Palestine
Témoinage d'un soldat israélien Histoire de barrage TÈmoignage recueilli sur le site http://www.geocities.com/sham_story, un ´site internet indÈpendant pour des histoires vÈcues de soldats dans les Territoiresª, traduit et mis en ligne le 13 janvier 2003. Je crois bien que cette histoire, je ne l'ai encore racontÈe ý personne. Peut-Ítre parce qu'elle Ètait une sorte de secret, et peut-Ítre parce qu'il ne s'agit pas de l'ÈvÈnement le plus remarquable de tous ceux qui se produisaient ý ce barrage qui a ÈtÈ, pendant trois mois, sous la responsabilitÈ de ma division. ´Notreª barrage se situe ý l'extrÈmitÈ sud du Goush Katif et contrÙle le passage des habitants des villages de la cÙte qui sont en zone B vers le territoire de la ville de Rafah en zone A. Le barrage Ètait fermÈ aux piÈtons (les vÈhicules n'Ètaient quasi jamais autorisÈs ý passer) aux alentours de sept heures du soir et il rouvrait le lendemain matin. La nuit, nous Ètions deux ý surveiller dans un poste placÈ ý cÙtÈ du barrage fermÈ, afin de s'assurer que personne n'essayait de passer. «a s'est passÈ un soir, aprËs la fermeture du barrage, alors que nous n'Ètions que deux au poste, ý ce moment de la journÈe o˜ la derniËre lumiËre du crÈpuscule disparaÓt et que l'obscuritÈ prend possession de l'espace. Nous avons entendu un drÙle de murmure puis, tout ý coup, nous avons vu un enfant d'une dizaine d'annÈes venant en courant de Rafah et commenÁant ý passer le barrage. Et il pleurait. Il courait et pleurait, avec de forts sanglots et son visage Ètait baignÈ de larmes. C'Ètait une course panique et les pleurs Ètaient des pleurs de frayeur. C'est la seule fois que nous est arrivÈ quelque chose comme Áa. Nous devions penser et agir vite, mais il ne nous est pas venu ý l'esprit d'exÈcuter ce que nous sommes sensÈs faire selon les instructions, c'est-ý-dire: crier ´Halte! Halte, identitÈ!ª, armer le fusil, et si on ne s'arrÍte pas, alors tirer en l'air et peut-Ítre aussi plus que Áa. L'enfant ne traÓnait rien avec lui si bien que nous ne craignions pas qu'il fšt envoyÈ pour dÈposer une charge explosive. Nous avons compris que ce dont l'enfant avait tellement peur, c'Ètait nous - les soldats. Apparemment, il avait ÈtÈ retenu pour une raison ou une autre ý Rafah jusqu'ý une heure tardive - peut-Ítre n'avait-il pas fait attention ý l'heure jusqu'ý ce qu'il soit trop tard, peut-Ítre ne savait-il pas ý quelle heure le barrage fermait - et il ne pouvait pas rester seul dans la ville, il devait rentrer chez lui au village. Entre nous, nous avons dÈcidÈ de laisser l'enfant continuer. Je me suis dit tout ý coup qu'il avait de la chance que ce soit nous qui Ètions de garde au barrage ý ce moment-lý. D'autres gardes auraient peut-Ítre essayÈ de le mettre en fuite ou de l'attraper. Un autre coÈquipier se serait peut-Ítre entÍtÈ ý faire rapport sur l'incident ý l'agent de liaison et ý alerter la moitiÈ du poste pour arrÍter l'enfant. Pour de toute faÁon le libÈrer et le laisser rentrer chez lui plus tard, mais ils auraient causÈ chez lui une frayeur et une souffrance qui se seraient gravÈes encore plus profondÈment dans sa mÈmoire; ou il serait retournÈ en fuyant dans la direction de Rafah et il aurait tournÈ en rond, pendant toute la nuit, seul et paniquÈ. Alors j'ai dÈcidÈ d'essayer de lui expliquer que le barrage est ouvert jusqu'ý sept heures du soir et que la prochaine fois, il passe ý temps et il ne lui arrivera rien de mal. J'ai essayÈ de lui parler au moment o˜ sa course le faisait passer devant nous, et il a ralenti et a tournÈ la tÍte vers moi - et alors j'ai vu dans ses yeux, au milieu de son visage baignÈ de larmes, combien il avait peur de nous, les soldats. J'ai compris qu'il n'y avait aucun espoir qu'il saisisse quoi que ce soit de ce que j'essaierais de lui expliquer et je me suis tu, et il a continuÈ ý courir jusqu'ý ce qu'il disparaisse de notre vue. L'autre soldat de garde et moi-mÍme, nous avons dÈcidÈ de ne pas faire rapport ý l'agent de liaison sur ce qui s'Ètait passÈ afin qu'ils n'essaient pas d'attraper l'enfant et nous avons aussi dÈcidÈ de ne le raconter ý personne pour Ítre plus sšr de ne pas nous retrouver empÍtrÈs. Nous n'avons pas agi selon les instructions qui nous avaient ÈtÈ donnÈes, mais je me sens entier avec ce que nous avons fait. Il y a clairement des ordres sur lesquels on n'a pas besoin de voir flotter de drapeau noir ou un arrÍt de la Cour SuprÍme pour qu'il soit permis de ne pas les exÈcuter: il suffit qu'ils heurtent l'intelligence et transpercent le cúur. Mais il y a dans cette histoire quelque chose qui me poursuit encore plus, jusqu'ý aujourd'hui: c'est la peur qu'il y avait dans les yeux de ce petit enfant, une peur que je n'oublierai jamais. ¿ travers son regard terrifiÈ, j'ai compris comment lui me voyait: pas comme quelqu'un avec qui il est possible de communiquer (sinon avec des mots, au moins par signes) mais comme un instrument meurtrier qui peut, d'une pression du doigt, le tuer; pas comme un Ítre humain mais comme un ÈlÈment de tout un systËme qui rend sa vie amËre. Il ne voit pas mon visage, mais un uniforme, un casque, une arme et la mitrailleuse placÈe, armÈe et chargÈe, sur le tas de sacs de sable qui me cache presque entiËrement. Sans doute cet enfant, dont je ne connais pas non plus le nom, voit-il ainsi tous les soldats israÈliens. Est-ce ainsi encore qu'il voit tous les Juifs? Il me paraÓt Èvident que l'occupation et la violence s'infiltrent dans la conscience dans une mesure bien plus grande qu'il n'apparaÓt parfois ý ceux qui regardent du dehors, depuis l'Ècran de tÈlÈvision, et qui ne savent pas ce qui se passe exactement au-delý des lignes de bouclage. Le maintien de la situation existante anÈantit les espoirs de paix qui restent et renforce les barriËres de la peur, de l'aliÈnation et de la haine. Nous ne pourrons vivre cÙte ý cÙte que si nous nous rencontrons ailleurs qu'ý des barrages d'asphalte et de bÈton, et que si nous, les forts, sommes fermement dÈcidÈs ý laisser tomber nos dÈguisements rÈpugnants de tenues kakis et de visages durs et insensibles, et ý montrer ý nos voisins le beau cÙtÈ qui est en nous, le cÙtÈ chouette. Traduit de l'hÈbreu par Michel Ghys
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