Etats-Unis
Obama en meeting le 19 avril 2001 sur le campus d'Annandale (Virginie)
Obama n’a pas été trompé
Sherry Wolf *
Le 13 avril 2011, l’accord entre la présidence Obama et le
président républicain de la Chambre des représentants, John
Boehner, de couper à hauteur de 38 milliards de dollars dans le
budget 2011 qui prend fin le 30 septembre 2011 a suscité le
commentaire suivant de l’éditorialiste du Washington
Post, E.J. Dionne, sur la radio «publique» NPR: «Peut-être le président va s’engager dans sa campagne
pour sa réélection avec le slogan: «Nous pouvons croire dans la
capitulation».
Cette «capitulation» a été présentée par la presse
économique européenne comme un «sage choix en faveur de
l’équilibre», alors que les coupes sociales touchent frontalement
les secteurs les plus paupérisés des Etats-Unis, dans la santé et
l’éducation, en priorité. Cette coupe dans le budget est la plus
importante, sur une année budgétaire, dans l’histoire américaine.
Le thème du déficit budgétaire a fait la une de la presse
internationale, lorsque l’agence de notation Standard and Poor’s
a lancé, le 18 avril 2011, une opération politique se résumant
à dire que dans deux ans les Etats-Unis pourraient se voir retirer
le sacro-saint «triple A». De quoi consolider des décisions de
«rééquilibrages budgétaires» renforçant la redistribution
massive de la richesse en faveur d’une couche très limitée des
super-riches aux Etats-Unis. Cette annonce entrait en écho avec les
brutales politiques d’austérité sociale en vogue en Europe, et
particulièrement dans les pays où la «crise de la dette
souveraine» – lisez: les risques encourus par les banques
créditrices – «impose ses exigences», comme en Irlande, au
Portugal, ou en Grèce… De quoi épauler mutuellement les
politiques à l’œuvre des deux côtés de l’Atlantique.
Après cette «capitulation», Obama s’est engagé dans sa
campagne électorale. Les «opinions positives» sur sa présidence
ont passé de 67% en janvier (18-24) 2009 à 44% en avril (10-16)
2011. De quoi susciter quelques discours d’Obama combinant la
dénonciation des «gaspillages» et de vagues
formules sur «les petits sacrifices demandés aux
milliardaires» puisqu’il «est demandé aux
plus nécessiteux de faire aussi un petit sacrifice». Lors
de son meeting devant les étudiants du campus d’Annandale, près
de Washington, un étudiant avouait: «J’ai été surpris
hier quand notre professeur nous a soudain proposé de venir voir le
Président. Sur une classe de 28 élèves, nous étions que 9
intéressés par ce meeting… Je pense que Barack Obama bénéficie
toujours d’un large soutien parmi les étudiants, mais beaucoup ne
semblent plus en attendre grand-chose.» (Libération,
21 avril 2011)
L’obamania n’est plus à l’ordre du jour comme par le passé
en Europe, mais les illusions sur le Parti démocrate sont cultivées
par la social-démocratie en Europe. La raison en est simple: elle a
rejoint socialement et politiquement – avec certes quelques
spécificités liées à l’histoire – le Parti démocrate des
Etats-Unis et Obama, cités mille fois en exemple par les politiciens
sociaux-démocrates. (Rédaction)
*****
Le président Obama n’est la dupe de personne, ni l’instrument de
personne. Il n’est pas non plus la carpette en chef. L’idée
qu’il est forcé contre sa volonté de couper dans les budgets en
faveur de la classe ouvrière et des pauvres oublie la nature du
Parti démocrate.
Barack Obama, l’ancien professeur de l’Université de Chicago
formé à Harvard, n’a pas été aveuglé ou manœuvré par la
droite en matière de budget et de politique étrangère. L’homme
qui a captivé une grande partie de la population mondiale par ses
magnifiques discours et son attitude de défiance contre les vains
va-t-en-guerre de l’équipe W. Bush n’est pas une dupe de la
droite.
En tant qu’homme noir d’origine modeste qui a réussi à se
frayer un chemin jusqu’à la tête de l’empire dans un pays où
dominent le racisme et l’ignorance, Obama mérite une
reconnaissance pour une certaine sorte de brillance et de charisme.
Mais il ne faut pas réduire quelqu’un d’aussi puissant que le
président des Etats-Unis à sa personnalité et à son image. Après
tout, il est l’homme de la situation.
Barack Obama incarne l’essence même de la logique du Parti
démocrate qui pilote un empire en déclin. Les profits et la
puissance militaire doivent être maintenus à tout prix. Si en
chemin des besoins humains doivent être sacrifiés, on pourra
improviser une justification qui paraisse raisonnable. Ce n’est pas
pour rien que le Parti démocrate a mérité de la part du dirigeant
conservateur Kevin Phillips la qualification de «deuxième plus
enthousiaste parti capitaliste».1
Comme le reste de la direction démocrate, Obama apparaît ces jours
comme un malheureux idiot. Mais il n’est nullement cela. Même un
politicien dont la spécialité est de vendre de la camelote
prétentieuse passe un mauvais moment à faire reluire cette merde de
budget. Comme les travailleurs et les pauvres doivent être piétinés
pour maintenir les profits, les Démocrates pensent qu’une figure
séduisante, capable de prononcer au bon moment des beaux discours
pleins d’empathie, est toujours encore utile. C’est avec ce
talent que Obama gagne plus ou moins sa vie.
