Palestine

Farce et terreur dans la «zone fermée» de Ramallah

par Robert Fisk à Ramallah,(2 avril 2002)
Robert Fisk est un des meilleur spécialiste anglo-saxon du Moyen-Orient. Il vit à Beyrouth.
(trad. de The Independent, Londres)

Les journalistes ont reçu l'ordre de quitter Ramallah dimanche soir [31 mars] tard. C'est un vieux procédé. Lorsque l'armée israélienne ne veut plus que nous voyons ce qu'elle est en train de faire, resurgit l'exercice le plus grotesque de la juridiction militaire: la «zone militaire fermée».

Donc hier était justement un bon jour pour aller voir ce que préparait l'armée israélienne. Et j'ai facilement pu me rendre compte pourquoi elle ne voulait pas de journalistes alentour.

Une longue descente sur le flanc d'une colline couverte de gravier, pas très loin du checkpointisraélien, une escalade à travers des rochers et de la boue, puis une course pour remonter jusqu'au camp de réfugiés palestiniens de al-Amari, en bordure de Ramallah, nous en a dit long sur la situation: une histoire de civils terrifiés, de tanks rugissant et d'enfants jetant des pierres sur les jeeps israéliennes, comme ils le faisaient avant Oslo et tous les faux espoirs qu'Américains, Israéliens et Arafat ont apportés dans la région.

Plutôt que de mener une «guerre contre la terreur», les soldats israéliens semblent comme s'ils étaient entrés dans la jungle de l'occupation, comme ils l'avaient fait au Liban en 1982, à une époque où les «zones militaires fermées»étaient aussi nombreuses - et sans valeur - que les confettis. Les Palestiniens se cachent dans leurs maisons, volets fermés, observant de derrière les jalousies, se montrant parfois furtivement sur un balcon pour faire un signe, lorsqu'ils voient un Occidental dans la rue. On peut voir quelques enfants qui courent entre les maisons. Je me demande: à quel âge la guerre se transforme-t-elle de jeu en tragédie ?

C'était un jour gris, froid et humide pour une «guerre contre la terreur». Durant la première partie du trajet, je retrouve le mélange habituel de peur et de farce. De nombreux Palestiniens descendent la route qui conduit au vieux quartier sud de Ramallah. Les Israéliens le savent parfaitement, mais ils ne s'ennuient habituellement pas à contrôler ces mouvements.

Pour dire la vérité, c'est un officier israélien qui, le jour de Pâques, près du checkpointde Kalandia, m'a conseillé d'entrer dans Ramallah en suivant ce petit chemin. Et, derrière un amoncellement de pierres et de bloc de bétons boueux - entassés ici il y a longtemps par les Israéliens - il y avait un chauffeur de minibus proposant un voyage jusqu'à l'Hôtel Ramallah.

C'était évidemment trop beau pour être vrai. A peine avions-nous atteint le camp de réfugiés de al-Amari - où habitent des Palestiniens qui, à l'origine, ont fui en 1948 leurs maisons situées dans ce qu'est aujourd'hui Israël - que le courage du chauffeur s'est évanoui.

Une femme, qui s'appelle Nadia, et son petit-fils m'ont proposé de me guider à travers le camp. Il y avait de jeunes gens dans les rues, de solides jeunes hommes, en parkas et jeans, surveillant chaque route et chaque passage. Et, autour du camp, des enfants, hurlant d'excitation et de peur chaque fois qu'une jeep de la police des frontières israélienne fonçait vers eux. Tout le monde attendait le début du raid israélien.

C'est un médecin qui m'a proposé de me pousser jusqu'au centre de Ramallah. Nous avons fait ce trajet avec grande anxiété, conduisant lentement le long des rues secondaires, freinant brusquement chaque fois que nous entrevoyons le canon d'un char israélien au coin d'une rue, observant en permanence les hélicoptères Apaches, qui, deux par deux, sillonnaient le ciel comme des guêpes. Notre voiture cahotait en passant par-dessus les sillons creusés par les chenilles des chars dans la route goudronnée. Plus nous approchions du centre, moins nous voyions de personnes. Ramallah était une ville fantôme.

Voilà où a abouti Oslo. Il y a les plaintes habituelles au sujet du saccage des maisons et quelques accusations, beaucoup plus dérangeantes, de vols perpétrés par les troupes israéliennes. La réponse israélienne - «Des accusations sans fondement entretenues par l'Autorité palestinienne» - aurait été plus crédible si des troupes israéliennes n'avaient pas volé des voitures et saccagé des maisons durant l'invasion du sud du Liban, en 1982.

Puis, pour les rares journalistes restés à l'Hôtel Ramallah - ainsi que pour un petit groupe de pacifistes, Français et Italiens en majorité (avec, en profusion, boucles d'oreilles, foulards palestiniens et même, dans un cas, une boucle dans le nez) - arriva le moment du drame et de la pure comédie.

Un char blindé Merkava, rugissant comme un lion, passa lentement devant l'hôtel, puis, très lentement, dirigea son canon en direction de la porte d'entrée. Les pacifistes se précipitèrent dans la cour intérieure, hurlant aux journalistes de se tenir à l'entrée en tenant leurs passeports au-dessus de leurs têtes.

C'est, je suppose, de cela qu'il retourne avec l'occupation de Ramallah. Toute la journée, les rues ont résonné au bruit des chars d'assaut. Entre deux rues et deux maisons, nous pouvions voir des Merkavas fracassant des arbres ou labourant les routes. Sur une colline au-dessus de la ville, un autre blindé est en position, son canon pointé vers le quartier général ravagé d'Arafat, en fait sa prison. Au bruit sec d'un coup de fusil répond le hurlement d'un obus ou une mitrailleuse. Puis, le monde vide est rendu au chant des oiseaux ou au faux bourdonnement des Apaches, au-dessus de nos têtes.

Peu de temps restant avant la tombée de la nuit, quitter Ramallah a été encore plus dramatique et farce que d'y entrer. Avec un petit groupe de journalistes français et italiens, j'ai marché, sous le soleil de l'après-midi, plus d'une heure avant de réaliser que nous étions perdus.

La guerre peut être une créature surréelle et c'était le cas, en cette fin d'après-midi, alors que nous marchions - tout sourire - en direction de deux tanks israéliens, dont les équipages effrayés se blottissaient derrière les véhicules, ouvrant leurs rations prêtes à manger. Moins surréel - en fait, beaucoup plus réel - le char Mervaka qui fonça vers nous, une heure plus tard. Les passeports européens ont fleuri et il y a eu de timides signes de la main, avant que la bête camouflée ne nous dépasse à 30km/h, dans un nuage bleu de cailloux projetés dans toutes les directions.

Durant notre voyage de 10 kilomètres pour sortir de la ville, les familles palestiniennes nous ont fait signes depuis la porte d'entrée de leurs maisons et nous ont offert du café. Un enfant a couru à travers un champ, poursuivant un cheval, et quelques familles se sont faufilées entre les maisons, attentives au moindre signe d'Israéliens. Un vieil homme conduisait une mule sur le bas de la route, avec un large sourire.

Et c'est alors, je crois, que j'ai réalisé que c'était ces gens ordinaires, ces familles, ce vieil homme et cet enfant avec un cheval qui sont la vraie résistance aux Israéliens, qui refusent d'être intimidés et de renoncer à leur vie ordinaire.

Et si c'est la «guerre contre la terreur» qui est menée, il était un peu difficile de savoir, hier à Ramallah, qui étaient le plus terrorisés: les Palestiniens, ou les soldats israéliens qui sont entrés en guerre pour M. Sharon.

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