Egypte
Grève des ouvriers du textile
Le mouvement social contre la «transition» sous surveillance des militaires
Rédaction
Le communiqué n° 5 du Conseil suprême des forces armées d’Egypte, du lundi 14 février 2011, qui mettait en garde les grévistes ne semble pas satisfaire les industriels. Selon diverses sources, le mercredi 16 février, de nombreux industriels égyptiens ont fait part de leur insatisfaction face à la multiplication de grèves et revendications sociales.
Des banques ont été fermées suite aux grèves et revendications salariales des salarié·e·s. Les industriels soulignent que la paralysie bancaire frappe l’industrie. Unanimes, militaires et entrepreneurs font des grévistes les responsables de la crise économique. «Au nom de l’unité nationale», industriels et militaires réclament le «retour à la normale».
Grèves et lock-out
Le mercredi 16 février, quelque 20'000 travailleurs de l’entreprise d’Etat Mahalla Textile Company ont engagé un mouvement de grève. Cela malgré la présence d’un blindé de l’armée devant la principale porte. La police militaire a empêché des journalistes étrangers et égyptiens de prendre des photos. Un journaliste du quotidien Al-Masry Al-Youm a reçu l’indication suivante d’un capitaine de la police militaire: tout journaliste doit obtenir une permission écrite des services de sécurité militaire pour entrer dans le complexe industriel. Les travailleurs de Mahalla Textile Company représentent une figure emblématique du mouvement de grève en Egypte: en décembre 2006, en septembre 2007 et en avril 2008, ils ont engagé des luttes qui ont participé de manière décisive au changement du climat social en Egypte. Dans cette grève de 2011, ils demandent la démission de Mohsen Gilani, qui est à la tête du holding contrôlant les entreprises du secteur textile étatique. Ce dernier et d’autres responsables sont accusés de corruption. Les travailleurs réclament aussi la dissolution des comités syndicaux mis en place par les appareils contrôlés par l’Etat; l’élection d’un nouveau syndicat libre et indépendant; la réintégration de deux travailleurs licenciés pour fait de grève, et de cinq autres qui avaient été déplacés au Caire et à Alexandrie. Ils revendiquent un salaire minimum mensuel équivalant à environ 200 francs suisses. Les délégués des travailleurs affirment: «Nous ne mettrons pas fin à cette grève jusqu’à ce que nos revendications soient satisfaites.»
Dans la ville de Damietta, 6000 autres travailleurs du secteur textile ont engagé un mouvement de grève.
A l’aéroport du Caire, 11 vols ont dû être supprimés, car aussi bien les employés des douanes que les travailleurs de la maintenance ont engagé un mouvement revendicatif. Il porte sur des questions de santé, de transport, de prime.
Le jeudi 17 février, quelque 1500 salariés dépendant de l’autorité du canal de Suez ont engagé un mouvement de grève. Ils manifestent devant les bâtiments du gouvernorat à Ismailia, à Suez et à Port Said. Pour l’instant, le trafic sur le canal de Suez n’est pas mis en cause. Ils revendiquent une hausse de leur salaire et une assurance maladie.
Dans ce contexte, le directeur de la fédération des industries métallurgiques, Mohamed Said Hanfy, indique que la situation contraint les entreprises à travailler entre 20 et 50 % de leur capacité. Et, surtout, il souligne l’emploi de «forces de sécurité privées» pour surveiller les stocks et, à coup sûr, pour intervenir face aux grévistes, au moment où la police ne dispose plus des mêmes capacités répressives que par le passé.
Il confesse à l’agence Reuters, utilisant une formule étonnante: «Jusqu’à ce que la sécurité soit assurée et que la police ait repris le contrôle de toutes les choses, beaucoup de gens auront peur de travailler.»
Dans le secteur alimentaire et textile, soit il y a des grèves, soit, pour les empêcher, les patrons appliquent le lock-out. L’entreprise de textile Arafa a fermé son usine à Ramadan jusqu’à samedi, au moment où un quart des travailleurs engageaient une grève. C’est un moyen de pression très fort, car souvent le salaire est à la journée. Certaines entreprises sont contraintes de reculer devant les revendications et en admettre une partie, comme l’entreprise de céramique Lecico.
Dans le secteur de la production de ciment, le mouvement de grève a aussi pris son essor. Ainsi, un des responsables financiers de Asec Cement déclare: «Si les grèves ne durent qu’un ou deux jours, cela nous affectera peu. Mais si elles durent 10 jours ou plus, il y a de quoi se faire du souci.»
Les industriels ont apprécié le communiqué n° 5, mais trouvent que son ton est un peu mou comparé au passé. Ainsi, Mohamed Sais Hanfy déclare: «L’armée doit utiliser un langage plus énergique face à la population. Beaucoup de travailleurs ne connaissent pas de problèmes, mais veulent simplement profiter de l’occasion favorable présentée par la nouvelle situation politique.»
Vol de terres agricoles
Dans un autre domaine éclatent au grand jour les effets de la politique d’expropriation par des personnalités du régime Moubarak de terres agricoles étatiques converties pour des infrastructures touristiques. Selon le quotidien Al-Masry Al-Youm, les pertes liées à ce transfert de fermes agricole, situées à la limite du désert (delta du Nil), vers des infrastructures touristiques s’élèvent à quelque 78 milliards de livres (12,8 milliards de francs suisses). Le Ministère de l’agriculture – dont l’ancien responsable, Amin Abaza, est poursuivi et se voit interdire de quitter l’Egypte – établit une liste des «acquisitions illégales de terres étatiques» et aussi un bilan détaillé des terres agricoles converties en infrastructures touristiques, ce qui porte atteinte au développement agricole dans la région ouest du delta, cela au moment où les prix des produits agricoles de base ont explosé et où l’Egypte dépend de plus en plus d’importations dans le domaine alimentaire. Quelque 28 hommes d’affaires liés au ministre de l’Agriculture sont les principaux responsables de cette politique criminelle. D’ailleurs, selon l’étude citée précédemment, les pertes subies auraient permis l’irrigation et le drainage de quelque 6,5 millions d’hectares. Comme quoi la politique du gouvernement de Moubarak, apprécié pour sa libéralisation et ses «réformes» par les institutions internationales, portait et porte toujours atteinte aux besoins les plus fondamentaux de la population.
La volonté des militaires, après avoir dissous le parlement et promis des élections, est d’assurer une «transition» la plus contrôlée possible. La Constitution, qui est simplement suspendue, devra être amendée dans un délai bref et soumise à un référendum dans les deux mois. Ils parient sur un retour le plus rapide à la normale et jouent à fond la carte de «l’approfondissement de la crise» si le flux des touristes ne se rétablit pas dans les semaines à venir.
«Le vendredi de la victoire»
Selon diverses sources, la «coalition de la révolution du 25 janvier» appelle, pour le vendredi 18 février, une manifestation d’ampleur sur la place Tahrir et dans d’autres endroits de la capitale. Cela afin de rendre hommage à ceux qui ont perdu leur vie à l’occasion du soulèvement contre le régime de Moubarak, soit 365 personnes selon le Ministère de la santé.
La coalition demande la libération immédiate de tous les prisonniers politiques, la suppression de l’état d’urgence et des services de sécurité et de la police politique.
Cette journée sera certainement un test.
(17 février 2011)
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