Palestine

Témoignage de Françoise Fort, membre de la délégation internationale.
Françoise Fort
,anime l'Association Suisse-Palestine.

Vendredi 28 décembre: manifestation à Jérusalem-Est

L'appel lancé par le mouvement des «Femmes pour la Paix» en Israël, a été entendu. 350 «internationaux» des missions civiles de protection les ont rejointEs. Mêlés aux «Femmes en noir», aux quelques pacifistes, militants de B'tselem, de News from Within, nous sommes  2'000 pour dire «Non à l'occupation». La police israélienne est là, en force. Les soldats, plus discrets, dominent l'événement depuis le haut des remparts de la Vieille Ville. A quelques distances de la manifestation, se tient un groupe de colons de Jérusalem-Est: «Arabs in Jordan», sont leurs mots d'ordre. A qui s'adressent-ils ? A l'exception d'un vieillard en costume traditionnel, très sollicité d'ailleurs  par les photographes amateurs internationaux, aucun palestinien, n'a pu franchir les barrages pour rejoindre la manifestation. Les colons finissent enfin par trouver leurs ennemis: Yossi Sarid, membre du Meretz, député à la Knesset et David Grossman, écrivain engagé, tous deux israéliens sont hués par ces fanatiques durant toute leur allocution.

Ce soir, Azmi Bishara, député arabe à la Knesset, vient parler au siège du PARC (Palestinian Agricol Relief Comittee) de la nouvelle période qui s'est ouverte après le 11 septembre. Accélération de la confiscation de la terre aussi bien dans la partie arabe d'Israël que dans les Territoires occupés, risque massif de déportation de villages de la zone C, assassinats des dirigeants politiques palestiniens. Tout ceci sous le couvert de la lutte contre le terrorisme.

Samedi 29 décembre

Albert  Aghazarian me propose de rejoindre avec lui les «internationaux» qui vont manifester contre le renforcement du «bouclage» de l'Université de Birzeit. En fait, le rectorat avait  préféré fermer l'Uni durant le mois de Ramadan. Trop de victimes lors des affrontements quotidiens avec l'armée. Depuis 1 semaine, l'annonce d'une trêve par le Hamas avait  allégé le dispositif militaire. Hier, le bouclage est redevenu hermétique.

Je ne reconnais plus la route. Le taxi collectif que nous prenons (Albert n'a plus l'autorisation de circuler avec sa voiture) s'arrête à un premier barrage à  4 km du départ. Contrôle de papiers par les soldats , inspection des banquettes, ouverture du coffre. Ca va, le taxi repart, encore 3 km, s'arrête  et nous sommes tous  obligés de descendre. Nous sommes à la hauteur du camp de réfugiés de Kalendia, à un point de carrefour.  Comment arriver à décrire l'encombrement du lieu: des centaines de voitures arrêtées dans tous les sens , la poussière , l'énervement des camionneurs qui transportent le ravitaillement, bloqués là,  depuis l'aube, le spectacle des  femmes avec les enfants dans les bras, les ambulances qui cherchent à remonter la file de voitures pour tenter d'obtenir une autorisation de passage pour les malades qu'elles transportent, un nombre incroyable de caisses, de containers de marchandises, qui attendent là – depuis combien de temps ? – d'être contrôlés par les soldats, enfin les klaxons des taxis pressés de faire demi-tour pour rejoindre Jérusalem. Poussée par le flot, j'avance sans comprendre. Au bout de quelques mètres, nous n'avons plus le droit de marcher sur la route ; il faut emprunter un passage sur le bas côté de la route, contre le flanc de la colline, entre des grillages de 3 mètres de haut, surveillés indifféremment par des soldats, des gardes frontières ou des colons…..Un devant l'autre, nous présentons nos papiers. Certains sont sortis de la file, mis de côté, amenés sous les tentes militaires où sont stationnés d'autres militaires…La file avance, lentement. Dans cet espace réduit, des gosses du camp de réfugiés de Kalendia, tout proche, ont installé un petit commerce de boissons et de falafels. Ce couloir grillagé se termine, nous pouvons réemprunter la route, parcourir 500m à pied et reprendre un taxi collectif pour les 4 derniers km qui nous séparent  de Ramallah. Même scène de chaos dans le sens inverse, pour ceux et celles qui tentent de rejoindre Jérusalem ou le Sud du pays depuis Ramallah. A 2 km au Nord de Ramallah, nous retrouvons les «internationaux» face aux chars israéliens. En bloquant le seul accès de cet axe routier Ramallah-Birzeit, Israël isole du même coup 35 villages ruraux  d'une artère vitale conduisant aux services, aux lieux de travail et de commerces de Ramallah. Américains, Belges, Français, Italiens, en tout une trentaine de militants.  . Le petit jeu d'intimidation commence: manœuvre des chars, reculs, avancées, grenades lacrymogènes (particulièrement puissantes et paralysantes), arrivée sur nous à vive allure de jeeps militaires. J'admire sur l'instant, la tactique des «internationaux» américains: gilets pare-balles, talkie+walkies, masques, etc... Nous restons jusqu'à 16 heures afin d'assurer la sortie des étudiants. Efficace, notre présence ? Nous constatons que l'armé a établi un barrage en amont, ce qui occasionnera, demain, à ceux qui empruntent cette route 1 km de plus à pied.

