Italie

Expulsion d'un campement de Roumains à Rome, en 2007

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Un étrange silence

Miguel Mora

De nombreux récits ont été diffusés sur des mesures contre les immigrés prises par des «maires de gauche» dans diverses villes italiennes. D’autres sont prises par des maires ouvertement à droite, ce qui correspond à leur programme officiel. Ainsi, en août 2006, le maire de «centre gauche» de Padoue, Flavio Zanonato, a fait dresser une palissade pour isoler six immeubles occupés par des immigrés. Le mur est resté. L’adjointe au maire, Daniela Ruffini, a justifié la mesure, visant à circonscrire les bâtiments «mal famés», en affirmant: «Il fallait répondre à une urgence. C’était pour empêcher que les trafiquants de drogue prennent la fuite lorsque la police intervenait.» L’avocat Massimiliano Stiz déclare, lui: «La mairie a adhéré à la ligne de la Ligue du Nord pour qui immigration égale insécurité.» Une sorte de politique d’apartheid se développe, souterrainement, dans diverses villes du nord de l’Italie. Certains maires résistent, mais commencent à dire, les immigrés posent des problèmes et la Ligue du Nord pose des vraies questions.

Un entrepreneur de Padoue, Fabrizio Borrone, secrétaire local de la Ligue du nord à Padoue, résume bien la combinaison fonctionnelle entre racisme, xénophobie et possibilités d’exploitation sans rivages des immigrés: «Avec le mur, le maire [de centre gauche] ne va parvenir qu’à nous créer des ghettos. La solution, c’est de renvoyer les étrangers en situation irrégulière. Ceux qui travaillent peuvent rester. Ils ne posent pas de problèmes. Le soir, ils sont fatigués de leur journée et vont dormir.» (reportage d’Eric Jozesef in Libération, 7 avril 2008)

Ce qui étonne plus c’est l’étrange silence de la quasi-totalité de la gauche sur cette question lors de la présente campagne électorale en Italie. Une campagne où les enquêtes indiquent que près de 40% des jeunes entre 18 et 34 ans envisagent de ne pas aller voter. Un véritable signal, d’une part, de la crise du politique (sur lequel nous reviendrons et qui a été abordé dans la revue Erre par Lidia Cirillo), et, d’autre part, de la distanciation entre la crise sociale et économique, touchant entre autres les jeunes, et son expression au plan politique.

Nous publions ci-dessous un article de Miguel Mora, paru dans le quotidien, pro Zapatero, El Pais du 6 avril 2008. L’article avait pour titre: Quand Le shérif fait la politique. (cau)

 Giancarlo Gentilini, maire durant sept ans de Trevise et aujourd’hui vice-maire, est connu comme «Le shérif». Avec ses attaques contre les immigrés, les prostituées, les musulmans, les juifs, les homosexuels et y compris les Italiennes du coin – belles mais irrémédiablement infidèles – est une des figures les plus admirées par la base de la Ligue du Nord, le parti qui peut donner la victoire à Silvio Berlusconi lors des élections des 13 et 14 avril.

Durant sa longue carrière conduite avec une voix de stentor, «Le shérif» a ordonné le nettoyage ethnique des «pédés», a suggéré de tirer contre les bacs à fleurs (quand ils sont vides, a-t-il déclaré) [qui pourraient servir de caches], a interdit que les chiens se promènent au centre de la ville, a retiré les bancs de la place où s’asseyaient les étrangers, a excité [les gens] pour qu’ils jettent dans la rivière les extra-communautaires [hors UE], a fait fermer les centres de téléphone ouverts la nuit et qu’utilisaient des Latino-Américains [étant donné le décalage horaire] parce que «ce ne sont pas des heures». La municipalité padane, par antonomase [1], et d’autres collègues de Gentilini de même extraction politique sont le principal obstacle à ce que Berlusconi, avec son Peuple de la Liberté (PdL) [sa nouvelle formation politique], entre dans le Groupe populaire européen. Mais sa politique de contrôle, de répression, d’expulsion, contre les migrants nomades ou clandestins, a envahi une grande partie de l’éventail politique italien.

La vague de délinquance qui a touché Rome, actes de délinquance commis par des Roumains, au cours des derniers mois, a stimulé la sortie d’un pamphlet de cent pages édité par le PdL, présentant cela comme l’héritage de la gauche dans la capitale italienne [il va de soi que la délinquance institutionnelle et séculière ne semble pas susciter les mêmes vagues]. Toutefois, le Parti démocrate de Walter Veltroni a fait aussi de la sécurité un de ses chevaux de bataille.

