Palestine

 

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Etre dans Gaza, c’est être piégé

Peter Beaumont *

Gaza. Toujours la souffrance de Gaza, le plus puissant symbole de la tragédie de la Palestine. En 1948, durant la Nakba – ou «la catastrophe» comme les Palestiniens nomment la guerre qui a donné naissance à l’Etat d’Israël, 200'000 réfugiés se sont répandus dans la bande de Gaza, gonflant sa population de plus des deux tiers. Puis, Gaza est passée sous le contrôle égyptien.

La guerre des Six jours de 1967 a vu plus de réfugiés, mais elle est venue avec l’occupation de Gaza par Israël – une occupation qui, malgré la déclaration du Premier ministre Ariel Sharon qu’Israël retirait unilatéralement ses colonies et ses troupes en 2005, n’a jamais cessé réellement.

Elle n’a pas cessé et être dans la bande de Gaza c’est être piégé. Sans avenir ni espoir, bloqué sur quelques kilomètres carrés. Ses frontières, terrestres et maritimes, sont en grande partie fixées par Israël (avec la tolérance de l’Egypte pour le sud de la bande de Gaza).

Gaza n’a pas d’ouverture sur la mer en dehors d’un étroit point accessible seulement à la flotte de pêche, un blocus côtier assuré par les canonnières d’Israël dont les limites ont récemment été testées par des bateaux de manifestants venant de Chypre pour attirer l’attention sur les conditions à l’intérieur de la bande de Gaza.

Autrefois, il était possible pour les habitants de Gaza d’aller avec une relative facilité en Israël pour travailler et de revenir. Au cours des dernières années, le nœud coulant s’est resserré progressivement autour des 1,5 million de Palestiniens qui vivent ici, jusqu’à ce que toute une population – dans la zone urbaine la plus densément peuplée de la planète – se retrouve enfermée derrière des murs et des barrières.

Depuis que les troupes israéliennes ont envahi la bande de Gaza en 1967, les politiciens et les généraux israéliens l’ont toujours considérée comme un problème –un foyer du radicalisme et de l’opposition. Israël s’est risqué, échec après échec, à tenter de contrôler Gaza. Il a tout essayé sauf ce qu’il fallait à l’évidence: permettre à son peuple d’être libre.

Il a essayé de diriger directement Gaza avec une politique brutale de mise en quarantaine, avec des chars d’assaut, des Jets et des canonnières. Il a essayé d’y maintenir des colonies stratégiques, sur lesquelles la résistance s’est focalisée contre les patrouilles militaires. Et quand cela a échoué, Israël s’est retiré – pour faire le constat que, n’ayant plus d’ennemi sur place, ceux vivant à l’intérieur de Gaza se sont mis à attaquer les villes voisines avec des roquettes rustiques.

Avec ironie, l’une des expériences d’Israël a consisté à participer à la création du Hamas, qui émane des Frères musulmans d’Egypte, afin de contrer le pouvoir de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat. Israël a été déterminé à pousser le Hamas vers une guerre sans merci, répétant que même sa victoire – lors d’élections libres et justes – aux législatives de 2006, ne pouvait être considérée comme lui donnant la légitimité de gouverner.

Depuis que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza, en été 2007 après un court mais vif combat avec le Fatah, la politique d’Israël a été celle de la punition collective, qui se résume ainsi: «Pas de prospérité, pas de développement, pas de crise humanitaire». Pas de crise humanitaire visible en tout cas.

Ce qui s’est passé à l’intérieur de la bande de Gaza depuis que le début du blocus économique, il y a un an et demi, a étendu avec cynisme la définition qui détermine les limites d’une telle crise.

Les personnes qui ont besoin de soins médicaux urgents à l’extérieur des murs de Gaza sont obligées de suivre un processus long et humiliant. Certains même de ceux qui ont reçu l’autorisation pour partir, selon des groupes de défense des droits humains, furent contraints de devenir des informateurs pour les services de renseignements israéliens.

Un Gazaoui sur deux vit maintenant dans la pauvreté. L’aide est sporadique, et comme la Banque mondiale l’avait mis en garde début décembre, le blocus a forcé Gaza à être tributaires des tunnels de contrebande (taxés par le Hamas), ce qui risque de détruire son économie classique. L’inflation qui affecte des produits clés passés en contrebande par les tunnels est rampante, ce qui en retour rapporte de l’argent au Hamas.

Tout aussi préoccupant, dans une perspective à long terme, est la corrosion des institutions et de la cohésion sociale de Gaza provoquant des éruptions sporadiques de violence entre les factions et entre les clans.

Ce qu’espère obtenir Israël avec son offensive militaire en cours - au-delà de son influence sur les élections à venir - n’est pas clair. Car si une opération terrestre - depuis longtemps annoncée et qui conduirait à une réoccupation partielle du terrain -, prolonge ces attaques aériennes (comme lors de la guerre contre le Liban en 2006), elle réalisera ce que ni le Hamas ni son rival le Fatah n’ont réussi à faire: réunir une fois encore la société palestinienne contre un ennemi commun, comme Gaza l’a été autrefois contre les colonies israéliennes à l’intérieur de ses frontières.

Si ce n’est pas ce que veut Israël, alors il est difficile de percevoir ce qu’il cherche par ses actions dans une communauté qui chérit ses martyrs, où la mort violente est destinée à renforcer la cohésion sociale et l’unité.

Car, finalement, ce qui s’est passé ces dernières heures n’est que l’expression de ce qui se passe depuis des jours et des mois et des années: la mort et la crainte que les hommes armés, les lanceurs de roquettes et les auteurs d’attentat de Gaza ont réussi à infliger à Israël ont été rendues 10 fois, 20 fois, 30 fois encore. Et rien ne changera avec une telle arithmétique.

Pas à Gaza. Mais peut-être que dans un monde arabe plus large de plus en plus mal à l’aise, jour après jour, sur ce qui se passe à Gaza, quelque chose est en train de changer. Et Israël lui a fourni un point de ralliement, quelque chose de tangible et de brutal qui ouvre la voie aux critiques de ses actions à Gaza – politique de punition collective avec des forces disproportionnées et excessives  – quelque chose sur laquelle se focaliser.

Quelque chose du niveau de Deir Yassin [massacre perpétré le 9 avril 1948 et qui a joué un rôle important dans l’expulsion des Palestinien de leurs villages]. Des massacres de Sabra et Shatila [massacre de réfugiés palestinien dans deux camps situés dans la région de Beyrouth-Ouest, en septembre 1982] Quelque chose, au moins, que les ennemis d’Israël puissent dire que ça ressemble à une atrocité.

* Peter Beaumont est rédacteur en chef pour les questions étrangères dans l’hebdomadaire britannique The Observer. Il a publié sur les zones de conflit comme l’Afrique, les Balkans et le Moyen-Orient, et beaucoup sur les questions relatives aux droits humains et à l’impact des conflits sur les civils. Cet article a été publié dans le quotidien The Guardian. Traduit par Information-Palestine, 30 décembre 2008.

(30 décembre 2008)

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