Palestine-Israël

 

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Le sommet moyen-oriental ridicule de Obama

Alexandre Cockburn *

Le calendrier pour le sommet à la Maison blanche [établi après le sommet du 2 septembre 2010] entre Obama, Netanyahou et Abbas a des prétentions absurdes et risibles. Le projet états-unien prévoyait que le Président Obama informerait le Premier Ministre Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas, (ce dernier devant représenter l'Autorité Palestinienne), que le moment était arrivé de conclure une fois pour toutes un accord de paix. Les Etats-Unis voudraient que cet accord soit conclu dans le délai d'une année, et que ses clauses soient introduites progressivement au cours de la prochaine décennie.

Les problèmes à l'ordre du jour sont notamment les colonies juives illégales, le statut de Jérusalem-Est, le traitement des réfugiés palestiniens et les frontières définitives entre Israël et un Etat palestinien.

Mais l'homme qui a accueilli Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas n'était plus l'icône du changement qui avait soulevé l'enthousiasme dans le monde avec le discours au monde musulman qu'il avait prononcé au Caire [5 juin 2009] et qui avait chargé l'ex-sénateur états-unien George Mitchell de préparer le contexte pour qu'un accord juste puisse être conclu concernant les problèmes qui sont restés non-résolus pendant plus d'un demi-siècle.

Obama se trouve actuellement dans une conjoncture politique médiocre. L'économie stagne. Les élections de mi-mandat [novembre] laissent prévoir un possible bain de sang pour le parti démocrate, qui pourrait y perdre une, voire les deux Chambres au Congrès [Sénat et Chambre des représentants]. Or – et le lobby pro-israélien le sait bien – les démocrates ont soif de l'argent et des votes de la communauté juive. Lorsqu'il s'agit des intérêts israéliens, le Congrès états-unien obéit, sans sourciller, aux directives du lobby (AIPEC, entre autres). On peut donc interpréter le discours de la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton, bourré de références flatteuses pour Netanyahou, comme étant un appel de fonds pour sa deuxième tentative lors de la future nomination du candidat présidentiel des démocrates.

Par le passé, il y avait encore l'idée de tenter mettre de la pression sur Netanyahou, comme il y a quatre mois, lorsque l'Administration avait critiqué une colonie juive illégale. Ou, encore, lorsque le vice-président Joe Biden avait exprimé à Tel-Aviv l'inquiétude du Général Petraeus qui craignait que l'obstination d'Israël [entre autres face à l’Iran] ne mette en danger la sécurité des intérêts états-uniens dans la région, mais il ne reste plus trace de ces timides tentatives.

Le lobby avait d'ailleurs riposté avec des menaces politiques. En juillet, Dana Milbanke du Washington Post décrivait avec une franchise inhabituelle la visite suivante de Netanyahou à Washington: «Un drapeau bleu et blanc israélien flottait depuis la Blair House [maison où résident les invités officiels du Président des États-Unis lors de leur séjour dans la capitale américaine]. De l'autre côté de l'avenue Pennsylvanie, le drapeau états-unien occupait sa place habituelle au-dessus de la Maison-Blanche. Mais pour saisir la véritable signification de la visite du Premier Ministre Benjamin Netanyahou au Président Obama, les fonctionnaires de la Maison-Blanche auraient dû plutôt hisser le drapeau blanc de la capitulation.»

En ce qui concerne le sommet de septembre, les Israéliens ont relevé avec complaisance qu'Obama a retiré sa demande à Israël de geler les colonies juives sur les terres palestiniennes. Il s'est contenté d'exhorter Israël à faire preuve de «retenue». Nir Hefez, le porte-parole de Netanyahou, a expliqué à la radio de l'armée depuis New-York:«Le premier Ministre est satisfait, car sa principale exigence – que les négociations soient entamées sans préconditions – a été acceptée.» Netanyahou, qui a rejeté les demandes d’un gel des «colonies», a été cité comme déclarant à un journal: «Je comprends l'anglais – la «retenue» et le «gel» sont deux mots différents.» En ce qui concerne le statut de Jérusalem et le problème des réfugiés palestiniens, Netanyahou refuse catégoriquement de les discuter.

Pendant ce temps, quelques heures avant les poignées de mains, des colons juifs ont déclaré qu'ils allaient immédiatement commencer à travailler sur des constructions dans au moins 80 colonies, brisant ainsi le gel partiel imposé par le gouvernement, gel qui se termine le 26 septembre.

L'essence de la politique israélienne actuelle est un rejet fanatique de tout arrêt de la colonisation, de toute concession sérieuse concernant les frontières. Seul est envisagé un «Etat» palestinien morcelé, encaissé entre les routes et les murs d'Israël, dont l'eau est détournée et la communication entre les divers fragments de territoire palestinien est soumise à un contrôle israélien rigoureux et des harcèlements constants. Jérusalem-Est, la capitale proposée de l'Etat palestinien est constamment soumise à l'invasion de nouveaux projets de logements juifs.

