Amérique Latine

Chavez sur une plate-forme pétrolière

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Poursuite de la Révolution Bolivarienne au Venezuela malgré l’opposition des Etats-Unis

Gregory Wilpert


Deux jours avant la deuxième victoire électorale de George Bush, une personne que Bush et son administration ne peuvent pas supporter, le président vénézuélien Hugo Chávez, a célébré sa neuvième victoire électorale consécutive en six ans. L’élection concernait les gouverneurs et les maire, et les alliés de Chávez ont raflé la mise, remportant 20 gouverneurs d’Etat sur 22 et 270 mairies sur 337. Ensemble les secteurs chavistes ont atteint environ 60% des voix, autant que Chávez lui-même deux mois et demi plus tôt, lors du référendum révocatoire.

Contrairement à Bush, la neuvième victoire électorale de Chávez (en comptant les référendums concernant la Constitution) a une fois de plus confirmé qu’il dispose en effet d’un mandat pour refonder la société vénézuélienne, pour continuer sa Révolution Bolivarienne –ainsi nommée en honneur à Simón Bolívar, héros de l’Indépendance de l’Amérique du sud. Encore plus, Chávez peut maintenant accélérer la mise en œuvre de son programme, puisque ses alliés contrôlent presque toutes les branches et tous les secteurs de gouvernement. Les principaux obstacles internes à son programme, maintenant que l’opposition est sérieusement affaiblie, se trouvent dans le gouvernement lui-même ; il s’agit des saboteurs, de la corruption, de l’inefficacité, du clientélisme. Il est bien connu, par exemple, que la bureaucratie gouvernementale est truffée de fonctionnaires appartenant à l’opposition qui, s’ils n’empêchent pas délibérément la bonne marche des programmes, font souvent leur possible pour les ralentir. Pour compliquer encore les choses, beaucoup de fonctionnaires qui soutiennent activement le gouvernement n’ont pas l’expérience et les formations nécessaires, ce qui contribue également à l’inefficacité.

Chávez est conscient du fait qu’il doit accélérer le rythme des réformes, maintenant qu’il atteint le sommet de sa force politique. Les 75% de la population qui vivent dans la pauvreté, et qui soutiennent massivement Chávez, réclament une action plus forte et plus rapide. Ils soutiennent Chávez parce qu’ils considèrent que beaucoup a été fait et parce qu’ils espèrent que beaucoup plus sera fait rapidement. Réalisant que les obstacles internes mentionnés ci-dessus à son programme politique représentent un problème de taille pour répondre aux attentes de sa base sociale, Chávez a promis de combattre la corruption, l’inefficacité et la bureaucratie dans son gouvernement.

Peu après les élections régionales, Chávez a réuni l’ensemble des leaders de son mouvement pour aborder la question des choix stratégiques et il a indiqué les orientations pour «l’approfondissement de la révolution». Cependant, le plan concret sur la modalité de la lutte contre l’inefficacité et la corruption n’a pas encore été présenté. Les autres objectifs du gouvernement, par contre, comme l’amélioration de la justice sociale au Venezuela, en choisissant une voie politique de développement non néolibérale, ou l’unification latino-américaine, reçoivent une attention supérieure, particulièrement maintenant que les revenus du pétrole sont à leur plus haut de ces 20 dernières années (même si, en raison de l’accroissement de la population et de l’augmentation des coûts de production, le revenu pétrolier per capita de l’Etat n’atteint encore que le quart de ce qu’il représentait à la fin des années 1970).

Ces programmes continuent pourtant de faire face à la forte critique provenant des médias, de certains groupes de droits humains et du gouvernement des Etats-Unis. Ces oppositions prétendent que Chávez prépare l’orientation du Venezuela vers un système dictatorial par des mesures que Chávez et ses alliés présentent comme nécessaires pour combattre toutes les formes d’intervention et de sabotage et pour assurer le bon fonctionnement du gouvernement. Deux des nouvelles mesures présentées comme répressives sont, d’une part, l’assignation en justice de l’organisation d’opposition Súmate financée par les Etats-Unis et, d’autre part, la nouvelle loi pour la régulation des ondes.

