Marche du 1er décembre 2006
Oaxaca: «Rompre avec la peur»
Toutes les informations provenant d’Oaxaca – entre autres celles fournies par le quotidien mexicain La Jornada et ses envoyés spéciaux – démontrent la brutalité de la répression menée dès le 25 novembre 2006 par la Police fédérale préventive (PFP) et la police de l’Etat d’Oaxaca, appuyées par des «paramilitaires».
Le mouvement qui s’est développé à Oaxaca (voir les divers articles sur ce site) traduit la volonté des communautés indigènes d’affirmer leurs droits et leur dignité, de ne plus accepter le déni de leur existence par un pouvoir aux mains de véritables gangsters, d’avoir accès aux soins de santé, à l’éducation, au travail, etc.
A cela s’ajoute une forme (et un contenu) de mobilisation et d’organisation – au travers de l’Assemblée populaire des peuples indigènes d’Oaxaca (APPO) – qui met en lumière la nature effective de la prétendue démocratie régnant au Mexique, non seulement lors du règne du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), mais sous le régime du PAN (Parti d’action nationale) du président Vincente Fox et de son récent successeur Felipe Calderon.
Le Forum des peuples indigènes
Nous reviendrons sur quelques aspects de la répression fédérale et étatique, mais il convient d’abord de souligner la permanence d’initiatives, malgré les coups portés par la PFP. Ainsi, les 28 et 29 novembre, s’est tenu le Forum des peuples indigènes de l’Etat d’Oaxaca dans la Maison de l’église contiguë à la cathédrale La Vierge des pauvres. Toutes les pressions organisées par les instances gouvernementales n’ont pas abouti et plus quelque 400 délégués se réunirent. Or, de nombreux obstacles avaient été dressés pour empêcher des représentants de quitter leur communauté et de venir dans la capitale. La fin de la répression, la fin des agressions contre les communautés «indigènes», la paix dans la dignité furent parmi les thèmes revendicatifs débattus. Dans son intervention, l’anthropologue Gilberto Lopez y Rivas, selon La Jornada du 28 novembre 2006, a tout d’abord dénoncé avec vigueur le transfert de détenus politiques hors de l’Etat d’Oaxaca, ce qui représente une forme de répression visant à briser «l’insurrection civique dans son ensemble». Puis il souligna que «la clé du conflit à Oaxaca réside dans la revendication des peuples indigènes quant à leur droit à l’autonomie, fondé sur une démocratie participative communautaire». Il ajouta: «Les communautés indigènes représentent peut-être le seul secteur social qui sait clairement où il veut aller. La vision claire qu’ils ont d’avancer vers l’organisation de ces communautés est ce qui a provoqué la peur au sein du gouvernement parce que ce dernier voit dans la formation de l’APPO une organisation fondée sur d’autres conceptions de la vie.»
Le 29 novembre, lors de la conclusion du Forum des peuples indigènes, une motion a été adoptée. Elle a été lue par Adelfo Regino, dirigeant de l’organisation Servicios del Pueblo Mixe (les Mixe, une des 14 communautés indigènes présentes): «Nous exprimons notre rejet complet de tous les actes d’agression et de répression de la part des institutions policières fédérales, étatiques et municipales qui ont abouti à une persécution pénale et politique contre la société.»
Durant le forum, des dizaines d’organisations ont lu des documents condamnant les détentions arbitraires, la mise au secret des détenus, les tortures et les menaces contre ceux soupçonnés d’être partie prenante du mouvement social.
Se rappelant des méthodes en vigueur dans les années 1970, une des revendications principales portait sur l’obligation pour les autorités de révéler où se trouvaient les disparus, qu’ils aient accès à un avocat. Cette revendication était placée dans le cadre plus général de l’exigence d’une libération de toutes les personnes arrêtées.
Le Forum a montré la détermination de ses composantes. Le seul fait de le tenir durant deux jours, malgré les provocations et les harcèlements de la police, et la campagne diffamatoire lancée par la radio contrôlée par le gouverneur Ulises Ruiz, radio Ciudadana (radio citoyenne !) – qui cherche à disposer du monopole de «l’information» – démontre la force d’une dynamique sociale enracinée dans les communautés. Enfin il est ressorti du forum la nécessité, devant être transmise à l’APPO, d’éviter de tomber dans les provocations et de trouver les voies de la construction d’un mouvement pacifiste et créatif «en vue de dépasser les conditions de misère et d’inégalités dans lesquelles vivent les peuples d’Oaxaca». Le forum a reçu l’appui, ce qui est important du point de vue de son «autodéfense», de nombreuses personnalités religieuses qui ont dénoncé la répression.