La presse israélienne rapporte que Netanyahou doit encore développer une position de négociation. Son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a refusé de participer au sommet et pense que Netanyahou aurait simplement dû dire à Obama que les constructions vont se poursuivre sans aucune restriction, après la fin du moratoire actuel qui prend fin le 26 septembre.

Abbas, pour sa part, n'est plus le Président de l'Autorité palestinienne et la vaste majorité des Palestiniens considère qu'il n'a aucun mandat démocratique. Ils ont voté pour le Hamas et considèrent Abbas comme un collaborateur qui ne survit que grâce à des fonds états-uniens, des conseillers de sécurité du Pentagone et du soutien israélien. Le Hamas a exprimé son opinion au sujet de la réunion au sommet en tuant quatre colons israéliens. Un demi-million de colons juifs illégaux ont été la conséquence la plus visible du «processus de paix.»

Du point de vue tactique, Netanyahou a de bonnes cartes à jouer. Il peut proclamer les espoirs de paix d'Israël tout en avertissant que la sécurité d'Israël est d'une importance capitale. Il peut faire la leçon a Obama sur les craintes fondamentales concernant l'existence d'Israël, tout en évoquant sans trop de réticences le fait qu’Israël peut rayer de la carte ses ennemis et est tout à fait disposé à le faire. L'arsenal nucléaire d'Israël plane comme un spectre sur les débats.

Le moratoire sur le gel des colonisations expire dans trois semaines. Netanyahou permettra alors aux colonies d'aller de l'avant, ce qui à son tour poussera Abbas à abandonner les pourparlers comme il avait menacé de le faire dans ce cas – un exercice programmé – comme le prédisait Jeffrey Blankfort le 31 août 2010. Israël va poursuivre sa poussée à droite et la dissidence subira de plus en plus de purges dans un contexte politique de plus en plus difficile. Le Plan Obama ira rejoindre toutes les autres ruines diplomatiques dans ce désert d'ossements blanchis qui est l'aspect le plus visible de tous les plans qui tentent de dépeindre la recherche d'une «solution juste» au Moyen-Orient.

Mais alors, pourquoi Obama fait-il cet effort ? Comme l'explique Blankfort: «Chaque président depuis Nixon s'est efforcé de mettre un terme à l'occupation israélienne pour des raisons stratégiques, et chacun d'entre eux s'est heurté au lobby pro-israélien et a fini par se montrer incapable de – ou réticent à – engager le capital politique nécessaire pour obliger Israël à respecter leur volonté. A chaque fois, le Congrès a pris parti pour Israël, et cela a été d'autant plus le cas pendant l'administration Obama. Les trois présidents qui ont défié Israël – Ford, Carter et Bush père – ont finalement dû faire machine arrière et ont été désavoués par les urnes

Etant donné ces précédents, pourquoi Obama a-t-il tout de même tenté la chose  ? Blankfort suspecte qu'il y a eu des pressions de la part des alliés européens des Etats-Unis: «La perpétuation du conflit israélo-palestinien compromet leur sécurité et leur société beaucoup plus que celles des Etats-Unis, et il y a depuis longtemps des appels à l'Union européenne pour qu'elle mette en marche sa propre «initiative de paix». Et elle le ferait probablement si les Etats-Unis se retiraient du terrain. Or, c'est la dernière chose que veulent Israël et le lobby, et c'est la raison pour laquelle il y a des éléments du lobby dans chaque administration. Actuellement ce sont Dennis Ross, Rahm Emanuel et autres, qui poussent Obama à s'impliquer, même s'ils savent que cela va échouer.»

Une des caractéristiques du «Bureau Ovale» tel qu'il a été remodelé par Obama est un tapis de très kitch portant des citations bien-pensantes sur son pourtour: celle de Franklin Roosevelt «La seule chose que nous ayons à craindre, c'est la peur elle-même»; celle de Martin Luther King Jr: «L’arc moral de l'univers est long, mais il tend vers la justice»; celle de Lincoln «Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple» et ainsi de suite. Lorsque les Palestiniens envisageront une de leurs rares visites, ils devraient rouler ce tapis, et en sortir un autre avec l'Etoile de David au milieu, et, sur le pourtour, l'inscription suivante: «Attention, les Palestiniens qui entrez ici, abandonnez tout espoir.» (Traduction A l’Encontre, écrit le 3 septembre 2010)

Post scriptum
Obama et Martin Luther King

La semaine passée, en discutant du rassemblement de Glenn Beck [du Tea Party, le 28 août] à Washington DC, j'ai noté: «En 1993, King avait la même tactique qu'un autre homme qui se disait confiant que le système états-unien engendrerait de la justice à cause d'un tropisme moral individuellement vertueux à faire ce qui est juste – un peu comme Barack Obama en 2008. King avait tort alors, tout comme Obama a tort, deux générations plus tard. C'est une question de guerre de classes et non de trait de caractère individuel.» (Traduction A l’Encontre)

* Alexander Cockburn est l’un des deux animateurs (avec Jeffrey S. Clair), du site Counterpunch. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont The Politics of Anti-Semitism, Ed. Counterpunch, (2003), avec des contributions de Edward Saïd, Michael Neumann et Ury Avnery

(7 septembre 2010)

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