Palestine

Les scénarios d'horreur qui deviennent réalité

Amira Hass*

Cela fait bientôt une semaine que les États-Unis et la Grande Bretagne ont lancé leur attaquecontre l'Irak, et les scénarios d'horreur évoqués par les Palestiniens ces dernières semaines, concernant la politique militaire israélienne à leur égard, ne se réalisent pas. Ces scénarios, dont parlaient aussi bien l'homme de la rue que les porte-parole officiels ou les militants de divers mouvements, disaient qu'à la faveur de ce qui allait se passer en Irak, et qui retiendrait l'attention du monde entier, Israël en profiterait pour intensifier ses attaques.

Mais il n'y a pas eu de couvre-feu total imposé aux territoires de Cisjordanie. Les bouclages n'ont pas été renforcés. Les fréquentes attaques de l'armée, qui faisaient 10 victimes à chaque fois, ne se sont pas renouvelées. Et les scénarios d'horreur qui parlaient de déportation de masse, d'expulsions et de coups directs portés à Yasser Arafat, ne se sont pas produits.

Les cyniques diront qu'il est encore trop tôt pour pousser un soupir de soulagement. Après tout, la guerre en Irak vient de commencer. Peut-être, si finalement les Irakiens s'en prennent à Israël, la réaction concernera-t-elle en partie les Palestiniens. Mais on peut quand même dire que les avertissements ont été efficaces: les États-Unis en particulier, mais aussi les Européens, ont averti Israël de ne pas procéder à une escalade, au moment où les pays qui attaquent l'Irak ont besoin de stabilité dans la région.

Les signaux d'alarme tirés par les Palestiniens avant la guerre pourraient donner l'impression que leur vie est maintenant «revenue à la normale», c'est-à-dire revenue à une routine pas si insupportable que cela, après tout. Et pourtant, ce n'est pas le cas. Al'aune de tous les critères, économiques, sociologiques, historiques et humains, on peut dire que 3,5 millions de Palestiniens connaissent une situation catastrophique, et une perturbation constante de leur vie quotidienne. En réalité, les scénarios d'horreur ont lieu tous les jours, pour tous les individus et toutes les communautés.

En Israël, les gens n'ont qu'une vague idée du chômage chronique et de l'extrême pauvreté qui auraient détruit le tissu social de toute société moins solidaire que la société palestinienne. Seules la solidarité intra-palestinienne et la philanthropie, américaine et européenne, évitent des situations de famines de masse. Tous les jours, entre dix et vingt «hommes recherchés» sont arrêtés, selon les communiques de Tsahal[armée israélienne], qui par ailleurs ne rapporte pas combien d'entre eux sont relâchés le lendemain, ni combien d'entre eux sont «retournés» pour en faire des collaborateurs, ni combien ont été battus, ni leurs conditions de détention, dans des tentes exposées à la pluie et au vent, ni le temps qu'il faut pour qu'ils soient autorisés à voir un avocat ou leur famille.

En Israël, les nombreux morts dans les Territoires sont surtout l'occasion de montrer, encore et encore, des images de funérailles accompagnées de cris appelant à la vengeance. Les blessés palestiniens, parmi lesquels de nombreux enfants (un énorme fardeau pour des familles appauvries), sont l'occasion de signaler l'argent irakien qui va aux terroristes. Les limitations à la liberté de mouvement des Palestiniens sont l'occasion de filmer les wadispar lesquels les Palestiniens tentent de contourner le bouclage pour aller à l'école, travailler ou rendre visite à leurs familles. Et aussi l'occasion démontrer comment les forces de sécurité ont encore étendu les limites de leur action, jusqu'à un point limite.

Tout le reste, tout ce qui touche les individus, n'intéresse personne: les heures d'attentes aux contrôles routiers, les violences de routine, le harcèlement des chauffeurs, la confiscation des taxis, les amendes, les malades et les personnes âgées transportés en ambulances sur des pentes boueuses. Tout ce qui est ressenti heure après heure, jour après jour, par les centaines de milliers de proches de gens arrêtés, blessés ou tués, et par les écoliers qui chaque jour transgressent les bouclages devant les canons des chars, tout cela n'impressionne personne en Israël, ni la conscience occidentale.

Le tracé de la clôture de séparation va être modifié, pour satisfaire les demandes du lobby des colons. En Israël, en tout cas, les gens ne veulent pas savoir que cela implique un grand nombre de fortifications très variées, aux dépens de terres palestiniennes, des moyens de subsistance de dizaines de milliers de Palestiniens, de leur liberté de mouvement, de leur produit intérieur brut, et au bout du compte, aux dépens de la possibilité d'édifier un État viable. Le pire est qu'Israël et son armée font une guerre quotidienne contre 3,5 millions de Palestiniens. En Israël, on est persuadé que c'est ce qu'il faut faire pour arrêter le terrorisme. Il est un fait que les attentats ont diminué.

Ce besoin des Palestiniens d'imaginer des désastres et des scénarios d'horreur pires encore que ce qu'ils vivent actuellement correspond, en premier lieu, à une prise de conscience que ce statu quo désastreux n'arrive pas à choquer les décisionnaires du monde occidental. En tout cas, pas de la manière dont le fait un attentat terroriste contre des civils israéliens. Cette évocation de scénarios d'épouvante (fondés aussi, pour une bonne part, sur l'expérience d'un passé pas si lointain), est une manière désespérée de briser la routine de l'impuissance, la lenteur de la réaction et même l'indifférence des pays occidentaux vis-à-vis de la rapidité avec laquelle Israéliens et Palestiniens sont en train de perdre toute chance de résoudre leur conflit.

* Article publié dans Ha'aretz du 26 mars 2003. Des ouvrages d'Amira Hass dont publiés aux Editions de la Fabrique.

Haut de page
Retour


case postale 120, 1000 Lausanne 20
fax +4121 621 89 88
Pour commander des exemplaires d'archive:

Soutien: ccp 10-25669-5

Si vous avez des commentaires, des réactions,
des sujets ou des articles à proposer: