Palestine-Israël

Mahmud Abbas (Autorité palestinienne) et Isamaïl Haniyeh (Hamas)

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Le sang de Gaza sur les mains de Bush

Khaled Amayreh *

L’article publié ci-dessous donne le point de vue d’un journaliste palestinien qui est aussi correspondant de la chaîne Al-Jazira. Les affrontements entre les diverses milices palestiniennes ont fait des dizaines de morts. Jon Elmer et Nora Barrows-Friedman, pour l’agence IPS, indiquaient, le 2 février 2007, que «la relance de la violence arrive au moment où Washington annonçait ses plans d’allouer 86,4 millions de dollars supplémentaires pour soutenir le président Abbas». Il y a peu de doute sur la volonté de l’administration Bush de conforter la position de M. Abbas. Comme le signalent les deux journalistes américains précités, Washington a reconnu qu’il entraînait la Garde présidentielle en Cisjordanie, plus exactement à Jericho, pour mener une guerre urbaine. Le responsable militaire américain est le lieutenant-général Keith Dayton, coordinateur de la «sécurité des Etats-Unis» pour Israël et pour l’Autorité palestinienne. Dans un entretien accordé au quotidien israélien Yediot Aharonot, Daython a reconnu qu’il était engagé dans la construction et l’entraînement de la Garde présidentielle de Mahmoud Abbas. Cela concorde avec ledit «Palestinian Anti-Terrorism Act» adopté par le Congrès étasunien en décembre 2006. Ce document dénonçait explicitement la direction élue du Hamas et visait à renforcer l’Autorité palestinienne en collaboration avec la direction du Fatah.

Les sanctions imposées à la population des Territoires occupés poussent à l’extrême les limites de survie. Au moins trois quarts des 1,5 million d’habitants de Gaza sont quotidiennement soumis à «l’insécurité alimentaire», selon la formule officielle de l’ONU. L’affrontement entre les milices du Fatah et du Hamas ne peut être compris qu’à partir de la déshumanisation dans laquelle est plongée la population palestinienne et à partir des initiatives prises par les couches corrompues du proto-Etat palestinien (Autorité palestinienne) qui plonge ses racines dans la structure de l’OLP qui durant des décennies a été financée par divers régimes intéressés à l’instrumentalisation de la résistance palestinienne. Dans ce contexte de désintégration d’une société, le jeu des divers Etats de la région en direction des forces organisées palestiniennes a toute son importance. Mais ces dernières ne peuvent être absoutes de leurs responsabilités politiques. Evidemment, sur cet «échiquier» palestinien, les Etats-Unis et l’Etat d’Israël sont les maîtres.

La rencontre organisée entre la direction du Hamas et de l’Autorité palestinienne, à La Mecque, en Arabie saoudite, traduit à sa façon le jeu des diverses puissances. Le but est assez clair: proclamer l’existence d’un «gouvernement d’union nationale» qui soit placé sous le contrôle de la présidence de Mahmoud Abbas, lui-même placé sous surveillance des Etats-Unis. Le New York Times du 8 février insiste sur le rôle – de fait financier – de l’Arabie saoudite comme élément favorisant un «rapprochement». L’initiative de l’Arabie saoudite, en étroite collaboration avec les Etats-Unis et l’Union européenne, n’est pas sans rapport avec les «pressions» effectuées contre l’Iran. Quant à la direction du Hamas, en particulier Kaled Meechal, elle doit entendre siffler à ses oreilles les injonctions d’un pouvoir syrien aux abois. – Réd.

*****

Le tumulte sanglant qui a fait des dizaines de morts et de blessés palestiniens dans la Bande de Gaza et a poussé la société palestinienne au bord de la guerre civile n’est pas simplement tombé du ciel.

Bien sûr, la grande majorité des Palestiniens, probablement plus de 99%, a clairement rejeté la guerre civile de la manière la plus nette, et n’y prendrait jamais part si elle se développait.

Cela va sans dire que ce rejet fort s’enracine dans l’idée collective qu’une guerre civile signifierait la fin des aspirations palestiniennes pour la liberté et la libération du colonialisme sioniste.

Néanmoins, trop de Palestiniens ont été tués par d’autres Palestiniens pendant qu’Israël, l’ennemi de notre peuple et l’usurpateur de notre patrie, regarde, tout joyeux, notre sang couler de nos propres mains.

Sans disculper le Fatah et le Hamas qui portent la culpabilité de ces affrontements sanglants, il est toutefois évident qu’il y a "un troisième parti" qui veut à tout prix attiser le feu des combats intrapalestiniens.

