Palestine Gaza a faim Peter Hansen* En Palestine, l'échec du processus de paix et la destruction de l'économie par Israël ont conduit à un terrible désastre naturel. Le monde a pris l'habitude de considérer que la faim se manifeste par des joues creuses et des ventres ballonnés à l'image des famines en Afrique. Mais aujourd'hui dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, une faim sounoise a saisi le peuple palestinien dans ses griffes. Une malnutrition silencieuse, cachée dans le sang anémié des enfants ou perdue dans les statistiques de croissances rabougries, poursuit les Palestiniens. Les populations de Gaza et de la Cisjordanie vivent depuis plus de deux ans avec des check-points [barrages de contrôle], des fermetures des frontières et des couvre-feux qui ont ravagé leur économie. La moitié des Palestiniens sont au chômage et plus des deux tiers d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. L'effet de cet effondrement de l'économie s'est fait sentir tout d'abord par la réduction de l'épargne des familles, suivi par l'endettement, puis par la vente forcée des biens familiaux. La famille étendue palestinienne et les liens communautaires ont sauvé les Territoires d'un effondrement total, comme cela aurait pu se produire ailleurs, face à une même situation de dépression brutale. Dans les Territoires occupés, chaque dollar est partagé. Chaque personne qui a un salaire ou un cousin travaillant à l'étranger, apporte son appui jusqu'à sept autres adultes. Néanmoins, après trente mois d'Intifada, la pauvreté se fait de plus en plus sentir dans les ventres. Selon la terminologie des experts, les Palestiniens souffrent de microdéficiences provoquées par le manque de nourriture - ce que l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) appelle «la faim cachée». C'est sans doute moins grave que la malnutrition due au manque de protéines qui est le propre des crises africaines. Toutefois, à l'échelle des Palestiniens, c'est tout aussi sérieux. Les enfants souffrant de microdéficiences nutritives ne grandissent pas et ne se développent pas; leur capacité d'apprendre est endommagée souvent de façon sévère et irréversible; leur système immunitaire est atteint. Les capacités mentales et physiques sont défaillantes chez les enfants comme chez les adultes. Le résultat, dans les cas extrêmes, peut être la cécité ou la mort. Le développement mental et physique d'une génération d'enfants palestiniens est mis en question. Une étude financée par l'Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID) a aboutit au résultat suivant: quatre enfants sur cinq vivant à Gaza et en Cisjordanie ont un manque de fer et de zinc, des déficiences qui provoquent de l'anémie et affaiblissent le système immunitaire. Plus de la moitié des enfants, dans les deux territoires, ne reçoit pas assez de vitamine A et de calories. La vérité est que presque le quart des enfants palestiniens souffre de malnutrition aiguë ou chronique et cela pour des raisons purement provoquées par l'homme. Aucune sécheresse n'a frappé Gaza ou la Cisjordanie, les récoltes n'ont pas manqué et les magasins sont souvent pleins de nourriture. Mais l'échec du processus de paix et la destruction de l'économie causée par la politique d'enfermement d'Israël ont le même effet qu'un terrible désastre naturel. Les femmes qui allaitent et les femmes enceintes souffrent également. Elles consomment en moyenne 15 à 20 % de calories en moins par jour qu'avant l'éclatement du conflit en 2000. La conséquence de l'anémie, la consommation réduite d'acide folique [carence en vitamines B, nécessaire à la croissance] et le manque de protéines, menacent leur santé comme celle de leurs enfants. L'agence d'assistance des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, l'UNRWA, est la plus grande organisation d'aide dans les Territoires. Avant le début de l'Intifada, elle fournissait de la nourriture à environ 11000 familles dans la bande de Gaza et en Cisjordanie - familles qui avaient perdu leur soutien de famille ou qui se trouvaient dans des situations à risque. Ces deux dernières années, le programme de nourriture de l'UNRWA (devenu un programme d'urgence) s'est étendu à 220000 familles, soit presque la moitié de la population palestinienne dans les Territoires. L'UNRWA a été aussi obligée d'augmenter son programme d'aide de nourriture parce que seuls 12000 Palestiniens reçoivent des permis pour quitter les Territoires, alors qu'auparavant 150000 Palestiniens partaient travailler en Israël et pouvaient ainsi subvenir aux besoins de leur famille. A l'intérieur même des Territoires, les déplacements sont presque impossibles. Les villes palestiniennes sont encerclées par des troupes israéliennes et coupées les unes des autres. Cela ainsi que les fréquentes incursions militaires dans les villes empêchent les gens de circuler pour leur travail et empêchent les marchandises des usines et les récoltes des fermiers d'atteindre les marchés. La bande étroite de Gaza est régulièrement étouffée par les check-points sur la seule route ouverte Nord-Sud. Les destructions de maisons et la liquidation des terres agricoles jouxtant les colonies [d'implantation], associés à la politique de fermeture des territoires], conduisent à un effondrement presque total de l'économie. Le déclin de l'économie palestinienne a été tellement rapide que seuls les efforts des Nations Unies, de la Croix Rouge et d'autres agences d'aide ont empêché l'effondrement économique de devenir un effondrement social total. L'UNRWA elle-même nourrit 1,3 million de personnes et presque tous les Palestiniens dépendent maintenant d'une aide étrangère pour survivre. Pour financer cet énorme effort de sécurité de subsistance en plus des autres situations d'urgence, l'UNRWA s'est tournée vers la communauté internationale avec plusieurs requêtes d'urgence. La dernière requête pour couvrir les opérations d'urgence pendant la première moitié de 2003, a été lancée en décembre et représente une demande de 32 millions de dollars afin de fournir de la nourriture à Gaza et en Cisjordanie. C'est inquiétant de constater qu'après deux mois, l'Agence n'a reçu que seulement 1,5 million de dollars. Les demandes sont en concurrence avec l'Afghanistan et l'Afrique, et avec l'inquiétude concernant l'impact humanitaire provoqué par une guerre éventuelle en Irak, les donateurs évitent de faire des promesses concernant notre fonds d'urgence. La télévision ne trouvera pas encore de visages squelettiques à Gaza à filmer, pas de ventres ballonnés qui provoqueraient une réaction dans le monde; mais ce serait une triste accusation vis-à-vis des priorités du monde si ce programme de nourriture se faisait attendre à cause de la relative non visibilité de cette crise. * Publié dans The Guardian(quotidien britannique), mercredi 5 mars 2003. Peter Hansen est le Commissaire Général de l'Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine - UNRWA - UN Relief and Works Agency. Haut de page
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