Les associations soutenant les migrant·e·s dénoncent que cette question est la grande absente de la campagne électorale. «Sécurité. C’est l’unique parole qui arrive sur les lèvres des politiciens» affirme Alessandra Caragiuli, chercheuse en sciences sociales et membre de l’association Dhumcatu, qui aide les immigré·e·s à Rome. «La loi Bossi-Fini [2] reste en vigueur [sous le gouvernement de centre gauche de Prodi] est fondée sur la répression contre les droits humains. Toutefois, la gauche n’a pas touché une seule virgule de cette loi lorsqu’elle est arrivée au pouvoir» ajoute Caragiuli.

Bachcu, un citoyen bengali vivant en Italie depuis 1990 et leader du Mouvement des sans-papiers est très sérieusement préoccupé. «Quand, sur une affiche électorale, est inscrit le mot sécurité, cela signifie une chose: nous, les immigrés, sommes criminels» affirme-t-il. Il ajoute: «Nous sommes venus pour travailler, mais les politiques préfèrent nous traiter comme des délinquants. C’est plus facile que l’intégration. Nous sommes les premiers qui voulons la sécurité: dans le travail, pour le logement afin de ne plus être exploité.»

L’Eglise y compris est alertée. La maire de Milan, Letizia Moratti, qui propose que l’Italie n’accepte pas les enfants des migrants clandestins, a reçu un message dur de l’archevêque de Milan, Diongi Tettamanzi, après que des bulldozers ont détruit des baraques occupées par des immigrés roumains à Milan, dans la rue Bovisasca. «On est tombé, fortement, en dessous du respect des droits humains» a déclaré l’archevêque.

«C’est l’époque de l’obsession contre les Roms et les Roumains» dit Bachcu. Il continue: «Lors du début des années 1990, c’était les marocains, puis ce fut les Albanais, après le 11 septembre les Arabes en général et maintenant se sont les Roumains qui sont le bouc émissaire.»

Près du stade olympique de Rome, à Tore di Quinto, vivent depuis des mois de nombreuses familles roumaines avec vingt familles Roms (gitanes). Après l’assassinat de deux femmes italiennes par des Roumains, Salvatore Paddeu, âgé de 26 ans, assistant social dans le quartier et candidat lors des prochaines élections pour le Mouvement pour l’autonomie, de droite, rappelle: «La municipalité a décidé de détruire les baraques des Roumains et de les expulser.»

Alessandra et Daniela, deux napolitaines qui ont fondé l’association Chi rom e chi no (ceux qui sont roms et ceux qui ne le sont pas), expliquent: «L’assistance aux immigrés dépend de la charité de l’Eglise et de ce que nous pouvons inventer en tant qu’association civile.» Elles s’occupent de dizaines d’enfants roms qui survivent dans le quartier de Scampia. Dans cette zone, la gauche tient la région et la municipalité [d’arrondissement]; or, vingt familles gitanes venues de Yougoslavie ont vécu 25 ans, dans des baraques sous un pont. Un des hommes de ce groupe résume la situation ainsi: «Nous continuons à être sans papier, nos enfants sont nés ici et, de même, ils ne disposent pas de papier.»

Selon Caritas, il y a actuellement en Italie un peu plus de trois millions d’immigrés légaux. Caragiuli explique: «quelque 800'000 autres sont en situation irrégulière et la loi les considère comme un problème d’ordre public.» Elle poursuit: «Le 65% des étrangers de la région du Lazio travaillent sans contrat. L’Italie ne permet pas le regroupement familial et, jusqu’à maintenant, n’a pas ratifié la convention qui permet aux immigrés [issus de l’UE] de voter lors des élections municipales. Les régulariser ? Nous sommes dans une période de violation des droits humains élémentaires.»

A cent mètres de son bureau, dans l’association Apolo 11, a été créé et joue l’Orchestre de Piazza Vittorio. Mario Tronco, le directeur, est un napolitain qui, en 2001, peu après le 11 septembre, a réussi le miracle de réunir un orchestre de vingt instrumentistes d’origines raciales et religieuses diverses. Aujourd’hui c’est un succès entrepreneurial, musical et modèle d’intégration.

Tronco conclut: «Les politiciens viennent se faire prendre en photo, promettent des subventions. Jusqu’à aujourd’hui, l’argent n’est pas arrivé. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que seul quelque chose d’aussi fort que la musique peut intégrer des personnes si différentes. Au moment où quelqu’un est passionné par ce qu’il fait, les préjugés disparaissent.» (traduction A l’encontre)

[1] Figure de style consistant à remplacer un nom par l’énoncé d’une qualité propre à l’objet ou à l’être qu’il désigne: la Ligue du Nord a inventé la Padanie et Trevise se veut une municipalité padane, correspondant aux supposées qualités de la Padanie telles que le leader de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, les a décrites. réd 

[2] Loi adoptée en 2002, visant à «réguler l’afflux des immigrés et lier l’immigration au permis de travail»

(9 avril 2008)

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