Palestine

Une nouvelle Intifada surgit

Daoud Kuttab*

* Daoud Kuttab est professeur à l'Université Al-Kuds à Ramallah.

Il était presque minuit, le 20 septembre 2002, lorsque diverses stations télévisées émettant par satellite ont interrompu leurs programmes normaux pour annoncer que les soldats israéliens avaient averti les Palestiniens vivant près des bureaux de Yasser Arafat (la Muqataa), à Ramallah, que le bâtiment serait dynamité dans les 15 minutes si ceux qui s'y trouvaient ne sortaient pas.

Au cours de ces minutes extrêmement tendues, les rues de Ramallah se sont remplies de Palestiniens. Les manifestants, à la tête desquels se trouvaient des femmes, ne cessèrent d'augmenter en nombre. Or, ces personnes avaient été cloîtrées par la force dans leurs maisons durant des jours interminables. Elles ont toutefois décidé qu'elles en avaient assez de l'injustice. Beaucoup d'entre elles ont manifesté pour la défense de leur honneur national plus que pour donner un appui à Arafat.

Le soulèvement populaire qui a commencé dans les quartiers périphériques de Ramallah s'est rapidement étendu à Naplouse, Tulkarem, Gaza et Bethléem. Le jour suivant, des femmes et des hommes sont sortis avec des casseroles et divers instruments domestiques en tapant dessus, pour signaler leur colère et leur protestation. Vingt-quatre heures plus tard a été réalisée une veillée funèbre, envisagée comme une façon de rompre avec ce que les gens considéraient comme un couvre-feu répressif.

En 1987, les Palestiniens ont introduit l'expression Intifada (soulèvement) dans le lexique international. Lorsque des milliers de jeunes armés seulement de pierres se sont levés et ont fait face aux fusils et aux tanks israéliens. En automne 2000, quand ont éclaté les affrontements faisant suite à la visite de Sharon sur l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, beaucoup ont baptisé cet essor des protestations d'Intifada Al-Aqsa ou de seconde Intifada. Maintenant, après ce qui s'est passé dans la nuit du 20 septembre à Ramallah, je crois que nous assistons à lente naissance de la troisième Intifada.

Depuis cette nuit, les écoles dans de nombreuses villes de Cisjordanie sont restées ouvertes, lançant un défi au couvre-feu israélien. Dans certaines régions ont été organisées des écoles populaires. Dans les écoles les plus riches, contre la fermeture, les devoirs ont été envoyés aux étudiants par courrier électronique. Les jours de couvre-feu, dans certains secteurs de la société, se sont convertis en jours de communication massive par Internet, d'autant plus que beaucoup de gens, étant donné la permanence des couvre-feux, utilisent déjà ce moyen de communication pour leurs activités administratives ou pour des tâches scolaires. Toute une culture, fondée sur l'écriture, l'enregistrement, la photo, se développe afin de traduire la signification de la vie quotidienne sous le couvre-feu.

Ce qui s'est passé la nuit du 20 septembre n'est pas arrivé sans quelques éléments annonciateurs. Une semaine avant, les représentants du peuple palestinien ont fait quelque chose qui n'a pas de précédent dans la politique du monde arabe. Ils ont obligé un gouvernement nommé par Arafat à renoncer ou, sans cela, à être humilié par le refus d'un vote de confiance. A peu près en même temps, une enquête d'opinion révélait qu'une majorité de Palestiniens appuyait l'idée d'une résistance de masse non violente. Il y a un lien entre cela et les manifestations pacifiques qui ont commencé aux alentours du 20 septembre.

Lors des deux Intifada antérieures, la seconde étant fort différente de la première, ceux qui étaient favorables à un affrontement de plus en plus violent ont pris le dessus à l'occasion des protestations. Une telle stratégie, mettant en danger ceux qui participent à la protestation, limite rapidement la possibilité de réunir un grand nombre de Palestiniens.

Durant longtemps, certaines personnes critiques posaient la question aux Palestiniens: pourquoi n'utilisez-vous pas, étant donné les rapports de force, des moyens non violents pour stimuler un changement? Ils mettaient l'accent sur le fait qu'une telle orientation impliquerait la possibilité de modifier l'opinion publique internationale et israélienne et que cela pourrait se traduire sur le terrain politique. Nous Palestiniens, nous avions de nombreux doutes à cet égard car nous voyions que le gouvernement Sharon n'avait d'intérêt que pour une population palestinienne qui lève le drapeau blanc de la reddition.

Quand les Palestiniens à Ramallah ont réalisé leur plan de soirée de veille le mercredi, l'armée israélienne n'a pas levé le couvre-feu le jeudi comme elle l'avait promis. Elle l'a prolongé. Malgré cela, même si quelques-uns ont obéi à ce nouvel ordre, la majorité ne l'a pas fait. En particulier dans  les écoles, il fut décidé que les tâches éducatives ne seraient pas suspendues, contrairement aux ordres donnés par l'armée israélienne.

Ce qui est préoccupant, c'est que la presse israélienne et internationale a quasi omis ou a complètement sous-estimé la nature de ce mouvement non violent qui s'est produit en Palestine. Il semble que le changement tant espéré dans l'opinion publique israélienne et américaine ne se produira pas de sitôt, d'autant plus que les deux populations sont soumises à un bombardement desdites informations qui correspondent à la volonté de ceux qui désirent terminer ce conflit grâce à la violence répressive. -30 septembre 2002

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