L’article que Paul Waldman a publié dans American Prospect,
intitulé «It’s Only Going to Get Worse»2 (Cela va seulement devenir pire encore) est révélateur d’une
certaine couche de démocrates mécontents:
«Vous remarquerez que dans aucune de ces négociations les
Démocrates n’ont en fait mis en rien les Républicains sur la
défensive. A la fin de chaque étape, Obama va sûrement déclarer,
comme il l’a fait vendredi, que “comme tout compromis, celui-ci a
nécessité que chacun cède sur des questions importantes pour lui.”
Mais la seule concession qu’ont faite les Républicains a porté
sur la quantité de destruction portant sur les éléments qui sont
chers aux Démocrates. Ce n’est pas que les Républicains auraient
accepté quelques hausses d’impôts pour les riches, ou quelque
régulation accrue des industries polluantes, ou quelque extension de
la couverture de l’assurance médicale pour ceux qui en ont besoin.
Non, leurs concessions ont consisté à se retenir, pour le moment,
de supprimer les subventions à la contraception et aux tests des MST 3 pour les femmes.»
La nécessaire indépendance face aux Démocrates
C’est intéressant, parce que même les gens qui sont prêts à se
sacrifier pour Obama quand viendront les élections présidentielles
de novembre 2012 pensent que sa stratégie est débile. Mais
Waldman qualifie la trahison des simples gens d’attaque contre tout «ce qui est cher aux Démocrates». Mais il n’a rien à
dire contre les Démocrates au pouvoir.
De même que l’empire états-unien n’a pas d’amis permanents,
mais seulement des intérêts, de même les dirigeants démocrates
n’ont que des préoccupations et pas des principes. Leur
préoccupation en ce moment, outre préserver le système reposant
sur le profit aux dépens des travailleurs qui créent ces profits,
est de gagner la prochaine élection présidentielle.
Ce n’est pas tant que Obama ait «boxé en dessous de son
poids», comme le prétend Gary Younge dans le Guardian 4,
mais que, en tant que président, il sait qui finance «le match»,
et ceux-là l’ont payé pour qu’il jette l’éponge. Le vrai
rôle que jouent les Démocrates pour maintenir la structure du
pouvoir et retenir les masses n’est jamais plus clair que quand les
Démocrates sont effectivement au pouvoir.
Gary Younge fait remarquer que «si le Wisconsin a montré comment
les Républicains peuvent être forcés par l’action collective à
faire marche arrière, alors les négociations budgétaires de la
semaine passée ont illustré comment ils peuvent être enhardis par
la capitulation.» Il a raison. Non seulement la politique
d’Obama et des Démocrates – c’est une seule et même chose –
est désastreuse pour les travailleurs (et ceux qui aimeraient
travailler) mais il est garanti qu’elle va renforcer la droite et
les riches contre nous tous.
Un modèle de véritable changement s’offre à nous, depuis la
résistance massive au Wisconsin, qui a fait reculer le programme de
la droite, à la volée de bois vert qu’ont flanqué les militants
de New York à la chancelière scolaire Cathie Black, et qui a
conduit à son licenciement [le 7 avril 2011, 95 jours après
avoir pris son poste; C. Black avait été nommée par le maire
de New-York: Michael Bloomberg ; elle est très liée aux
milieux d’affaires, dans la presse entre autres ; elle siégait
au Conseil d’administration de Coca-Cola et d’IBM ; elle a
quitté son poste face aux protestations des parents et des syndicats
d’enseignants suite à sa proposition de fermer quelque 22 écoles.]
Quand Obama a parlé du budget la semaine du 11 avril 2011, il a
prononcé quelques petits murmures à propos d’impôts sur les
super-riches – un programme qui aurait été impensable sans les
batailles syndicales qui ont fait rage dans le Midwest ces dernières
semaines. La peur de la «révolution», comme l’écrit le Wall Street Journal, a amené ce journal qui est le
porte-parole du monde des affaires, à plaider pour des impôts plus
élevés sur une petite tranche des plus riches.5
Rachel Maddow [très présente dans les médias télévisuels] fait
remarquer que les sondages indiquent que 81% des habitants des
Etats-Unis sont favorables à taxer les riches – une position qui
il y a encore quelques semaines n’était défendue que par les
socialistes. Maintenant qu’Obama a aidé à démolir la santé pour
les vieux et les pauvres et a jeté plus de Noirs pauvres dans les
tendres bras de Boehner 6 et Co., Obama peut faire semblant de s’opposer à la droite en
offrant quelques miettes de soulagement.
Regardons les choses en face, soit les gens peuvent continuer à
espérer en dépit de toute évidence qu’Obama et son parti, qui
ont organisé le plus grand transfert de richesse des pauvres vers
les riches de l’histoire, vont devenir leurs sauveurs, soit nous
pouvons engager le combat nous-mêmes. Il n’a jamais été plus
urgent de maintenir l’indépendance à l’égard des Démocrates
et de leur programme de droite. (Traduction A l’Encontre)
* Sherry Wolf est rédactrice en chef adjointe de la revue International Socialist Review, publiée à Chicago.
1 http://www3.niu.edu/~td0raf1/history468/apr0406.htm
2 http://prospect.org/cs/articles?article=its_only_going_to_get_worse
3 Maladies Sexuellement Transmissibles
4 http://www.commondreams.org/view/2011/04/11-5
5 http://www.marketwatch.com/story/tax-the-super-rich-now-or-face-a-revolution-2011-03-29
(21 avril 2011)
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