Palestine
Six jours d’une vie ordinaire…
six jours de crimes de guerre à Gaza
Mireille Fanon-Mendes-France *
Alors que l’offensive terrestre, aérienne et navale contre la population de Gaza entre dans son troisième jour et que les «déploiements diplomatiques s’intensifient» — pour reprendre une formule de la presse — il nous semble fort utile et instructif de lire cet article de Mireille Fanon-Mendes-France qui qualifie, à partir d’éléments du «droit international», les agissements du gouvernement israélien. (rédaction)
Six jours sans répit à ramasser les quelques 400 personnes assassinées par l’arméee d’occupation, à mener les 2’000 blessés dans les hôpitaux ou dispensaires, à courir après les médicaments de première nécessité pour que ces blessés ne s’ajoutent pas à la déjà trop longue liste des morts.
Six jours pour les survivants à tenter de trouver un endroit qui ne risque pas d’être bombardé par les F16 et les Apaches qui envahissent le ciel. «Gaza est devenu un assemblage de zones isolées les unes des autres, dans lesquelles les personnes sont piégées dans leur appartement de peur de sortir dans la rue. Et, comme cela s’avère la réalité, même les maisons ne sont pas des lieux sûrs. Aucun lieu n’est sûr à Gaza» ainsi que le souligne Jaber Wishah du Palestinian Centre for Human Rights, basé à Gaza City.
Six jours de mobilisation spontanée dans de nombreux pays, du Sud au Nord.
Six jours où la communauté internationale montre une fois encore son incurie et autorise, par son silence et son incapacité à prendre la seule résolution nécessaire qui justifierait le rôle du Conseil de sécurité de l’ONU, la violation par l’Etat d’Israël de ses obligations au regard du droit humanitaire et plus précisément de la Quatrième Convention de Genève de 1949 qui assure protection aux personnes civiles en temps de guerre, signée par ce même Etat.
Six jours pendant lesquels la France, membre du Conseil de sécurité, ne trouve rien de mieux à faire que de demander à l’Etat attaquant une trêve de 48 heures pour acheminer de l’aide humanitaire. Certes, il faut de l’aide, mais ce besoin est, ne l’oublions jamais, le résultat de l’occupation militaire illégale, réprouvée par de nombreuses résolutions de l’ONU, que subit depuis 60 ans le peuple palestinien. La France, dans ce cas présent, aurait été bien inspirée de respecter ses obligations au regard du droit international en proposant au Conseil de sécurité une résolution pour la condamnation de l’invasion israélienne en territoires palestiniens occupés.
Les enfants, les femmes et les hommes vivant dans la Bande de Gaza méritent mieux qu’une trêve de 48 heures. Ils méritent le droit à la vie, le droit de vivre libres, libérés de l’occupation militaire et restitués dans l’ensemble de leurs droits civils et politiques mais aussi économiques, sociaux et culturels. . Six jours à entendre de nombreux médias affirmer que l’Etat d’Israël a le droit de se défendre ou mieux de s’autodéfendre pour reprendre les termes de G.W. Bush. Nouveau concept introduit visant à faire bouger les lignes, déjà si fragiles et si souvent agressées, du droit international et à imposer dans les esprits de tout un chacun que l’autodéfense est non seulement légitime, mais en congruence avec les normes impératives du droit international, dont le respect et l’effectivité sont plus que jamais nécessaires pour assurer la régulation des rapports de force dans les relations internationales. En tronquant la réalité, parce vue à travers un prisme eurocentré ou occidentalisé, de nombreux médias font retourner leurs auditeurs vers l’âge de pierre et G. W. Bush entraîne le monde vers un état sauvage renouvelé à la lumière du libéralisme imposé par le modèle capitaliste. Il y a tout à craindre de ces errements irresponsables et de ces affirmations mensongères. La Charte des Nations unies, quant à elle, article 51, mentionne le droit naturel à la légitime défense et non à l’autodéfense.
Six jours au cours desquels il a fallu entendre Ehoud Barak ministre de la défense déclarer qu’avec cette attaque il y avait aussi le but de ramener Gaza des décennies en arrière. N’est ce pas sans rappeler la fameuse menace de Dan Haloutz, chef d’Etat Major, qui voulait faire revenir le Liban de 20 ans en arrière, dès le début de la guerre de l’été 2006 ?
