Venezuela

Stalin Perez Borges

Stalin Pérez Borges

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Chavez doit écouter la base
et les véritables directions ouvrières et populaires

Entretien avec Stalin Pérez Borges

Interrogé par Aporrea sur les résultats du référendum du dimanche 2 décembre 2008, le Coordinateur National de l'Union Nationale des Travailleurs (UNT) et éditeur du journal MAREA Clasista y Socialista, Stalin Pérez Borges, a tiré un premier bilan sur ce qui s'est passé. Il expose aussi les propositions qui sont débattues dans son secteur syndical et ouvrier; propositions qui font partie intégrante du débat qui se déroule au niveau des travailleurs et du peuple qui soutient le «processus bolivarien».

Quelles sont vos premières réflexions sur les résultats de dimanche ?

L'opposition et la droite vont tenter d'utiliser leur triomphe pour s'opposer plus à fond au processus révolutionnaire et à toute tentative d'avancer vers le socialisme. L'écart entre les votes était faible, mais ce résultat – obtenu de justesse ou que l’on pourrait qualifier de victoire à la Pyrrhus – leur donne toutefois plus de confiance et leur permet de croire qu'ils vont pouvoir gagner contre Chavez en d'autres occasions, afin de vaincre et mettre un terme au processus révolutionnaire entamé depuis 1989 [allusion au caracazo: soulèvement populaire de février 1989 contre la politique d’austérité du social-démocrate Carlos-Andrés Pérez]. L'opposition et la droite vont essayer de profiter d'une possible crise dans les rangs bolivariens ou d'en provoquer une. Mais même si les critiques peuvent entraîner un tel danger, il est indispensable, pour nous qui sommes engagés dans ce processus, de les formuler.

Les fonctionnaires du gouvernement et du Comando Zamora [du nom d’un des dirigeants révolutionnaires de la guerre fédérale  qui dura de 1859 à 1863; se trouve à la tête de cette structure qui a mené la campagne électorale Jorge Rodriguez, l’actuel vice-président du Venezuela] sont très contestés par les bases de la révolution, et je suppose également par le président Chavez.

De toute manière, nous voyons que beaucoup de compatriotes qui ne sont compromis dans aucun secteur du pouvoir souhaitent fermement la poursuite et l'approfondissement du processus.

J'espère que la base du PSUV [Parti socialiste uni du Venezuela, lancé par Chavez en avril 2007 et auquel ont adhéré les membres de MAREA Classista, comme courant politique] et des mouvements sociaux feront beaucoup de propositions pour sortir de cette situation difficile. Je crois qu'il est nécessaire que Chavez – qui est certainement en train de réfléchir en ce moment à ce qu'il faut faire – se mette à l'écoute de la base et des véritables directions, qui doivent prendre un rôle actif pour la mise en œuvre d'un changement profond.

Pourquoi dites-vous que le Comando Zamora est contesté ?

Pour plusieurs raisons. D'une part, il a conservé une attitude triomphaliste jusqu'au dernier jour de la campagne, et cette équipe est restée à l'écart de la situation réelle que vivait le pays. C'est ce qui se passe lorsque les autorités et les individus qui ont le pouvoir de décider, mais qui ne reflètent que leurs propres milieux, au lieu de refléter les sentiments réels de la base, visent à consolider leurs positions. Par ailleurs, aucune des grandes organisations sociales engagées dans le processus n'a été consultée lorsque le Comando Zamora a été constitué, ni plus tard, lorsqu'il a commencé à fonctionner. Les vrais dirigeants de la base, qui se trouvent dans le PSUV, n'ont pas été écoutés. En ce qui concerne le mouvement syndical, par exemple, seuls deux représentants de la FSBT [Front socialiste bolivarien du travail] ont été inclus, alors que cette fédération représente le courant le plus contesté et le plus bureaucratique.

Dans ces conditions était impossible de bien organiser la campagne, de manière à ce qu'elle reflète réellement les opinions et les sentiments de la base. Beaucoup de ceux qui étaient à la tête de la campagne du OUI agissaient de manière tellement bureaucratique, du haut de leurs fonctions, qu'il leur a été impossible de convaincre toute une partie de la base même des partisans de Chavez de voter en faveur du OUI.

Ne trouvez-vous pas que les militants du PSUV ont également joué un rôle très actif dans la campagn ?

Je pense effectivement que la majorité des militants se sont engagés. Et je profite de votre question pour saluer et féliciter les porte-parole, délégués et militants honnêtes du PSUV qui pendant tous ces mois, et surtout pendant la dernière étape de la campagne, se sont sacrifiés au quotidien pour que le OUI l'emporte. On a pu voir cela dans tout le pays, ce qui a été très positif.

