Honduras

Manuel Zelaya (à gauche), le 28 juin 2009, donne une conférence de presse au Costa Rica.
A ses côtés, Oscar Arias, président du Costa Rica.

Version imprimable



Coup et crise

Guillermo Almeyra *

Le dimanche 28 juin un groupe de militaire a fait irruption chez le président du Honduras, Manuel Zelaya, et l’a reconduit manu militari à la frontière avec le Costa Rica.

Depuis lors, les militaires et les forces qui les soutiennent ont cherché à mobiliser «la rue». Face à l’échec de leur entreprise ainsi que devant leur isolement international, les informations provenant le 1 juillet au matin du Honduras indiquent qu’ils ont choisi la répression. Elle commence dans diverses régions rurales de ce pays qui a servi de base militaire, dès le début des années 1980, aux Etats-Unis pour mener leurs activités de contre-insurrection et de contre-révolution en Amérique centrale (face à la révolution au Nicaragua, au Salvador et aux mobilisations des Indiens au Guatemala, réprimées massivement en 1982).

Le couvre-feu a été instauré par la Cour suprême de Justice pour trois jours, car il était prévu que Zelaya retourne au Honduras le jeudi 2 juillet 2009, accompagné de divers dignitaires d’Amérique latine et de l’OEA. Ce retour pourrait être reporté de quelques jours.

L’armée enrôle, de manière contraignante, des jeunes des régions rurales. Or, le service militaire est volontaire au Honduras. Le service obligatoire est interdit selon le droit constitutionnel. Des mesures sont prises contre les médias qui s’opposent au golpe (au coup). Ainsi la radio communautaire Progresso et la radio indigène La Voz Lenca ont été fermées.

«Nous avons reporté nos activités militaires avec les forces armées du Honduras le temps d'étudier la situation», a indiqué le 1 juillet 2009 un porte-parole du Pentagone, Bryan Whitman. 

Guillermo Almeyra place ce pronunciamento dans le cadre plus général de la crise mondiale du capitalisme et rappelle quelques tentatives qui ont échoué ces dernières années. (cau)

Le capitalisme cherche à utiliser la crise actuelle pour se recomposer et s'étendre. Pour concentrer son capital, il détruit des milliers de millions de capitaux (dont la plupart fictifs) et des milliards des banques comme des entreprises. Et il jette au chômage des centaines de millions de travailleurs. Il profite de l'occasion pour leur imposer des baisses de salaire, la perte de leurs protections syndicales, la prolongation des heures de travail, l'annulation des lois sociales.

L’emploi est soumis à un danger perpétuel, et le travail lui-même s'effectue dans des conditions de plus en plus mauvaises. Le capitalisme accroît l'extraction de plus-value relative en augmentant la productivité (donc en abaissant la valeur des biens liés à la reproduction de la force de travail), tout en maintenant des salaires pratiquement gelés. A cela s'ajoute une plus-value absolue due à l'extension de la journée de travail, et au travail gratuit que la famille ouvrière et chacun de ses membres doivent accomplir pour réunir le nécessaire pour la reproduction de la force de travail.

Dans les pays industrialisés, une telle politique exige la complicité des directions syndicales bureaucratisées qui vendent les droits de leurs «affiliés» ainsi que des mesures répressives contre les tendances syndicalistes combatives dans le monde du travail et contre les immigré·e·s et sans papiers qui forment une grande partie de la classe travailleuse, avec l'objectif de la diviser, de l'affaiblir et de la désorganiser.

Dans les pays moins industrialisés, par contre, le gros du capitalisme se fonde sur un amalgame entre l'oligarchie terrienne à «vision féodale» et les entreprises transnationales. Il s'appuie sur le racisme des classes aisées urbaines (blanches et métisses) contre les classes rurales et urbaines pauvres (indigènes ou noirs pauvres). Et là, pour maintenir les marges bénéficiaires, le capital doit réduire la part des revenus qui revient aux travailleurs. Cette tâche ne peut être accomplie qu'en empêchant toute résistance au moyen d'un pouvoir dictatorial. Les tentatives de coup d'Etat (golpe) de la part de ceux qui contrôlent la Justice, le Congrès, les médias d'information et les forces armées sont donc à l'ordre du jour, et elles continueront à l'être.