Ce barrage est exemplaire: il fait mentir la justification sécuritaire donnée par Israël à la plupart de ses actions illégales: nulle part, cette route ne passe à proximité d'une ville israélienne et d'une colonie…

Ce soir, meeting avec Islah Jad. Professeur à l'Université de Birzeit, elle est spécialiste de l'histoire du mouvement féministe arabe et particulièrement palestinien. Très active dans les mouvements associatifs de femmes, elle nous expose les difficultés rencontrées par ces dernières pour s'imposer  dans cette deuxième Intifada.

Dimanche 30 décembre

Notre objectif est d'arriver à Hébron, ville martyre. Depuis le début de l'Intifada, son accès est devenu impossible. Les internationaux sont répartis dans 5 cars, ceux des Italiens sont partis les premiers.

Par la fenêtre de notre car, je découvre stupéfaite l'augmentation du nombre de colonies depuis mon dernier voyage, il y presque 2 ans. Alors que la plupart sont vides, Israël est entrain d'en créer de nouvelles à l'aide de camping-cars ! Nous n'avons pas parcouru 10 km que nous sommes arrêtés évidemment au check-point.

L'armée va-t-elle au moins nous laisser rejoindre les 50 Italiens débarqués, eux, au bord de cette route à deux voies construite pour ces nouvelles colonies ? Nous n'aurons pas cette chance. L'ordre nous est intimé  de rejoindre Jérusalem sans nous arrêter. L'idée nous vient de nous servir aussi de ces petites routes tracées à travers la campagne par les Palestiniens pour contourner les barrages. Qui peut nous en empêcher ? En fait, les colons. Présents tout au long du trajet, reliés par émetteur au barrage militaire qui leur a signalé notre présence, ils effectuent les contrôles. 3 fois sur les 10 km qui nous séparent de Jérusalem, ils nous arrêtent, montent dans le car, pointent sur nous leurs kalachnikovs et réitèrent les menaces qui pèsent sur notre chauffeur palestinien au cas où nous changerions de direction. Coup de chance ? Un groupe de 30 (sur les 200) internationaux a réussi à passer. Ils pourront témoigner de l'enfer de cette ville.

Nous décidons, de retour à Jérusalem d'aller manifester à la Maison d'Orient, siège de la présence politique palestinienne à Jérusalem-Est. La décision de la fermer a été le premier acte politique de Sharon au lendemain de son élection.

Refoulées d'Hebron, je propose à une camarade de la LCR de faire connaissance avec cette ville qu'elle ne connaît pas encore.

En fait, j'avais constaté la veille à quel point Ramallah est asphyxiée ; je n'ai jamais vu une telle densité de monde dans les rues. Le phénomène avait commencé au lendemain d'Oslo qui donnait pour la première fois aux Palestiniens la liberté de construire et de quitter la périphérie pour le centre. Aujourd'hui,  les bouclages ont comme conséquence que plus personne n'ose tenter de rejoindre les localités environnantes, lieu de leur résidence de peur de ne plus pouvoir rejoindre leur lieu de travail: travailleurs du secteur médical, sanitaire,  de l'éducation, commerçants, mais aussi ouvriers de la construction, étudiants de Bir-Zeit venus de Gaza, «bouclés» depuis 1 année loin de leurs familles….Cet exil domestique épuise les gens tout autant que les bombardements.

