Palestine

Et c'est nous les terroristes !
Nathalie Laillet,
citoyenne de Bethléem en Palestine, vendredi 18 janvier 2002

A 7h15: le réveil sonne... toujours trop tôt pour moi! Je me précipite pour l'éteindre et continue à rêvasser bien au chaud

sous les couvertures. Il fait froid dans la maison, et notamment dans la salle de bain: rien que l'idée de la douche m'incite à retarder l'heure du lever...

A 7h40: le téléphone sonne... C'est Sahar, l'une de mes étudiantes.

- Nathalie ! Il y a cours aujourd'hui ?

- Ben oui. Pourquoi tu me poses cette question ?

- Mais tu ne sais pas ?

- Ben non. Quoi ?

- Ils ont bombardé Ramallah ! Et ils sont encore rentrés avec les chars ! Ils sont à côté du Mouqata'a!

Décidément, il faut vraiment que je me décide à acheter une TV, moi... Pour le coup, j'ai quitté mes couvertures! Cours ou pas? Moi, j'y vais si je peux, et je dis à mes étudiants d'en faire autant. Et je pense aussitôt à l'une de mes amies qui habite tout près du Mouqata'a. Hélas, je ne peux pas l'appeler! Je n'arrive plus à trouver de carte téléphonique à Bethléem...

Vers 8h20, le téléphone sonne: c'est elle ! Elle a entendu des bruits dans la nuit, mais n'a compris que ce matin, quand ses amis l'ont appelée, ce qui se passait.

A 8h30, j'écoute le flash d'info de RFI (Radio France Internationale). Premier titre: la situation en Israël et dans les Territoires Occupés. J'apprends l'attentat de Hadera [à l'occasion d'une fête juive] et la "représaille" israélienne sur Tulkarem et Ramallah. Ça me fait toujours rire (jaune), ce mot de représailles... Et dire que l'on vous dit que l'information est objective... Pourquoi ne pas voir l'attentat de Hadera comme une "représaille" à la liquidation d'un des leaders de la brigade des martyrs d'Al-Aqsa il y a quelques jours ? En reprenant le mot de "représaille" pour qualifier les raids de la nuit sur les villes palestiniennes, on ne fait que reprendre le point de vue d'Israël. Ce qu'on a parfaitement le droit de faire. À condition de ne pas prétendre à une couverture objective du conflit israélo-palestinien.

Je file à Ramallah. Personne au check de Bethléem (on est pourtant vendredi, jour de prière). Le soldat m'interpelle en hébreu. Les mains dans les poches, je lui réponds en français. J'en ai marre de présenter mon passeport cent fois par jour ! Le soldat surpris me laisse passer sans vérification d'identité.

Route pour Jérusalem. Pour une fois, on y va directement, sans faire les détours qu'on fait habituellement le vendredi

matin... Il y a bien longtemps déjà que je ne cherche plus à comprendre.

Sur le trottoir, je vois deux soldats fouiller un homme sans ménagement. Scènes de la vie quotidienne ici.

À Jérusalem, je change de taxi pour Ramallah. Et la surprise! Presque pas de circulation, tous les check-points sont ouverts! J'arrive à Ramallah à 10 heures. J'ai mis une heure ce matin! (d'habitude j'en mets deux). Et là, autre surprise: je n'ai qu'un étudiant... On décide donc de reporter le cours.

Je profite de mon temps libre pour aller rendre visite à une amie. Elle a des invités. Tous ensemble, on décide d'aller voir où sont les tanks. Dix petites minutes de marche, et nous y sommes: les tanks sont là, à trente mètres des bureaux d'Arafat, à cinq cents mètres du centre ville. Il y en a plusieurs. De là où je suis, j'en compte jusqu'à quatre, plus les jeeps.

Des gosses lancent des pierres. Premiers gaz lacrymogènes. Une manifestation de soutien à Arafat arrive un peu plus tard sur les lieux. Tous les drapeaux de tous les partis sont là. Eh non, contrairement à ce que souhaite Sharon, ce n'est toujours pas la guerre civile en Palestine...

Nous restons prudemment en arrière. Des bruits sourds. Les gaz lacrymo. Premières ambulances. D'autres bruits. Des tirs cette fois. D'autres ambulances. Les victimes de gaz lacrymo sont soignées dans une maison proche du Mouqata'a.

Et qui fait partie des soigneurs ? Mon ami Abdallah !

- Mais qu'est ce que tu fais là ? me demande-t-il. Pourquoi es-tu venue ce matin à Ramallah

- Conscience professionnelle...

Les victimes des gaz arrivent. Nous laissons passer les ambulances. Les gens se tordent de douleur sur les civières, ils gémissent, ils se cachent les yeux. Pour avoir respiré de ces gaz, je peux vous dire qu'ils n'ont pas grand-chose à voir avec ceux de nos CRS nationaux... Nous sommes assez loin, et le vent est avec nous. Pourtant, le nez me pique et je saigne un peu.

Plus loin, un autre poste d'urgence. Pour les blessés par balles cette fois.

Retour à Ramallah. On en a assez vu, et entendu pour la journée. "Il faut qu'Arafat cesse la violence", lit-on un peu partout dans la presse internationale. Vu d'ici, quelle connerie!

Bavardage, pause Shawarma, et je repars pour Bethléem, d'où je vous écris actuellement. Près de moi, dans la salle informatique, deux jeunes shebabs consultent l'un des nombreux sites internet sur l'Intifada. Ils regardent les photos des morts à Gaza il y a quelques jours (AVANT l'attentat de Hadera). L'un d'eux a eu la tête défoncée par je ne sais pas trop quoi. Du sang partout. Je regarde horrifiée.

- "Et c'est nous les terroristes !" lance l'un des shebabs.

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