Guadeloupe

 

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«Le point sur le mouvement»

Combat ouvrier

Le quotidien Libération, du 16 février 2009, titre «Guadeloupe: la «tempête» est proche». Le LKP (Alliance contre l’exploitation), durant le week-end du 14-15 février 2009, pour répondre aux «exigences de la population» – selon les termes utilisés par le porte-parole du syndicat CGTG – a préparé une amplification du mouvement de lutte, qui dure depuis quatre semaines, avec l’installation de barrages.

La revendication centrale – revalorisation de 200 euros des bas salaires – est toujours rejetée par le patronat. Ce conflit de masse renvoie à une profonde volonté d’affirmation de dignité et de reconnaissance d’une population sans cesse méprisée par le patronat et l’Etat français. C’est ce que traduisent les paroles Elie Domota, le leader principal de la LKP, quand il affirme, samedi 14 février 2009, il s’agit « de dignité retrouvée après quatre cents ans d’humiliation». Puis il souligne: «Les Guadeloupéens ne veulent pas seulement jouer au foot, au basket et faire de l’athlétisme, mais veulent de vrais emplois.» Face à l’ampleur du mouvement, à sa «force tranquille», l’appareil répressif est resté, pour l’heure, en retrait. Elie Domota affirmait, le 14 février: «Si on blesse un seul représentant ou manifestant du LKP, [il] ne répond de rien.»

Le 16 février, neuf barrages ont été érigés sur des axes majeurs de communication. Mais, les «forces de l’ordre» ont commencé à intervenir. La situation est explosive.

Nous publions ci-dessous, pour information, l’éditorial de Combat ouvrier, la publication «sœur» de Lutte ouvrière en France. Même s’il date, il permet d’appréhender divers aspects de cette mobilisation extraordinaire, au sens premier de ce terme. D’autres textes seront mis sur ce site ayant trait à la lutte du peuple de Guadeloupe. (Réd.)

Après deux semaines de grève générale, les travailleurs de Guadeloupe à la tête de toute la population laborieuse ont engagé une lutte pour obtenir des améliorations de leur situation. Ils ont mis en avant la revendication d'une augmentation de 200 euros des salaires, des retraites et des minima sociaux.

Mais d'autres problèmes importants ont été soulevés. Le mouvement regroupé dans une alliance «Lyannaj kont pwofitasyon-LKP» (Alliance contre l'exploitation) réclame des baisses de prix sur les biens courants, sur les carburants (50 cts), la titularisation des précaires (après deux CDD, obligation d'embaucher et titulariser le salarié), arrêt d'abus sur les intérimaires, gel des augmentations des loyers et annulation de la hausse de 2,98%.

Bien d'autres revendications touchent d'autres catégories sociales: pécheurs, agriculteurs. La grève générale a soulevé aussi des problèmes de formation et de l'éducation. Les syndicats enseignants sont d'ailleurs en négociation permanente avec le recteur depuis le début du mouvement.

La force du mouvement en cours est incontestable plusieurs manifestations ont mis dans la rue des milliers de personnes (jusqu'à plus de 20’000 certains jours, et ce vendredi 30 janvier entre 30 et 50’000).

La présence permanente de centaines de gens toute la journée aux abords du siège de LKP, le maintien de la grève dans de nombreuses grandes zones d'emplois (centres commerciaux, zone industrielle de Jarry, services publics, pompistes etc.) montrent que ce mouvement a un bon enracinement populaire.

Face à lui, il y a deux types d'interlocuteurs. Il y a l'Etat (représenté par le préfet), les collectivités (conseils régional et général) qui sont censés répondre sur des revendications telles que la formation d'un SMIC guadeloupéen, la baisse sur les taxes et les prix du carburant, sur les transports, sur l'amélioration des revenus des handicapés etc. Et d'autre part, il y a les représentants du patronat à qui s'adresse particulièrement la revendication d'une augmentation des salaires. Après quatre séances de négociation, on a tourné en rond et surtout tous ces gens-là ont passé leur temps à expliquer aux représentants des grévistes et de LKP à quel point leurs revendications étaient difficiles, voire impossibles à satisfaire. Le ministre Jego a même proposé de répondre d'ici mars et son représentant local le préfet a quitté la négociation. Pour l'instant LKP a proposé de négocier avec les collectivités et avec le patronat. Dans le même temps, dans certaines entreprises publiques, des négociations se poursuivent. A l'ONF (office nationale des forêts), à Pôle emploi, dans l'éducation nationale, certains maires proposent de répondre pour leur commune aux revendications de LKP (cas des Abymes).