Paradoxalement, les «bouclages» ont vidé Jérusalem. «Ville-historique», «Ville-capitale», «Ville-culturelle»  pour les Palestiniens, Jérusalem leur est devenu inaccessible. Les touristes l'ont désertée, les Israéliens la fuient par peur des attentats.

Mais pour une flânerie, peut-on échapper une minute à cette occupation militaire ? Dans la ruelle que nous empruntons, proche du Mur des Lamentations, un jeune maçon palestinien, la figure tuméfiée, est entraîné par deux soldats vers le poste militaire d'observation qui domine le Mur. Des commerçants arabes, affolés, les suivent à distance. La scène est insoutenable car déjà le jeune a adopté cet air de lassitude , de résignation et en même temps de grand calme de ceux qui savent qu'il faudra «tenir» face à l'arbitraire. Déjà, ce spectacle illustre toute la force de la violence que nous rencontrons ici depuis notre interrogatoire, à notre arrivée à l'aéroport  Ben Gourion, il y a trois jours. Nous les suivons au poste: «pourquoi cette arrestation ?  Que lui reprochez-vous ? Quel délit a-t'il commis ?» (J'admire l'anglo-américain de Maryse s'adressant aux soldats). Les soldats contrôlent nos papiers, fouillent nos sacs. Et Maryse qui garde dans son sac les embouts de grenades lacrymogènes reçus la veille à Bir-Zeit ! Par chance, aucun bi-bip ne sort de la machine à détecter les objets insolites !  Puis l'ordre de déguerpir avec le jeune, qui reprend illico son travail de maçonnerie. Le motif évoqué pour son arrestation ? Contrôlé pendant qu'il travaillait, il a, aux dires des soldats «tardé à montrer ses papiers» Les commerçants nous attendent dans la ruelle. Salutations, remerciements, bienvenue-bénédictions sur les internationaux,  tasses de café…. Et puis vient la nécessité pour eux de nous exposer le prix de leurs malheurs: l'imposition ( «taxe d'occupation» indépendante de l'impôt communal et étatique) à laquelle ils sont soumis en tant que commerçants. En fait, les bordereaux de cette imposition sont si volumineux pour l'année 2001 que chacun les conservent dans de grands sacs plastics.

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lundi 31 décembre 2001

Bethléem

Aujourd'hui, le PNGO (l'ensemble des O.N.G palestiniennes dont le président est Mustapha Barghouti) a appelé les citoyens de Jérusalem et de Bethléem à se diriger sur les barrages militaires dans une marche pacifique de convergence. Les internationaux sont là. Le mot d'ordre: «Jérusalem ouverte».

Je fais partie du groupe  qui part de Bethléem pour Jérusalem. Même regard sur le développement des colonies que celui d'hier sur la route d'Hébron. Barak n'a pas perdu son temps durant la période des accords d'Oslo !

Je suis préparée depuis Ramallah au choc que constitue le passage du check-point. Même embouteillage, même humiliation pour les familles qui se rendent visite en cette fin d'année, même contrôle de papier. En fait, à bien y regarder, celui de Bethléem représente un danger bien plus grand pour celui qui doit l'emprunter que celui de Ramallah: ä un moment donné, après être descendus du taxi collectif, nous sommes obligés de quitter la route pour poursuivre le trajet sur une sorte de passerelle d'un mètre de large, construite derrière le poste militaire, à flanc de colline. C'est vertigineux, sans barrière, ouverte sur un autre versant de la colline .Une colonie la surplombe, pas très loin.…Je n'ose penser à ce qui se passerait s'il prenait l'envie à un de ces occupants de faire un carton sur nous  Puis, nous passons sous un long couvert de toile militaire. Six travailleurs palestiniens attendent là, dans une sorte de garde-à-vous. Nous protestons. Les soldats refusent de nous répondre. Circulez !

