Le 7 novembre 2001, le parlement israélien a voté la levée de l'immunité parlementaire d'Azmi Bishara, député à la Knesset depuis 1996, où il est l'unique représentant du parti qu'il a fondé et qu'il dirige: l'Assemblée Nationale Démocratique, dont le mot d'ordre est la transformation d'Israël en état de tous ses citoyens. Azmi Bishara est le porte-parole des citoyens arabes d'Israël, qui souffrent de discriminations constantes, bien qu'ils soient aujourd'hui un million, soit près d'un citoyen israélien sur cinq...

Comité international pour la défense d'Azmi Bishara

Les tours jumelles de l'horreur
Azmi Bishara (14 février 2002)

Le terrorisme, désormais, relève de la question de savoir qui vous êtes, et non pas ce que vous faites. Mais ce sophisme ne saurait durer très longtemps, estime Azmi Bishara. Le terrorisme et l'anti-terrorisme, ayant cassé les amarres d'avec la rationalité, ont trouvé leur monde mythique. Les voici, tous deux, perchés sur leurs piédestaux massifs: ils nous toisent de leurs yeux d'acier froid: deux donjons de pure idéologie, ni questionnée, ni examinée. Aucun outil analytique ne peut expliciter la globalisation du biais sémantique qui a été introduit subrepticement dans ces deux termes. Aucun fondement moral ne peut justifier la discrimination linguistique (au sens d'apartheid) qui est désormais la marque déposée de la politique des Etats-Unis, tant étrangère qu'intérieure.

En l'état actuel des choses, le concept de terrorisme dépend de qui vous êtes, et non pas de ce que vous faites. L'assassinat de civils à des fins politiques, voilà qui peut être qualifié de terrorisme. Mais cela peut être aussi qualifié de violence, d'actes de guerre, voire même de résistance légitime. Tout dépend de la question de savoir si l'auteur de ces actes est bien, ou s'il n'est pas, catalogué terroriste. Oubliée, l'égalité devant la loi. Oubliée la charge de la preuve. Le terreur n'est pas un crime, à moins qu'elle ne soit commise par un "terroriste patenté". Et tout le monde s'attache à s'assurer que nous nul n'ignore QUI sont les terroristes.

A la différence du vol, de la prévarication, des meurtres de droit commun ou des contraventions au code de la route, vous ne pouvez pas commettre un acte terroriste si vous n'êtes pas un terroriste de naissance, un méchant certifié. A défaut, vos pires atrocités devront être appelées autrement, comme par exemple "actes de survivance contre des maraudeurs ethniques", ou bien encore "actes s'inscrivant dans la guerre généralisée contre le terrorisme". Aujourd'hui, le terrorisme se définit comme tout acte perpétré par une organisation désignée comme terroriste par de puissants décideurs politiques. Si un acte de violence est commis afin de défier un régime existant, c'est du terrorisme. Si, à l'inverse, la violence est perpétrée par les forces de sécurité ou une garde prétorienne du dit régime, ce n'est pas du terrorisme.

Le monde, nous disent les dirigeants des grandes puissances, se divise en deux groupes: les terroristes et les anti-terroristes. Cette division a des résonances ethniques, pour ne pas dire racistes. C'est cette division, et non le terrorisme en lui-même, qui est nouvelle sur la scène internationale. Dans toutes les cultures, il y a des groupes et des mouvements religieux qui condamnent l'assassinat délibéré de civils pour des motifs politiques. Aux Etats-Unis, dans les pays arabes, et presque partout ailleurs, des gens ont pu commettre des actes de violence politique contre leurs propres concitoyens, contre leurs compatriotes culturels et ethniques. Ces actes ont été qualifiés, à juste titre, de terrorisme. Et ils ne font plus l'objet, désormais, d'un quelconque intérêt international.

Actuellement, la communauté internationale est moins préoccupée par la définition du crime que par la désignation de l'individu ou du/des groupe(s) d'individus qui le commettent. En gros, vous êtes soit terroriste, soit anti-terroriste. Si vous n'êtes pas dénoncé comme terroriste, vous pouvez, au sens littéral du terme, vous estimer quitte de votre crime. La raison sous-jacente de la guerre contre le terrorisme est qu'il existe(rait) une confrontation entre les valeurs du libéralisme et certaines cultures, ou entre les cultures libérales et les autres, non-libérales et susceptibles de nourrir le terrorisme. Le racisme intrinsèque de cette théorie est peu voilé. Les cultures ne sont pas des entités organiques indépendantes. Elles ne font que s'exprimer au travers de personnes réelles ayant, toutes, leurs intérêts concrets. Ces intérêts peuvent être conflictuels entre eux, mais non les cultures. Penser autrement n'est que folie, ou extrémisme.

Malheureusement, il s'agit là exactement de la ligne de pensée affectionnée par George W. Bush.

