Irak-Etats-Unis Des soldats américains déracinent des dattiers, des orangers... Patrick Cockburn* Des soldats américains conduisant des bulldozers, avec des haut-parleurs crachant du jazz, ont déraciné de vieilles plantations de palmiers (dattiers), d'orangers et de citronniers dans le centre de l'Irak, cela comme partie intégrante d'une nouvelle politique de punition collective des paysans qui ne donnent pas d'information sur la guérilla qui attaque les troupes américaines. Les troncs des palmiers vieux de quelque 70 ans, recouverts de la terre brune soulevée par les bulldozers, gisent sur le bord de la route de Dhuluaya, une petite ville à 80 km de Bagdad. Des femmes de ce village étaient occupées, hier, à faire des fagots avec les branches des orangers et des citronniers déracinés et à les ramener chez elles comme bois de chauffe. Nusayef Jassin, un des paysans qui ont vu les arbres fruitiers détruits affirmait: «Ils nous disaient que des résistants se cachaient dans nos fermes. Mais cela n'est pas vrai. Ils n'ont arrêté personne. Ils n'ont trouvé aucune arme.» D'autres paysans disaient que les troupes américaines leur avaient dit, en langue arabe, avec un haut-parleur que «les arbres fruitiers avaient été arrachés pour punir les paysans de ne pas donner d'information sur la résistance qui est très active dans ce district sunnite». «Ils faisaient des plaisanteries contre nous en jouant du jazz au moment où ils étaient en train d'abattre les arbres», déclara un autre paysan. Des embuscades contre les troupes américaines ont eu lieu autour de Dhuluaya. Toutefois, cheikh Hussein Ali Saleh al-Jabouri, un membre de la délégation qui se rendit à la base américaine proche afin de réclamer des compensations pour la perte des arbres fruitiers, nous affirme que les officiers américains ont décrit l'opération comme «une punition de la population locale parce que "vous connaissez qui est dans la résistance et vous ne nous le dites pas"». Ce que les Israéliens ont fait sous forme de punition collective infligée aux Palestiniens s'effectue aujourd'hui en Irak, a ajouté cheikh Hussein. La destruction des arbres fruitiers s'est opérée au cours de la seconde moitié du mois de septembre. Mais, comme pour beaucoup de choses qui ont lieu dans les campagnes d'Irak, les nouvelles se sont répandues lentement. La destruction des cultures s'est faite sur 1 km de long, au bord de la route, après le passage d'un pont. Les paysans disent que 50 familles ont perdu leur source de revenus. Néanmoins, la pétition envoyée aux forces de la coalition à Dhuluaya, qui demande une compensation dans un anglais approximatif, ne comporte que 32 noms. La pétition affirme: «Des dizaines de familles dépendent complètement pour gagner leur vie de ces vergers et, maintenant, elles deviennent pauvres et ne possèdent rien et attendent la faim et la mort.» Les enfants d'une femme qui possédait quelques arbres fruitiers se sont couchés devant un bulldozer. Mais ils ont été tirés au loin, selon ce que disent des témoins qui ne veulent pas dire leur nom. Ils disent qu'un soldat américain a craqué et a pleuré au cours de l'opération. Lorsqu'un reporter du journal Irak Today a tenté de prendre des photos des bulldozers en action, un soldat s'est emparé de sa caméra et a cherché à la casser. Le même journal cite le lieutenant-colonel Springman, un commandant américain de la région, disant: «Nous avons demandé aux paysans, à plusieurs reprises, d'arrêter les attaques, ou de nous dire qui en était responsable, mais les paysans ne nous ont rien dit.» Informer les troupes américaines sur l'identité de combattants serait extrêmement dangereux dans des villages irakiens où la majorité des gens ont des liens de parenté et où chacun connaît l'autre. Les paysans qui ont perdu leurs arbres fruitiers appartiennent à la tribu Khazraji et il est plus qu'improbable qu'ils donnent des informations sur des membres de leur tribu si ces derniers, en réalité, attaquaient des troupes américaines. Interrogé sur la valeur de son verger, Nusayef Jassin a répondu d'une voix étranglée: «C'est comme si quelqu'un me coupait les mains et que vous me demandiez combien mes mains valaient.» - 12 octobre 2003 * Le journaliste anglais Patrick Cockburn a envoyé cet article de Dhuluaya (Irak, à quelque 80 km au nord de Bagdad) au quotidien anglais The Independent on Sunday(12 octobre 2003). Haut de page Retour
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