Egypte
Les images diffusées pour justifier le soutien, depuis longtemps, à Moubarak
Les islamistes et la révolution égyptienne
Hossam Tammam *
Tous les débats sur le statut des islamistes dans la nouvelle Egypte (d’après le 25 janvier 2011) font peu de sens s’ils sont fondés sur les mêmes données qui étaient utilisées, auparavant, pour étudier les mouvements religieux ; et encore moins s’ils ignorent le fait que l’Egypte a connu une révolution qui a détruit beaucoup des anciennes caractéristiques de sa scène religieuse.
La révolution n’était pas dirigée seulement contre le pouvoir autocratique, répressif et corrompu du régime en place, qui reposait sur une alliance entre l’argent, le pouvoir et la corruption. Elle était aussi dirigée contre l’establishment religieux officiel et son discours qui – directement ou indirectement – soutenait et soutient ce régime.
La révolution égyptienne a complètement reconfiguré la scène religieuse et a clarifié aux yeux du public le rôle des institutions religieuses et leurs discours dans le pays. Le résultat est surprenant. Personne ne pensait que les Egyptiens religieux étaient capables de renverser le pouvoir des institutions religieuses et de défier les discours religieux qui sont apparus, soudainement, comme partie prenante du régime corrompu et oppresseur.
L’establishment religieux officiel – aussi bien islamique que chrétien – est le grand perdant dans cette révolution. Al-Ahzar [l’université de référence pour l’islam] a pris du retard pour faire face à la nouvelle situation. Ahmed al-Tayyib, le grand Sheikh, a attendu longtemps avant de prendre une position qui le détache d’un soutien sans équivoque au régime. Mais ces prises de position n’étaient pas à la hauteur du processus révolutionnaire. En tant qu’institution religieuse complètement liée à l’Etat – structurellement et financièrement – Al-Ahzar n’a pas beaucoup changé son discours après la révolution.
Al-Azhar a appelé au calme quand la révolution atteignait son pic. Al-Azhar condamnait les «Egyptiens qui se battaient entre eux», ignorant que ce qui se passait était une attaque honteuse orchestrée par le régime avec l’aide de criminels et de nervis. Al-Azhar a émis une série de déclarations sur le besoin de mettre fin à la révolution, mais n’a fait aucune mention sur la nature du régime. Al-Azhar a seulement redoublé ses couplets invitant les jeunes militants au dialogue. Certes, le porte-parole officiel de Al-Azhar, Mohammed Rifa’a al-Tahtawi, a donné sa démission. Avec d’autres protestataires et divers prédicateurs, il a rejoint les manifestants, mais en son propre nom.
De son côté, le Grand Mufti – qui émet les fatwas (décrets) – a tout fait pour assurer un appui religieux au régime. Le Grand Mufti Ali Gomaa, dans une fatwa émise à l’occasion du «vendredi du départ», le 4 février 2011, a ordonné aux musulmans de ne pas aller prier dans les mosquées [afin de diminuer le flot des manifestants].
Quatorze jours après la révolution, il est clair que le public égyptien a manifesté peu d’attention envers l’establishment religieux, conscient que les fatwas étaient politiquement motivées (au même titre que les affirmations précédentes selon lesquelles les jeunes qui émigraient illégalement ou commettaient des suicides ne pouvaient pas être considérés comme des martyrs), les jeunes mobilisés ignorèrent les paroles de Gomaa.
La position des chrétiens les plus en vue de l’institution, l’Eglise copte, a été marquée ouvertement par son inclination en direction du régime. Le Pape Shenouda s’opposa le 25 janvier aux mobilisations et appela les coptes à ne pas y participer. Il maintint cette position tout au long des journées révolutionnaires, en déclarant ouvertement son soutien à Moubarak. Beaucoup de coptes sont toutefois descendus dans la rue, refusant d’obéir aux directives du Pape. La révolution a éclaté au moment où les coptes étaient en train de mettre en question l’Eglise officielle et son monopole revendiqué pour ce qui a trait à la représentation des chrétiens. Des dizaines d’articles ont été écrits au cours des derniers mois défendant l’idée que la voix des chrétiens devait être prise en compte en dehors de l’institution officielle, cela dans les programmes et les partis. La participation des chrétiens, spécialement des jeunes chrétiens, dans cette mobilisation constitue une autre révolution – une qui est dirigée contre l’Eglise officielle qui a utilisé un discours sectaire afin d’isoler les coptes descendus dans la rue et pour rallier les chrétiens au régime de Moubarak sur la base qu’il offrait des garanties à la communauté chrétienne.
Au même titre où la population égyptienne a réussi à surmonter les institutions religieuses soutenues par l’Etat, elle aussi réussi à écarter les groupes salafistes [islamistes fondamentalistes appuyés par l’Arabie Saoudite] qui soutenaient clairement le régime. Beaucoup de salafistes s’opposèrent à la révolution et plus largement aux principes mêmes de l’opposition politique et le régime a tenté d’utiliser cela en sa faveur. Unanimement, les salafistes ont boycotté la révolution, en affirmant que c’était une sédition. Ils ont accepté des décennies d’injustices, mais ils rejetaient la révolution. La révolution a révélé une alliance inattendue entre le régime de Moubarak et le mouvement salafiste. D’un côté, le mouvement est soutenu par des éléments de l’Arabie Saoudite, de l’autre ses membres sont, périodiquement, sujets à la répression par le régime. Néanmoins, le régime ne concevait pas cette répression comme équivalant à une suppression complète de toute alliance avec le mouvement, aussi longtemps que ce dernier soutenait politiquement le régime.
