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«On peut encore remporter des victoires sociales.»

Entretien avec Olivier Besancenot * 

Avec une popularité qui talonne celle des leaders socialistes, Olivier Besancenot est sur tous les fronts sociaux. Mouvement de protestation dans les universités, mobilisation hospitalière, grèves et occupations d'usines, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) est présent au point que le gouvernement voit la main de l'extrême gauche partout.

Le leader du NPA s'en défend à peine: la "vraie" gauche doit être solidaire de toutes les luttes contre les licenciements et les réformes du gouvernement. Il houspille les syndicats, jugés trop mous, et pousse le reste de la gauche à constituer des fronts unitaires. Pour lui, la campagne des élections européennes, que son parti a jusqu'ici un peu délaissée, doit être l'occasion d'«être le haut-parleur de la résistance et de la colère». Le discours, axé sur la crise économique et ses conséquences, n'épargne guère les socialistes.

Le gouvernement accuse l'extrême gauche d'entretenir les blocages d'université. Comment réagissez-vous ?

C'est le registre éternel de la droite d'agiter le chiffon rouge de la manipulation par l'extrême gauche. A chaque fois qu'une mobilisation inquiète le pouvoir, on dit toujours que c'est l'extrême gauche. Ce fut le cas en 1995 avec la grève des cheminots, en 2003 contre les retraites, lors de la mobilisation des Michelin ou des P'tits LU...

Mais vous y êtes ou non ?

Encore heureux qu'on y est. Si nos militants n'étaient pas dans le mouvement, on nous le reprocherait. Quand l'accusation de noyautage vient du gouvernement, c'est attendu. C'est plus cocasse quand ça vient de certains responsables du Parti socialiste. Ils feraient bien de regarder de plus près cette mobilisation universitaire et comprendre qu'une partie de leur électorat et de leurs militants en font partie.

En maintenant les blocages, ne craignez-vous pas que le mouvement devienne franchement impopulaire ?

Si le gouvernement avait eu la moindre volonté de sortir du conflit, on l'aurait vu. C'est son choix d'attendre que le mouvement pourrisse jusqu'aux examens.

L'UMP voit aussi votre main dans les usines en grève.

Oui, on a des militants et des sympathisants dans les entreprises comme Caterpillar, Continental, Molex. C'est légitime pour un parti qui se dit anticapitaliste d'être présent dans ces secteurs. Mais nous ne sommes qu'une composante de ces salariés.

N'empiétez-vous pas sur le terrain des syndicats lorsque vous appelez à une marche contre les licenciements ?

Je conteste la séparation qui voudrait que le social, c'est la rue, et la politique, les institutions. Après la mobilisation du 1er Mai, on est en droit d'attendre autre chose qu'un calendrier avec une manifestation tous les deux mois ! Si ce n'est pas la gauche sociale et politique qui soutient les luttes quelles que soient les formes qu'elles prennent - jusqu'à la séquestration des patrons ou les occupations - et qui avance l'idée de la grève générale, qui le fera à sa place ? Une étape intermédiaire pourrait être une marche des licenciés qui rassemblerait des dizaines de milliers de salariés. C'est une question d'efficacité pour éviter l'isolement des conflits locaux.

Vous n'avez de cesse de citer l'exemple du LKP en Guadeloupe. Pour vous, c'est un modèle ?

Il n'y a pas de modèle exportable. Mais ils nous ont donné l'exemple d'une grève générale massivement suivie et d'un mouvement populaire, et la preuve qu'on peut combiner l'unité et la radicalité. Le LKP a réussi à s'installer comme direction politique d'une grève générale qui a déplacé des montagnes, en montrant qu'on peut faire baisser les prix et obtenir une augmentation de 200 euros des salaires. Imaginez ça ici ! Il y a la place en France pour un collectif qui lutterait ici aussi contre la "profitation".

Malgré la crise, Nicolas Sarkozy continue les réformes. La droite n'est-elle pas aujourd'hui en position de force ?

Peut-être, mais je ne suis pas fataliste. La crise du capitalisme lui pose un gros problème. C'est une crise qui vient du coeur du système, qui est profonde et durable. Le plus gros des difficultés économiques, pour le gouvernement, est devant lui. Nicolas Sarkozy veut maintenir le cap de la suppression de dizaines de milliers d'emplois dans la fonction publique, de la libéralisation de la santé, du travailler toujours plus longtemps et du blocage des salaires, mais, avec les contestations dans un certain nombre de secteurs, il est obligé de lâcher du lest. Il sait que n'importe quelle goutte d'eau peut faire déborder le vase et que le risque d'un embrasement général existe. On est dans un cycle où on peut encore remporter des victoires sociales.

Qu'espérez-vous aux élections européennes ?

Donner à la colère sociale une expression politique. Dans les milieux où nous avons le plus d'écho, les précaires, les prolos, les jeunes nous disent qu'ils n'ont pas forcément envie de voter. A nous de les convaincre qu'avoir des élus anticapitalistes pendant cinq ans au Parlement européen permettrait de relayer les combats sociaux dans les institutions européennes et de prévenir la population, la jeunesse, des mauvais coups qui se trament. Et on aurait un point d'appui pour construire un parti anticapitaliste européen.

Vous vous dites unitaires, mais, quand Jean-Luc Mélenchon vous tend la main vous refusez. Pourquoi ?

Nous avons proposé un front anticapitaliste, apportant des solutions radicales à la crise du capitalisme et qui soit durablement indépendant de la direction du PS. Le PCF comme le Parti de gauche ont refusé une alliance sur le long terme. Nous réclamons un peu de cohérence: nous ne voulons pas faire un bon coup aux européennes si, ensuite, aux régionales, il s'agit pour certains de retourner dans le giron du PS. Car les accords avec le PS aux élections poussent à faire le contraire dans les institutions de ce qu'on fait au quotidien.

Le Parti socialiste n'est plus un parti de gauche ?

On ne va pas faire de démagogie là-dessus. Les militants du PS, on les croise dans les mobilisations sociales, pas ceux de l'UMP. Ça fait quand même une sacrée différence ! Mais on a renoncé à leur demander de faire une politique de gauche qu'ils n'ont pas envie de faire. Leurs solutions pour sortir de la crise sont compatibles avec l'économie de marché. Pas les nôtres.

Que pensez-vous de l'incursion de François Bayrou sur le terrain de la gauche ?

Je n'ai pas vu Bayrou débouler dans le paysage de la gauche, mais dans le giron des alliances possibles avec le Parti socialiste. Je rappelle qu'il a voté les directives libéralisant les services publics. J'écoute son discours. Dans le camp de la droite, il traduit une autre option possible pour les classes possédantes. Le PS pense qu'il sera amené, lors des prochaines échéances électorales, à faire alliance avec lui. C'est pour cela que nous insistons sur l'indépendance totale à l'égard du PS.

Avec la dispersion des voix à gauche, ne faites-vous pas le jeu de Nicolas Sarkozy ?

C'est un faux procès qu'on fait au NPA. Ça fait deux ans qu'on est de tous les combats contre la politique du gouvernement. On ne va pas s'excuser d'être de cette gauche qui, dès le soir de l'élection de Sarkozy, a dit: "Il faudra le combattre." La vraie opposition à Sarkozy, ce sont des milliers d'anonymes, présents dans toutes les mobilisations sociales. Nous essayons de donner un prolongement politique à cette opposition.

* Entretien conduit par Françoise Fressoz et Sylvia Zappi, publié dans le quotidien Le Monde du 17 mai 2009.

(17 mai 2009)

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