Dans ma remarque précédente, je faisais plutôt référence au fait que dans un certain sens, le Comando Zamora a coupé les ailes à cette force et à cette capacité d'initiative de la base, ne lui permettant pas de prendre leur envol.

C'est ainsi qu'ils ont conservé les rôles d'organisation et de décision pour des couches restreintes au sommet, alors qu'en bas la base se démenait sans avoir accès ni aux décisions ni aux interventions sur le déroulement de la campagne. C'est cela qui ne va plus. Et la lamentable défaite de dimanche doit au moins servir à lancer un débat en vue de susciter un changement profond.

Le Congrès du PSUV va démarrer en 2008. Cet événement devrait devenir un espace démocratique, où chacun aura l'entière liberté de donner son avis, de proposer et d'exprimer des divergences. Les délégués, les porte-parole, doivent être les véritables acteurs de l'organisation de ce Congrès. C'est ce que nous proposons depuis MAREA Clasista, pour éviter la répétition de ce qui s'est passé avec le Comando Zamora.

Chavez a déclaré qu'il fallait travailler davantage, que nous ne sommes pas encore mûrs pour le socialisme, que ce n'était peut-être pas le bon moment pour introduire la réforme. Quel est votre avis à ce sujet ?

Chavez est en train d'assumer dignement la défaite de dimanche. Il va sûrement recevoir toutes sortes de conseils, y compris de la part des lobbies et de différents groupes d'intérêt.

En ce qui concerne le socialisme, nous ne pouvons ignorer que nous avons été plus de 4 millions de personnes à l'avoir accompagné en votant OUI. C'est une quantité importante et solide. Mais il est également évident que la propagande médiatique de la droite a convaincu un secteur de la base chaviste. Ce qui montre bien la faiblesse d'un secteur qui n'a pas non plus appuyé les propositions allant dans le sens d'une plus grande concentration de pouvoirs sur le Président. Nous avions tiré la sonnette d'alarme sur cet aspect dans un document que nous avons présenté à l'Assemblée Nationale. La désignation de vice-présidents depuis Miraflores [palais présidentiel], le fait d'augmenter le pourcentage de voix nécessaire pour la convocation de différents types de référendums et d'autres articles allant dans le même sens n'ont pas convaincu. Ces propositions ont donné des arguments en faveur la campagne menée par la droite.

Mais, pour revenir au thème du socialisme, je crois que le pire que nous puissions faire est d'accuser le peuple [de ne pas être prêt pour le socialisme]. Hier je lisais dans Aporrea qu'un compatriote avait écrit: «ceux qui ne sont pas prêts pour le socialisme, ce sont les fonctionnaires» et je suis totalement d'accord avec cette déclaration.

Le Président peut bien expliquer l'importance du socialisme à longueur de journée, mais les gens du peuple ne vont pas comprendre cela de manière abstraite. Il y a toute une série de contradictions qui font qu'un secteur important de la population est agacé et finit par ne plus voir l'intérêt d'aller voter pour les propositions de réforme. En effet, on leur parle de socialisme mais ils voient des fonctionnaires qui roulent en Hummer [voiture quatre-quatre qui est un dérivé de l’engin militaire américain]; ils voient que le Ministre du Travail [José Ramon Rivero] et son inspectorat frappent les syndicalistes qui ne sont pas favorables à leur courant, sans se soucier du coup que cela porte aux droits collectifs des travailleurs; ils continuent à vivre à flanc de colline [dans les «bidonvilles»], dans la précarité et sans lait pour les gamins. Tout cela fait qu’un grand secteur s’est fâché et a fini par ne pas aller voter pour les propositions de réformes constitutionnelles; d'autant que personne n'a pris le temps de leur bien expliquer ce que cela signifiait; en tenant compte de cela, on ne peut pas en conclure qu’ils n’auraient pas terminé  par rejoindre le projet socialiste.

Pour aborder un autre thème, que proposez-vous de faire avec les mesures sociales contenues dans le projet de réforme ?

Nous avons accompli un énorme effort dans la campagne pour le OUI. Nous avons organisé un Acto Internacional le 28 novembre 2007, sans compter, durant les derniers jours, une série d'autres activités comme des communiqués de presse et des visites de régions, tout cela justement parce que nous étions conscients de l'importance des avancées sociales contenues dans la proposition de réforme.

Maintenant, nous pensons qu'il est très important d'avancer rapidement pour concrétiser ces avancées sociales, justement parce que si la révolution a permis d'avancer, il reste encore toute une série de problèmes sociaux à résoudre et la base a besoin de réponses et de solutions.

Nous appelons tous les travailleurs et travailleuses, tout le peuple pauvre du pays, à se mobiliser avec nous sur des revendications telles que les six heures de travail par jour, la régularisation des travailleurs informels [dans le sens de leur insertion dans le système de sécurité social, etc.], la mise en place de la rétroactivité des prestations sociales, les revendications relatives au pouvoir populaire, la garantie pour les familles de leur logement principal, pour ne citer que quelques exemples.

