Palestine Guerre imposée... guérilla lancée Samar Al-Gamal et Ahmed Loutfi in Al-Ahram Weekly(hebdomadaire égyptien), 13 mars 2002 Les affrontements quotidiens entre Palestiniens et Israéliens se sont transformés en une véritable bataille. En dépit de sa suprématie militaire, Israël est loin de pouvoir imposer son diktat aux Palestiniens qui défient Ariel Sharon. Grève générale, calme total ... Des milliers de manifestants défilent dans le village de Kana en soutien à l'Intifada. Dans les territoires palestiniens ainsi que dans les localités arabes d'Israël, la grève a été largement suivie pour dénoncer la répression militaire israélienne et la politique de massacre de Sharon. Celui-ci a autorisé l'armée à intensifier ses attaques même s'il dit avoir renoncé à son exigence d'une semaine de calme absolu avant toute négociation avec les Palestiniens. Cette intensification fait partie de sa stratégie visant à effacer l'humiliation qu'il a subie avec les représailles ciblées et efficaces menées par les Palestiniens, avant l'arrivée de l'émissaire américain Anthony Zinni. L'agression israélienne prend les formes les plus atroces. Un militant des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa a été assassiné à Jérusalem-Est une demi-heure après son arrestation, alors qu'il était totalement entre les mains de la police. La scène décrite par les témoins dévoile un sentiment de haine tenace chez les Israéliens. «Lorsque Mahmoud est arrivé, il a tout de suite été menotté, on lui a ensuite mis les bras en l'air et l'a plaqué sur une voiture. Dépêchés sur les lieux, des membres des unités spéciales l'ont plaqué au sol et ont déchiré ses vêtements le laissant uniquement en caleçon. Un policier a posé un pied sur son cou, un autre lui a tenu les jambes et un troisième les mains. La police répétait en hébreu: Tuons-le. D'une distance de 40 à 60 cm, les membres des unités spéciales lui ont tiré dessus et l'ont laissé par terre pendant 40 minutes jusqu'à sa mort». Un peu plus tôt, les télévisions du monde montraient des images des soldats israéliens pénétrant dans les maisons palestiniennes où on ne voyait que femmes et enfants. L'armée israélienne a en outre occupé complètement le camp de réfugiés de Dheishé, près de Bethléem en Cisjordanie. L'objectif traditionnellement affiché par Israël est «d'arrêter des terroristes et saisir des armes». Ce qui a été fait. Israël a arrêté 600 Palestiniens qui ont dû enlever leurs chemises et les mettre dans un sac en plastique. Leurs mains ont été attachées et leurs yeux bandés. «Dans cette guerre d'usure, c'est le premier qui baisse les bras qui perd», a déclaré le chef d'état-major, Shaoul Mofaz. Les Etats-Unis, tout comme Israël, avaient parié sur la capacité de Sharon à briser l'Intifada. C'est pour cela qu'ils lui ont laissé tout le champ libre pour prendre les mesures qu'il juge susceptibles d'arrêter ce que les deux qualifient de violences. Mais le cycle de violence n'a fait qu'augmenter, le jeu devenait trop risqué, avec la possibilité de représailles palestiniennes devenant plus larges. Après des tergiversations, Washington a décidé de renvoyer sur place son émissaire Anthony Zinni, dont la dernière mission en janvier a été interrompue par la recrudescence de la violence. Cette fois-ci, les Etats-Unis affirment que de tels actes n'empêcheraient pas sa mission. Quoi qu’il en soit, cet ancien général des Marines avait été jugé trop aligné sur la politique d'Israël et ses bons offices n'ont pas permis un cessez-le-feu entre Palestiniens et Israéliens. Aujourd'hui, les analystes ont tendance à croire que seules des pressions américaines sur le gouvernement israélien pourrait contribuer à mener à bon port la mission de Zinni. Ceci est d'autant plus vrai puisque le secrétaire d'Etat, Colin Powell, n'a fait qu'exprimer le souhait que Sharon réfléchisse à la question du siège imposé au président palestinien. «Sharon devrait considérer la situation, se faire une opinion. Mais il faut mettre la crise derrière nous. Ce n'est pas quelque chose qui peut se régler en un jour ou deux», a-t-il déclaré. Immédiatement après, le premier ministre israélien a déclaré desserrer l'étau sur Yasser Arafat. «J'estime que les conditions que j'avais posées pour qu'Arafat quitte Ramallah sont remplies. Il faut