Ce parti est le même que celui qui a mis le feu à l’Irak et a alimenté les flammes de la guerre communautariste-confessionnelle dans ce pays de misère. C’est le même parti qui essaie actuellement, sans relâche, d’ensemencer le terrain afin de susciter une guerre civile au Liban et en Somalie.

Ce n’est personne d’autre que George W. Bush et son administration machiavélique qui cherchent à implanter la mort, la violence et les guerres civiles partout au Moyen-Orient. En particulier dans les pays où des mouvements de résistance active s’opposent à l’hégémonie américaine.

Oui, George Bush essaie de punir les mouvements de résistance en suscitant des guerres civiles. Il menace même de fomenter des guerres civiles dans des pays tels que l’Egypte et l’Arabie saoudite s’ils refusent de suivre ses instructions et s’ils ne sont pas à ses ordres.

Il a d’abord poussé la faible Autorité palestinienne, qui a vraiment très peu d’autorité – pour autant qu’elle en ait – à organiser des élections générales en janvier 2006. [1]

Et lorsque des élections libres et justes ont finalement été organisées et que le Hamas a gagné, Bush a décidé d’imposer des sanctions exceptionnellement dures contre le nouveau gouvernement palestinien afin de punir le Palestinien de la rue d’avoir élu les «mauvaises personnes»!

Dans le contexte de cette lutte cynique, l’administration Bush n’a pas seulement rompu toute aide directe aux Palestiniens, mais a été jusqu’à obtenir des banques et des Etats, à force d’intimidation, qu’ils rompent toutes formes d’accords politiques ou financiers avec le gouvernement nouvellement élu démocratiquement, avec ses employés, ses responsables et ses ministres.

La moindre tentative d’envoyer un peu d’argent, de n’importe quelle partie du monde, vers la Cisjordanie et la Bande de Gaza, est devenue une affaire compliquée, à cause de ces sanctions.

Les fonds humanitaires ou de charité venant des pays arabes ou musulmans ou d’organismes ont été interdits. Dans certains cas, ils ont été confisqués dans le seul but de harceler les 3,5 millions de Palestiniens et de leur démontrer qu’élire un parti qui ne plaît pas aux Etats-Unis n’est pas payant et peut faire vraiment mal.

Ces manœuvres vicieuses d’intimidation n’ont pas réussi à mettre les Palestiniens à genoux, puisqu’ils ont refusé de descendre en masse dans les rues pour renverser le Hamas, comme les Etats-Unis l’avaient prévu avec la connivence d’Israël.

Cet échec a rendu furieux l’administration Bush, sa ministre des Affaires étrangères Condoleezza Rice et les autres membres du gang de la Maison-Blanche qui, loin d’abandonner, ont exploré d’autres voies et moyens pour se venger du Hamas et de sa victoire électorale. Le Hamas a osé dire «Non» au Duce de notre époque. De là le dernier bain de sang.

Il ne fait aucun doute que les affrontements sanglants entre le Hamas et la Force de sécurité préventive ont été planifiés, financés et soutenus par l’argent et les armes des Américains, ou du moins des armes autorisées par les Américains.

Il y a quelques mois, le Département d’Etat a annoncé le projet de donner au chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas plus de 86 millions de dollars afin de «renforcer ses forces de sécurité contre le Hamas».

De plus, les Etats-Unis ont joué un rôle central dans le «passage en contrebande» dans la Bande de Gaza de dizaines de milliers de fusils, principalement des AK-47, et de millions de balles.

En fait, de nombreux camions de fusils et de munitions ont été autorisés par Israël à rentrer à Gaza au cours des derniers mois, dans le but de mettre Gaza à feu et à sang pour servir les intérêts criminels d’Israël.

Cette intervention scandaleuse des Etats-Unis dans les affaires internes palestiniennes a pour but de déclencher une véritable guerre civile. L’approche américaine est la suivante: une implosion palestinienne affaiblirait et décimerait la société palestinienne, et la forcerait peut-être à capituler devant Israël, quel que soit le titre ou le nom qui serait donné à cette capitulation par les médias.

Aujourd’hui, la CIA abreuve de millions de dollars certains "chefs" palestiniens qui docilement, et même de manière similaire à celle d’un transfuge, exécutent le programme américano-israélien.

En retour, ces soi-disant chefs achètent des jeunes gens sans éducation et sans emploi qui acceptent volontiers de devenir les esclaves zélés du trésorier.

Au cours des dernières semaines, nous avons vu comment ces mercenaires ont été occupés à assassiner des gens et à enlever toute personne qu’ils pouvaient attraper. Ils se sont arrangés pour mettre le feu à des voitures, à des immeubles d’affaires et à des bâtiments gouvernementaux à Ramallah, à Naplouse et dans d’autres endroits de Cisjordanie.