En 2002, il y a eu la tentative de renverser le président Hugo Chavez par l'oligarchie vénézuélienne avec le soutien de G. W. Bush et du gouvernement espagnol ainsi que des classes moyennes aisées des villes. La mobilisation populaire a divisé politiquement et socialement les forces armées, et le coup a échoué.

L'année dernière, les grands producteurs de soya et les éleveurs de Santa Cruz, en Bolivie ont tenté un coup contre Evo Morales, coup qui a échoué grâce à la mobilisation des paysans contre cette ville et la prompte réaction des gouvernements de l'Unasur (L'Union des nations sud-américaines créée en 2008).

Récemment, la brutale bourgeoisie guatémaltèque a crû opportun d'organiser un coup d'Etat contre le président timidement réformiste Alvaro Colom, qu'elle avait espionné et surveillé depuis le début. La mobilisation paysanne et indigène a créé une situation incertaine: un autre coup de griffe de gorille avec l'appui de classes moyennes qui craignent que l'ascension sociale des secteurs populaires ne leur fasse perdre leurs maigres privilèges, reste possible.

Et maintenant il y a ce coup contre le président Manuel Zelaya, qui a conduit le Honduras dans l'Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA). C'est un coup des maîtres des médias d'information, des juges classistes et corrompus, des politiciens au service des grands propriétaires terriens, et le prétexte qu'ils donnent à leur intervention est ridicule.

En effet, personne n'est obligé de participer à une consultation qui n'est même pas contraignante. Et si à l'avenir on posait éventuellement aux électeurs la question de savoir s'ils souhaitent réformer la Constitution, il suffirait, alors, de répondre Non (et gagner la votation) pour maintenir la Carta Magna actuelle.

Mais l'armée hondurienne est intervenue à l'aube pour séquestrer et expulser du pays le président ainsi que plusieurs ministres et a frappé des ambassadeurs de pays de l'ALBA. Après coup, le Congrès a falsifié une lettre de démission de Zelaya et, sur cette base, 20 heures après l'avoir fait à coup de baïonnettes, ils l'ont destitué et nommé un usurpateur de la présidence en tant que président intérimaire.

L'OEA (Organisation des Etats Américains), l'ONU, les pays d'Amérique Centrale et même le président des Etats-Unis ont immédiatement déclaré qu'ils ne reconnaissaient que Zelaya.

Comme dans le cas de la Bolivie, les présidents du groupe ALBA, mais aussi beaucoup d'autres présidents plus modérés – Lula (Brésil), Tabaré Vazqzez (Uruguay), Cristina Fernandez de Kirchner (Argentine), Michelle Bachelet (Chili), Oscar Arias (Costa Rica), craignent un retour des années 1970, avec des coups d'Etat et des dictatures, car dans tous ces pays la droite veut défendre ses énormes marges bénéficiaires menacées par la crise et par les revendications des travailleurs.

Même Obama ne peut plus faire ce que George W. Bush aurait fait (soutenir les gorilles) car il perdrait ainsi l'appui des Hispaniques (aux Etats-Unis) et d’une partie des travailleurs des Etats-Unis ; et celui des démocrates du monde entier, ainsi que les fruits récents de sa campagne personnelle d'ouverture à l'égard de l'Amérique latine.

On ne peut donc pas parler d'un nouveau coup «de l'ambassade gringa (états-unienne)», ni du «premier coup d'Obama», même si une bonne partie des transnationales états-uniennes et de leurs représentants à l'intérieur de l'establishment des Etats-Unis (Otto Reich, Negroponte et Cie) peuvent être derrière les putschistes.

Il est cependant évident qu'il ne suffit pas que les gouvernements répudient les putschistes pour les renverser. Il est nécessaire de les écraser de manière exemplaire avant que leur exemple ne devienne un précédent, vu que le capitalisme ne peut se relever en maintenant les marges de démocratie et les conquêtes sociales qui lui ont été arrachées  par les travailleurs après la seconde Guerre mondiale.

* Guillermo Almeyra enseigne à l’UNAM (Mexico City) et écrit régulièrement dans le quotidien La Jornada.

(2 juillet 2009)

Haut de page
Retour


case postale 120, 1000 Lausanne 20
Pour commander des exemplaires d'archive:

Soutien: ccp 10-25669-5

Si vous avez des commentaires, des réactions,
des sujets ou des articles à proposer: