Palestine

Les Palestiniens n'ont même pas de météo

Tanya Reinhart*

Dans la mesure où l'on discute en Israël des récentes actions militaires dans les Territoires, le débat ne tourne quasi exclusivement qu'autour de la question de savoir s'il est possible de cette façon de mettre un terme au terrorisme palestinien. Les Palestiniens, en tant qu'êtres humains, n'existent tout simplement pas.

Il y a quelques jours, il a neigé à Jérusalem. Mardi 25 février, la vague de froid a fait la une de tous les quotidiens israéliens. Même dans ma maison chauffée de Tel Aviv, il faisait froid. Mes pensées allaient vers mes amis palestiniens? Mes collègues de l'université de Bir Zeit. Sous la neige, comment s'en tire une famille qui dispose encore d'une maison, mais pas d'argent pour la chauffer? Et qu'en est-il pour ceux qui n'ont plus de maison? Il neigeait aussi à Jénine. Comment les réfugiés de Jénine survivent-ils dans le froid, ou bien ceux qui ont été récemment forcés de fuir Hébron? Et qu'en est-il pour les personnes âgées, particulièrement vulnérables au froid? Comment les nouveaux sans abris de Gaza ont-ils passé la nuit ? tous ceux dont la maison a été démolie ce même jour? L'UNRWA (l'Office des Nations Unies pour l'aide aux réfugiés palestiniens) est-elle encore en mesure de leur fournir des couvertures et des tentes?

Début février, l'UNRWA a renouvelé son appel d'urgence à la communauté internationale afin d'obtenir des contributions financières pour les six premiers mois de 2003. L'UNRWA a fait savoir qu'à défaut de ce financement, qui a baissé récemment, l'agence manquerait de ressources d'ici la fin mars1.

Le chercheur cherche des réponses, mais les journaux ne vous racontent rien à ce propos. De l'autre côté de la clôture, hors des médias, hors de la conscience, les Palestiniens n'ont même pas de météo.

Le même jour, cependant, le quotidien Ha'aretzfaisait état d'une nouvelle campagne, lancée par les hauts responsables de la sécurité israélienne, et destinée à confisquer les fonds transférés aux Palestiniens: «des dizaines de millions de dollars, provenant principalement d'organisations caritatives dans les pays arabes et en Europe - via des banques israéliennes» (Amos Har'el, dans l'édition en hébreu seulement de Ha'aretz).

Alors que l'UNRWA est sur le point de s'effondrer, les Palestiniens devraient également être privés de l'aide humanitaire qui les aide à survivre.

Il ne s'agit pas d'un incident isolé, mais d'une étape supplémentaire dans la politique israélienne systématique d'étranglement économique.

Déjà, en juin 2002, «des conclusions internes aux services de sécurité, à la suite de l'opération «Rempart», ont estimé que les réserves financières de l'Autorité palestinienne sont sur le point de toucher le fond...

Dans un futur pas trop éloigné, la majorité des Palestiniens ne pourront poursuivre une vie décente qu'en ayant recours à l'aide internationale.» (Amos Har'el, Ha'aretz, édition en hébreu, 23 juin 2002). Au même moment, Israël, avec l'aide du lobby juif auprès du Congrès américain, lançait une campagne en vue de restreindre l'aide internationale, en demandant que soient «reconsidérées» les opérations menées par l'UNRWA dans les Territoires occupés: «Israël a entamé une campagne aux États-Unis et auprès des Nations unies, les pressant de reconsidérer le mode de fonctionnement de l'UNRWA, qui alimente les camps de réfugiés de Cisjordanie et de Gaza. Israël accuse les travailleurs de l'UNRWA d'ignorer purement et simplement le fait que des organisations palestiniennes ont transformé les camps en bases terroristes, et demande que l'agence fasse rapport aux Nations unies de toutes les actions militaires ou terroristes survenant à l'intérieur des camps... Entre-temps, des lobbies juifs et pro-israéliens mènent aux États-Unis une campagne parallèle... Les lobbyistes juifs américains fondent leurs efforts sur le fait qu'actuellement, les États-Unis contribuent à hauteur de 30% au budget annuel de l'UNRWA, qui est de 400 millions de dollars, et sont dès lors en position d'exercer une pression sur l'agence. Un refus du Congrès d'approuver le financement de l'UNRWA pourrait compromettre sérieusement son fonctionnement.» (Nathan Guttman, Ha'aretz, 29 juin 2002)

La malnutrition des enfants palestiniens dans les Territoires occupés atteint désormais la même ampleur qu'au Congo ou au Zimbabwe2, mais Israël «entame une campagne» pour faire obstacle même au peu qui leur reste pour se nourrir.

Dans notre esprit, le génocide est associé à des charniers, ou à des convois de populations déplacées. La mort lente infligée au peuple palestinien n'a, sans doute, pas encore de nom jusqu'à présent, et pourtant, comment se fait-il que la société israélienne ferme son c?ur et se refuse à voir ce qui est? La réponse vient en partie de ce que le mal est enveloppé dans des propos ayant trait à la «guerre contre le terrorisme». Des sources sécuritaires annoncent que l'UNRWA «ne tient pas compte» des activités terroristes (comme si l'UNRWA était une force de police), ou que les aides caritatives envoyées aux Palestiniens représentent des «millions de dollars pour le terrorisme», et les médias se contentent de faire circuler leurs prophéties. Aucune autre preuve n'est nécessaire.

Suite à la confiscation des aides caritatives, qui a débuté dans des banques de Jérusalem-Est, «le Commandant de la région, Levi, a refusé de divulguer des détails précis au sujet des activités terroristes à Jérusalem qui auraient été financées à l'aide de ces fonds [confisqués]» (Arnon Regular et Amos Har'el, Ha'aretz, 28 février 2003). L'instinct premier de l'Israélien de croire que l'armée ne ment jamais fait le reste.

La persécution par Israël du peuple palestinien n'est pas une guerre contre le terrorisme. Il existe un remède simple au terrorisme suicidaire palestinien: quitter les Territoires, et donner aux Palestiniens des raisons de vivre. La guerre contre les Palestiniens, c'est pour la «Terre Promise» de Sharon, de l'armée et des colons. Dans une guerre de ce genre, il faut mentir constamment, parce que (selon les sondages), la plupart des Israéliens ne se soucient pas des Territoires, et qu'ils sont prêts à ce qu'ils soient évacués dès demain.

Laissé à lui-même, le peuple ne chercherait pas des moyens d'affamer, de torturer et d'abandonner dans le froid des millions d'autres personnes. Pour lui faire accepter cela, il faut entretenir ses peurs. De la même manière, la moitié du peuple américain qui soutient la guerre contre l'Irak s'imagine que si le peuple irakien n'est pas immédiatement éliminé, Saddam Hussein va éliminer les États-Unis. (9 mars 2003)

(Traduit de l'anglais par Giorgio Basile)

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1. Le texte de l'appel d'urgence de l'UNRWA en 2003 peut être lu sur http://www.un.org/unrwa/emergency/pdf/5th-appeal.pdf.

2. Chris McGreal, The Guardian, 11 février 2003.

*Cet article est paru dans le quotidien israélien Yediot Aharonot. Tanya Reinhart enseigne la linguistique à l'université de Tel Aviv.Elle est l'auteure de «Détruire la Palestine ? Ou comment terminer la guerre de 1948», paru en 2002 aux Éditions La Fabrique à l'encontreen a fait un compte-rendu.

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