4000 personnes lorsque la manifestation s'ébranle en direction de Jérusalem. Deux larges rangs d'ecclésiastiques ouvrent le cortège. Monseigneur Sabbah, habit violet d'archevêque, marche  en tête. Puis les 2 rangs du conseil municipal. Les rameaux d'oliviers sont dans chaque main, les enfants tiennent les ballons. Nous traversons la ville: les internationaux sont frappés de l'ampleur des bombardements des mois de juillet et d'août. Les barrages militaires ont été renforcés depuis que Maryse et moi, venons de les traverser une heure plus tôt. Monseigneur Saba annonce au commandant militaire le but de la manifestation: Pacifiquement, nous voulons rejoindre Jérusalem. Refus de l'occupant…reformulation de la demande, refus… rappel des conventions internationales, refus, ultimatums…Patiemment, durant 2 heures nous attendons. J'entame une conversation avec Nathalie , «citoyenne de Bethléem», professeur de français dans le camp de Deisheh, tout proche,. Mon voisin me parle: universitaire, professeur d'architecture, il est membre du Conseil municipal et depuis 1 an voit toutes ses demandes de laissez-passer refusées.  L'ultimatum du commandant militaire se fait plus précis. L'annonce de la dissolution de la manifestation est donnée. Ce sera le même scénario pour les manifestants de Jérusalem. Les ballons sont lâchés par les enfants. Quelques uns auront peut-être la chance de rejoindre Jérusalem….

Mardi ler  janvier 2002

J'ai fini l'année 2001 avec un goût amer. En fait ,la soirée du réveillon s'était bien passée,

Tranquillement, avec la famille d' Albert Aghazarian, à l'abri du couvent arménien. Vers 1 heure du matin, nous les avions quittés et le trajet, à pied à travers les ruelles de la Veille Ville,la nuit m'enchante à  chaque fois. Il faut passer devant le «Russian Compund»  près de la Citadelle qui est en fait une prison israélienne. Nous bavardions en marchant, oubliant un peu l'heure, l'endroit, nos préoccupations, bref… lorsque nous avons entendu les premiers cris, nous avons pensé à des fêtards.  Mais non, là, devant la prison, 3 soldats rossaient un jeune palestinien. Nous nous sommes approchées, mais déjà le jeune était projeté sur la banquette arrière d'un véhicule militaire. Il n'y avait plus moyen de voir son visage. La voiture a démarré très vite. D'assister à cette violence, impuissantes, nous met en rage, Maryse et moi. Triste fin de parcours jusqu'à l'hôtel.

Islah Jad, mon amie d'El Bireh nous attend chez elle pour la journée. Nous ne nous sommes pas revues depuis la Conférence de Bâle sur le sionisme, il y a 4 ans . C'est une journée «calme», la tension a continué à baisser depuis notre arrivée. Islah est heureuse de nous voir arriver ….si facilement: nous n'avons mis que 3 heures 20 pour effectuer les 14 km qui séparent Jérusalem d'El Bireh..

Saleh Abdel Jawad, son mari  s'endort au milieu de la discussion: épuisé après avoir enseigné toute la journée à l'Université comme tous ces collègues. Leur souci: rattraper le maximum de cours lorsque les étudiants ont pu passer les check-points et être présents.

Islah se demande à haute voix comment la société palestinienne trouve encore les ressources pour résister à cette occupation. Elle cherche à comprendre les raisons pour lesquelles leur appel au secours trouve si peu d'écho dans la communauté internationale. Elle dit aussi son  espoir de voir la présence d'internationaux se multiplier et peser en faveur d'une politique d'engagement ferme de l Union Européenne. Son espoir aussi, formulé et précisé au cours de rencontres avec les femmes israéliennes, d'assister à la mise en place de campagne de boycott des produits israéliens en Europe, identique à celle développée pour l'Afrique du Sud.

Su le chemin du retour, au milieu de la nuit, le passage est beaucoup plus fluide. Fatigués, sans doute, les soldats lancent un regard distrait sur chacun de nous. Le dernier mauvais moment à passer sera le contrôle à l'aéroport Ben Gourion. J'ai appris à ce sujet qu'il a été privatisé comme va l'être celui opéré aux check-points. Pourquoi parler au futur ? Qu'est-ce qu'un colon si ce n'est déjà un «securitas privé», «protégeant la maison d'Israël» , tirant sur tout ce qui bouge ? Le reste est du détail.

Face à ce drame, le mouvement de solidarité en Suisse doit absolument se donner les moyens pour participer le plus largement possible à toutes les initiatives, et en particulier à celles de missions civiques de protection dans les zones rurales. La «sharonisation» de l'occupation dans les Territoires ne peut rester sans réponse de notre part.

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