respecter nos engagements». Cette déclaration n'a pas été suivie de précisions. On ignore toujours si le chef de l'Autorité palestinienne pourrait se rendre aux côtés de ses frères arabes pour le sommet de Beyrouth. Pour le moment, Israël poursuit sa guerre et les Palestiniens mènent leur guérilla. Sharon, une politique de baroudeur Ariel Sharon: «Les Palestiniens doivent encore subir beaucoup de pertes. Quiconque veut négocier avec eux doit d'abord les frapper durement». Le mouvement Hamas: «L'occupation et l'agression israéliennes n'arriveront pas à briser la volonté du peuple palestinien. La réponse à l'escalade sera l'escalade». Un dialogue de sourds ? Incursions, puis attentats, raids, puis représailles. Le conflit palestino-israélien a atteint en deux semaines un record de pertes, même par rapport à la première Intifada, qui a duré de 1987 à 1993. Tout a commencé le 28 février, lorsque l'armée israélienne pénètre pour la première fois dans les camps de réfugiés de Jénine et Balata, en Cisjordanie. Pendant trois jours, Israël n'a pas lésiné sur les moyens: chars, bulldozers et raids. Les Palestiniens, eux, résistent. Et même s'ils ont subi les pertes les plus lourdes, ils ont réussi à rendre les coups et prendre pour cibles les militaires israéliens. Un Palestinien fait exploser une charge qu'il portait à Jérusalem-Ouest, tuant neuf Israéliens et en blessant une trentaine. De quoi susciter la fureur du premier ministre israélien, qui a vu sa tactique de plus en plus dans l'impasse. «Sharon est venu avec l'idée qu'avec les armes, il stoppera l'Intifada et forcera les Palestiniens à accepter un accord dont il fixera, à lui seul, les termes», affirme Emad Gad, directeur du magazine Mokhtarat israëliya (Israeli Digest). Conscients du plan Sharon, les Palestiniens ont décidé de le mettre en échec. Résultat normal, une intensification de la violence s'ensuivit. F16, Apache, chars et même bâtiments de guerre, Tsahal a utilisé tout l'arsenal qui lui a été fourni par les Etats-Unis. En vain. Ces armes, la première fois utilisées, avaient provoqué un tollé général dans le monde. Désormais, elles sont en action quotidienne. «Il ne leur restait plus qu'à recourir aux armes nucléaires» commente Gad. Quant aux Palestiniens, ils ont quasiment renoncé aux pierres, symbole de l'Intifada. Désormais, c'est la guerre et la guérilla. Une guerre israélienne déclarée. «L'armée israélienne va poursuivre ses opérations intensives», a affirmé Zalman Shoval, le conseiller politique d'Ariel Sharon. Ce dernier y voit une condition nécessaire permettant un retour à «un processus politique». Or, c'est l'inverse qui a lieu. Les Palestiniens, qui pensent qu'ils n'ont plus rien à perdre, refusent de céder. Lors de la première Intifada, les Palestiniens avaient perdu un peu plus que 1 250 personnes en 6 ans. Leur deuxième Intifada a à peine un an et demi, et leurs pertes ont dépassé les 1 100 morts. Le vendredi noir (le 8 mars) de ce soulèvement a enregistré 59 morts palestiniens. Un triste record dans une série de journées sanglantes. Les analystes rappellent en outre qu'Israël a ignoré les efforts déployés par les services secrets palestiniens, qui ont arrêté l'organisateur présumé de l'attentat ayant coûté la vie au ministre israélien du Tourisme. Son arrestation était une des conditions israéliennes pour lever le siège du président palestinien, Yasser Arafat, confiné à Ramallah depuis le 3 décembre dernier. Le blocus d'Arafat a été vécu par les Palestiniens comme une humiliation, la pire qu'ils ont jamais subie. En perte de vitesse Et le cycle de violence continue. Les deux parties semblent prises dans un engrenage fatal. Dans une guerre, ce n'est pas seulement les gains ou les pertes sur le champ de bataille qui comptent. D'autres facteurs beaucoup plus importants entrent en jeu. Et cela s'applique plus aux Israéliens. Sharon n'est-il pas en train de subir un véritable revers politique ? Un an jour pour jour depuis son arrivée au pouvoir, il n'a pas, pour une grande majorité des Israéliens, soit 72 %, répondu à leurs attentes. Seuls 15 % continuent à le soutenir, alors qu'ils étaient 75 % au lendemain de l'entrée en fonction de son gouvernement. Ce sondage, publié par le quotidien Yediot Aharonot(israélien) indique également une nette chute