Impérialisme Marcel Mazoyer
Pourquoi de plus en plus d'affamé·e·s? Nous publions ci-dessous un bref entretien, paru dans Le Monde daté du 27 novembre 2003, avec Marcel Mazoyer. Marcel Mazoyer est professeur à l'Institut National Agronomique Paris-Grignon. Il a succédé à René Dumont comme directeur de la Chaire d'agriculture comparée et du développement agricole. Il a présidé le comité du programme de la FAO de 1983 à 1993. Il est l'auteur, entre autres, d'une Histoire des Agricultures du Monde (Editions du Seuil). Marcel Mazoyer est le fils d'un petit agriculteur du Morvan. En 2002, il a publié une nouvelle édition, remarquée, du Larousse agricole. Cet entretien a été conduit à l'occasion de la sortie récente du rapport de la FAO (organisme de l'ONU) sur la faim dans le monde. Les réponses de Marcel Mazoyer confortent l'article de Samir Amin publié dans le numéro 15 d'A l'encontre (article disponible en ligne) intitulé Mondialisation et crise agraire. Vous êtes professeur émérite à l'Institut national d'agronomie. Que pensez-vous des informations récentes sur le nombre d'affamés dans le monde ? Elles manifestent l'échec des politiques agricoles menées depuis des années. Les trois quarts des gens qui ont faim sont des ruraux et en particulier des petits paysans. Et parmi les urbains, ce sont des ex-ruraux qui ont été récemment réduits à l'exode. La clé du problème est là, dans le sort réservé à la petite paysannerie. Le problème découle de la libéralisation à marche forcée des échanges agricoles internationaux. Elle a conduit à une baisse des prix agricoles internationaux, qui pèse lourdement sur les petits paysans des pays pauvres. Par exemple, le prix des céréales est moitié moindre aujourd'hui que dans les années 1980, il a été divisé par cinq depuis 1950 ! Le résultat est que seuls 10 % des agriculteurs du monde peuvent investir et tenir le coup. Le prix agricole international est une fiction de concurrence quand l'écart de productivité entre les paysans du monde est immense: il a été multiplié par 100 en cinquante ans ! A un extrême, certains agriculteurs produisent 1 000 tonnes par personne ; à l'autre, 1 tonne. Par quels mécanismes cette libéralisation se traduit-elle en baisse des prix ? Par une association entre grands capitaux nomades, structures latifundiaires et bas salaires. Il y a eu depuis deux décennies un puissant mouvement d'investissement des capitaux transnationaux dans l'agriculture. Les grandes multinationales agroalimentaires ont investi dans une production agricole de type industriel, notamment dans les structures latifundiaires d'Amérique latine, et aujourd'hui dans les anciens kolkhozes d'Ukraine. Ils modernisent ces grandes exploitations, bénéficiant de salaires très bas et créant une offre massive qui pèse sur le cours international. Quelle solution permettrait de rétablir la situation des petits paysans? Dans l'absolu, un doublement des prix agricoles. Ou alors en établissant des prix par régions, pour limiter cette concurrence inéquitable et meurtrière. Il faut, en fait, suivre l'exemple des pays développés: protéger les prix intérieurs de la volatilité du prix international destructeur et du dumping, par le biais de taxes sur les produits agricoles importés. La suppression des subventions au Nord ne peut être la seule solution. Les Etats-Unis ne vont d'ailleurs pas sacrifier leurs agriculteurs aux intérêts des délocalisateurs financiers. Il faut repasser par des politiques de prix protectrices. Nous sommes face au choix suivant pour l'agriculture du XXIe siècle: confions-nous la sécurité alimentaire mondiale aux paysans ou au capital oligopolistique ? Haut de page
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