Depuis le 11 septembre, le président américain, par défaut et au prix de force contorsions, est devenu l'autorité mondiale, en matière de terrorisme. Il a divisé le monde en deux camps: les bons et les méchants: les "good guys" (les gentils) antiterroristes se battent contre les "bad guys" (les méchants) terroristes. Ironie de l'histoire: il s'agit précisément là du type d'attitude pour lequel les fondamentalistes sont (littéralement) prêts à tuer pour la voir dominer. C'est là la cassure universelle qu'ils ont toujours prêchée et sur laquelle ils ont depuis toujours fantasmé: une dichotomie infantile, raciste, moralisatrice - bref, ne tenant pas debout - a été retenue comme politique activement menée, mondialement soutenue, capable de diviser le monde. Par le passé, seuls les fondamentalistes et les politiciens israéliens priaient pour l'avènement de cette guerre totalement absurde contre le mal. Ancien premier ministre israélien, Netanyahu, à l'époque où il était encore le jeune et ambitieux envoyé d'Israël aux Nations Unies, avait essayé de faire passer cette idée démente. Sans succès. Désormais, ni lui, ni ses semblables, par-delà la ligne de démarcation politique et culturelle, n'ont de souci à se faire.

En tant que pays occupant, Israël a un intérêt bien senti à vouloir faire passer son oppression contre une autre nation pour quelque chose d'autre, quelque chose de complètement détaché de toute réalité: de préférence, pour une lutte mythique contre le terrorisme. L'oppression des mouvements d'émancipation nationale, ont toujours tenté de prouver les idéologues du colonialisme, relève de l'intérêt général de l'humanité. Les natifs sont souvent dépeints sous les traits de gens quelque part héréditairement violents, intrinsèquement dangereux, ethniquement tarés. La querelle, par conséquent, ne tourne pas autour d'on ne saurait quel territoire volé à ses propriétaires légitimes. Non. Ce dont il s'agit, c'est d'un combat autour de valeurs dont tout le monde sait que, pour ainsi dire par définition, les indigènes n'en ont aucune. C'est là le racisme poussé à sa quintessence. On s'est contenté de l'empaqueter, d'en faire la promotion et de le mettre en vigueur, partout sur la planète globalisée.

Les attentats du 11 septembre, avec leur horreur qui laisse sans voix, étaient les rejetons de ce manichéisme. Les terroristes qui ont réalisé ces attentats adhéraient totalement à la dichotomie du bien et du mal, cette même opposition qui inspire la guerre menée actuellement contre eux. Ces attentats ont donné à Israël ses billets de première loge pour le grand show international anti-terroriste. Dans ce spectacle incohérent, la justesse indéniable de la cause palestinienne a été poussée dans les oubliettes. Israël a rejoint les rangs de nations telles l'Espagne, l'Inde, la Russie, la Turquie et la Chine, qui unissent leurs efforts afin de condamner tout mouvement violent de nature sécessionniste.

Ce que tout le monde a un peu trop vite oublié, toutefois, c'est que les Palestiniens, écrasés depuis des décennies par l'une des formes les plus prédatrices du colonialisme, ne sont même pas sécessionnistes. Israël n'a pas daigné, ne serait-ce qu'une seule fois, proposer que les Palestiniens vivent, avec les Israéliens, comme citoyens à part entière d'un même Etat. Israël ne veut ni que les Palestiniens fassent partie de leur propre pays, ni qu'ils aient le leur propre.

Jusqu'à ce que leur autodétermination leur soit garantie, les Palestiniens ont le droit de mener leur résistance nationale légitime. Certains de leurs actes de résistance sont peut-être critiquables, moralement ou politiquement, mais leur droit à résister est absolu. Et il n'y a aucun point de ressemblance entre la lutte des Palestiniens et cette sorte de terrorisme globalisé qui a été inauguré par al-Qa'ida et les Taliban. Les actions des derniers peuvent être interprétés comme une quête fondamentaliste, un retour en arrière aux temps de la guerre froide, une réaction épidermique à la globalisation et à la caricature de modernisation qu'elle a amenée dans ses valises.

Ce à quoi les Palestiniens sont confrontés est beaucoup plus immédiat que les concepts abstraits de moralité ou de justice. Ils sont confrontés à la réalité quotidienne d'une oppression coloniale, d'une occupation d'heure en heure plus odieuse. L'occupation israélienne n'est pas un comptoir installé par quelque compagnie commerciale ni un mandat international susceptible d'être levé un jour. C'est la tentative déployée par un peuple d'en remplacer un autre. La violence d'Israël contre les Palestiniens est à la fois structurelle et endémique. C'est la raison pour laquelle Israël est si désespérément désireux de se voir accorder un aval anti-terroriste pour ses actes de violence sans cesse empirant à l'encontre des Palestiniens. Israël ne peut atteindre cet objectif qu'en présentant les Palestiniens comme des gens culturellement violent et ethniquement tarés. Après le 11 septembre, le monde, sous la direction des Etats-Unis, a créé exactement la mythologie adéquate, de nature à permettre que prospèrent des inepties de ce genre. Mais des déformations (aussi) grossières de la réalité ne peuvent perdurer. La démocratie, lorsqu'elle est appliquée à la communauté coloniale tout en étant déniée aux indigènes, n'est pas une démocratie digne de ce nom. L'appartenance ethnique, lorsqu'elle supplante la citoyenneté, est la recette pour un désastre assuré. Le gauchissement du langage constaté actuellement, et le déracinement concomitant d'une nation toute entière, équivalent à la délivrance d'un permis d'assassiner. Dans la recrudescence actuelle de la chasse au terroriste, l'équité et la justice semblent bien avoir été oubliées Mais elles demeurent le seul espoir de voir le cauchemar prendre fin un jour.  

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