Iran

Visite début septembre de Chavez à Téhéran. En compagnie, ici, de Mahmoud Ahmadinejad

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Solidarité et soutien

Chris Harman *

Le scepticisme est de mise lorsque les médias glorifient ce qu'ils prétendent être des mouvements démocratiques contre des régimes déplaisants. Ils sont au premier rang pour chanter les louanges de l'occupation de l'Afghanistan, de l'Irak et de la Palestine et ils ont encore le toupet de parler de démocratie.

Il n'est donc pas étonnant qu'une grande partie de la gauche en Amérique Latine et au Proche-Orient se soit montrée hostile aux immenses manifestations qui se se sont déroulées à Téhéran contre le gouvernement d'Ahmadinejad.  Après tout, le  gouvernement iranien a épouvanté les Etats-Unis avec son soutien au Hezbollah au Liban, son hostilité à l'égard d'Israël et ses relations amicales avec Hugo Chavez [Le samedi 5 septembre 2009 Chavez a rendu visite à Ahmadinejad; l’agence de presse officielle iranienne, irna, qu’un objectif était de soutenir «les fronts anti-impérialistes»]

Néanmoins dans ce cas, l'hostilité [d’un secteur de la gauche dite radicale] à l'égard des manifestations de protestation était une grave erreur. Malgré toute sa rhétorique religieuse, le régime iranien est un régime capitaliste prêt à trafiquer avec l'impérialisme – comme le montre son soutien au gouvernement de Nouri al-Maliki en Irak.

Cet aspect du régime iranien a son origine dans la forme prise par la stabilisation capitaliste après la révolution de 1979 contre le Shah. Des slogans religieux ont permis pendant une brève période de fournir une convergence unitaire aux différentes forces sociales engagées dans le mouvement. Mais ensuite l'alliance d'un secteur de la classe moyenne avec une couche de riches marchands et des dirigeants religieux [la mollahcratie] a pu utiliser le langage religieux et «anti-impérialiste» pour dissimuler ses véritables objectifs tout en écrasant dans le sang d'autres forces sociales, y compris des organisations indépendantes de travailleurs, des minorités ethniques et des organisations de guérilla de gauche.

Il en résulte une organisation politique où il existe des élections, mais où c'est un Guide suprême non élu qui détient en réalité le pouvoir, et où des candidats parlementaires «non conformes» sont empêchés de se présenter.

Mais ce n'est pas uniquement la répression qui a procuré de la stabilité pour le régime. Au cours de la période post-révolutionnaire celui-ci a été capable de réaliser, en s’appuyant sur la rente pétroilière, quelques «réformes» redistributrice importantes – quoique limitées – qui bénéficiaient à de couches significatives de la population. Or beaucoup de secteurs de la gauche vaincue n'ont pas compris ce point.

Néanmoins, la stabilité de tout régime capitaliste dépend de sa capacité à réconcilier les différents intérêts au sein de la classe dirigeante tout en refrénant le mécontentement dans le gros de la population. Or, à partir des années 1990, ceci est devenu de plus en plus difficile pour le régime iranien. Des divergences privées au sein de l'establishment au pouvoir se sont transformées en débats ouverts au cours des campagnes présidentielles. Lors de la campagne de cette année 2009, le régime ne parvenait plus à éviter que ses désaccords internes n'entraînent dans la rue un grand nombre de personnes extérieures à son cercle étroit.

S'il ne s'était agi que d'une scission entre deux secteurs de la classe dominante, le scepticisme aurait été justifié. Mais des divergences au sein d'une classe dirigeante peuvent déclencher des mouvements qu'aucun de ses éléments ne peut contrôler.

Les nouvelles forces qui descendent dans la rue peuvent avoir des objectifs très confus. Ils viennent de milieux sociaux différents et ont des intérêts et des aspirations contradictoires. Parler du «pouvoir du peuple» cache l'écart entre ceux qui travaillent dur pour gagner leur vie et ceux qui espèrent que la tourmente leur donnera l'occasion de gagner de nouveaux privilèges.

Les étudiants jouent souvent un rôle clé pour donner l'élan initial à de tels mouvements. Ils ne constituent pas par eux-mêmes une classe sociale, et ils peuvent exprimer un désir de changement profond, plus étendu mais imprécis. D'où le rôle des étudiants à la fin des années 1960 ou dans le mouvement de la Place Tienanmen qui a secoué la Chine, il y a 20 ans. Mais à mesure que le mouvement attire dans l'action des secteurs plus larges d'exploité·e·s et d'opprimés, les différents intérêts de classe impliqués ont inévitablement commencé à avoir un impact sur les activistes.

Ainsi une différenciation politique commence à se dessiner : certains estiment que pour avancer il faut s'appuyer sur le secteur réformiste de la classe dirigeante, d'autres qu'il faut des formes radicales d'action directe par une minorité, et d'autres encore qu'il faut une action de masse par les travailleurs, les paysans ou les pauvres des villes. Ce sont des différentiations de ce genre qui ont caractérisé les mouvements des années 1960 et 1970. Il en va de même en Iran.

Toutes sortes de forces politiques vont essayer de faire de la pêche dans le mouvement. Certaines seront très douteuses. Les figures les plus corrompues de l'aile réformiste de la classe dirigeante tentera de manipuler les activistes, tout comme la CIA ou des royalistes en exil.

Mais il suffit d'un coup d'oeil rapide sur ce que disent les protestataires  pour comprendre qu'il existe des courants très différents dans le mouvement. Il y a des militants qui soulignent les similitudes entre leur situation et celle des Palestiniens de Gaza. Il y a des groupes de travailleurs qui ont vu les forces de l'Etat attaquer leurs grèves et leurs syndicats indépendants. Il y a des étudiants qui ont affronté l'emprisonnement pour avoir exprimé des idées socialistes et lu des ouvrages marxistes. Il y a des intellectuels qui voient les avancées immédiates de la révolution de 1979 être étranglées par la corruption et la répression.

On ne peut jamais garantir d'avance quelles forces vont l'emporter dans une grande montée politique et sociale. Mais les socialistes ont une responsabilité claire dans une telle situation: celle d'apporter de la solidarité et du soutien à ceux qui veulent conduire le mouvement dans une direction positive. Et cela ne peut pas se faire en s'alignant avec ceux qui veulent écraser le mouvement.

Il y a vingt ans, une partie de la gauche à niveau international a appuyé l'écrasement du mouvement de Tienanmen par Deng Xiaping. Or, cet écrasement a permis aux dirigeants de la Chine de fouler aux pieds toutes les formes de résistance populaire alors qu'ils déclenchaient la forme la plus débridée de capitalisme. L'écrasement du mouvement en Iran n'empêcherait pas le déclenchement par le capitalisme d'une logique similaire. Mais un tel écrasement rendrait beaucoup plus difficile l'émergence des forces populaires pour contester cette logique sous l'impulsion de l'une ou l'autre aile de la classe dirigeante.

* Chris Harman est l’auteur de nombreux ouvrages et anime la revue International Socialism, revue liée au SWP.

 (14 septembre 2009)

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