Súmate est l’une des principales organisations ayant contribué au référendum révocatoire du 15 août contre le président Chávez. Súmate a organisé la logistique pour la collecte des 2,4 millions de signatures nécessaires, a effectué le contrôle le registre électoral à cette fin et a géré une bonne partie des questions légales autour du référendum révocatoire. Selon des documents récemment rendus publics, Súmate a reçu 54 000 dollars de la National Endowment for Democracy (NED, ONG nord-américaine financée par le gouvernement des Etats-Unis) et 85 000 dollars de l’agence américaine pour le développement international (USAID) à cette fin. Selon Súmate et selon ses financiers liés au gouvernement des Etats-Unis, cela était supposé être un travail apolitique de construction de la démocratie. Pour tout le monde au Venezuela, cependant, il était évident que Súmate faisait partie de l’opposition qui veut chasser Chávez de la présidence.

A priori il est absolument anormal pour un gouvernement étranger de financer des activités pour qu’un président soit retiré de son poste. La Fiscalía [le Ministère public] accuse donc Súmate non seulement d’avoir organisé une campagne politique avec un financement étranger mais aussi d’avoir monté une institution parallèle au Conseil National Electoral (CNE), ce qui selon la loi vénézuélienne est illégal. Pour ceux qui s’opposent au gouvernement Chávez il s’agit d’une scandaleuse volonté d’empêcher le militantisme de l’opposition. Pour les chavistes, par contre, c’est une action légitime pour combattre les interférences étrangères dans les affaires vénézuéliennes.

L’autre exemple de mesure censément répressive c’est la loi pour la régulation des ondes: la Loi de Responsabilité Sociale pour la Radio et la Télévision. Cette loi introduit certaines contraintes, qui existent dans bien des pays du monde, régulant des phénomènes tels que la programmation du sexe et de la violence à la télévision –pour protéger les enfants–, l’interdiction de la publicité pour l’alcool et le tabac et, enfin, des normes pour la proportion de production locale et indépendante –dans le but de préserver la diversité et de défendre la culture vénézuélienne. La plupart de ces mesures n’ont pas provoqué de discussion. Ce que l’opposition conteste c’est l’organisation des équipes de chaînes de télévision parce qu’ils craignent que les équipes ne soient dominées par des partisans de Chávez. Selon l’opposition toute infraction mineure peut être utilisée pour sanctionner les médias, lesquels appartiennent principalement à l’opposition et lesquels ne respectent pas les normes traditionnelles de l’objectivité journalistique, ni même simplement la vérité des faits emportés qu’ils sont par leur volonté de se débarrasser du gouvernement.

Pour les législateurs chavistes, par contre, la loi comble un vide important pour les médias vénézuéliens. Selon eux, il y a assez de contrôle et d’équilibrages pour que la loi ne soit pas utilisée comme un instrument politique contre l’opposition. Comme une preuve de la retenue chaviste, le pro-chaviste ex-juge de la Cour Suprême Carlos Escarrá signale qu’il existe encore un décret présidentiel, rédigé par le président Jaime Lusinchi (1984-1989), qui est bien plus restrictif que la nouvelle loi de régulation des médias. En théorie, Chávez aurait pu activer ce décret à plusieurs occasions pour des raisons politiques (comme l’avait fait Lusinchi en fermant deux chaînes de télévision), mais il ne l’a pas fait, alors que les médias ont violé ce décret à plusieurs reprises, allant souvent jusqu’à falsifier les nouvelles, comme cela s’est produit durant le coup d’Etat d’avril 2002.

Alors que l’opposition locale et internationale au gouvernement Chávez adore présenter ces tendances soi-disant autoritaires du gouvernement de la façon la plus unilatérale possible, ils laissent généralement de côté les réussites les plus positives du Venezuela de Chávez. Le plus important c’est les dites «Missions», lesquelles sont conçues pour apporter l’alphabétisation aux illettrés, des soins de santé gratuits, particulièrement dans les quartiers les plus éloignés et les plus pauvres, des aides financières massives pour que les pauvres puissent aller à l’université, des commerces subventionnés dans les quartiers pauvres, et des emplois pour les diplômés des missions. Egalement très important, la volonté d’instituer une plus grande justice sociale, ainsi avec la réforme agraire, qui a distribué de la terre à plus de 100 000 familles ou la réforme urbaine qui vise à donner aux habitants des quartiers des titres de propriété pour construire leurs propres résidences et leurs propres espaces.

