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Calais: détruire des êtres humains

Rédaction

En février 2008, l’hebdomadaire français Politis, dans un reportage de Guillemette Echalier, plantait le décor: «Il est 10 heures du matin et ce jeune Afghan de 16 ans a tenté sa chance la nuit précédente. Accroché sous un camion, il a été repéré par la police à l’approche du port et s’est enfui. Déçu mais habitué, Omar rejoint son squat, au cœur de la zone industrielle des Dunes à Calais.» Cette zone, lui et d’autres migrants la nommaient: «la jungle».

Hier, le 22 septembre 2009, la «jungle» a été détruite par des bulldozers, sous le regard du ministre de l’Immigration et de l’identité nationale (sic), Eric Besson, ancien membre du Parti socialiste de 1993 à 2007. Entre 1996 et 2001, il fut délégué général de la Fondation de la Compagnie générale des eaux, transformée en Fondation Vivendi par son ami Jean-Marie Messier. Un portrait sociologique concis d’une fraction importante des cercles dirigeants de la social-démocratie européenne.

Mardi 22 septembre 2009, comme le rapporte le site Mediapart:  «Vers 7 heures 30, plusieurs dizaines de CRS ont encerclé le campement installé près du port, avant d'y pénétrer pour déloger un à un les migrants et les militants venus s'interposer. Moins d'une heure plus tard, les Afghans présents sur les lieux avaient tous été arrêtés laissant, sur place, les banderoles qu'ils avaient préparées: «Nous voulons l'asile en Europe», «Nous ne voulons pas retourner chez nous, même si nous mourrons ici», «Nous avons besoin d'abri et de protection», «Nous voulons la paix», «La jungle est notre maison, s'il vous plaît ne la détruisez pas. Si vous le faites, où irons-nous?»

Selon Eric besson, 276 migrants, dont 135 mineurs, ont été interpellés. Carine Fouteau de Mediapart indique que «les intervenants de la Cimade ont noté que des places ont été libérées dans les CRA (Centre de rétention administratif) de Rennes, de Toulouse, de Nîmes, de Metz et du Mesnil-Amelot. Les autres Afghans qui résidaient dans cette «jungle» (jusqu'à 800 à certains moments) l'ont quittée pour aller se réfugier ailleurs.» Ces associations d’aide aux migrants soulignent que «détruire les abris, c'est provoquer l'éparpillement des camps, livrer les migrants aux réseaux mafieux et ne rien régler sur le fond». Pire, il va «aggraver la situation» des exilés «plus que jamais vulnérables, privés d'accès aux soins et à la nourriture et livrés, contre leur gré, à la seule loi des mafias».

La journaliste de Mediapart ne manque pas de mettre en relief un fait élémentaire: «L'alternative proposée aux migrants interpellés prend elle aussi des allures de piège. Le ministre de l'immigration prétend qu'ils pourront choisir entre un retour volontaire, «avec un petit pécule», et le dépôt d'une demande d'asile. On voit mal comment des hommes ayant dépensé entre 10’000 et 15’000 euros pour partir d'un pays où leurs droits fondamentaux ne sont pas respectés pourraient envisager d'y retourner de leur plein gré. Quant à la demande d'asile, elle risque de se transformer en retour forcé vers un autre pays de l'Union européenne où le statut de réfugié est accordé au compte-gouttes.»

Quant aux discours se centrant sur les «réseaux mafieux», il serait utile de mettre au jour les «réseaux» exploitant de travail des migrants «sans papiers». Et, aussi, de se poser une autre question. Des personnes habitant l’Europe, n’ayant pas l’habitude de voyager, doivent avoir recours à des agences de voyages pour organiser un «tour» dans un pays éloigné et inconnu ? Un migrant face aux frontières fortifiées, surveillées par une instrumentation électronique de pointe, un réseau policier internationalisé, peut-il se passer de ce genre d’agences de voyages, certes souvent pourries et mafieuses, pour tenter d’échapper à la guerre, à la misère et pouvoir, par la suite, aider les siens ?

En centrant sur les «réseaux mafieux » – il est certain que les «passeurs» (dont l’éventail et la hiérarchie sont complexes) avaient déjà désertés le 22 septembre 2009 de la «jungle» de Calais – c’est la justification d’une politique attentatoire aux droits humains les plus élémentaires que le pouvoir tente de légitimer. Un pouvoir – les gouvernements européens – qui mène une guerre déjà perdue en Afghanistan, non seulement car ils sont les «alliés» des pires mafias à la Karzaï, mais parce que la population afghane les rejette et se fait bombarder… tout en attendant que l’eau courante soit rétablie à Kaboul. (réd).

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Nous publions ci-dessous la déclaration, faite le 17 septembre 2009, par diverses organisations d’aide aux migrants à propos du projet de «démantèlement de la jungle» à Calais.

«En annonçant, hier 16 septembre, la «fermeture» des ‘Jungles’ pour la semaine prochaine, le ministre de l’Immigration Eric Besson ferme les yeux sur les violations des droits de l’homme massives dans les pays dont sont originaires les migrants et l’extrême précarité de leurs conditions de vie.