Un des paradoxes de la révolution égyptienne c’est que le régime – qui a récemment interdit des canaux de télévision salafistes et a accusé ces derniers de susciter des conflits sectaires – a changé sa position et a utilisé les sheikhs salafistes dans sa guerre contre la révolution. Cette fois, des sheikhs salafistes et des personnalités tels que Mohammend Hassan, Mahmoud Al-Masri, Mostafa al-Adawi sont apparus à la télévision d’Etat et sur des chaînes privées proches du régime. Plusieurs ont mis en question le patriotisme de ceux qui engagèrent la révolution, arguant qu’il s’agissait d’une conspiration américano-sioniste ou proche de la révolution iranienne. Les déclarations aux visées manipulatrices des dirigeants iraniens soutenant le soulèvement des Egyptiens ont contribué à la contre-attaque des salafistes.
La position des salafistes envers la révolution égyptienne n’est pas une surprise, en particulier parce qu’ils ont une histoire de soutien du régime. Le décret des salafistes indiquant qu’il fallait tuer les réformes proposées par Mohammed El-Baradei en est une preuve. Le même sheikh a émis une fatwa interdisant des candidatures s’opposant au président Moubarak en 2005, lors des élections présidentielles, au nom du fait que Moubarak était le commandant des croyants. Ce qui est surprenant, toutefois, c’est la position des salafistes d’Alexandrie. Cette école est parmi la plus indépendante du régime et s’est souvent opposée à lui. Ses membres ont été l’objet de mesures de sécurité très strictes et de campagnes d’arrestations. Ces campagnes ont connu leur moment le plus fort à l’occasion des attaques contre l’Eglise copte d’Alexandrie dans la nuit du 31 décembre 2010 au 1er janvier 2011. Des centaines de salafistes ont été arrêtés et l’un est mort sous les effets de la torture. Malgré cela, les autorités salafistes d’Alexandrie (et d’autres dans divers gouvernorats) se sont opposées à la révolution, en allant si loin qu’ils fermèrent quelques mosquées le «Jour du départ». Ils manifestèrent leurs craintes face à d’autres courants politiques – une possible référence à l’Association nationale pour le changement d’El-Baradei – quant à leur identité islamique.
Les salafistes constituent le soutien le plus fort – direct et indirect – pour le régime en ce moment. Mais cela signifie que l’avenir des salafistes est en question. D’un côté, une victoire de la révolution sur le mouvement salafiste pourrait le conduire à réviser ses positions. De l’autre côté, si la révolution est incapable de mener à bien les aspirations démocratiques, le mouvement salafiste peut réaffirmer son ancienne position en soutenant le régime.
Certes, cette analyse contient une part de généralisation concernant le mouvement salafiste. Le fait que le mouvement salafiste était, en général, opposé à la révolution et s’est affirmé comme un allié du régime n’implique pas que des prises de position de salafistes en faveur de la révolution ne se soient pas fait entendre. Quelques personnes ont adopté des positions progressistes contre le régime, parfois plus radicales que certains libéraux ou courants de gauche. Cela est particulièrement vrai pour ce qui a trait au projet du Parti Islah, dont Gamal Sultan traduisit la position à la fin des années 1990.
Le reste des forces politiques intégrant le spectre islamiste est divisé entre les groupes armés djihadistes qui ont combattu le régime durant des décennies avant de renoncer à la violence, et des groupes pacifiques, tels que les Frères musulmans.
A l’exception de la déclaration des dirigeants djihadistes Abud et Tarik Al-Zumur en soutien de la révolution, Al-Jamaat Al-Islamiya et le reste des djihadistes qui ont renoncé à la violence ont appelé à mettre fin à la révolution. Al-Jamaat refusa de demander le départ de Moubarak et a accueilli avec satisfaction son intention de ne pas se représenter lors des élections présidentielles de septembre. Les dirigeants d’Al-Jamaat insistèrent de même sur leur participation au dialogue politique bien qu’ils n’aient pas participé à la révolution. Le régime a de suite accepté cette proposition d’Al-Jamaat. Cela peut être compris dans le cadre de la stratégie du régime d’inclure dans un dialogue le plus grand nombre de courants politiques différents qui n’ont pas participé à la révolution.
Pour ce qui est des Frères musulmans, ils continuent à participer à la mobilisation et n’en sont pas sortis. Toutefois, il y a des changements significatifs dans les positions des Frères musulmans lors des derniers jours, après que l’organisation a accepté de participer au dialogue avec Moubarak qui est toujours au pouvoir. Ceci signifie, de fait, que les Frères musulmans ont vacillé sur leur revendication de départ immédiat de Moubarak et sont entrés dans un dialogue en acceptant les conditions du régime.
Beaucoup expriment des doutes sur l’attitude des Frères musulmans : vont-ils rester proches du régime, même si certains participent à la révolte dans la rue. Il y a toujours eu des fortes pressions qui se sont exercées sur les relations entre l’Etat et les Frères musulmans, avant tout à cause de leur désir d’acquérir un statut légal. Il y a aussi le désir de traduire les gains de la révolution dans des changements tangibles pour ce qui a trait au statut politique et légal des Frères musulmans, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale, spécialement après que le mouvement a été invité à participer au dialogue au même titre que les autres partis politiques.
Beaucoup dans la mouvance des Frères musulmans semblent continuer à agir avec une mentalité pré-révolutionnaire, comme si la révolution n’avait pas eu lieu et comme si le régime était toujours fort. Ils n’arrivent pas à se demander s’ils doivent accepter et adopter les revendications de la révolution. Cela est un problème pour eux, car cela met une limite entre ce que la révolution pourrait achever et ce que les Frères pensent qu’elle peut leur offrir. (Ecrit le 8 février 2011- Traduction A l’Encontre).
* Cet article a été écrit dans le quotidien Al-Masry Al-Youm
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