W. Angèle, représentant du MEDEF, persiste et signe: s'il se rend à une nouvelle négociation, ce sera pour expliquer, chiffres à l'appui, que le patronat ne peut pas supporter une augmentation de 200 euros; mais il ne fait pas du tout état des chiffres d'accumulation de profits, réalisés depuis des années sur le dos des travailleurs.

Or l'Etat confirme l'exonération totale sur les charges sociales et leur donne même un coup de pousse. Les salaires seront exonérés de charges jusqu'à 1,4 SMIC et 1,6 SMIC dans l'hôtellerie. Vendredi et samedi, de nouvelles négociations vont s'ouvrir. On ne sait pas ce qu'il en sortira mais quoi qu'il en soit, les travailleurs ont gagné pour eux-mêmes quelque chose: ils ont fait la démonstration qu'ils pouvaient réaliser un mouvement d'ensemble large et conscient.

Cette arme de la grève générale entre désormais dans l'arsenal des travailleurs de Guadeloupe. Face à un patronat arrogant qui tient bon, il faudra plus d'une lutte de ce genre pour changer le sort des travailleurs et des pauvres. Le patronat est arrogant et résistant parce qu'il sait pouvoir compter sur une force militaire puissante qui est totalement mise à sa disposition par le gouvernement.

Si la grève générale continue, le préfet cherchera à prendre des dispositions pour casser la résistance des gérants de stations et des ouvriers pompistes, il tentera de s'opposer grâce à ses forces de répression aux actions menées par les piquets de grève et par la grève marchante. Celle-ci cherchera à maintenir la grève en allant d'entreprise en entreprise. Le patronat sait que le préfet est totalement disposé à mettre cette force à son service. Mais il n'y a pas que lui contre les grévistes. Un grand nombres d'élus avec leur discours venimeux, hypocrite, prétendent comprendre les revendications de LKP, mais estiment qu'on ne doit pas bloquer la Guadeloupe, que l'économie est en danger. Victorin Lurel, (député du PS et président du Conseil régional de Guadeloupe), en la matière, remporte le pompon. Tous ses discours sont ponctués de l'affirmation que ce n'est pas la rue qui change les choses, que c'est les assemblées, les institutions.

Il se prétend socialiste et n'a pas hésité à désigner le mouvement de grève comme étant de la chienlit et autres expressions du même genre. Mais ce prétendu socialiste, si hostile au mouvement et aux luttes des travailleurs, devrait savoir que tous les progrès sociaux ne se sont réalisés que de deux manières: sous la pression de la rue, des grèves, des manifestations, (diminution du temps de travail, congés payés, protection sociale etc.) ou lorsque à l'évidence, des progrès étaient indispensables pour permettre aux capitalistes d'améliorer leurs profits (école publique obligatoire, par exemple).

Ces élus hypocrites prétendent qu'ils sont opposés à toute forme de répression, mais le gouvernement ne leur demandera pas leur avis pour le faire. Alors, pour le mouvement de grève, il reste encore beaucoup de possibilités d'élargir la mobilisation. Comme le mouvement est très populaire, il peut faire appel à la capacité des gens de la population laborieuse et pauvre à s'organiser eux-mêmes, à répandre les luttes dans toutes les communes, à créer leur propre LKP local.

Ils peuvent associer dans des collectifs LKP tous ceux dans la population, quelles que soient leurs opinions, leur appartenance politique, qui veulent défendre par la lutte le programme de revendications. Il faut que le gouvernement, les patrons et tous leurs sbires sachent qu'ils n'auront pas affaire à 10’000 ou 20’000 manifestants, mais à une masse de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs, de pauvres, de petits paysans prêts à se dresser contre eux.

Nous sommes conscients d'être seulement au début d'une lutte qui devra se prolonger pendant des mois et des mois. Ce qu'apprennent aujourd'hui les travailleurs et les pauvres leur servira de tremplin pour de futurs combats. Et quelle que soit l'issue de la lutte actuelle, les faits sociaux, les souffrances, les blessures qui l'ont provoquée aujourd'hui, si elles ne sont pas réparées, provoqueront inéluctablement le surgissement de nouvelles luttes - espérons-le - de plus en plus conscientes, de mieux en mieux organisées. L'avenir n'appartient pas à cette classe de possédants égoïstes qui ont les doigts crispés sur leur coffre-fort, qui ont un portefeuille à la place du coeur. Les êtres humains méritent mieux que cela, une société dirigée autrement que par ces gens-là, une société plus juste et plus fraternelle.

(17 février 2009)

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