Ce qui est sûr et commun avec la guerre de 2006 au Liban c’est que l’Etat d’Israël commet, depuis 60 ans dans les territoires palestiniens occupés, crimes de guerre sur crimes de guerre et cela en toute impunité puisque la communauté internationale ne répond pas à ses obligations, réaffirmées par la Cour pénale internationale dans l’avis donné à propos de la construction illégale du mur de la honte. Pourtant, c’est très clair, les Etats, qui sont hautes parties contractantes à la 4e Convention de Genève, ont non seulement l’obligation de respecter le droit international relatif aux droits humains ainsi que le droit humanitaire applicable erga omnes [à l’égard de tous] mais aussi de les faire respecter. Tous ces Etats sont loin du compte.
Des faits, rien que les faits
Le statut de Rome définit le crime de guerre ainsi ne seront retenues que les précisions concernant les bombardements meurtriers sur Gaza.
a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève: iv) La destruction (…), non justifiée par des nécessités militaires et exécutée sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire
Les destructions occasionnées par les attaques militaires israéliennes sur l’ensemble du territoire de la Bande de Gaza sont causées par des opérations militaires menées, par air, terre et à partir de la mer, à grande échelle. Ces attaques répétées ont détruit des immeubles d’habitations, des maisons, des ateliers, des commerces, de très nombreux véhicules, des entrepôts, des cafés, des garages
b) Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir, l’un quelconque des actes ci-après: i) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités
Parmi les victimes, des enfants, des femmes, des hommes. La grande majorité d’entre eux ne sont pas des combattants, entre autres, un prêtre, un imam, un médecin, une infirmière et un avocat….La plupart des corps ont été retrouvés totalement disloqués par la violence du bombardement
ii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens de caractère civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs militaires: des bâtiments gouvernementaux ; les locaux de la compagnie du téléphone Jawal ; des commissariats de police ; un club de sport ; le bureau d’information lié aux Comités de la Résistance Populaire ; l’immeuble du département du contrôle agricole, des centres d’entraînement des services de sécurité ; le poste de la police navale ; le centre de police Arafat ; le centre principal de la sécurité intérieure de al-Saraya ; l’immeuble de la télévision al-Aqsa ; plusieurs places du centre ville ou de villages ; la prison située en plein centre de Gaza City ; les réserves de gaz, ce qui entraîne la fermeture des centrales produisant de l’électricité
iii) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies, pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil ;
iv) Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ;
• Des raids de bangs soniques ont eu lieu, causant des traumatismes et une atmosphère de panique parmi les habitants de Gaza ; l’usage de Smart Bombs GBU 39 à l’Uranium appauvri ; les attentats ciblés, entre autres celui perpétré jeudi 1er janvier 2009 contre un des principaux chefs du Hamas, Nizar Rayan, dans le nord de la bande de Gaza.
L’outrecuidance israélienne va jusqu’à prévenir Monsieur Rayan que l’armée a l’intention de le tuer et pour que cela soit «propre», il lui est conseillé d’éloigner de la maison la vingtaine de personnes présentes. 15 d’entre elles mourront. Ce meurtre «en direct» a été commis avec le soutien juridique du conseiller juridique du gouvernement, Benahem Mazouz. Il y a aussi celui du mardi 30 décembre, lors du bombardement de l’ensemble des ministères du mouvement islamiste, l’armée israélienne a blessé au passage 22 habitants.
Autant de mesures destinées à semer la terreur parmi la population et visant à appliquer une stratégie systématique de punition collective et de terrorisme. Les responsables israéliens savent pertinemment que ces opérations vont causer des dommages excessifs, la mort de civils et provoquer des blessures à une partie de la population civile tout comme des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seront manifestement excessifs par rapport aux avantages militaires concrets et directs attendus.
v) Le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires ;
ix) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires: • des mosquées ; l’Université Islamique de Gaza (IUG) ; certaines écoles qui pourtant jouissent de la protection du droit international humanitaire —protection consacrée par le protocole additionnel, articles 52 et 57—. et même en cas de doute, elles ne peuvent être prises pour cibles militaires comme le dispose le même Protocole à l’article 52. 3.
Il est hors de doute que les écoles ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme des objectifs militaires car les attaquer ne peut procurer aux combattants israéliens des avantages militaires: • les bureaux de l’association des prisonniers Wa’ed ; les bureaux du Secours islamiste
xii) Le fait de déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier .
