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La grève du 29 janvier 2009

Rédaction

Nous publions-ci dessous quelques articles ou extraits d’articles, traduisant des premières réactions, suite au mouvement imposant de grève qui s’est développé le 29 janvier 2009 en France (Réd).

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«Quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit» (Nicolas Sarkozy).

Succès historique de la journée de mobilisation organisée par les 8 centrales syndicales.

Les huit syndicats doivent se réunir le 2 février pour décider des suites à donner au mouvement.

A midi, le compteur des manifestants tenu par la CGT atteignait le million, pour un tiers seulement des cortèges annoncés. A 16 heures, la barre du million et demi était atteinte, pour la moitié des manifs. Peu après, il fallait ajouter les 300.000 participants du défilé parisien…Et, vers 18 heures, dans un premier bilan global couvrant les 195 cortèges organisés sur tout le territoire, la CGT faisait état de 2,5 millions de manifestants. La journée nationale d’action interprofessionnelle, organisée par les huit grandes centrales syndicales, a largement tenu la promesse. Le leader de la CFDT, François Chérèque, parlait ainsi des «plus grandes manifs de salariés depuis une vingtaine d’années». Son homologue de la CGT, Bernard Thibault, évoquait «une participation que nous estimons de l’ordre de la pointe de mobilisation contre le CPE (contrat première embauche, en 2006), à cette différence qu’il y a beaucoup moins de jeunes et beaucoup plus de salariés du privé».

De sources syndicales, Marseille a vu défiler 300.000 personnes, Lorient 25.000, Le Havre 15.000, Lyon 30.000, Bordeaux 60.000, Brive-la-Gaillarde 10.000 soit «du jamais vu , même en 1995», etc. Les fonctionnaires, enseignants et hospitaliers notamment, étaient massivement représentés, mais, un peu partout, la présence de salariés du privé a fait aussi événement: métallos de l’automobile durement touchés par le chômage partiel et les licenciements , employés du commerce, ouvriers de petites entreprises…Tous manifestaient le refus de «payer les frais» d’une crise dont ils ne sont pas responsables. Beaucoup dénonçaient l’injustice de la politique gouvernementale: «On investit des centaines de milliards pour les banques et on néglige les fonds nécessaires à nos hôpitaux. C’est indécent !», s’exclamait par exemple un médecin dans le défilé bordelais.

«Pas à nous de payer la crise»

Les taux de participation aux arrêts de travail annoncés par les syndicats n’étaient pas moins significatifs de l’ampleur de la mobilisation: 67% dans l’enseignement primaire et 60% dans le secondaire, 41% chez les cheminots, près de 50M% à l’hôpital, 48% parmi les conducteurs de métro, environ 40% à France Telecom, 78% à EDF…L’ensemble des forces de gauche étaient très présentes, leurs leaders nationaux (Martine Aubry, pour le PS, Marie-George Buffet, pour le PCF, Olivier Besancenot, pour la LCR, notamment) marchant dans le cortège parisien.

C’est «un événement social de grande importance», «pas un coup de colère passager, il y aura des suites», a averti Bernard Thibault. «Quand il y a une telle mobilisation, le gouvernement serait iresponsable s’il ne répondait pas», observait Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO. «Maintenant, c’est au gouvernement d’apporter des réponses» sur «la relance avec des réponses concrètes pour les salariés», insistait François Chérèque. Pour toute réponse, en fin d’après-midi, seul le ministre du Budget Eric Woerth s’était prononcé, réitérant une totale intransigeance: La grève n’est pas une réponse à la crise», «je ne crois pas qu’il faille changer de politique». Les huits syndicats doivent se réunir le 2 février pour décider des suites à donner au mouvement.

Article publié dans L’Humanité par Yves Housson

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Grève générale: cette fois, Sarkozy s'en est aperçu

S'il fallait un symbole pour juger du succès de la journée de grève et de mobilisation, il aura été donné par la réaction très rapide de Nicolas Sarkozy. En qualifiant de «légitime» l'inquiétude des Français manifestée dans les cortèges massifs enregistrés dans toutes les villes du pays, et en invitant les syndicats à une concertation à l'Elysée en février, le président de la République a pris acte de la force de la mobilisation dans la rue.

Il faut dire que le pari unitaire des syndicats a été largement gagné: un immense cortège à Paris, entre Bastille et Opéra -où se sont déroulés quelques incidents violents en fin de cortège-, et des mobilisations comme on en a rarement vues dans la plupart des villes du pays.

Avec, de surcroît, une participation du secteur privé au côté des gros bataillons de la fonction publique, notamment de l'éducation nationale et des services de santé. Il y avait même quelques policiers dans les cortège, pour réclamer «du fric pour les flics»...

2,5 millions de personnes au total, selon la CGT, alors que, guerre des chiffres habituelle, la police limitait ce chiffre à 1,08 millions. Mais, au-delà du chiffre, le succès de la journée d'action était indéniable, même si la situation des transports a été meilleure que prévu.