L’opposition dénigre ces programmes, prétendant qu’ils ne servent qu’à alimenter le «populisme», «l’achat de votes», et le «clientélisme». Quelles que soient les motivations du gouvernement, le fait est que ces programmes représentent un investissement significatif dans le capital humain du pays. Alors que les gouvernements précédents ont dilapidé les revenus du pétrole dans des investissements onéreux à l’extérieur du pays, comme l’achat de raffineries et de chaînes de stations d’essence (telles CITGO aux Etats-Unis et Veba Öl en Allemagne), maintenant le gouvernement investit les revenus du pétrole parmi le peuple vénézuélien, en améliorant leur santé et leur éducation et en corrigeant la très inégale répartition des richesses. Nous ne devrions donc pas être surpris que lors des neufs derniers scrutins, depuis la première élection de Chávez en 1998, il a remporté environ 60% des voix.

Evidemment le gouvernement Chávez doit encore faire face à l’intervention de basse intensité du gouvernement des Etats-Unis, peut-être encore plus qu’auparavant, vu le probable triomphalisme du gouvernement Bush tout nouvellement réélu. Bien que les deux parties aient déclaré souhaiter l’amélioration des relations, il est probable que Bush continuera de soutenir discrètement l’opposition à Chávez, tout en choisissant en même temps une approche plus pragmatique que l’affrontement direct avec le pays qui est l’un des plus premiers fournisseurs des Etats-Unis en pétrole, et la plus grande réserve sur le continent américain. Cette stratégie est d’ailleurs entrée dans le domaine public, quand des documents obtenus par la procédure du Freedom Of Information Act (FOIA), et disponibles sur le site www.venezuelafoia.info, ont montré que le gouvernement des Etats-Unis, par le biais du National Endowment for Democracy et de USAID, a financé les organisations de l’opposition vénézuélienne à hauteur de 5 millions de dollars par an. Egalement la récente publication de documents de la CIA, qui montrent que la CIA connaissait le projet de coup d’Etat d’avril 2002 même si le gouvernement Bush a prétendu qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’Etat, démontre une claire disposition des Etats-Unis à intervenir dans les affaires du Venezuela.

L’aide du gouvernement des Etats-Unis à l’opposition est plus importante que l’argent que cette dernière peut recevoir, et c’est peut-être pourquoi le gouvernement Bush est réticent à y renoncer, malgré l’illégitimité de telles procédures et malgré le fait que cela ait aidé le gouvernement à présenter ses opposants comme des agents d’un gouvernement étranger. Alors que l’opposition a énormément d’argent (y compris des milliardaires vénézuéliens comme Cisneros) pour financer ses propres activités, les agences américaines sont capables de fournir des décennies d’expérience dans la déstabilisation, la déconsidération, et même le renversement de plusieurs gouvernements. C’est une somme de savoir qui n’existe probablement nulle part ailleurs dans le monde, et son importance en des lieux comme le Venezuela ne devrait pas être sous-estimée.

Cependant, malgré cette intervention de basse intensité, le gouvernement Chávez avance au-delà des corrections des époustouflantes différences sociales du pays pour aller vers une société plus démocratique. Le premier pas dans cette direction a été le soutien à la création de dizaines de milliers de coopératives, d’organisations communautaires et de médias liés à leur communauté locale. Maintenant le gouvernement doit trouver les voies pour institutionnaliser les avancées démocratiques en développant plus et mieux les formes qui pourraient accompagner la participation de ces organisations à la vie politique et à la vie économique. Egalement, Chávez et ses partisans doivent trouver les procédures institutionnelles qui rendraient le mouvement bolivarien moins dépendant de Chávez. Dans cette nouvelle phase du projet bolivarien il se trouve qu’il y a un intérêt dans ces deux formes d’institutionnalisation –de la participation démocratique et du mouvement– mais il est encore trop tôt pour dire s’ils seront effectivement poursuivis.

10 janvier 2005.

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