Guadeloupe
Elie Domota, avec son tee-shirt rouge, lors d'une manifestation
Des négociations dans la méfiance
Sébastien Crépel *
Le quotidien Le Monde annonçait dans son édition datée du dimanche 22 février et lundi 23 février 2009 que le leader du LKP (Collectif contre une exploitation outrancière) jugeait que le dispositif de primes proposé par les médiateurs envoyés en Guadeloupe par Nicolas Sakozy était «incertain et instable». Et il souhaitait que commence «une vraie négociation collective». Libération (21-22 février 2009) qualifiait les propositions des médiateurs du gouvernement français de «d’usine à gaz».
Samedi 21 février une importante manifestation de soutien à la mobilisation en Guadeloupe s’est tenue à Paris. On pouvait y entendre les slogans: «La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo»(La Guadeloupe nous appartient, la Guadeloupe n’est pas à eux) ; «Solidarité, solidarité !» ; «La vie est chère sous les cocotiers» ; «200 euros ici aussi, yes we can» ; «Dom-Tom métropole solidarité» ; «Chômage: Hexagone 8,1%, Guadeloupe 22,7%» ; «Liberté, égalité, fraternité, pour qui?» ; et encore «Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion: ce combat est le nôtre».
Le Monde annonçait, dans l’édition cité plus haut, que: «Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste [était] arrivé vendredi sous les applaudissements à la capitainerie, lieu des négociations».
Pour compléter les informations mises à disposition de nos lectrices et lecteurs, nous reproduisons ci-dessous un article sur la réaction du LKP face aux propositions des médiateurs. (Réd.)
Son leader, Elie Domota, a indiqué à l’issue d’une première table ronde jeudi soir que les pourparlers reprendraient dans la journée de vendredi avec le patronat local, en présence des médiateurs du gouvernement. «Mais pour l’heure, les propositions semblent particulièrement floues», a-t-il dit, s’abstenant d’appeler à la reprise du travail dans l’île.
«Ce qui nous révolte le plus, c’est le silence, l’absence des autorités.» Nicolas Sarkozy a-t-il médité ce propos d’un manifestant guadeloupéen, entendu hier sur France 2 ? Toujours est-il qu’après avoir expédié d’une phrase la situation au soir de sa rencontre avec les syndicats, mardi, le président de la République, qui devrait se rendre dans les DOM «dès le calme revenu», est sorti de son long silence, un mois après le début du mouvement. Il devait formuler, hier soir, des propositions aux présidents de collectivités et parlementaires d’outre-mer reçus à l’Élysée, en présence de François Fillon. Le président leur a notamment annoncé une «consultation» sur l’avenir économique des DOM.
«Le compte n’y est pas»
Avant cette rencontre, le premier ministre a présenté une proposition permettant, selon lui, une augmentation des bas salaires «proche des 200 euros» réclamés par le collectif guadeloupéen Lyannaj kont pwofitasyon (LKP), et qui devait être soumise «au patronat et au collectif dès le début de la matinée» (l’après-midi à Paris). «On arrive avec l’ensemble des dispositifs qui ont été imaginés, à quelque chose qui est proche des 200 euros, mais pour les bas salaires, en utilisant de manière spécifique pour l’outre-mer le revenu de solidarité active (RSA) qui sera calculé différemment et qui permettra, je l’espère (sic), de répondre à la revendication sur la vie chère aux Antilles», a-t-il déclaré au micro de RTL. Ce qui n’est pas certain du tout, à entendre les réactions en Guadeloupe. «Le compte n’y est pas», a estimé Jean-Marie Nomertin, du syndicat CGTG, membre du LKP. La figure principale du LKP, Élie Domota, confiant quant à lui sa méfiance des «annonces» et demandant à avoir en main «la proposition détaillée et les explications qui vont avec».
Hier, des élus de la Guadeloupe dénonçaient une proposition bien au-dessous de la revendication du LKP. Alors que le gouvernement avance le chiffre de 25 000 bénéficiaires durant deux ans de cette «prime» de 200 euros, qui n’entrerait en vigueur que dans plusieurs mois, en même temps que le RSA en outre-mer, Victorin Lurel (PS), président du conseil régional, a évoqué une mesure qui «concerne moins de 5 000 salariés (sur 400 000 Guadeloupéens - NDLR) et va s’appliquer aux temps partiels et à ceux qui touchent moins d’un smic», a-t-il affirmé, avant la rencontre à l’Élysée. Pour l’élu, c’est une «redite», «ça ne suffit pas du tout, on demande à l’État d’entériner le préaccord qui a été acté» avec le patronat et les syndicats, lors du premier séjour sur l’île d’Yves Jégo. Le secrétaire d’État à l’Outre-Mer avait alors approuvé l’augmentation en bonne et due forme de 200 euros des salaires jusqu’à 1,6 smic, en échange d’un abaissement des cotisations sociales pris en charge par l’État, sans pour autant se substituer au patronat dans le paiement des salaires.
Fillon exclut la hausse des salaires
Mais depuis qu’Yves Jégo est rentré dans la capitale et a été flanqué de deux médiateurs, manière de le décharger du dossier, ce protocole n’est plus d’actualité pour le gouvernement. L’entrée en scène de Nicolas Sarkozy confirme cette reprise en main et le désaveu du ministre, qui s’est avancé trop loin au goût de ses supérieurs, craignant que cela n’encourage la lutte pour les salaires partout en France. Hier, François Fillon a exclu d’avance tout geste pour des revalorisations réelles des rémunérations: «La revendication d’augmentation de tous les salaires est incompatible avec l’autre revendication, qui est de lutter contre le chômage aux Antilles», a-t-il déclaré. Emplois contre salaires: une manière irresponsable et sans doute pas involontaire d’opposer les salariés aux privés d’emplois, notamment les plus de 50 % de jeunes au chômage, et d’encourager in fine les débordements pour que la situation échappe au LKP.
Il n’empêche que la proposition du gouvernement et la réunion à l’Élysée consacrent une nouvelle volte-face de l’État, avec son retour dans le processus, et qu’il sera difficile de contourner les revendications des élus. Quinze élus de gauche ultra-marins ont d’ailleurs signé une déclaration commune dans laquelle il somme Nicolas Sarkozy de «prendre en urgence les mesures nécessaires pour sortir de la crise», parmi lesquelles l’«augmentation du pouvoir d’achat et des salaires pour les plus modestes». «Nous, élus de gauche, sommes très soudés. Nous ne voulons pas être porteurs de messages et de solutions a minima face à une crise aussi grave», a commenté l’un des signataires, Serge Letchimy, député et maire (apparenté PS) de Fort-de-France, en Martinique. Un message qui entendait bien mettre les points sur les i à l’adresse du chef de l’État, quelques heures avant la rencontre. En clair: «Il faut débloquer la situation sur des problèmes essentiels comme les salaires». Le maire de Fort-de-France entendait aussi porter la colère des Antillais face à une indifférence interprétée «comme un manque de respect»: «Il est surprenant que l’on n’ait pas eu d’intervention du président de la République un mois après un conflit qui a rassemblé cent mille personnes dans les rues. Ce n’est pas acceptable. Nous aurons l’occasion de lui dire très clairement», promettait-il.
* Article paru dans L'Humanité du 21 février 2009
(23 février 2009)
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