Débat
Thomas Coutrot
«Les marchés financiers ne
financent pas l’économie»
Entretien avec Thomas Coutrot *
Quelque 400 économistes
français de différentes sensibilités, communistes, socialistes,
marxistes, keynésiens… ont lancé un Appel des «économistes atterrés» (voir
sur ce site, l’appel publié en date du 21 septembre 2010).
Cet appel vise à lancer un
débat public alternatif au discours dominant justifiant la
soumission des politiques aux «exigences des marchés financiers».
Thomas Coutrot, coprésident d’Attac et l’un des initiateurs de
cet appel-manifeste, nous explique le sens de la démarche. (Réd.)
Comment des économistes
peuvent-ils être «atterrés»?
Thomas Coutrot.
Nous sommes atterrés parce que les politiques néolibérales sont
appliquées avec une vigueur redoublée alors que la crise financière
a montré que la libéralisation des marchés aboutissait à une
impasse économique et sociale. Aucune leçon n’a été tirée de
la crise.
Mais le G20, l’Union
européenne, les États-Unis n’affirment-ils pas avoir adopté des
mesures pour réguler les marchés financiers?
Les réformes initiées ne touchent
pas aux fondamentaux, c’est-à-dire à l’idée qu’il faut
laisser les marchés financiers opérer librement afin qu’ils
puissent orienter efficacement les décisions d’investissement. Le
souci des autorités est d’essayer de protéger les marchés
financiers de leurs propres excès, mais elles ne mettent pas en
cause leur rôle moteur.
Que faut-il faire alors,
fermer
la Bourse ?
Dans le manifeste que nous faisons
circuler, nous avançons des propositions qui visent notamment à
séparer les marchés afin d’éviter que l’instabilité ne se
transmette d’un marché à l’autre.
Ne faut-il pas aussi réduire
l’importance des marchés financiers ?
A ce titre, nous proposons la
taxation des transactions financières, dont l’un des effets serait
de réduire de façon considérable le volume de la bulle financière.
On estime qu’une taxe de 0,1?%
sur ces transactions aurait pour effet de réduire leur volume total
de 70 à 75?%.
Mais si vous réduisez
le
rôle des marchés financiers, ne faut-il pas trouver de nouvelles
formes
de financement ?
Aujourd’hui, les marchés financiers ne financent pas l’économie,
c’est plutôt l’économie qui les finance. Il y a un transfert
net vers les actionnaires des ressources créées par les entreprises
qui se financent par l’autofinancement et le crédit bancaire.
Dans le manifeste vous mettez en
cause la politique actuelle de réduction des déficits
et vous
semblez indiquer que la dette publique n’est pas
en soi un
problème.
Elle est un problème, d’autant
plus que l’on a décidé de la financer par recours aux marchés
financiers. Il faut sortir le financement des États des griffes des
marchés financiers. Dans la zone euro, il faut qu’ils puissent se
financer directement auprès de la Banque centrale européenne afin
d’éviter l’enrichissement indu des banques. Aujourd’hui, les
banques empruntent à la BCE à 1%
et prêtent aux États à 3, 5 ou 10%.
* Cet entretien
a réalisé par Pierre Ivorra pour le quotidien L’Humanité.
Thomas Coutrot a publié: Jalons
vers un monde possible,
Editions Le Bord de l’eau (avril 2010)
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