Palestine
28 décembre: un autre témoignage de Nathalie Laillet,citoyenne de Bethléem en Palestine Vendredi 28 décembre 2001 - Bonjour à tous. Me voici donc revenue d'Égypte... juste à temps pour assister aux «réjouissances» de Noël à Bethléem...
Lundi 24 décembre - Dès midi, je me précipite place de la Nativité. Le Patriarche latin, Monseigneur Sabbah, va bientôt arriver. En attendant, les scouts envahissent la place: jeunes hommes en uniformes, jeunes filles en jupe courte, cornemuses, trompettes et grosses caisses. Le soleil brille, on chante (de «Vive le vent d'hiver» à Fayrouz en passant par des chants traditionnels palestiniens). Finalement, l'ambiance est plus festive que je ne l'aurais pensé... Bien sûr, une question est sur toutes les lèvres: viendra? viendra pas? Le Patriarche arrive. On apprend que sa voiture a été fouillée au check-point (au cas où il aurait caché Arafat, sans doute). On sait désormais que le Président ne viendra pas... Le soir, j'assiste à la messe de minuit dans l'église Sainte Catherine. Sur une chaise, le keffieh. Plus présent que jamais. Présent aussi dans l'homélie du Patriarche qui le nomme plusieurs fois. Homélie qui appelle, une fois de plus, à la paix entre Palestiniens et Israéliens. Mais qui l'écoute? Inutile de vous dire ce que je pense du fait qu'Arafat ait été empêché d'assister à la messe de minuit. De la provocation pure et simple. Une humiliation, une de plus. J'ai du mal à comprendre en quoi il aurait été dangereux pour la sécurité de l'État d'Israël (puisque c'est toujours de ça qu'il s'agit, non?) qu'Arafat assiste à une messe. Mais, encore une fois, je fais sans doute preuve de mauvais esprit... Mardi 25 décembre - Bon Noël! Et pour fêter Noël, j'ai décidé de participer à une marche aux flambeaux. Le point de rendez-vous était au champ des Bergers à Beit Sahour, village chrétien proche de Bethléem. Nous voilà tous avec nos flambeaux, nos chants de Noël; nous marchons vers le check-point. Notre but est de passer ce check. Il y a là des étrangers (des internationaux, comme on dit ici) et des Palestiniens habitant la région de Bethléem, et qui donc, de ce fait, sont interdits de séjour à Jérusalem (à dix kilomètres de là). Notre but est de passer, avec eux, le check. Et devinez quoi? On n'est pas passé! Ça ne vous étonne pas, hein? On s'est donc retrouvés face aux soldats, on a essayé d'enfoncer leurs lignes en vain, on a organisé un sit-in, on a attendu... Et comme je suis d'un naturel bavard (et oui, j'avoue...) j'ai profité de ce sit-in pour engager la conversation avec les soldats qui nous faisaient face... Hélas, ces derniers sont peu loquaces! Ils étaient assez nerveux, assez mal à l'aise. Faut dire qu'ils avaient en face d'eux, non des Palestiniens (ces derniers étaient un peu en retrait, pour que nous puissions les protéger en cas de problème) mais des Français, des Italiens et des Américains. J'ai commencé à discuter avec eux en anglais. Personne ne me répondait, quand tout à coup, oh miracle (après tout c'est Noël!), un soldat me répond... en français! Il est nerveux et danse d'un pied sur l'autre. Je l'interroge: - Tu es français? - Oui. - Pourquoi tu es là? - Je n'ai pas le choix! - On a toujours le choix! Regarde! Ils n'ont pas d'arme et ton fusil est pointé sur eux! - Je n'ai pas le choix! - Tu es d'oû? - Villeneuve-Saint-Georges. - Alors on est presque voisin! Comment tu t'appelles? - Je ne suis pas autorisé à le dire. Pauvre petit soldat qui n'a ni le choix ni le droit de dire son nom... J'espère au moins qu'il n'a pas l'illusion de se battre pour sa liberté... Dans le calme, nous sommes repartis vers Bethléem. Nous étions venus avec des flambeaux et des chants de Noël.
