France

Salariés de New Fabris

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Les ouvriers de New Fabris montrent la voie

Militant. Lettre de liaison

Lors d'une assemblée générale rassemblant plus d'une centaine de salariés, Guy Eyermann – délégué CGT (Confédération général du travail) de l’usine New Fabris (équipementier de l’automobile travaillant à 90% pour Renault et PSA, sis à Châtellerault dans la Vienne, France) a expliqué que : « Comme personne n'a parlé du cas des bouteilles, elles restent toujours dans le local fermé ». Elles y avaient été remisées lundi 20 juillet 2009, avant une réunion avec le secrétaire d’Etat à l'industrie français, Christian Estrosi.

Mais, «l'ultimatum fixé au 31 juillet 2009 reste toujours valable» a ajouté Guy Eyermann. Et une série d'actions pourrait être mise en œuvre à partir de vendredi 24 juillet. Les salariés de New Fabris ont décidé d'organiser une grande manifestation le 30 juillet prochain à 14 h à Châtellerault (Vienne). Cette date correspond à l'expiration de l’ultimatum au-delà duquel les salariés menacent de faire sauter l’usine.

«L’appel à manifester concerne non seulement les salariés d'autres équipementiers en difficulté du secteur automobile, mais aussi tous les responsables de partis politiques (Front national de Le Pen excepté) et des confédérations syndicales» ont déclaré les représentants des salariés.

Les licenciements et «plans sociaux» sont à l’ordre du jour – en France et en Europe – dans tous les secteurs de l’industrie, chez les équipementiers de l’automobile, comme dans lesdites nouvelles technologies, par exemple chez Nortel ou Alcatel-Lucent (voir sur ce site les articles en date du 15 et 16 juillet 2009).

Alcatel-Lucent, qui compte près de onze mille salariés en France, a annoncé aux représentants du personnel, le jeudi 23 juillet 2009, un projet de réduction d'environ huit cent cinquante postes sur deux ans ; cela accompagné d'un «plan de sauvegarde de l'emploi principalement sur la base du volontariat». Alcatel Lucent France (ALF) est au centre des réductions d’emploi: 728 postes sur 850. Des licenciements sont aussi prévus en Espagne et dans la filiale Radio Frequency Systems (RFS).

Un ingénieur d’Alcatel écrit dans le quotidien Le Monde (Editions spéciale. L’économie en crise), le 24 juillet 2009: «Ce matin [vendredi 24 juillet], à l'appel de l'intersyndicale, nous étions près de 300 sur le site d'Illkirch (Alsace) pour une réunion d'information sur les suppressions d'emplois, une affluence exceptionnelle pour une période de vacances. Le chiffre d'affaires diminue et la direction taille dans les coûts apparents. Le coût d'un ingénieur en recherche et développement est facile à calculer ; ce qu'il crée comme richesse est impossible à chiffrer et n'aura d'effet sur le chiffre d'affaires que dans un ou deux ans. Les décisions sont prises très loin d'Alsace et de France, par des personnes qui ne semblent connaître que l'aspect financier à court terme, sans tenir compte de l'avis des compétences locales. Il en résulte des décisions incompréhensibles, qui désorganisent les équipes, cassent les programmes de développement. Les nouveaux produits prennent du retard, des projets sont supprimés ou transférés en Inde. L'imposant site d'Illkirch correspondait à une grande ambition industrielle. Il n'en reste que peu de chose, et ce qu'il en reste et ce qu'il reste d'Alcatel en France est menacé. Sentiment de gâchis, inquiétude, refus de laisser partir tout notre savoir-faire loin d'Europe, impression d'être traités comme des pions... Beaucoup d'employés aimaient leur travail et les projets qu'ils avaient à cœur de faire réussir, c'est de moins en moins possible et cela risque de ne plus l'être du tout. Alors bien sûr, la crise...».

Il y a là une colère et une réflexion sur la «gestion de l’entreprise» qui peut déboucher – ou a parfois débouché – sur une volonté de saisir et de mettre en question le système capitaliste ainsi que moteur: la «course au profit privatisé». Sur divers sites (Vélizy en Seine-Maritime ou Villarceaux en Essonne, entre autres) des débrayages et des assemblées de travailleurs d’Alacatel-Lucent se sont sont tenues.

D’ailleurs, depuis plusieurs semaines, les salariés d’Alcatel-Lucent France se sont mobilisés. Ils ont manifesté le 30 mai 2009 devant l’assemblée générale des actionnaires, durant laquelle le président du groupe, Philippe Camus, et le directeur général, Ben Verwaayen, ont bénéficié d’un volumineux paquet de stock-options. Et Ben Verwaayen a reçu une importante retraite complémentaire. Ce dernier a remplacé Patricia Russo à la direction du groupe ; elle était partie avec une parachute en or de plusieurs millions de dollars et un bilan désastreux. Ben Verwaayen a été directeur de British Telecom de février 2002 à juin 2008 ; de 1997 à cette date il était à la direction du groupe américain Lucent Technologies. Un vrai palmarès.