Le message: les travailleurs sont les principales victimes de la crise

Les partis politiques de gauche étaient eux aussi présents, avec en particulier le grand retour du Parti socialiste dans le mouvement social, ou plutôt à côté puisque les dirigeants du PS, Martine Aubry en tête, n'étaient pas dans le cortège mais sur le côté, face au Cirque d'hiver, près de la place de la République. Le PCF, le Parti de gauche, et les formations d'extrême gauche étaient également très présents.

Le message principal était le refus que les travailleurs, privés ou publics, soient les principales victimes de la crise alors que des milliards sont disponibles pour renflouer les banques ou l'industrie automobile. Ce message a été massivement scandé à travers le pays, et obligera sans doute Nicolas Sarkozy à ajuster le tir pour tenir compte de l'odeur de poudre qu'a laissé ce 29 janvier.

La contre-attaque de l'Elysée devrait notamment prendre la forme d'une grande émission de télévision en février pour faire de la «pédagogie de la crise» auprès des Français. Mais si on peut donner un conseil au président de la République, c'est de prendre conscience que les manifestants de jeudi ne se contenteront pas de pédagogie.

Nicolas Sarkozy disait récemment: «J'écoute, mais j'en tiens pas compte.» Peut-être, là aussi, l'ampleur de la mobilisation l'amènera-t-elle à «tenir compte». 

Article de Rue89 écrit par Pierre Haski

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Rêve générale

Apparu au printemps 2006 lors des manifestations anti-CPE (Contrat première embauche), le slogan «Rêve général» créé par une groupe de graphistes a connu ce jeudi 29 janvier son heure de gloire dans la manifestation parisienne. Diffusé dans le cortège à plus de 15.000 exemplaires sous forme d’autocollants par un collectif d’associations, il a été repris par tous les manifestants, quelques soient les banderoles et les étiquettes syndicales. Les raison du succès? «Il faut que le cauchemar s’arrête. Que l’on puisse à nouveau rêver», avance une manifestante arborant l’autocollant Rêve générale et un macaron CGT en guise d’explication.

Manifester contre un cauchemar, celui de la crise économique et ses conséquences sur l’emploi et les salaires: c’est une première. Cela n’a pas empêché de dépasser les espérances des huit organisations syndicales qui l’avaient lancé (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, Unsa, Solidaires, FSU). Le 28 mars 2006, plus de deux millions de personnes étaient descendues dans la rue. Y en avait-il davantage cette fois-ci? Oui, assurent la sydicats. «On peut discuter pour savoir s’il y a eu plus de monde qu’en 2006», souligne lesecrétaire général de la CFDT, François Chérèque, «mais il ne faut pas oublier que la vraie différence, c’est qu’aujourd’hui la très grande majorité des manifestants ne sont pas des lycéens mais des salariés».

Jamais, depuis plus vingt ans, autant de salariés n’étaient descendus dans la rue à l’appel des syndicats. Ils étaient 2,5 millions selon les syndicats et plus d'un million partout en France d'après la police. Et il faut remonter plus loin encore, sans doute au 30 mai 1968, pour trouver autant de salariés du secteur privé dans les manifestations. Ils étaient très présents dans le cortège parisien, avec de fortes délégations des salariés de Renault, des sous-traitants de l’automobile aussi, comme Faurecia, ou du secteur informatique, dont les employés avaient préféré se regrouper sous une banderole intersyndicale plutôt que défiler chacun de leur côté.

Les salariés du privé étaient plus nombreux encore en régions. «De tous les départements nous remontent des exemples d’entreprises, parfois très petites, dont les salariés sont pour la première fois descendus dans la rue», souligne Maryse Dumas (CGT). A la CFDT, on cite quelques cas de petits patrons qui ont fermé leur entreprise et sont venus manifester avec leurs salariés.

Dans le secteur public, les plus gros bataillons de grévistes et de manifestants, comme on s’y attendait, ont été les enseignants. «Le mouvement a été très suivi dans les écoles et dans le second degré», assure Gérard Aschiéri (FSU), «mais ce qui nous remonte des universités montre que le mouvement n’est pas près de retomber».

Le mouvement va-t-il se poursuivre? Le calendrier scolaire et les congés de février ne plaident pas pour un regain d’effervescence dans les lycées. «Mais en 2006», rappelle Aschiéri, «le mouvement anti CPE avait démarré avant les vacances de février et avait pris de l’ampleur après».

Ce précédent devrait inciter l’exécutif et la majorité UMP à faire preuve de prudence dans leurs analyses sur cette journée du 29 janvier. Et même si les perturbations dans les transports n’ont pas été aussi fortes que prévues, la grève n’est pas passée inaperçue. Les huit organisations syndicales ont prévu de se retrouver lundi en fin d’après-midi pour tirer le bilan de la mobilisation et envisager une suite.

Article paru dans Libération.