• La déclaration de Ehud Barak, mais aussi celle de Tzipi Livni
xxiv) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre les bâtiments, le matériel, les unités et les moyens de transport sanitaires, et le personnel utilisant, conformément au droit international, les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève
xxv) Le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l’envoi des secours prévus par les Conventions de Genève
Un million et demi de Gazaouis vit sous blocus israélien depuis juin 2007. Les différents appels de certains Etats mais aussi ceux de la société civile sont restés lettre morte. Seule une centaine de camions a reçu l’autorisation de passer depuis le 29 décembre 2008. Les habitants de la Bande de Gaza manquent de tout, alimentation, objets de première nécessité, mais aussi de carburant, de gaz et d’électricité. Les hôpitaux sont dans l’incapacité d’assurer les soins nécessaires aux blessés et aux malades, faute de matériel.
Crimes de guerre au Liban en 2006, crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés depuis 60 ans
Comme les attaques militaires israéliennes au Liban, celles sur Gaza se placent aussi dans le contexte d’une politique systématique et délibérée de destruction massive des biens civils ainsi que dans celui d’une politique qui a, volontairement, ignoré les obligations que lui imposent le droit international général et le droit humanitaire. Les opérations militaires israéliennes, dans le contexte des déclarations et des prises de position publiques du premier Ministre, du ministre des Affaires étrangères et du Chef d’Etat major suggèrent une volonté explicite d’attaquer de manière systématique la population civile, peu importe le nombre de morts.
Tous ces actes sont considérés comme constitutifs de crimes internationaux et visés par les Articles 7 et 8 du Statut de la Cour, à savoir des actes de violation graves du droit international, notamment le bombardement et la destruction.
Toutes les informations mentionnées renvoient au travail de terrain fait par le Centre palestinien des droits de l’homme de Gaza et sont autant d’infractions commises contre des personnes civiles protégées en temps de guerre aux termes des dispositions de la 4e Convention de Genève. Faisant cela, l’Etat israélien viole les lois ou coutumes de la guerre, y compris celles reconnues par l’Article 3 de la Quatrième Convention de Genève du 12 août 1949, disposition qui a acquis le statut de règle du droit coutumier.
Lutter contre l’impunité, une obligation
En créant la Cour Pénale Internationale, les Etats membres, reflétant largement l’intérêt général de l’humanité, ont mis en place un mécanisme institutionnel judiciaire et juridique dont le but déclaré est de traduire en justice les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crime de génocide, de façon à décourager la perpétration de futures violations, à contribuer au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales et au respect du droit et des valeurs humaines et à garantir que les responsables de tels crimes internationaux ne jouiraient plus d’aucune impunité.
En ce sens, les Etats considèrent, dans le Préambule du Statut, que «….les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale….» se montrant déterminés «…à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes…». Ainsi dans le Jugement Stakic, la Chambre de première instance du Tribunal International pour l’Ex- Yougoslavie a pertinemment déclaré: «dans le cadre de la lutte contre les crimes internationaux, la dissuasion constitue une tentative d’intégrer ou de réintégrer dans la société des personnes qui se croyaient hors de portée du droit international pénal. Ces personnes doivent être avisées qu’à moins de respecter les normes universelles fondamentales du droit pénal, elles s’exposent non seulement à des poursuites, mais aussi à des sanctions de la part des tribunaux internationaux». (Le Procureur c/ Milomir Stakic, 31 juillet 2003, 902)
Si les responsables israéliens continuent à jouir de l’impunité, ce fait pourrait être interprété comme un message à d’autres responsables, non pas aux fins de décourager la perpétration de futures violations du droit international humanitaire, mais plutôt comme incitatif à le faire, car il suffirait que les responsables soient les nationaux d’un Etat tiers pour que l’ensemble des dispositions du Statut de Rome deviennent ineffectives.
Si ces violations graves des normes impératives de droit international et si les crimes internationaux commis par les autorités israéliennes restent impunis, c’est tout le système de protection des droits humains qui sera radicalement détruit et discrédité. Si ces crimes qui ébranlent la conscience humaine et la conscience de la communauté internationale sont impunis, les victimes n’auront d’autre choix que d’assister à «une parodie du droit» et à l’impuissance structurelle de la Cour Pénale Internationale. Dès lors, il y a urgence.
* Mireille Fanon-Mendes-France dirige la Fondation Frantz Fanon et est membre du Bureau national de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP)
(5 janvier 2009)
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