Mercredi 26 décembre - Je suis invitée chez des amis, à Dheisheh. Dans le salon, une odeur tenace de tabac pour narguilé, une caisse entière de cassettes de musique arabe, et un immense poster de Che Guevara, avec en dessous: «Hasta la victoria siempre». Dans le couloir, un tissu jaune avec des inscriptions dans tous les sens. L'une me saute aux yeux: «El verbo se hizo carne» (le verbe s'est fait chair). Je me retourne vers Adeel: - Tu t'es converti au christianisme, toi? - Ben non, pourquoi? Je lui montre le tissu et l'inscription. - Ah ça... je l'ai récupéré quand le Pape est venu ici. Adeel prépare un narguilé. Son frère jumeau, Ala, 23 ans, arrive. Il me raconte un peu sa vie. «J'ai été blessé trois fois dans ma vie. Regarde!» et il me montre une cicatrice à la tête, une autre à l'épaule. Après un moment d'hésitation, il me montre sa troisième cicatrice. Sous le nombril. Une horrible cicatrice large et longue. - C'était quand? - Pour le ventre, c'était il y a longtemps. J'avais 10 ans. - Dix ans?! - Oui. Je lançais des pierres à côté du tombeau de Rachel. Le sang coulait partout. Mes amis m'ont emmené à l'hôpital. Je me tenais le ventre, j'avais peur que tout sorte. À l'hôpital, ils m'ont opéré de 6h du soir à 2h du matin. Mais ils n'ont pas pu enlever la balle. Elle est partie plus tard, par les voies naturelles. - Et le bras? - C'était deux ans plus tard, pas très loin du camp. Mais ce n'était pas trop grave. - Et la tête? - Juste avant la deuxième Intifada. Le sang s'est mis à couler. Je voyais tout en rouge et après je ne me souviens plus très bien. Adeel, va chercher le tee-shirt! Et son jumeau se précipite dans la chambre d'où il ressort en portant un tee-shirt recouvert de sang séché. - Je ne veux pas qu'on le lave, ce tee-shirt. C'est mon sang... Ce jour-là, j'aurais pu mourir. Il s'en est fallu de quelques millimètres... Tranches de vie de ces gens dont on dit qu'ils sont des terroristes...
Jeudi 27 décembre - Je suis invitée à déjeuner chez Oum Mohammad, toujours à Dheisheh. Comme toujours, on me pose plein de questions sur moi, mon boulot, etc. - Et tu habites où? - Sur la route principale, pas très loin du camp. - Et tu paies combien? - 200 dollars. - Mais c'est cher! Nous, on a une maison à louer ici dans le camp! Viens voir! Bon gré, mal gré, il me faut visiter la maison en question... - Comme ça, tu habiteras dans le camp, avec nous. Un ami de la famille vient d'arriver. Il se joint à la conversation. - Oui! Viens habiter Dheisheh! Tu auras le droit d'avoir ça! De sa poche, il sort une feuille toute froissée: sa carte d'UNRWA (office des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens). - Tu sais, peu de gens finalement dans le monde ont cette carte! C'est un honneur! Et presqu'aucun Français n'en a! Et ça te donne beaucoup d'avantages: par exemple, avec cette carte, tu as le droit d'attendre toute une matinée sous le soleil pour qu'on te donne un peu d'huile, de riz et de farine! Et il éclate de rire. Vendredi 28 décembre - Je dois me rendre à Jérusalem. Je prends un taxi qui me conduit au check-point. Et là... quels changements! Bon sang, comme il a changé, le check de Bethléem! Jusqu'alors, on devait se contenter d'un petit passage pour piétons sur le côté. Désormais, même ça, c'est trop pour nous! Nos sales petits pieds de terroristes ne sont plus autorisés à emprunter la route... Désormais, nous devons contourner le poste de l'armée. Un petit chemin rien que pour nous... un petit chemin où on pourra nous tirer comme des lapins. Le petit chemin longe un ravin. Pas un seul endroit pour se protéger des tirs en cas de problèmes. Bravo, Tsahal, bien conçu, le petit chemin... Et évidemment, le petit chemin rallonge sensiblement la distance qu'on doit parcourir à pied. Avant, on devait parcourir une centaine de mètres à pied. Maintenant, c'est plutôt 500 mètres... Une grande manifestation pour appeler à la fin de l'occupation est organisée à Jérusalem. Elle réunit internationaux, Israéliens et les quelques très rares Palestiniens qui peuvent pénétrer dans la ville sainte. L'armée nous encadre, bien sûr. Et nous filme aussi. Histoire de repérer les «meneurs». Je retrouve pas mal de copains et copines français. Ça fait du bien, ma foi! La manifestation, pacifiste, se déroule sans incident. Le rassemblement final a lieu Porte de Jaffa. Les «internationaux» présents sur place arborent presque tous le keffieh... Croyez-moi, c'est pas souvent comme ça! Je quitte la Porte de Jaffa. Je rentre dans la Vieille ville. Sur la droite, une contre-manifestation. Des colons. Ils sont peu nombreux. Une dizaine. Une femme brandit un carton orange sur lequel on peut lire: «Palestinians in JORDAN». «Les Palestiniens en Jordanie»... En d'autres temps, en d'autres lieux, on a entendu ce genre de phrases. Elles exprimaient, et hélas! expriment toujours, une idée précise: la déportation. Aurons-nous cette fois le courage de dénoncer ce genre de phrases? Bien sûr, les colons présents à la Porte de Jaffa n'étaient qu'une poignée. Mais ils ne sont pas les seuls à tenir ce genre de discours. L'avocat Arno Klarsfeld a dit à peu près la même chose il y a quelques jours dans les colonnes du journal Le Monde. Plus encore que les tanks et les F16, ce genre de phrases m'épouvante. Haut de page
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