Malheureusement, cette anarchie meurtrière a été exécutée au nom du Fatah, alors qu’en fait la grande majorité des sympathisants de cette organisation, à part peut-être les échelons supérieurs, n’est pas au courant de ce qui se trame et ignore complètement le rôle des Etats-Unis dans l’instigation des querelles intestines palestiniennes.

Je sais que le Fatah n’est pas un mouvement monolithique et n’a pas de direction centralisée. Je réalise aussi que Mahmoud Abbas est un dirigeant faible qui a peu ou pas d’autorité sur des chefs du Fatah comme Mohamed Dahlan [2], par exemple.

Cependant, cela n’absout pas le mouvement de sa responsabilité morale et nationale, en particulier dans ce moment décisif de notre lutte pour la liberté.

Le Fatah, qui se proclame le garant et le gardien du rêve palestinien, devrait prendre de la distance et isoler quiconque cherche à provoquer le naufrage du bateau palestinien.

Pour ce qui a trait au Hamas, et spécialement pour le gouvernement dirigé par le Hamas, je peux dire: depuis plus de vingt ans, vous avez plus ou moins réussi à préserver l’unité nationale palestinienne en dépit des efforts israéliens persistants de retourner le frère contre son propre frère. Au milieu et à la fin des années 1990, votre patience et votre retenue ont été exemplaires face aux provocations intolérables des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Aujourd’hui, on vous demande de vous référer à la sagesse et à la sagacité d’Ahmed Yassine [3] et de faire preuve d’encore plus de retenue.

Lors des crises qui peuvent évoluer en véritable guerre civile, il ne suffit pas d’avoir raison ; il faut aussi manifester de la sagesse. Car d’une une guerre civile, personne ne sortira gagnant ; il n’y aura que des perdants.

Finalement, il est impératif de nous souvenir que lorsque la mosquée s’effondre, la question de qui a raison et qui a tort n’a plus de pertinence. (Traduction «A l’encontre»)

* Khalid Amayreh est un journaliste basé en Cisjordanie occupée. Cet article a été publié dans The Peoples Voice début février 2007.

1. En janvier 2005 s’est déroulée l’élection du président de l’Autorité palestinienne. Mahmoud Abbas a gagné ces élections. Le médecin Moustapha Barghouti avait réuni 20% des suffrages. En décembre 2005, dans l’hebdomadaire Al-Ahram Weekly (1-7.12.2005), M. Barghouti soulignait le contexte dans lequel les processus électoraux s’effectuaient: «La population totale des colons (…) est désormais de 436'000: 190'000 à Jérusalem et 246'000 en Cisjordanie. Seulement 8475, soit 2% de ce total, colons illégaux ont été évacués de Gaza et de la région de Jénine. Durant la même période, la population des colonies de Cisjordanie a augmenté massivement de 15'800 unités.»

Dès cette époque, la construction du mur de séparation commençait à développer tous ses effets.

En décembre 2005 se sont déroulées des élections municipales en Cisjordanie. Le quotidien Aaretz du 21 décembre 2005 soulignait: «La victoire du Hamas aux élections locales a fleuri sur un terrain fertile. Les gens en ont assez des mensonges qui ont accompagné leur vie durant les treize dernières années [depuis la signature des accords d’Oslo]: qu’Oslo signifie la paix, que la création d’une Autorité palestinienne est une victoire et un symbole qui aboliraient tous ses échecs ; que l’autorité ait un Etat.» – Ndlr

2. Homme fort du Fatah et ancien chef «de la sécurité préventive» à Gaza, il est un personnage clé dans la situation actuelle. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire égyptien, version française, El-Ahram (13.12.2006), il précise que «ses «visites en Egypte ne sont pas occasionnelles, elles sont plutôt périodiques (…) Cette fois-ci [décembre 2006], j’étais chargé par le président Mahmoud Abbas de mettre les Egyptiens [c’est-à-dire Moubarak et ses services] au courant des derniers développements entre le Fatah et le Hamas, surtout après la récente visite [en Egypte] de Omar Souleiman, chef du Service des renseignements d’Israël.» A propos du Hamas, dont le dirigeant Khaled Mechaal, résidant en Syrie, venait de faire des déclarations impliquant l’acceptation d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967,  et donc une reconnaissance des accords internationaux, Dahlan déclare: «Comment reconnaît-il les accords alors que le Hamas ne reconnaît même pas l’OLP et la considère comme une organisation impie ?» –Ndlr

3. Fondateur et dirigeant du Hamas. Il était opposé aux accords  d’Oslo, il fut exécuté lors «d’une attaque ciblée» par les forces militaires israéliennes le 22 mars 2004. – Ndlr

(8 février 2007)

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