Grande-Bretagne

Un conflit révélateur des choix politiques et sociaux du gouvernement Blair
La grève des pompiers britanniques

Les pompiers britanniques ont fait grève durant 48 heures dans toute la Grande-Bretagne, entre le 13 et le 15 novembre derniers. Ils se battent pour une augmentation de leurs salaires de 40 %. A défaut d'accord, la grève redémarrera le 22 novembre, pour 8 jours cette fois. Le gouvernement Blair veut casser cette lutte.

Les pompiers de Grande-Bretagne ne peuvent guère être accusés d'être des «gréviculteurs». Dans leur histoire, il n'y a eu précédemment qu'une seule grève nationale, en 1977. Le mouvement d'aujourd'hui est donc révélateur d'un profond malaise social, qui caractérise la situation non seulement des professionnels du feu, mais, de larges catégories de salarié·e·s britanniques.

Pour un salaire à la hauteur de l'engagement

L'exigence d'une revalorisation générale de leurs salaires est au cœur du mouvement des pompiers. Depuis mai, ils demandent à pouvoir négocier une augmentation de 40 %. Ils ne se sont heurtés jusqu'à maintenant qu'à des fins de non recevoir.

Augmenter les salaires de 40 %, ce n'est pas rien. Comment le Syndicat des brigades du feu, le FBU (Fire brigades Union) justifie-t-il cette revendication ?

Les salaires actuels des pompiers sont fixés selon une grille salariale adoptée après la précédente – et seule autre – grève nationale de ce corps de métier, en 1977. Il y a 25 ans, le métier de pompier était réputé pour être particulièrement mal payé. Ceux qui l'exerçaient avaient souvent droit aux aides sociales ; ou ils devaient prendre un deuxième emploi, durant leur temps libre. En 1977, dans le sillage des mobilisations syndicales secouant l'Angleterre, les pompiers ont fait grève 9 semaines et ils ont obtenu une importante revalorisation de leurs revenus.

Depuis lors, plus rien. Résultat: d'une part la profession a beaucoup évolué. Le travail est devenu plus exigeant (connaissances techniques, etc.). Les services du feu font aujourd'hui face à 55 % de plus d'incidents avec des effectifs réduits, par rapport à il y a 10 ans. Le travail est aussi plus risqué.

D'autre part, 25 ans sans remaniement salarial ont eu pour effet de creuser les écarts avec d'autres professions comparables, et avec les charges à assumer. Ainsi, certains pompiers doivent de nouveau prendre un deuxième boulot. Aujourd'hui, un pompier gagne, après quatre années de formation, 21500 £ par an (environ 49500 fr.) En comparaison, le salaire d'un agent de police s'élève à 29000 £ et celui d'un conducteur de train diplômé entre 29000 et 32000 £. Les pompiers ont des horaires hebdomadaires de 42 heures, contre 40 pour le policier et 35 pour le chauffeur de train. Le pompier, qui travaille en équipe, 7 jours sur 7, ne touche aucun supplément pour les nuits ou le week-end.

Oui massif à la grève

Sans réponse à leur revendication, les pompiers ont préparé un mouvement de grève. Tous les membres du FBU ont été appelés à voter. Le résultat est impressionnant: 87,6 % des 52000 membres du FBU ont répondu oui.

Confronté à cette détermination, le gouvernement britannique a tenté une manœuvre de diversion début septembre: la mise sur pied d'une prétendue commission d'enquête indépendante, présidée par Sir George Bain. George Bain est un professeur d'université spécialisé dans les relations sociales au travail (industrial relations). De 1989 à 1999, il a été directeur (Principal) de la London Business School et il s'est assuré, à cette occasion, «un des paquets salariaux les plus élevés de tout le monde universitaire» selon le New Stateman. Il est actuellement vice-chancelier de la Queen's University de Belfast. Il siège de plus dans de nombreux conseil d'administration, comme ceux du Groupe de presse de The Economist, chez Blackwell Publishers, Bombardier Aerospace ou le groupe d'assurance Canada Life. Blair l'a placé, en 1997, à la tête de la «Commission sur les bas salaires», qui a maintenu le salaire minimum légal à un niveau extrêmement bas (3,60 £). Pour ses bons et loyaux services, il a été anobli en 2001. Tous les autres membres de la «commission indépendante» ont été anoblis sous l'un ou l'autre des gouvernements Blair et sont liés à la direction du New Labour.

L'objectif de cette commission est triple:

- gagner du temps,

- jeter le discrédit sur la grève,

- et mettre en chantier une «modernisation» de la profession, visant à augmenter la charge de travail des pompiers (plus de flexibilité, obligation de faire des heures supplémentaires, réduction des effectifs durant la nuit, sou prétexte qu'il y aurait moins de travail).

