Palestine



Du rêve de l'Etat indépendant à la réalité des bantoustans

Pierre-Yves Salingue

"Fragiles espoirs de reprise des négociations" rapidement menacés par une "nouvelle escalade des attentats-suicides par des kamikazes palestiniens"...le traitement par les médias de la question palestinienne a ces derniers temps un côté "déjà vu" trompeur qui banalise un moment critique de la lutte du peuple palestinien pour ses droits nationaux.

L'accord de Sharon à "la feuille de route" aurait pourtant du lever toute ambiguïté et mettre un terme aux illusions: il n'est nullement question de faire droit aux revendications légitimes du Peuple palestinien, il n'est question ni de démantèlement des colonies israéliennes, ni de droit au retour des réfugiés, ni de réelle autodétermination.

La feuille de route commence en réalité par une marche arrière: les Palestiniens doivent réussir là où ils ont précédemment échoué, autrement dit assurer la sécurité d'Israël, de ses colons et de son armée d'occupation! Quant aux Israéliens, il leur est demandé de revenir là où ils étaient avant le 28 septembre 2000 et de démanteler les colonies "illégales" construites depuis mars 2001! Pour le reste on verra plus tard, une hypothèse d'état indépendant doté de "frontières provisoires et d'attributs de souveraineté"

Un protectorat bien réel

Les Américains ont choisi le Premier ministre et le ministre de l'intérieur du nouveau gouvernement d'Abu Mazen après avoir choisi le ministre des finances déjà présent dans le précédent nommé par Arafat.

L'USAID (l'agence humanitaire de développement du gouvernement des USA) prend le contrôle des comités de camps de réfugiés via le financement de projets qui visent à rendre plus supportable l'abandon de la perspective du retour (jardins d'enfants, centres de loisirs etc.)

La CIA et les services spéciaux égyptiens entraînent à Jéricho les futures forces palestiniennes de maintien de l'ordre et de répression de toute résistance dans les bantoustans palestiniens.

Le contrôle et la destination des aides humanitaires sont réorganisés pour favoriser (et compromettre) les futurs "hommes forts" locaux qui seront choisis en fonction de leur degré de soumission aux autorités israéliennes.

Le dispositif des ONG palestiniennes est restructuré par les financeurs.

Rien de ceci n'eut été possible sans la formidable machine militaire de répression, sans les punitions collectives, sans les 2500 morts, les dizaines de milliers de blessés et les milliers de prisonniers, sans les bouclages destructeurs de toute vie sociale, etc.

La publication de la feuille de route qui enterre de facto ses revendications principales et la venue de Bush au Moyen Orient sont le signe évident qu'un mauvais coup va être porté au combat du Peuple palestinien.

Le dispositif qui se met en place va pousser un peu plus loin la logique inhérente aux accords d'Oslo: celle d'une politique israélienne de fait accompli sur le terrain par l'accroissement de la colonisation et de la répression pendant qu'un simulacre de négociations nourrira un incessant ballet diplomatique au service d'un plan de paix seulement menacé par les extrémistes des deux bords ...

Mais les fans d'Oslo en redemandent! Au sein du camp de la paix en Israël et dans le mouvement de solidarité il y a eu des voix pour réclamer que Bush contraigne Sharon à appliquer la feuille de route ou pour se féliciter du vote du gouvernement israélien pour reconnaître l'état indépendant de Palestine!

Sont-ils aveugles et sourds, ou font-ils semblant, pour ne pas comprendre que, sur la base des rapports de forces issus de l'épuisement de la population palestinienne et de la guerre menée contre le peuple irakien, l'impérialisme et l'état sioniste franchissent une nouvelle étape dans leur politique de liquidation du peuple palestinien en tant que peuple?

La mise en place d'une fédération de bantoustans est le vrai projet inscrit dans la feuille de route, dernier avatar en date d'une stratégie qui vise à faire disparaître la nation palestinienne en tant qu'acteur central de la lutte de libération nationale.

L'illusion de l'Etat palestinien indépendant

Depuis sa création l'état sioniste doit périodiquement répondre à la question: que faire de la population palestinienne présente sur les territoires qu'on veut annexer à Israël et dont on veut contrôler les ressources?

L'étape actuelle n'est qu'une voie de passage vers la mise en place de cantons sous protectorat américain et dont la survie sera totalement assujettie aux intérêts de l'état sioniste.

Que ceci se passe avec la participation active des régimes arabes réactionnaires et dans le silence complice de "la communauté internationale" n'est pas pour nous surprendre. Mais que penser de l'aveuglement de ceux qui il y a peu de temps encore dénonçaient les dangers detransfert massif des populations mais considèrent aujourd'hui qu'un pas décisif et "irréversible" a été franchi dans la reconnaissance par toutes les parties de la solution des deux états?

Le maintien par Bush et Sharon de la perspective illusoire de l'état palestinien indépendant arrange aujourd'hui beaucoup de monde:

- La direction palestinienne qui, au fil de ses compromis, s'est depuis longtemps identifiée au projet d'une Palestine partagée de plus en plus réduite et qui, au bord de l'effondrement, ne voit son salut que dans un nouveau renoncement.

- L'Europe, que d'aucuns s'obstinent à appeler à la rescousse alors que sa complaisance à l'égard de l'occupation et de la colonisation ne s'est jamais démentie et qui trouve dans cette fiction d'une solution équilibrée des "deux états" l'alibi de son soutien à l'état sioniste d'Israël.

- La grande majorité du camp de la paix israélien dont le soutien désespéré au slogan "deux états pour deux peuples" masque le ralliement à la politique de "l'état juif" et justifie l'abandon du soutien au droit au retour des réfugiés et l'absence de défense active des droits des Palestiniens d'Israël.

- La quasi-totalité du mouvement international de solidarité qui trouve dans le soutien à la perspective de l'état indépendant palestinien l'alibi de son renoncement à lutter contre l'état sioniste raciste et la justification politique de ses ambiguïtés dans le soutien des droits des réfugiés et de son ignorance des Palestiniens d'Israël.

Sauf à nous émanciper de ces illusions et à résister à ces manœuvres nous pouvons être certains que d'ici 2005, terme fixé de la feuille de route, nous nous"mobiliserons" en soutien aux victimes de la troisième Intifada (27 mai 2003)

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