Le ministre ne doit pas se leurrer: annoncer la «fermeture» de la «Jungle» signifie simplement tenter de rendre invisible un problème qui perdurera, se renouvellera et se déplacera. L’incapacité des autorités françaises et européennes à appréhender correctement et de façon coordonnée cette situation aura un coût: les conditions indignes dans lesquelles sont contraints de vivre les migrants et demandeurs d’asile malgré l’aide au quotidien de nombreux bénévoles.

Le ministre a d’ailleurs déjà marqué des points avec ses annonces des derniers mois: en effet, comme il l’affirme aujourd’hui «il y avait environ 700 personnes il y a trois mois, il en reste environ 300». Des centaines de ces personnes, bien réelles, hommes, femmes, enfants, effrayées, ont poursuivi leur errance vers de nouveaux lieux, de nouveaux pays et font alors face à de nouveaux obstacles et de nouvelles violations de leurs droits.

Pour se justifier, le ministre met en avant la «remontée très forte de la délinquance dans le Calaisis», «les agressions des habitants de Calais» et «les entreprises qui ne peuvent plus travailler normalement». Cela ne correspond pas aux observations des associations qui sont sur le terrain. Plutôt que d’apporter des solutions aux causes mêmes de cette situation, le ministre opte pour la facilité de la stigmatisation du «migrant-demandeur d’asile», présenté comme une personne délinquante et dangereuse, cela sous couvert de s’attaquer aux passeurs.

Aujourd’hui, comme à chaque annonce, le ministre cache que ces migrants qu’il veut déloger viennent de pays où les violations des droits de l’homme sont massives, ce qui explique leur fuite désespérée et leur acceptation de conditions de vie aussi précaires.

Alors qu’en juillet le ministre parlait de 36 demandeurs d’asile «admis au séjour», il affirme aujourd’hui que 170 demandes ont été enregistrées depuis le 1er janvier «avec titres de séjour et hébergement». Ce ne sont pas les chiffres des associations: beaucoup de ces personnes, passées par la Grèce ou l’Italie et contraintes de brûler leurs empreintes pour éviter d’y être renvoyées, ne reçoivent ni l’un, ni l’autre.

Comment des Erythréens peuvent-ils accepter un retour «volontaire» dans leur pays ? Pourquoi des Soudanais ou des Afghans accepteraient-ils, en application d’un texte européen, Dublin II, leur transfert vers la Grèce, régulièrement condamnée et dénoncée pour les mauvais traitements caractérisés et répétés à l’encontre des demandeurs d’asile et des migrants en général ?

Demain, Eric Besson va en Grèce, mais ce n’est malheureusement pas pour se mettre d’accord sur la suspension des transferts vers ce pays où la situation de l’asile est régulièrement dénoncée par le HCR et le Conseil de l’Europe. En fait, ce déplacement est annoncé «dans le cadre des efforts de la France pour renforcer la politique de lutte contre l’immigration irrégulière».

Une politique respectueuse des droits doit avoir le courage de constater que la politique européenne est défaillante. Les autorités françaises perdent une occasion d’ouvrir et de faire ouvrir les yeux sur les drames humains qui se cachent derrière ces situations. Nos associations demandent à nouveau le retrait ou à défaut la révision du règlement Dublin II qui cause plus de victimes qu’il n’apporte de solutions.

Pour sortir de la loi de la ‘jungle’, il faut remettre le système d’asile européen sur ses pieds en arrêtant de dénier les besoins de protection des personnes et en prévoyant un mécanisme leur permettant de demander asile dans le pays de leur choix ou là où elles ont des liens familiaux, linguistiques ou culturels. Quel que soit leur choix, il faut également leur assurer des conditions d’accueil conformes à la dignité des personnes en prévoyant des structures d’hébergement ouvertes à tous.»

Le 17 septembre 2009

La Coordination française pour le droit d’asile rassemble les organisations suivantes: ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Act-Up Paris, Amnesty International - section française, APSR (Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France), Association Primo Levi (soins et soutien aux personnes victimes de la torture et de la violence politique), CAAR (Comité d’Aide aux Réfugiés), CAEIR (Comité d’aide exceptionnelle aux intellectuels réfugiés), CASP (Centre d’action sociale protestant), CIMADE (Service œcuménique d’entraide), COMEDE (Comité médical pour les exilés), Dom’Asile, ELENA, FASTI (Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés), France Libertés, Forum Réfugiés, FTDA (France Terre d’Asile), GAS (Groupe accueil solidarité), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), LDH (Ligue des droits de l’homme), Médecins du Monde, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Secours Catholique (Caritas France), SNPM (Service National de la Pastorale des Migrants), SSAE (Soutien, solidarité et action envers les émigrants). La représentation du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) en France et la Croix-Rouge Française sont associées aux travaux de la CFDA.

(23 septembre 2009)

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