Ces mesures pourraient être appliquées par le biais de la Ley Habilitante [loi présentée en janvier 2007 et permettant de donner force de loi à des décrets présidentiels, cela pour une période se limitant à 18 mois] ou par toute autre voie qui bénéficierait du soutien populaire.

Sur ces questions nous ne pouvons accepter le sabotage de la droite. Celle-ci voudra maintenant lier les mains à Chavez – lequel ne peut pas non plus permettre de se laisser entraver – ou d'assujettir certaines de ces mesures à un quelconque accord avec le patronat, comme propose de le faire Fedecamaras [organisation patronale] en ce moment.

Des organisations sociales comme les nôtres sont déjà en train de débattre de ces questions. Certaines proposent de récolter massivement des signatures sur certains de ces thèmes pour leur donner un soutien populaire. Il convient que nous cherchions tous ensemble la voie, mais l'objectif doit être de légaliser et d'appliquer les conquêtes sociales dont nous avons besoin.

Certains problèmes resteront en suspens, mais nous ne pouvons nous permettre d'afficher de la faiblesse. L'accaparement de nourriture et de lait et d'autres sabotages est déjà perpétré et ils pourraient se multiplier pour tenter d'affaiblir le processus. Il faut que nous interrompions cela en mettant entre les mains des Conseils communaux les entreprises accapareuses, car la vie et l'alimentation de la population sont une priorité.

Pour revenir à la question du bilan, comment résumeriez-vous ce qu'il faut faire maintenant ?

En premier lieu il faut ouvrir un débat approfondi et large dans la base auquel devraient prendre part les dirigeants classistes et populaires, les porte-parole et les délégués du PSUV, les mouvements sociaux. Je suis sûr que tous ces secteurs pourraient fournir les meilleures solutions et propositions à débattre avec le Président.

Hier j'ai vu le débat de l'Assemblée Nationale (AN) où même Tascon [Luis Tascon, ancien dirigeant du principal parti politique soutenant Chavez: le MVR – Moivimiento V (Quinta ) Republica – qui a adhéré au PSUV; Tascon en a été exclu en novembre 2007] a dénoncé, à juste titre, le fait que dans le PSUV qu'il y ait des exclusions et des élites de pouvoir.

Mais ce débat ne doit pas se limiter à l'AN. Il faut être clair, les secteurs de l'Etat et du gouvernement chargés des tâches et des décisions présentent de mauvais bilans et portent une lourde responsabilité dans la défaite subie, et il faut donc qu'ils partent.

Les ministres, par exemple, en sont le premier maillon. Les syndicalistes de base veulent un changement urgent dans le Ministère du travail, parce que c'est lui qui est à l'origine de tant d'abus, y compris des agressions contre des syndicats ou la méconnaissance de directives démocratiquement votées. Il en va de même pour d'autres secteurs. Nous proposons donc à tous les compatriotes qui ont pris part honnêtement et de manière conséquente au processus que nous participions ensemble à un débat.

Nous devrions organiser des forums et rassembler des propositions, et que nous les présentions ensuite à Chavez, qui a maintenant la responsabilité d'écouter attentivement. Nous devons également nous maintenir dans la rue pour obtenir de nouvelles conquêtes et rester alertes face à toute tentative de l'opposition.

Pour conclure, que pouvez-vous nous dire sur la situation syndicale ?

Nous traversons indubitablement un moment difficile. D'une part, le Ministre du Travail et la FSTB essayent de liquider l'Union Nationale de Travailleurs [UNT]. Par ailleurs, les secteurs syndicaux qui l'animent n'arrivent pas encore à coordonner leur fonctionnement et leurs actions. Nous devons nous réunir pour trouver un accord qui permette à l'UNT de fonctionner et pour et organiser rapidement les élections. C'est surtout nous qui devons nous atteler à cela, les secteurs qui avons agi unitairement en juillet: notre courant, la CTR (Comité des travailleurs révolutionnaires), les éducateurs bolivariens, les secteurs syndicaux du PC (Parti communiste), la CUTV (Centrale unitaire des travailleurs vénézuéliens). J'insiste sur le fait qu'il faut que nous prenions position de manière à pouvoir démarrer la nouvelle année avec un processus de réorganisation, de légitimation et d'unité syndicale entre tous les secteurs qui sommes partie prenante du processus révolutionnaire.

Depuis MAREA Clasista et des composantes de CCURA (Courant classiste, unitaire, révolutionnaire et autonome de l’UNT), nous allons entamer une ronde de dialogue avec tous ces secteurs pour échanger des opinions sur ces questions. (Traduction A l’Encontre)

(12 décembre 2007)

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