils aient été annihilés par l'attaque ennemie.

L'état de délabrement de l'infrastructure russe rend la situation encore plus préoccupante. New Scientist révélait dans son numéro du 19 mai 2001 que la Russie ne dispose plus aujourd'hui, à la différence de 1995, de la couverture de satellites de surveillance suffisante pour vérifier si un lancement apparent est une véritable attaque ou une fausse alarme. Afin d'éviter des fausses alarmes, la Russie et les Etats-Unis devraient collaborer pour surveiller les lancements de fusées. Ce serait un élément essentiel de tout plan de réduction du nombre de missiles. Un tel système devrait également inclure d'autres pays tels que l'Inde.

L'attitude des Etats-Unis à l'égard d'autres accords internationaux est même encore plus impopulaire. Les Etats-Unis restent le seul pays à refuser de ratifier le traité d'interdiction total des essais nucléaires qui entend interdire tout essai d'arme nucléaire. Ils ont boycotté une réunion de l'ONU à ce sujet qui se tenait en novembre 2001 à New York.

Une fois de plus, la raison officielle que donne le gouvernement de Washington, c'est que la vérification ne peut pas fonctionner. Alors que les scientifiques américains qui ont dirigé le développement du réseau mondial de sismographes et autres senseurs conçus pour détecter tout essai nucléaire illicite, disent que la vérification peut fonctionner.

La motivation la plus probable de ce refus des Etats-Unis, c'est que ce traité les empêcherait de tester leur propre arsenal vieillissant, d'une part, leurs nouvelles armes, d'autre part. Certains faucons de Washington veulent mettre au point des -mini-bombes- nucléaires pour pénétrer des bunkers renforcés et des silos de missiles.

Les armes biologiques révèlent la même attitude de Washington. Malgré les attaques à l'anthrax (bacille du charbon), les Etats-Unis insistent que les propositions plus modestes qu'ils font doivent remplacer le protocole sur les armes biologiques qu'ils ont bloqué au début de l'année 2001. Leurs propositions consistent essentiellement à rendre illégale toute activité des autres pays dans le domaine des armes biologiques et à instituer des règles d'extradition qui reviennent à étendre à l'étranger la juridiction des Etats-Unis. Mais il n'y aurait aucune agence internationale chargée de surveiller les mesures ni aucune procédure internationale de vérification. Les autres pays ont été indignés quand les Etats-Unis ont essayé en décembre 2001 d'empêcher la discussion même de telles mesures.

De nouveau, les responsables américains prétendent que la vérification ne peut pas marcher. Les inspecteurs seront induits en erreur comme ils l'ont été en Iraq pendant des années. Et pourtant les inspecteurs de l'ONU ont finalement réussi à trouver les armes irakiennes biologiques et chimiques et les ont détruites. Les inspections en Iraq se sont uniquement arrêtées parce que les Etats-Unis ont cessé de les soutenir.

Les Etats-Unis eux-mêmes mériteraient un peu de surveillance. Les bacilles du charbon (anthrax) postés à travers les Etats-Unis étaient de qualité militaire, d'une sorte particulière de la variété Ames qu'utilisent les services médicaux de recherche sur les maladies infectieuses de l'armée des Etats-Unis. Le New Scientist du 8 décembre a été le premier à révéler qu'ils provenaient ou bien du programme d'armes biologiques des Etats-Unis lui-même, ou bien avaient été cultivés par quelqu'un qui en avait obtenu une souche avec les nécessaires recettes de culture.

A long terme, le plus grand danger qu'affronte le monde, ce n'est peut-être pas les armes de destruction massive, ni le terrorisme, mais le changement climatique. En mars 2001, le président Bush annonçait que les Etats-Unis ne signeraient pas le protocole de Kyoto au sujet de la réduction des émissions de gaz carbonique. Selon lui, le traité est injuste car il n'impose pas de réductions aux pays en voie de développement et affaiblirait l'économie des Etats-Unis.

Beaucoup d'experts rejettent ces arguments. L'accord de Kyoto n'est peut-être pas idéal mais il permet, selon eux, suffisamment de flexibilité pour que l'économie des Etats-Unis puisse prospérer. Bush promettait de faire une contre-proposition. Une année après, on attend toujours.

Quand nos petits-enfants écriront l'histoire du 21ème siècle, il n'y a aucun doute qu'on se souviendra de l'année 2001 à cause du 11 septembre. Mais ne s'en souviendra-t-on pas aussi à cause du durcissement de cette antipathie des Etats-Unis à l'égard des traités internationaux qui eut des conséquences si calamiteuses pour toute la planète ?

1972 Traité ABM antimissiles balistiques

Les Etats-Unis projettent de dénoncer le traité afin de mettre au point leur système antimissiles.

1972 Convention internationale sur les armes biologiques

Les Etats-Unis ont mis leur veto à un protocole de vérification accepté par tous les autres pays.

1991 Cooperative Threat Reduction

Les Etats-Unis ont réduit leur aide à la destruction d'armes par la Russie

1993 START II et START III

Ces deux accords ont été annihilés par l'accord de réduction des têtes nucléaires entre Bush et Poutine.

1993 Convention sur les armes chimiques

Les Etats-Unis réservent leur droit de refuser des inspections.


1995 Traité de non-prolifération nucléaire

Il se pourrait que les Etats-Unis l'aient violé en aidant le Pakistan à mettre au point ses armes nucléaires

1996 Comprehensive Test-Ban Treaty/ Traité d'interdiction des essais nucléaires

Ce traité ne peut pas entrer en vigueur tant que les Etats-Unis ne le ratifient pas.

1997 Traité d'interdiction des mines anti-personnelles

Les Etats-Unis refusent de le signer s'il ne prévoit pas des exemptions.

Fissile Material Cutoff Treaty Les négociations sont bloquées par la Chine en protestation contre les plans de défense antimissiles de Bush.   

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