dans la confiance des Israéliens en leur premier ministre: 53 % ne peuvent plus compter sur lui. Pire encore, 76 % des Israéliens s'estiment mécontents de la manière dont le gouvernement Sharon a traité les problèmes sécuritaires. Il ne faut pas oublier que lors de la campagne électorale pour le poste du chef de gouvernement, il avait promis à ses concitoyens de mettre fin à l'Intifada et de leur ramener la sécurité en 100 jours. Ce qui lui a valu de remporter ces élections face à Ehud Barak. Aujourd'hui, environ la moitié des Israéliens se prononcent pour de nouvelles élections, et 30 % pour une démission collective du gouvernement. Le bilan de Sharon est également négatif sur le plan de l'économie, touchée de plein fouet par l'escalade de la violence. Récession et chômage sont fortement en hausse. Pour la première fois, depuis 9 ans, le taux de chômage est passé à deux chiffres, pour atteindre 10,2 % à la fin de 2001. L'économie tourne à vide et les craintes sur l'avenir se sont traduites par la multiplication d'achats d'appartements à l'étranger. Un facteur d'importance majeure pour un pays dont l'idéologie est fondée sur l'immigration «en terre d'Israël». Sur le fil du rasoir Les analystes, comme Gad, voient dans ces chiffres «un indice, voire un pas vers la chute prochaine de Sharon. Il est pris entre l'enclume et le marteau. D'une part, il doit poursuivre ses opérations militaires, car la droite pousse vers plus d'intransigeance, et Benyamin Netanyahu est aux aguets. La «gauche», de son côté, estime que ce «gouvernement a moralement dépassé les limites». Le quotidien israélien Haaretzsoutire que «pour les Travaillistes, il est temps de se retirer» L'homme de Sabra et Chatila vient de se lâcher dans les camps de réfugiés de Jénine et de Balata, dans le genre de raids qui peuvent se terminer par un massacre». Les Arabes multiplient les initiatives politiques, ce qui leur fait gagner des points vis-à-vis d'une communauté internationale lassée par la poursuite de la violence. Une première, les Etats-Unis, qui ont jusqu'à présent donné le feu vert à la politique de Sharon, ont fustigé l'approche répressive de Sharon face à l'Intifada. «Le premier ministre doit regarder de plus près la politique qu'il suit et voir si elle marche», a déclaré le secrétaire d'Etat Colin Powell. Dans les termes les plus durs jamais utilisés par l'Administration américaine, Powell a encore martelé: «Si vous déclarez la guerre contre les Palestiniens et pensez que vous pouvez résoudre le problème en observant combien de Palestiniens vous avez tué, je crois que cela ne conduit nulle part». Des déclarations qui reflètent certes des divergences avec Tel-Aviv, mais qui dans le même temps n'apportent rien de concret en ce qui concerne une intervention plus directe des Américains dans le conflit. Le président George W. Bush a, comme d'habitude, exhorté le président Arafat à faire davantage d'efforts pour ramener le calme, lui attribuant une «responsabilité spéciale» dans l'escalade. Mais il reste que Washington a mis Palestiniens et Israéliens face à face. Le porte-parole du Département d'Etat, Richard Boucher, a déclaré que «dès maintenant, chaque partie devrait penser aux conséquences de la politique qu'elle suit». Il est vrai que chacune des deux parties doit faire son choix et reconnaître l'échec d'une solution militaire. Mais seul Sharon a la possibilité de modifier sa politique. Yediot Aharonotestime que «la décision est certes difficile à prendre, alors que les alliés de droite de Sharon poussent à déclencher une guerre dont l'objectif serait d'expulser deux millions de Palestiniens». En effet, ces derniers ne font que réagir. Selon les termes de Yasser Arafat, «ils ne demandent pas la lune, mais l'application du droit international». Pour Arafat, «la paix n'est pas un bienfait que seuls les Palestiniens goûteront, c'est autant important pour Israël, le Moyen-Orient, l'Europe et le monde entier». Mais comment y parvenir ? La mission de Zinni semble loin d'atteindre cet objectif. Il faudrait peut-être que les Etats-Unis adoptent une attitude plus critique à l'égard d'Israël, surtout s'ils se préparent vraiment à attaquer l'Iraq. En attendant, du sang va encore couler de part et d'autre. 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