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«Les salariés du privé se sont en partie retrouvés dans ce mouvement»

Dominique Reynié est professeur des universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris. Ses travaux portent sur l'opinion publique et ses manifestations. Il revient pour liberation.fr sur le mouvement social du jeudi 29 janvier.

Quel bilan tirez-vous de la journée d'hier ?

C'est indéniablement un mouvement très réussi. Pour deux raisons. D'abord, au niveau de la mobilisation des manifestants. Quelle que soit la difficulté d'évaluer le nbre de manifestants, personne ne doute qu'il y avait beaucoup de monde dans les rues hier. La réussite tient aussi au fait que la grève dans les services publics a été moins suivie que prévu: les usagers s'attendaient à plus de dommages dans les transports en commun. Il n'y a pas eu de black-out total, ce qui, en général, nourrit la non-popularité d'un mouvement de grève. Donc, tout cela a atténué les effets négatifs du mouvement. C'est un élément qui favorise une compréhension plus favorable de la protestation et des revendications.

Quelles sont le suites à attendre ?

Cet événement comprend deux dimensions: le mouvement social et le climat d'opinion. Le mouvement social, ce sont majoritairement des salariés de la fonction publique ou assimilés qui réagissent à la réforme de l'Etat, c'est-à-dire à une politique menée par la majorité actuelle, pour protéger leurs intérêts spécifiques. Le climat d'opinion favorable qui porte le mouvement est, lui, l'expression d'une forte préoccupation liée à la crise économique et financière, et cette préoccupation est d'autant plus grande que les personnes sont plus exposées: secteur privé, CDD, situations précarisées...

C'est-à-dire ?

Il y a en réalité deux mondes qui se sont retrouvés en écho et avec des positions très différentes. Malgré tout, très largement, les acteurs du mouvement social d'hier appartiennent au monde du travail qui est peu ou pas concerné par la crise financière et économique actuelle. Et il y a aussi ceux qui sont les plus touchés et menacés, c'est-à-dire les salariés du privé qui n'expriment pas les mêmes revendications et ne sont pas ceux qui ont fait le succès du mouvement d'hier.

Il y a donc deux systèmes d'opinion qui se sont exprimés ?

Exactement. Le mouvement social, c'est l'opposition à une politique gouvernementale. Le climat d'opinion, c'est l'expression de préoccupations liées à la crise. Et, pour le moment, du côté de l'opinion, on n'impute pas la responsabilité de la situation au gouvernement.

Il existe donc un schisme entre les manifestants et les hommes politiques des partis d'opposition, PS en tête ?

Oui, il y a un clivage caché qui se révélera dans les mois et les années qui viennent, car ces deux parties ont des intérêts divergents. Les partis politiques de gauche, le PS en particulier, auraient dû être du côté des manifestants. Mais le PS ne voulait pas être perçu comme le parti des fonctionnaires, de l'Etat, contre la société civile. C'est une des tensions qui traversent actuellement les socialistes. Et ces derniers ne voulaient pas laisser penser que les revendications portées par ce mouvement social sont celles du monde du travail en général.

Pourquoi, selon vous ?

D'abord, parce qu'ils craignent d'être critiqués lors de leur participation à la manif — souvenez-vous de Jospin en 1997 avec ses propos sur l'impuissance gouvernementale sur la fermeture de l'usine Renault de Villevoorde, en Belgique. Ensuite, ils s'interrogent vraiment sur le coût électoral d'une alliance trop intime avec les salariés de la fonction publique. Dans la mondialisation, quand on est un fonctionnaire, on n'est pas délocalisable et on ne peut pas perdre son emploi. A la différence des salariés du privé dont c'est la hantise actuellement. Et donc les politiques, s'ils sont assimilés aux fonctionnaires, peuvent se mettre à dos les salariés du privé.

Vous avez donc senti une opposition entre les salariés du public et ceux du privé ?

Non. Mais je pense que c'est pour le moment une idée maintenue à l'état latent. Parce que les salariés, qu'ils soient du public ou du privé, sont satisfaits de voir qu'il existe une insatisfaction qui s'exprime. Et le mouvement social d'hier a eu une fonction très tribunitienne.

Et rassembleuse....

Pour les manifestants, c'est le fait de s'être sentis représentés par l'expression d'une contestation. Il y a eu un effet de résonnance d'un malaise que tout le monde ressent. Les salariés du privé se sont pour partie retrouvés dans ce mouvement qui remplit cette fonction de tribune, parce qu'ils sont contre la situation présente. L'opposition, elle, n'a pas rempli ce rôle de porte-parole des inquiétudes, parce qu'elle est trop occupée à régler ses questions internes. A l'image des socialistes.

Que devinez-vous du proche avenir sur le plan des revendications sociales?

Une question se pose: quel sera le degré de politisation de ce mouvement? Je m'interroge aussi sur la vitesse de cette politisation. Un moment donné, pour la population, il faudra mettre un nom sur les responsables de cette situation. On ne pourra pas lui dire que c'est la faute à pas de chance.

Article paru dans Libération

(31 janvier 2009)

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