Au niveau salarial, George Bain recommande une augmentation de 11 % répartie sur deux ans.

Les pompiers ont dénoncé cette offre comme «dérisoire et insultante». Ils refusent également d'entrer en matière sur ses projets de modernisation, tout en rappelant qu'ils ont fait, en 2001 déjà, des propositions pour faire évoluer les services du feu. Ces syndicalistes ne sont de toute évidence pas du bois à se laisser impressionner par de telles «personnalités» et ils font preuve d'une bienvenue impertinence, qu'on aimerait rencontrer plus souvent dans nos contrées. Par exemple, le secrétaire général du FBU, Andy Gilchrist, débute ainsi sa lettre à George Bain pour lui annoncer que son syndicat refuse de participer aux travaux de sa commission: «Cher Sir George, Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais votre réputation vous précède. Vous êtes un expert dans votre domaine académique et d'agréable compagnie. Il est d'autant plus regrettable que nous ne puissions nous rencontrer dans un proche futur. San quoi, peut-être que j'aurais alors pu vous donner un cours accéléré au sujet du quotidien des services du feu et que vous, de votre côté, vous auriez pu m'expliquer comment vous êtes arrivé à fixer à 3£60 le seuil pour un salaire minimum horaire correct.»

«Ces gars risquent leur vie chaque jour»

Après avoir encore suspendu 2 mouvements de grève de 2 jours, pour donner toutes leurs chances à d'éventuelles négociations, les pompiers sont finalement passés à l'action, le 13 novembre. Pour répondre aux urgences, le gouvernement a dû mobiliser 19000 soldats, équipé d'un matériel largement dépassé.

Le mouvement de grève a été très largement suivi par les pompiers. Il recueille auprès de l'opinion publique une large sympathie. Celle-ci est, selon les sondages, même encore plus forte après la grève qu'avant Voici une prise de position d'un jeune homme, donnée en exemple par la BBC: «Ces gars risquent leur vie chaque jour. Je pense qu'ils sont raisonnables. Le gouvernement doit leur payer, à eux ainsi qu'aux autres employés des services publics, comme les infirmières, ce qu'ils méritent.»

Le gouvernement veut casser cette sympathie. Lors de la première nuit de grève, 3 personnes âgées sont malheureusement décédées dans des incendies. La presse et le gouvernement se sont déchaînés.Les pompiers sont évidemment les premiers à regretter ces décès. De fait, à de nombreuses reprises, ils ont rompu leurs propres piquets de grève pour porter secours à des personnes menacées par le feu. Ils rappellent aussi, même si cela n'enlève rien au drame, que chaque jour de l'année, des personnes décèdent en Grande-Bretagne des suites d'un incendie. Et ils constatent que tous ces décès sont intervenus la nuit, précisément quand le rapport Bain préconise de réduire les effectifs.

L'impact de la grève des pompiers dépasse la profession. A Londres, une vingtaine de stations de métro ont dû être fermées, par sécurité. Plusieurs dizaines de chauffeurs de métro ont refusé de circuler, considérant que leur sécurité et celle des passagers ne sont plus assurées. Suite à des menaces de sanctions, leur syndicat organise une votation générale sur des mesures de grève.

C'est justement un des enjeux de la grève des pompiers: son exemple. Depuis de nombreux mois, les mobilisations syndicales se multiplient: cheminots, postiers, employés communaux, etc. Le mécontentement est fort dans les services publics. Un syndicalisme plus indépendant du Parti travailliste et du gouvernement connaît un certain essor. Blair, qui continue la politique initiée par Mme Thatcher à la fin des années 70, veut casser cette dynamique.

Priorité à la guerre contre l'Irak

Pour cela, le gouvernement discute ouvertement de recourir à la manière forte. La troupe mobilisée pour remplacer les pompiers ne dispose pas de matériel moderne. Le gouvernement a déclaré que, si nécessaire, l'armée serait autorisée à briser les piquets de grève pour s'emparer du matériel des pompiers. Ces derniers ne s'y opposeront pas. Ils signalent simplement que la troupe n'a pas la formation nécessaire pour utiliser leurs engins. Cela signifie de gros risques d'accidents et de détérioration du matériel

Face à cette évidence, le gouvernement Blair cherche une issue par la négociation. En même temps, il n'exclut pas d'interdire tout simplement la grève. Pour justifier cette mesure, il avance un argument qui indique à lui seul ses priorités politiques et sociales: il serait intolérable que 19000 militaires ne soient pas disponibles pour participer à des opérations militaires d'envergure en Irak parce qu'ils doivent remplacer les pompiers. (Financial Times, 15 novembre 2002) Blair a clairement choisi son camp social. Nous aussi. (19 novemvbre 2002)

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