Arrestations arbitraires, torture…
Depuis le 25 novembre, les forces de police n’ont cessé de patrouiller et d’arrêter des prétendus «délinquants». De nombreux exemples documentés par la Ligue mexicaine pour la défense des droits humains (LIMEDDH) font ressortir, si l’on ose dire, les classiques de la répression militaire et policière. Tout d’abord, la PFP et la police de l’Etat ont lancé une campagne pour arrêter les quelque, selon eux, 100 étrangers qui étaient les «conseillers» du soulèvement, plus exactement de la résistance face à l’attaque policière. Pour faire bonne mesure, parmi ces étrangers, se trouvaient des Cubains et des Vénézuéliens, qui ont aussi «financé» le mouvement et mis le feu à des véhicules publics ainsi qu’à des bâtiments. Radio Ciudadana lançait des appels à la délation, afin de pouvoir mieux détecter les «subversifs étrangers». Ensuite, les recherches policières visèrent à arrêter maximum de personnes considérées comme des dirigeants de l’APPO. Enfin, des policiers entraient dans les bus et, de façon arbitraire, arrêtaient des passagers. Une fois arrêtés, ils étaient systématiquement brutalisés, torturés, et les femmes subissaient harcèlements et violences.
Sous cette pression, le 29 novembre, la radio Universidad – radio de l’Université autonome Benito Juarez d’Oaxaca – a dû interrompre ses émissions. En effet, la menace d’une attaque massive de la PFP se faisait de plus en plus précise.
Les actes d’accusation établis par la police font systématiquement mention de vols, de vols de véhicules, de terrorisme, d’incendies volontaires, de sédition. Avec l’aide de l’archevêché, le Comité des familles de détenus et disparus politiques a dès le 30 novembre revendiqué la possibilité de visiter les détenus qui avaient été transportés par hélicoptère dans la prison de Nayarit (un des 31 Etats du Mexique, qui a au nord une frontière commune avec les Etats de Sinaloa, Durango, Zacatecaz et au sud avec celui de Jalisco). En effet, 36 des 141 citoyens d’Oaxaca détenus par les forces de police et militaires ont été déplacés dans la prison de sécurité de Nayarit. Tous ces transferts de détenus s’accompagnent de brutalités, de tortures, etc.
«Rompre la crainte d’être arrêté»
Le vendredi 1er décembre, quelque 5000 membres du Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE) et des membres de l’APPO «ont brisé la crainte d’être arrêtés et, avec cela, ont infligé une défaite à l’encerclement policier qui s’était développé les jours précédents et qui visait à mettre fin au mouvement social de protestation», pour reprendre la déclaration du porte-parole de l’assemblée Florentino Lopez.
La marche a été complètement pacifique. Elle est partie de l’Institut de l’éducation publique d’Oaxaca et s’est terminée à la place de la Danza, face à la basilique de la Soledad, pas très loin du centre historique où campent les forces de la PFP. Florentino Lopez a souligné: «Ce qui apparaissait comme une défaite pour le mouvement et l’écrasement de toute manifestation publique a été seulement un fantasme ; ce 1er décembre, la société qui exige la justice à Oaxaca pourra continuer à avoir peur, mais cela ne signifie pas qu’elle est battue. Nous continuerons à sortir dans la rue.»
A la tête de la manifestation, des dizaines de familles dont des membres sont détenus ou disparus réclamaient leur libération. Elles dénonçaient le retour à «la sale guerre des années 1970» – années durant lesquelles des centaines de militants politiques ont disparu au Mexique. Un mot d’ordre était repris par les participants: «Ils les ont enlevés vivants, nous les voulons de retour vivants». L’exigence d’un départ de la PFP de l’Etat fut réaffirmée ainsi que la libération de tous les prisonniers politiques. De plus, la démission du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz reste au centre de la revendication politique. L’APPO a annoncé l’organisation d’une grande marche pour le 10 décembre.
La PFP n’est pas seulement présente à Oaxaca. Elle était aussi massivement présente à Mexico pour assurer le déroulement du transfert du pouvoir présidentiel de Vicente Fox à Felipe Calderon. Les médias internationaux ont consacré beaucoup de temps aux batailles entre les membres de l’opposition qui soutiennent Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) et les membres du PAN dans les travées du Congrès. Il ne faudra pas longtemps pour que les députés «d’opposition», qui pour l’essentiel baignent dans la corruption, retrouvent sagement leur siège dans les semaines à venir. Calderon, après avoir quitté le Congrès, s’est rapidement rendu dans les installations militaires toutes proches, celles du Campo Marte, où il reçut les honneurs de la part de l’armée de terre, de la marine et de l’aviation. Comme président, il est aussi chef des forces armées. Militaires et représentants des entreprises, de la finance, des sommets de la hiérarchie catholique étaient à ses côtés.
Pendant ce temps, Lopez Obrador tenait un meeting devant quelque 50'000 participants sur le thème: «Le peuple espère une véritable démocratie». Celle ayant surgi à Oaxaca n’est certainement pas au centre de ses préoccupations. – Réd.
2.12.2006
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