Depuis 2006, Alcatel-Lucent, présent dans 130 pays, a supprimé 17’500 emplois, dont 2000 en France. Le 9 juillet 2009, le groupe annonçait son intention d’« améliorer sa performance financière ». Dans ce but: licenciements, sous-traitance, concentration-fusion des lieux de production, externalisation (par exemple, Hewlett Packard va prendre en charge l’informatique) sont monnaie courante.

Nous publions ci-dessous un article argumenté du bulletin Militant (France) sur les modalités de lutte à partir de l’exemple de la lutte des «New Fabris». Cet article répond à des «objections» qui sont souvent faites en Suisse.

On peut partager ou non un mot d’ordre avancé dans ce texte, tel que celui de «manifestation centrale devant l’Assemblée nationale» (à Paris). Il rappelle beaucoup un mort d’ordre fort prisé par un courant du trotskysme français et il possède la tournure d’un gadget. Mais l’argumentation efficace du Militant doit retenir l’attention. Son centre de gravité est en syntonie avec une priorité pratique, sociale et politique: celle d’une mobilisation sociale d’ensemble. Elle se départit d’une orientation qui s’enfermerait dans le «champ institutionnel et électoral». (Réd.)

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850 postes à Alcatel-Lucent, nouveau «plan social» chez Potain (constructeur de grues, le plan social intervient à Ecully – département du Rhône – l’un des cinq sites en France) ...

En ce cœur de l'été 2009, la vague de licenciements se confirme et s'aggrave. Comme prévu. Les directions syndicales confédérales étant semble-t-il en vacances et la gauche étant occupée par des conflits tournant autour de l'avenir du Parti socialiste.

Personne en dehors des éditions locales de la presse n'en parlerait vraiment, si les salariés directement concernés ne commençaient à réagir de plus en plus fort.

New Fabris – «les New Fabris» comme disent les journalistes – ont montré la voie en menaçant, ultimatum à l'appui, de faire sauter l'usine de Chatellerault si ont leur refusait une indemnité de licenciement de 30’000 euros

Ils ont raison

«Tout de même, leurs méthodes sont violentes». Et des milliers de licenciements sans arrêt, ce n’est pas violent, peut-être ? Et Sarkozy qui fait semblant d'avoir été plébiscité à ces élections européennes où la plupart des gens n'ont pas voté et fait voter à toute force le travail le dimanche par son assemblée [vote avec une majorité de 6 voix dans la nuit du 22 au 23 juillet 2009], ce n’est pas violent, peut-être ? Leurs méthodes sont à la hauteur, et en fait en dessous, de la violence qui leur est faite, qui nous est faite.

«Oui, mais elles sont illégales.» On pourrait en dire des choses sur la légalité et l'illégalité dans les luttes sociales sur la grève qui fut à l'origine illégale et le serait restée, et le redeviendra, si l'on ne piétine pas la "légalité" de la classe dominante, la classe des exploiteurs ... Mais une chose suffit, qu'une ouvrière de New Fabris a clairement exprimé à la télé : c'est seulement avec ces méthodes, violentes et illégales, qu'on a parlé d'eux, qu'ils ont été entendus et que de vraies négociations se sont amorcées, le gouvernement les recevant directement en la personne de M. Estrosi, «ministre de l'Industrie» ; en fait, secrétaire d’Etat à l’industrie. Dont acte.

Ces méthodes ne sont d'ailleurs pas violentes et illégales n'importe comment. Si elles sont seules efficaces, c'est parce qu'elles sont collectives. Ce sont les méthodes d'une classe, celle des exploité·e·s qui produisent la valeur, les biens et les richesses, contre une autre classe, celle du capital et de son État, son gouvernement, son président Sarkozy.

«Oui, mais bon quand même, on voit bien à quel point les ouvriers d'aujourd'hui sont devenus consuméristes et participent eux-mêmes de ce système libéral dont ils ont intériorisé les règles, voyez donc : au lieu de défendre leurs emplois la seule chose qui les intéresse c'est la prime de départ ! » Voila l'argument drapé de bonnes intentions politiques et idéologiques, que les moralisateurs, mais aussi les responsables syndicaux et les élus de gauche vont répétant. Cet argument ne vaut rien ! Voyons cela.

D'abord, on voit mal comment les prolétaires pourraient ne pas «avoir intériorisé les règles du jeu de l'économie libérale», c'est-à-dire capitaliste. Pour pouvoir vendre leur force de travail pour vivre, nous sommes bien obligés de les intérioriser. Un prolétaire est un vendeur de sa force de travail, il essaye d'en tirer le meilleur prix et ne se rend compte qu'à la dure épreuve de la vie, de l'expérience, que pour cela il a plus intérêt de combattre en collectif que de tirer en individuel.

