Palestine

 

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Comprendre Gaza

Gabriel Kolko *

L’historien étatsunien Gabriel Kolko a placé en exergue de son article la phrase: «Comment enflammer tout le monde musulman.» (Réd.)

Comment l’histoire décrira-t-elle la guerre israélienne contre les Palestiniens à Gaza ? Comme un autre Holocauste, perpétré cette fois par les descendants des victimes? Comme un stratagème électoral de politiciens israéliens ambitieux visant à leur faire gagner des votes pour les élections du 10 février 2009? Comme une série de tests pour de nouvelles armes américaines? Ou comme un effort pour enfermer la nouvelle administration Obama dans une position anti-iranienne? Comme une tentative de rétablir la «crédibilité» militaire d’Israël après sa défaite désastreuse lors de la guerre menée contre le Hezbollah en 2006 au Liban? Peut-être est-ce tout cela… et un peu plus encore.

Une chose est en tout cas certaine. Israël a tué au moins cent Palestiniens pour chacune des pertes qu’il a lui-même annoncée, une disproportion énorme qui a plongé dans l’effroi une grande partie du monde et provoqué ainsi une nouvelle raison de se mobiliser pour d’innombrables personnes. Ce mouvement est probablement aussi fort que l’a été le mouvement contre la guerre du Vietnam. Israël s’est mis lui-même dans la situation de nation paria – sauf aux Etats-Unis et dans quelques autres pays. Mais surtout, il a réussi à mettre le feu à tout le monde musulman.

Comme l’a écrit Bruce Riedel, un «faucon» qui a occupé des postes-clés à la CIA pendant près de trente ans et qui est maintenant l’un des nombreux conseillés du Président Obama: «… le conflit israélo-palestinien constitue la question la plus centrale et la plus brûlante pour al-Qaida…». Ou encore: «Les Musulmans ressentent un profond sentiment d’injustice au sujet de la création d’Israël, ce qui imprègne tous les aspects de leur pensée et de leur activité et est devenu le cri de ralliement utilisé pour convaincre la ummah [mot arabe signifiant «communauté» ou «nation» et qui désigne l’ensemble de tous les Musulmans] de la justesse de la cause d’al-Qaida.» Mais cela, c’était avant Gaza. Une grande partie du monde maintenant déteste Israël, mais surtout, on devra attendre de longues années avant d’en avoir fini avec les conséquences des atrocités commises par Israël. Les extrémistes musulmans deviendront maintenant beaucoup plus forts.

Des accusations de crimes de guerre sont maintenant portées – et ce de façon justifiée – contre les Israéliens, parmi lesquels beaucoup sont issus de familles ayant souffert il y a plus de soixante ans aux mains des nazis. Ils clament aujourd’hui que l’Holocauste a constitué l’unique tragédie – comme si le nombre bien plus grand de morts de goyim [mot hébreu désignant de façon générale les «non-Juifs»] à travers le monde depuis 1945 comptait pour rien.

Les Nations Unies et plusieurs associations de défense des droits humains demandent qu’Israël soit poursuivi en justice pour le meurtre avéré de plus de 1300 Gazaouis par des armes à feu extrêmement puissantes, notamment des bombes au phosphore qui sont illégales. Israël a déjà préparé ses hauts-officiers à se défendre contre les accusations de crimes de guerre et le Procureur Général Israélien Menahem Mazuz a mis en garde le gouvernement il y a quelques semaines contre le fait que celui-ci devait s’attendre à faire l’objet d’une «vague de poursuites judiciaires internationales».

Israël devra donc maintenant vivre avec les conséquences géopolitiques de ses actes dans la région. Peut-être Israël a-t-il irrémédiablement mis en péril ses relations avec les pays arabes voisins et les autres nations musulmanes telles que le Qatar et la Mauritanie qui ont déjà rompu avec lui leurs relations diplomatiques, moins parce que les classes dirigeantes de ces pays veulent pénaliser Israël mais parce que les masses arabes le réclament, ce qui met d’ailleurs en danger la position de ces pays eux-mêmes.

Mais ce qui est plus important encore, c’est que les Etats-Unis qui ont loyalement soutenu Israël pendant des décennies, l’inondant des armes les plus modernes et lui assurant sa protection diplomatique, se trouvent maintenant eux-mêmes dans une crise économique et qu’ils ont besoin comme jamais auparavant de l’argent arabe, sans parler bien sûr des importations de pétrole. La stabilité de cette alliance cruciale va maintenant être testée.

Depuis ses débuts, le sionisme s’est caractérisé par un culte du machisme –appelé autodéfense- et bien qu’il y ait eu des idéalistes tels que A.D. Gordon **, les sionistes du courant principal se sont engagés de plus en plus dans une riposte violente contre les Arabes les entourant. L’action militaire a été de plus en plus glorifiée, même par des prétendus hommes de gauche comme David Ben Gourion, de sorte qu’aujourd’hui Israël constitue une sorte de Sparte régionale possédant une des armées les plus modernes ainsi l’arme nucléaire. Cela donne au pays un monopole virtuel dans une vaste région qui va inévitablement se trouver être l’enjeu de changements importants.

Uri Avnery, un militant anti-guerre très connu, vient d’écrire que «… des centaines de millions d’Arabes autour de nous… verront peut-être les combattants du Hamas comme les héros de la nation arabe, mais ils verront également leurs propres régimes dans leur toute leur nudité, c’est-à-dire vils, ignominieux, corrompus et perfides… Dans les années qui viennent, cela deviendra apparent que cette guerre ne fut que folie absolue.»

Nous sommes à nouveau en train de vivre une immense tragédie et les tragédies ont été la caractéristique de l’histoire du monde pendant des siècles. Maintenant, ce sont d’anciennes victimes et leurs descendants qui sont les bourreaux. (Traduction A l’Encontre)

* Gabriel Kolko est un spécialiste reconnu de l’histoire de la guerre moderne. En français on peut lire un de ses ouvrages de référence, Un siècle de guerre, Editions de l’Université de Laval (Canada), publié en 2000.

** Ahron David Gordon (1856-1922) représente un courant sioniste social-démocrate, s’exprimant en langue hébraïque. Il publia le journal «Le jeune ouvrier» en Palestine et ses idées influencèrent le mouvement de kibboutz. (Réd.)

(27 janvier 2009)

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