Traité constitutionnel-Travail

Gérard Filoche

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«On veut nous ramener au XIXe siècle»

 

Nous publions ci-dessous un entretien avec Gérard Filoche – qui interviendra lors de deux conférences-débats le 2 juin à Lausanne et le 3 juin à Genève – inspecteur du travail, animateur du courant «Démocratie et Socialisme» dans le Parti socialiste français, membre du Conseil scientifique d’ATTAC, membre fondateur de la Fondation Copernic et auteur du «Carnets d’un inspecteur de travail» (Ed. Ramsay, 2004). Ces dernières semaines, Gérard Filoche a parcouru la France aux côtés de l’économiste Jacques Généreux pour «un NON socialiste» à l’occasion du référendum sur le Traité constitutionnel européen, qui sera soumis aux suffrages le dimanche 29 mai. red


Question: Comment expliques-tu que certains puissent s’opposer, du moins apparemment, à la directive Bolkestein et être favorable au Traité constitutionnel européen ?

Gérard Filoche: La cohérence des deux textes est exactement la même. Le Traité inscrit 68 fois que la concurrence doit être «libre et non faussée». Dans ce sillon la directive Bolkestein désorganise toutes les protections du travail, d’un seul coup, pour tous les pays. Cette directive a été adoptée le 13 février 2003. D’un commun accord avec les libéraux, les députés du parti socialiste européen avaient voté à l’unanimité des 111 présents une résolution se félicitant du rapport de la Commission sur les services et du «Respect des Etats membres du principe du pays d’origine». Bruxelles aujourd’hui fait mine de reculer. C’est le «Non» français qui suscite l’hésitation.

La Commission veut remettre à l’ordre du jour la directive Bolkestein, ou sa sœur jumelle [voir sur ce site «La directive Bolkestein et son «double»: la portuaire de Loyola de Palacio» – 24 mars 2004]. L’application du droit du pays d’origine signifie que le droit polonais ou letton, pauvre en protections, pourra s’appliquer en France ou en Suède, pays où existe une sécurité sociale, des durées légales du travail, des salaires minimum. Ce principe du» pays d’origine» est un des plus destructeurs du droit du travail. Il organise l’alignement par le bas.

Q.: Le thème du temps de travail et de «l’opt out», qui autorisent les dérogations à la durée du travail défraient aujourd’hui la chronique.

G. F.: Tout à fait. Depuis des années, quand les dirigeants anglais disent «non», ils savent se faire entendre dans un sens défavorable au droit social. Cela étant dit, la directive en cours de révision sur le temps de travail cherche à étendre l’article 18, que les Britanniques ont imposés dans la directive 1993-104, fixant la limite maximale de travail à 48 heures par semaine. De nombreuses manœuvres sont en cours actuellement, face à la montée du «Non» en France.

Mais, «l’opt out» est une clause qui autorise un salarié à «renoncer à ses droits» sous trois conditions. D’abord, il doit «choisir librement» de travailler plus longtemps, ce qui est un leurre puisque c’est l’employeur qui décide. C’est la même idée que Raffarin défend avec les «heures choisies». Ensuite, les visites chez le médecin du travail doivent être plus nombreuses. Quel aveu ! Travailler au-delà de 48 heures nuit à la santé ! De toute façon la médecine du travail est tellement affaiblie que cette clause est vaine. Enfin, les employeurs sont tenus de compter les heures effectuées au-delà des 48 heures.

Le problème c’est qu’elles ne sont déjà pas calculées en dessous. En France, par exemple, les heures réelles effectuées par les salarié-e-s doivent être consignées dans un registre qui n’existe pratiquement jamais. Car la sanction encourue si le registre n’est pas tenu est moindre que celle que les employeurs encourent, si, en tenant le registre on y trouve des infractions, notamment en termes d’heures supplémentaires dissimulées. La Commission Barroso veut nous ramener au XIXe siècle au plan du temps de travail, entre autres.

Q. En quoi y a-t-il un lien entre les directives et la Constitution ?

G. F.: Je ne prends qu’un exemple. Les articles I-3 et I-4 constituent la base juridique des directives. La «liberté d’établissement» est garantie. C’est-à-dire la libre-circulation des services. L’article III-137 ajoute qu’il est «interdit de restreindre cette liberté d’établissement», c’est le principe du «pays d’origine».

Q. Face à ces multiples harmonisations par le bas, penses-tu qu’il est réellement possible de tirer par le haut les législations sociales ?

G. F.: Parfaitement. Je pense par exemple qu’il est possible d’aller vers l’instauration d’un SMIC (salarie minimum inter-professionnel) unique européen. D’abord, parce qu’il existe un SMIC mondial, adopté pour les marins par 48 pays, dont 18 européens. Si les marins en bénéficient, pourquoi ne pas l’instaurer pour les routiers ? Il suffit de le décider et de planifier sa faisabilité, par exemple en commençant par négocier dans des branches professionnelles puis dans des pays.

Certains objectent que les écarts de niveaux rendent cette proposition illusoire. Il est vrai que le SMIC est de 470 euros au Portugal et de 1370 euros au Luxembourg. Mais cet écart proportionné de 1 à 3 est le même que celui qui séparait l’escudo et le mark avant la monnaie unique. Et cela n’a pas empêché de réussir l’euro !

Faire monter le salaire de l’ouvrier polonais sans faire baisser celui de l’ouvrier français n’est-ce pas une belle idée ? Oui, mais pour cela il ne faut pas voter le projet de Constitution qui «exclu toute harmonisation en matière fiscale et sociale».

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