Ensuite, aller reprocher aux salariés de New Fabris de ne pas défendre «l'emploi» en général et le leur en particulier, est d'une sacrée hypocrisie. Ils voient bien, comme tous les autres, qu'en l'absence d'organisation du caractère commun de tous les mouvements analogues aux leurs, chacun boite par boite jusqu'à présent a perdu sur l'emploi, que quand la lutte parvient à limiter les dégâts ici, les patrons le font payer ailleurs, et qu'on perdra toujours sur l'emploi tant qu'on se battra boite par boite et qu'on ne mènera pas une bataille commune, de classe, à l'échelle nationale – et par suite internationale – comme justement ils font déjà au niveau de leur boîte. Pour le moins, une manifestation nationale à l'Élysée et au siège du MEDEF [organisation patronale de France, à sa tête se trouve, actuellement, Laurence Parisot], les exploiteurs en chef qui doivent être les payeurs, voila ce qu'il reviendrait aux syndicats d'abord, et à l'ensemble des partis de gauche, d'organiser, ce qu'ils ne font pas. Alors, les reproches aux travailleurs qui se battent pour la prime de départ ... pas ça, pas vous !

Enfin, c'est tout à fait judicieux de réclamer ces 30’000 euros. Et économiquement cohérent ... pas la cohérence du capital, bien sûr. Cet argent existe, c'est une partie de la plus-value que les ouvriers ont produite et que les patrons – pas seulement le patron de la boîte concerné mais le patronat collectivement, comme partie de la classe dominante – se sont appropriée.

Qu'ils soient aujourd'hui obligés d'en investir toujours plus pour des profits proportionnellement moindres, que la concurrence soit acharnée, que l'écoulement des marchandises soit difficile d'autant plus que les salaires réels baissent et le chômage augmente, que les prêts bancaires soient difficiles à obtenir et chers à rembourser, tout cela est vrai, mais tout cela, ce sont les contradictions propres du capital, pas de la production réelle de richesses qu'il menace par sa soif vitale d'accumulation.

Ces 30’000 euros par licencié existent, pas qu'à New Fabris, partout. Les revendiquer, c'est exiger son dû, la restitution d'une partie de ce qui a été produit par le travail. Et c'est intimider les patrons qui veulent licencier, partout.

Alors, disons-le, les 30’000 euros de New Fabris, ce n'est pas la revendication égoïste des «New Fabris», c'est un dû pour l'ensemble de la classe ouvrière !

«N'empêche que s'ils en sont là c'est qu'ils sont sacrément désespérés». Nul doute qu'il y a du désespoir quand on est traité comme ça, avec un tel mépris, une telle violence, mais un mépris et une violence qui passent pour choses normales dans les médias et dans la société établie parce qu'ils font partie du rapport social dominant, celui de salarié et de la salariée au patron, et qui ne sont perçus que quand on tape du poing sur la table !

Mais pour autant, ne croyons surtout pas avoir affaire à l'action d'une bande de désespérés à bout de souffle.

Ces ouvrières, ces ouvriers, avec leurs sections syndicales, savent ce qu'ils ont fait et ce qu'ils font. Ils ont pris le risque de l'illégalité et ont été reçus par Christian Estrosi. Celui-ci a repris le discours hypocrite sur les thèmes: «luttez donc pour l'emploi», les «solutions industrielles», et tout et tout. Estrosi a voulu la faire – par pure trouille de l'explosion – façon «dialogue social», comme il fait avec Thibault [dirigeant de la CGT], Chérèque [dirigeant de la CFDT] et Mailly [dirigeant de FO]. Mais les travailleurs savent ce que veut dire négocier. Ils ont averti : «on ne parlera pas d'autre chose que de notre revendication : les 30’000 euros, quand ? ». Alors «le dialogue a été difficile» et le gouvernement, qui sait lui aussi ce qui est en jeu, ne veut ni lâcher les sous ni contraindre les patrons à le lâcher (ce dont il aurait évidemment les moyens).

Alors les travailleurs appellent les autres usines de la branche à les rejoindre. Ils demandent le soutien des syndicats et des partis, à l'échelle nationale. Ils convient celle et ceux qui peuvent à venir manifester à Châtellerault, le jeudi 30 juillet, veille de l'ultimatum qui, bien que les bouteilles de gaz n'aient pas à cette heure été replacées dans l'usine, reste fixé au 31 juillet.

Ceci n'est pas une attitude de désespérés, ceci n'est pas une attitude d'égoïstes, ceci n'est pas une attitude de consuméristes, c'est l'attitude de la classe ouvrière qui, tirant les leçons d'un printemps de coups reçus, de luttes boite par boite qui aspiraient à s'unir mais ont été maintenues boite par boite parce que les organisations des travailleurs n'ont pas joué leur rôle, cherchent maintenant à réaliser cela, cette union de toutes et de tous, à l'échelle nationale, par eux-mêmes, et bien sûr, car il ne peut en être autrement, à partir de leur propre combat là où ils sont.

Ils ont raison. C’est la voie à suivre. Partout. C‘est l’axe du regroupement. C’est comme cela que l’on peut gagner. Pas boîte par boîte. Mais tous ensemble.

(25 juillet 2009)

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