Palestine



Un transfert sophistiqué

Tanya Reinhart*

A la veille de la guerre contre l'Irak, des craintes se sont fait jour, dans différents milieux, que sous couvert de cette guerre, Israël ne procède à un transfert de Palestiniens dans la zone de la «ligne de partage» située au nord de la Cisjordanie (Kalkilya, Tulkarem).

La semaine dernière, l'armée en a donné un avant-goût. Le 2 avril, à trois heures du matin, une force importante a effectué une incursion dans le camp de réfugiés de Tulkarem, bloquant toutes les routes et les chemins d'accès avec des rouleaux de fil de fer barbelé et annonçant par haut-parleurs que toutes les personnes de sexe masculin, entre quinze et quarante ans, devaient se rassembler sur un terrain désigné, au centre du camp. A neuf heures du matin, l'armée a commencé à transporter les hommes (et les jeunes) ainsi rassemblés vers un (autre) camp de réfugiés, non loin de là.

Cette fois, il s'agissait seulement d'une sorte de répétition, de mise en scène, et les habitants du camp furent autorisés à rentrer chez eux, quand bien même fût-ce après plusieurs jours. L'armée mit un soin tout particulier à ce que l'évacuation soit effectuée au moyen de camions - c'était là un flash-back exact vers le traumatisme de 1948.

Un des habitants du camp a déclaré: «lorsque je suis monté dans ce camion, tous les souvenirs et les récits d'enfance que m'avaient faits mon père et mon grand-père de la Nakba me revinrent à la mémoire.» [ voir sur ce site, rubrique, Archive, Numéro 10,  La Naqba de 1948 et son actualité par Illan Pappé].

Bien des gens voient dans cette mise en scène une «répétition  générale» de futurs transferts possibles. Aucun doute ne subsiste: le gouvernement (israélien) actuel est mentalement prêt à procéder à un transfert, mais il n'est pas sûr, en revanche, que les «circonstances internationales» soient mûres pour mettre ce transfert en pratique de la manière dont il a été mis en scène.

La guerre en Irak crée aux Etats-Unis trop de risques d'enlisement pour qu'ils acceptent de se trouver au milieu d'un affrontement sur autre point chaud. Mais le transfert, ce ne sont pas seulement des camions.

Dans l'histoire israélienne du «rachat de la terre», il y a aussi un autre modèle, plus dissimulé et sophistiqué, de transfert. Dans le cadre du projet de «judaïsation de la Galilée», qui commença à être mis en úuvre dans les années 1950, les Palestiniens qui étaient restés en Israël se virent dépossédés de la moitié de leurs terres, isolés dans de petites enclaves entourées de colonies israéliennes et ils perdirent peu à peu les liens qui les maintenaient ensemble, en tant que nation. C'est un transfert interne de ce type qui est en train de se produire, aujourd'hui, dans les territoires occupés, et il a connu une escalade marquée depuis le déclenchement de la guerre contre l'Irak.

Le 24 mars 2003, les bulldozers ont pénétré sur les terres du village de Masha, dont la colonie d'Elkana est proche, et ils ont entrepris d'y tracer le nouveau passage du mur de séparation, qui coupera le village de toutes ses terres agricoles, ainsi que de plusieurs centaines d'hectares appartenant à Bidia et à d'autres villages voisins.

Elkana est éloignée d'environ sept kilomètres de la Ligne verte [établie après 1967], mais le tracé de la muraille avait été modifié au mois de juin de l'année dernière, si bien qu'elle contournera la colonie d'Elkana aussi, afin de la maintenir du côté israélien. Néanmoins, même dans le cadre de ce nouveau tracé de la mur, il n'était absolument pas nécessaire de confisquer ces terres à ces villages.

Ce n'est pas seulement la boulimie pour les terres qui a provoqué l'envoi les bulldozers sur les terres de Bidia et de Masha. Ces terres sont situées sur la partie occidentale du bassin (nappe phréatique) versant de la Montagne - il s'agit du plus important réservoir d'eau provenant de la Cisjordanie, dont les eaux s'écoulent, sous terre, également vers le centre d'Israël. Sur six cents millions de mètres cubes d'eau fournis par la Montagne annuellement, Israël en exploite cinq cents millions, extraits en  plusieurs points de captage1.

Le contrôle des ressources hydriques a toujours été une motivation fondamentale pour la poursuite, par Israël, de son occupation. Les gouvernements travaillistes successifs, dans les années 1970, avaient situé les premières implantations officiellement reconnues par eux dans des zones définies comme «stratégiques» pour les forages de puits. Elkana est une de ces colonies fondées dans le cadre d'un plan auquel on avait donné le nom (trompeur) de «Préservation des sources du Yarkon»2.

Depuis l'occupation des territoires, en 1967, Israël interdit aux Palestiniens de creuser de nouveaux puits mais, sur les terres des villages de Masha et de Bidia, ainsi que sur celles qui avaient déjà été séparées de Kalkilya et de Tulkarem, les puits antérieurs à 1967 abondent et donnent toujours de l'eau. La poursuite de leur exploitation est susceptible de réduire - faiblement, mais qu'importe ? - la quantité d'eau qu'Israël peut tirer des siens.

Les habitants de Masha et de Bidia, en lutte pour conserver leurs terres et leur gagne-pain, ont dressé des tentes en protestation, le long du passage des bulldozers. Faisant preuve d'un optimisme à toute épreuve, ils les ont baptisées: «tentes de la paix»

Des Palestiniens, des Israéliens et des militants étrangers restent en permanence dans ces tentes, jour et nuit, afin d'observer ce qui se passe et de se dresser devant les bulldozers en cas de besoin. J'y étais, samedi dernier. Tout autour, dans toutes les directions, un moutonnement de collines couvertes d'oliveraies - un vaste paysage verdoyant et champêtre, un de ces paysages qu'on ne peut admirer que là où les gens vivent sur leurs terres depuis des générations et des générations, conscients de leur beauté unique et de leur caractère précieux. Et dire que toutes ces terres sont en train d'être accaparées par des «rédempteurs des terres», qui ne manqueront pas d'en combler les puits et de les vendre à des spéculateurs immobiliers.

1. Ce sont les données pour 1993 (donc, antérieures à Oslo), citées in Haim Gvirzman: ««Two in the same basin», Haaretz, 16.05.1993. [La dimension du contrôle de l'eau au plann régional a aussi été souligné dans le cadre de la guerre contre l'Irak].

D'après le Groupe des Hydrologues Palestiniens, actuellement, sur la quantité d'eau qui se reconstitue annuellement dans la partie ouest du bassin versant des Montagnes centrales - 362 millions de m3 - les Palestiniens n'en exploitent au total que 22 millions. voir le site http://www.pengon.org

2. Haim Gvirzman, ibid.

* Publié dans le quotidien Yediot Aharonot (quotidien israélien) du lundi 10 avril 2003.

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